XXIII-LE SINTHOME
Séminaire DU 10 février 1976
(p1->) Ça ne va pas fort, je vais vous dire pourquoi. Je m'occupe à éponger l'énorme
littérature
car encore que Joyce à ce terme répugnait, c'est tout de même bien ce qu'il
a provoqué. Et ce qu'il a provoqué, le voulant. I1 a provoqué un énorme bla-bla
autour de son oeuvre. Comment ça se fait ?
Jacques Aubert, qui est là, au
premier rang, m'envoie de temps en temps, de Lyon, il a du mérite à le
faire, l'indication de quelques auteurs supplémentaires. I1 n'est pas là-dedans
innocent. Mais, qui est-ce qui est innocent ? Il n'est pas innocent
parce que il a commis aussi des trucs sur Joyce.
A la pointe, comme ça, de ce qui est, dans
l'occasion, mon travail, je dois me demander pourquoi, pourquoi je fais ce
travail, travail d'épongeage en question. C'est certain que c'est parce que
j'ai commencé. Mais, j'essaie, comme on essaie pour toute réflexion,
j'essaie de me demander pourquoi j'ai commencé.
La question, qui vaut la peine
d'être
posée, est
celle-ci : à partir - c'est comme ça que je m'exprime - à
partir de quand est-on fou ? Et la question que je me pose, et que je
pose
à Jacques Aubert, c'est celle-ci, que je ne résoudrai pas aujourd'hui :
Joyce était-il fou ? Ne pas la résoudre aujourd'hui ne m' empêche pas
de commencer à essayer de me repérer, selon la formule qui est celle que je
vous ai proposée, la distinction du vrai et du Réel.
Chez Freud, c'est patent. C'est
même, c'
est même
comme ça qu'il s'est orienté. Le vrai, ça fait plaisir. Et c'est
bien ça qui
le distingue du Réel, chez Freud, tout au moins ; c'est que le
Réel, ça ne
fait pas plaisir, forcément. I1 est clair que c'est là que, que je distords
quelque chose de Freud. Je tente de remarquer, de faire remarquer que la
Jouissance, c'est du Réel. Ça m'entraîne à énormément de difficultés.
D'abord, parce qu'il est clair que la Jouissance du Réel comporte ce dont Freud
s'est aperçu, comporte le masochisme, et c'est évidemment pas de ce pas
là qu'il était parti. Le masochisme qui est le majeur de la Jouis-(p2->)sance
que donne le Réel, il l'a découvert, il l'avait pas tout de suite prévu
.
Il
est certain que entrer dans cette voie entraîne, comme en
Tout le monde dit que si, si j'y arrive, enfin, je dis tout le monde, Freud dit que si j'y arrive, c'est parce qu'ils m'aiment. Ils m'aiment grâce à ce que j'ai essayé d'épingler du transfert, c'est-à-dire que ils me supposent savoir. Ben ! Il est évident que je ne sais pas tout. Et, en particulier, que à lire Joyce, car c'est ça qu'il y a d'affreux, c'est que j'en suis réduit à le lire.
(p3->) Comment savoir à la lecture de Joyce
ce qu'il se croyait ? Puisqu'il est tout à fait certain que je ne l'ai pas
analysé. Je le regrette. Enfin, il est clair qu'il y était peu disposé. La
qualification de " twiddledum " et " twiddledee ", pour désigner
respectivement Freud et Jung, était enfin ce qui lui venait naturellement sous
la plume, ça ne montre pas qu'il y était porté.
- Alors,
Jacques Aubert, qu' est-ce que vous pensez, est-ce qu' il s'est cru
oui ou non . . . C'est bien pour ça que je vous pose la question. C'est parce
que il y a des traces ?
- Dans
Stephen le Héros, par, exemple, il y a des traces,
- Dans ?
- Dans
Stephen Le Héros,
- Mais oui !
- La première
version, il y a des traces très nettes
- De ceci,
c'est que, enfin , c'est qu'il écrit, mais . . . Dans Stephen Le Héros, enfin,
je l' ai quand même un peu lu enfin , et puis alors, dans le portrait de
l'Artiste enfin ! L'embêtant, c'est que c'est jamais clair. C'est jamais clair
parce que le Portrait de l'Artiste, c'est pas le rédempteur, c'est Dieu lui même.
C'est Dieu comme façonneur,
comme artiste. Oui, allez-y.
- Oui, si je
me souviens bien, les passages qui il évoque les allures de faux Christ, c'est également
des passages où il parle de manière énigmatique - enigma
manner - Le maniérisme et l'énigme. Et puis d'autre part, ça semble
correspondre également à la fameuse période où il a été fasciné par le Franciscanisme,
avec enfin deux aspects du franciscanisme qui sont quand même
peut-être intéressants, l'un touchant l'imitation du Christ, qui fait
partie de l'idéologie franciscaine, n'est-ce pas, on est tous du côté
du fils , on imite le fils , et également la poésie, n'est-ce pas,
les petites fleurs. Et, un des textes qu'il cherche, dans Stephen Le Héros,
c'est justement, non pas un texte de théologie franciscaine, mais un
texte ( de poétique )
de poésie - De Jacopone da Tone - (?)
- Exactement.
Oui. Si je pose la question, c'est qu'il m'a semblé valoir la peine de la
poser. Comment mesurer jusqu' où i1 y croyait ? Avec quelle physique opérer ?
C'est
quand même là
que j'espère que mes noeuds, soit ce
Comment
peut-on même si on pense que ces noeuds, c'est tout
Mes bons amis, Soury et Thomé, se sont aperçus que, ils sont arrivés à décomposer les rapports du noeud borroméen avec le tore (Fig.III-a). Ils se sont aperçus de ceci, c'est que le couple de deux cercles pliés l'un sur l'autre, car c'est de ça dont il s'agit, vous voyez bien que celui-ci, en se rabattant, se libère, c'est même tout le principe du noeud borroméen. (FigIII-b) Ils se sont aperçu que ceci pouvait s'inscrire dans un tore fait comme ça. Et que c'est même pour ça que si on fait passer ici la droite infinie (FigIII-c), qui n'est pas exclue du problème des noeuds, bien loin de là, cette droite infinie qui est faite autrement que ce que nous pouvons appeler le faux trou, cette droite infinie fait de ce trou un vrai trou, c'est-à-dire quelque chose qui se représente mis à plat, car il reste toujours cette question de la mise à plat, en quoi est-elle convenable ? Tout ce que nous pouvons dire , c'est que les noeuds nous la commande nous la commandent comme un artifice, un artifice de représentation, et qu'il n'est en fait que de perspective puisqu'il faut bien que nous suppléions à cette continuité supposée que nous voyons au niveau du moment où la droite infinie est sensée sortir, sortir de quoi, sortir du trou ; quelle est 1a fonction de ce trou ?
(p6->) C'est
bien ce que nous impose l'expérience la plus simple, celle d'un anneau. Mais
un anneau n'est pas cette chose purement abstraite qu'est la ligne d'un cercle,
et il faut qu'à ce cercle, nous donnions corps, c'est-à-dire
consistance, que nous l'imaginions supporté par quelque dose de physique pour
que tout ceci soit pensable. Et c'est là que nous retrouvons ceci, c'est que
ne se pense ( pan-se ) que le corps.
Bon.
Reprenons quand même ce à quoi, aujourd'hui, nous sommes attachés, la piste
de Joyce. Je poserai la question, celle que j'ai posée tout à l'heure. Les
lettres d'amour à Nora, qu'est-ce qu'elles indiquent ? II y a là un certain
nombre de coordonnées qu'il faut marquer. Qu'est-ce que c'est que ce
rapport à Nora? Chose singulière, je dirai que c'est un rapport sexuel, encore
que je dise qu'il n'y en ait pas. Mais c'est un drôle de rapport sexuel. I1 y
a une chose à quoi, on y pense, c'est entendu, mais on y pense rarement . On
y pense rarement parce que c'est, c'est pas notre coutume de vêtir notre
main droite avec le gant qui va à notre main gauche en le retournant. La
chose traîne
dans Kant. Mais enfin, qui est-ce qui lit Kant ! C'est fort pertinent
dans Kant. C'est fort pertinent. I1 y a qu'une seule chose à laquelle puisqu'il
a pris cette comparaison du gant, je ne vois pas pourquoi je ne la prendrai pas
aussi, il n'y a qu'une seule chose à laquelle il a pas songé, peut-être
parce que de son temps les gants n'avaient pas de boutons, c'est que dans le
gant retourné, le bouton est à l'intérieur. C'est un obstacle quand même à ce
que la comparaison soit complètement satisfaisante. Mais si vous avez quand même
bien suivi, enfin, ce que je viens de dire, c'est que les gants dont il s'agit
ne sont pas complètement innocents : le gant retourné, c'est Nora. C'est sa façon
à lui de considérer qu'elle lui va comme un gant. Ça n'est pas au hasard
que je procède par ce cheminement. C'est parce que depuis, depuis toujours, avec
une femme, puisque c'est bien là le cas de le dire, pour Joyce, il n'y a
qu'une femme. Elle est toujours sur le même modèle et il ne s'en gante qu'avec
la plus vive des répugnances. Ce n'est que, c'est sensible, que par la, la
plus grande des dépréciations qu'il fait de Nora une femme élue. Non
seulement, il faut qu'elle lui aille comme un gant, mais il faut qu'elle, qu'
elle le serre comme un gant. Elle ne sert absolument à rien.
J'ai parlé tout à 1'heure du bouton. I1 doit bien avoir comme ça
une petite affaire, une petite chose à faire avec la façon dont on appelle
quelque chose, enfin, un organe. Oui. Le clitoris, pour l'appeler far son nom,
est quelque close comme un point noir, dans cette affaire. Je dis point
noir, métaphorique ou pas . Ça a d'ai1leurs quelques échos dans le comportement qu'on ne note pas assez de ce qu'on
appelle une femme. C'est très
curieux que une femme
I1
faut que nous continuions à faire le tour. L'imagination d'être le rédempteur,
dans notre tradition au moins, est le prototype de ce que, ce n'est pas, pour rien que je l'écrive
:
la
père-version
c'
est dans la mesure où il y rapport de fils à père, et ceci depuis très
longtemps que a surgi cette idée loufoque du rédempteur.
Freud
a quand même essayé de se dépêtrer de ça, de ce sadomasochisme, seul point
dans lequel il y a un rapport supposé entre le sadisme et le masochisme, le
sadisme est pour le père, le masochis
Freud a très
bien vu quelque chose qui est beaucoup plus ancien que cette mythologie chrétienne,
c'est la castration. C'est que le phallus, ça se transmet de père
en fils, et
que même ça comporte, ça comporte quelque chose qui annule le phallus du père
avant que le fils ait le droit de le porter.
C'est essentiellement de cette façon qui est une transmission
manifestement symbolique que Freud se réfère, que Freud se réfère dans cette idée de la
castration.
C'est bien
ce qui m'amène, ce qui m'amène à poser la question des rapports du
Symbolique et du Réel. Ils sont fort ambigus, au moins dans Freud. C'est bien
là
que se soulève la question de la critique du vrai. Qu'est-ce
que c'est que le vrai, sinon le vrai Réel. Et comment distinguer, sinon à employer
quelque terme métaphysique, le Echt de Heidegger, comment distinguer le vrai
Réel , du faux. Car Echt
est quand même du côté , du côté du Réel. C'
est bien là que bute toute la métaphysique de Heidegger, dans ce petit
morceau sur Echt , il avoue, si je puis dire, son échec. Le
Réel se trouve
dans les embrouilles du vrai. Et c'est bien ça qui m'a amené à l'idée de
noeud, qui procède de ceci que le vrai s'autoperfore du
fait que son usage crée
de toute pièce le sens, ceci de ce qu'il glisse,
de ce qu'il est aspiré par
l'image du trou corporel dont il est émis, à savoir la bouche
en tant qu'elle suce . Il y a une dynamique du
regard. Centrifuge, c'est-à-dire qui
part de l'oeil de l' oeil voyant, mais aussi bien du point aveugle. Elle part
de l'instant de voir et l'a pour point d'appui. L'oeil voit instantanément, en
effet, c'est ce qu'on appelle l'intuition, par quoi il redouble ce qu' on
appelle l' espace dans l' image. I1 n'y a aucun espace réel. C' est
une construction rarement verbale qu' on a épelée en trois dimensions, selon
les lois qu'on a appelle ça de la géométrie, lesquelles sont celles du
ballon ou de la boule, imaginée kinesthétiquement, c'est-à-dire oral-analement.
L' objet que j' ai appelé petit a , en effet,
n'est qu'un seul et même objet . Je lui ai reversé le nom d'objet
en raison de ceci que l'objet est -ob-, obs-(p9->)taculant à l'expansion de
l'Imaginaire concentrique, c'est-à-dire englobant. Concevable,
c'est-à-dire saisissable avec la nain, c'est la notion de Begriff,
saisissable à la manière d'une arme, et, pour évoquer comme ça
quelques allemands qui n'étaient pas du tout idiots cette arme, loin d'être un
prolongement du bras, est dès l'abord une arme de jet, une arme de jet dès
l'origine. On n'a pas attendu les boulets pour lancer un boomerang. Ce
qui de tout ce tour apparaît, c'est qu'en somme, tout ce
qui subsiste du rapport sexuel c'est cette géométrie à laquelle nous avons fait
allusion à propos
du gant. C'est tout ce qui reste à l'espèce humaine de support
pour le rapport. Et c'est bien en quoi d'ailleurs, elle s'est dès l'abord engagée
dans des affaires de soufflure, dans lesquelles elle a plus ou moins fait entrer
le solide. II n'en reste pas moins que nous devons faire là la différence entre
la coupe de ce solide et ce solide lui-même, et nous apercevoir
que ce qu'il y a de plus consistant dans la soufflure, c'est-à-dire
dans la sphère/concentrique, c'est la corde. C'est la corde en tant
qu'elle fait cercle, qu'elle tourne en rond, qu'elle est boucle, boucle unique
d'abord d'être mise à plat. . Qu'est-ce qui prouve, après tout, que la spirale
n'est pas plus réelle que le rond, auquel cas rien n'indique que pour se
rejoindre elle doive faire noeud, si ce n'est le faussement dit noeud borroméen,
à savoir une chaî-noeud qui engendre naturellement le noeud
de trèfle
(Fig.IV),
qui provient de ce que ça se joint ici (FigI),
et là, et là, et que ça se
continue. Il y a tout de même quelque chose qui n' est pas moins
frappant, c' est que renversé comme ça, ça ne fait pas noeud de trèfle, pour
l'appeler par son nom , et que la question que je poserai, à la fin de ce
jaspinage, est celle-ci : on a tout de suite , pour vous ce n' est
peut-être pas évident, on a tout de suite très bien remarqué ça ne va
pas de soi, on a tout de suite très bien remarqué que, si ici vous changez
quelque chose (Fig.V) au :
passage en-dessous, dans ce noeud, de
cette, disons, aile du noeud, vous avez tout de suite pour résultat que le
noeud est aboli. I1 est aboli tout entier, et ce que je soulève comme question,
puisque ce dont il s'agit, c'est de savoir si oui ou non Joyce était fou, pourquoi,
après tout, ne l'aurait-il pas été ? Ceci, d'autant
plus que ça n'est pas un privilège, s'il est vrai que chez
la plupart, le Symbolique, l'Imaginaire, le Réel sont embrouillées, au point
de se continuer l'un dans (p10->) l'autre,
s'il n'y a pas d'opération qui les distingue dans une chaîne, à proprement
parler, la chaîne du noeud borroméen, du prétendu noeud borroméen car le
noeud borroméen n'est pas un noeud c'est une chaîne. Pourquoi ne pas saisir que
chacune de ces boucles se continue pour chacun dans l'autre dune façon
strictement non distinguée, et du même coup, c'est pas un
privilège que d'être
fou.
Ce que je propose, ici, c'est de considérer le cas de Joyce comme répondant à quelque
chose qui serait une façon de suppléer, de suppléer à ce dénouement, à
ce dénouement tel que comme vous le voyez, je suppose, ceci fait purement et
simplement un rond (Fig. ? ) ceci se déploie ; il suffit de rabattre, c'est du
rabattement de ceci que résulte ce huit (Fig.VI)
ce dont il s'agit de s'apercevoir,
c'est qu'à ceci, on peut remédier à faire quoi ? à y mettre une boucle (Fig.VII),
à y mettre une boucle grâce à quoi le noeud de trèfle ( the clover-leaf )
ne s'en ira pas, ne s'en ira pas en floche. (Fig.VIII).
Est-ce que nous ne pouvons pas concevoir le cas de Joyce comme ceci, c'est à savoir
que son désir d'être un artiste qui occuperait tout le monde, le plus de
monde ; possible en tout cas, est-ce que ce n'est pas exactement le
compensatoire de ce fait que disons, que son père n'a jamais été pour lui un
père ; que non seulement, il ne lui a rien appris, mais qu'il a négligé à peu
près toute chose, sauf à s'en reposer sur les bons pères jésuites, l'Église
diplomatique, je veux dire la trame dans laquelle se développait ceci qui n'a
plus rien à faire avec la rédemption qui n'est plus qu'ici que bafouillage -
le terme diplomatique est emprunté au texte même de Joyce, spécialement
de Stephen - Herce où Church Diplomatic est nommément employé - mais
il est aussi certain que, que dans le Portrait de l'Artiste, le père parle de
l' Église comme d'une très bonne institution, et même que le mot diplomatic
y est également présenté, poussé en avant. Est-ce qu'il n'y a pas
quelque chose comme une, je dirais, compensation de cette démission paternelle
* , de cette Ververfung
de fait, dans le fait que Joyce se soit senti intérieurement
appelé, c'est le mot, c'est le mot qui résulte d'un tas de choses dans son propre
texte, dans ce qu'il a écrit, et que ce soit là le ressort propre par quoi chez
lui le nom propre c'est quelque chose qui est étrange, j'avais dit que
je parlerais du non propre aujourd'hui, je remplis sur le tard (p11->)
pour ce faire plus que le S1, le S1 du maître qui
se dirige vers le S que j'ai appelé de l'indice petit 2, qui est ce autour
de quoi se cumule ce qu'il en est du savoir, il est très clair que depuis
toujours, ça
a été une invention, une invention qui s'est diffusée à mesure de l'histoire
qu'il y ait deux noms qui lui soient propres à ce sujet, que Joyce s'appelait
également
James, c'est quelque chose qui prend sa suite que dans l'usage du surnom, James Joyce surnommé Daedalus
; le fait que nous puissions en mettre comme ça des tas n'aboutit qu'à une
chose, c'est à faire entrer le nom propre dans ce qu'il en est du nom commun.
commentaire revu ce 25 août 2005