J.LACAN                         gaogoa

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XXIII-LE SINTHOME

            Version rue CB                                    note

Séminaire DU 20 janvier 1976

 

 

    (p1->) Il doit vous apparaître, je le suppose, si vous n'êtes pas trop arriérés pour ça, il doit vous apparaître que je suis embarrassé de Joyce comme un poisson d'une pomme. C'est lié évidemment, je peux le dire parce que je l'éprouve, ces jours-ci, journellement, c'est lié évidemment à mon manque de pratique, disons, à mon inexpérience de lalangue dans laquelle il écrit. Non pas que je sois totalement ignorant de l'anglais. Mais justement, il écrit l'anglais avec ces raffinements particuliers qui font que lalangue anglaise, à l'occasion, il la désarticule. I1 faut pas croire que, que ça commence à " Finnegans Wake ". Bien avant " Finnigans Wake ", il a une façon de, de hacher les phrases, dans " Ulysses " notamment, c'est vraiment un processus pour, qui s'exerce dans le sens de donner à lalangue dans laquelle il écrit un autre usage, un usage en tout cas qui est loin d'être ordinaire. Ça fait partie de son savoir-faire et, là-dessus, j'ai déjà cité l'article de Sollers, il ne serait pas mauvais, enfin, que vous en mesuriez la pertinence. Alors, il en résulte que ce matin, je vais laisser la parole à quelqu'un qui a une pratique bien au-delà de la mienne, non seulement de lalangue anglaise, mais de Joyce, de Joyce nommément. I1 s'agit de Jacques AUBERT, et je vais, pour ne pas m'éterniser, je vais tout de suite lui laisser la parole, puisqu'il a bien voulu prendre mon relais. Je l'écouterai avec toute la mesure que j'ai prise de son expérience de Joyce, je l'écouterai, et j'espère que les réflexions petites, n'est-ce pas, je ne lui conseille pas d'abréger, bien loin de là, les réflexions petites que j'aurai à y ajouter seront faites, enfin , avec tout le respect que je lui dois pour le fait qu'il m'ait introduit à ce que j'ai appelé " Joyce Le Sinthôme ".

    (p2->) ( Jacques AUBERT : )En juin dernier, Lacan a annoncé que Joyce se trouverait dans son cheminement. Le fait que je sois ici aujourd'hui ne signifie nullement que je me trouve sur ce chemin royal. N'est-ce pas, il faut tout de suite préciser que je suis plutôt sur les accotements, et en générale vous savez pourquoi on les signale les accotements, et que c'est plutôt des propos à la cantonnier que vous allez entendre.

    Il faut que je remercie Jacques Lacan de m'avoir invité à produire un travail bâclé. Bâclé, je précise donc , un travail pas bouclé, pas bouclé du tout, pas bien fait et pas, disons, articulé trop bien sur ce qu'il en est des noeuds. D'un autre côté, je voudrais indiquer que ce que je vais vous dire part d'un certain sentiment que j'ai eu de ce qui se faufilait dans le texte de Joyce, dans certains textes de Joyce, en certains points qu'il s'agissait, semblait-il, de quelque chose que Joyce faufilait; et cette conscience du faufil m'amène justement à ne pas insister sur ce qui pourrait faire, au contraire, pièce, définitive.

    Pour situer le point dont je suis parti, par accident, il faut que je dise qu'il s'agit très didactiquement, je dis très didactiquement, qu'il s'agit d'un petit bout de " Circé " , d'un petit bout d'échange dans " Circé " , ce chapitre qu'on a appelé a posteriori " Circé " d' " Ulysse ", et qui est le chapitre dit-on de l'hallucination, dont l'art, dit-on, est l'hallucination, est la magie, mais la catégorie l'hallucination.

    Des éléments dont il est trop tôt pour assigner le statut reviennent des chapitres précédents : il s'agit de personnages, bien sûr, vrais ou fictifs ; il s'agit d'objets, il s'agit de signifiants ; mais ce qui est intéressant aussi, c'est la manière dont ça revient, la manière dont ça, manifestement, a à voir avec la parole, avec une parole. C'est signalé dès le début, puisque les deux premiers personnages, si j'ose dire, sont les appels et les réponses, qui marquent bien cette dimension-là, dimension qui est développée, la forme, si j'ose dire, du chapitre par une écriture ostensiblement dramatique. Donc, une dimension de la parole, et, en définitive, des sortes d'instauration de lieux d'où ça parle. L'important est que ça parle, et ça part dans tous les sens, que (p3->) tout peut y être impersonné, pour reprendre un terme que nous allons rencontrer  tout à l'heure, tout peut personner dans ce texte-là. Tout peut être occasion d'effet de voix à travers du masque.

    C'est une de ses fonctions, le détail d'une de ses fonctions, disons peut-être simplement le fonctionnement, un fonctionnement de l'une de ses fonctions que j'ai cru distinguer tout près du début du chapitre, dans un échange entre Bloom et celui qui est censé être son père, Rudolph, mort depuis dix-huit ans.

    Alors, je vous lis le passage, le bref échange en cause. I1 se trouve dans l'édition française -page 429-, dans l'édition américaine -page 437-. Rudolph a surgi d'abord comme Sage de Sion. Il a un visage qui est celui, nous dit-on, dit une indication scénique, qui est celui d'un Sage de Sion. Et après différents reproches, quelques reproches à son fils, il dit ceci :

" Qu'est-ce que tu fais dans ce place ici, et ton âme, quoi tu fais avec ? "

il est sensé justement ne pas bien manier la langue anglaise : originaire de Hongrie, il est censé de ne pas avoir le maniement de la langue anglaise. Il tâte le visage inerte de Bloom avec des griffes tremblantes de vieux gypaète.

N'es-tu pas mon fils, Léopold, petit-fils de Léopold ? 
     N'es-tu pas mon cher fils Léopold qui a quitté la maison 
  de son père et qui a quitté le Dieu de ses pères,      
Abraham et Jacob ? ".                               

Alors, ce qui se passe à première vue ici, pour le lecteur d' " Ulysse ", c'est un phénomène décrit, à plusieurs reprises, par Bloom lui-même, sous l'expression de " arrangement rétrospectif " - " rétrospective arrangement "- c'est un terme qui revient assez souvent dans les, disons, pensées de Bloom, tout au long du bouquin. Et alors, cet arrangement rétrospectif, le lecteur ne peut manquer d'y être sensible, ne peut manquer d'être sensible au fait qu'il s'agit d'un arrangement à partir d'une citation favorite du père, citation d'un texte littéraire ayant eu, selon toute apparence, certains effets sur lui. Et, ce texte-là se trouve page 75, dans l'édition française. Voici le texte de la page 75 : (p4->)

  " La voix de Nathan, la voix de son fils. J'entends la   
 voix de Nathan qui laissa son père mourir de douleur 
de chagrin, dans mes bras, qui abandonna la maison   
de son père et le Dieu de son père. "                  

On voit que ce qui revient est légèrement différent. Mais avant de dégager cette différence, je voudrais indiquer ce que me paraissent être les effets de ce revenir différent, sur Bloom. Que répond-t- il ? Que répond-t-il dans l'épisode de " Circé " ? I1 répond ceci. Je vous donne d'abord la phrase, le français :

               " Bloom, prudent : " Je crois que oui, Père. Mosenthal.
Tout ce qui nous reste de lui. "

Et alors, je vais ici écrire le texte anglais de cette phrase :

" I suppose so. Mosenthal. All that's left of him. "

Bloom, prudent, le texte anglais dit " with precaution ", c'est précisément une fonction de Bloom, décrit tout au long, enfin, dans une bonne partie d' " Ulysse " comme " le prudent ". Le prudent, c'est son côté, son côté qui est à demi Ulysse, parce qu'Ulysse c'est pas simplement ça, et il est décrit, à plusieurs reprises, dans un langage un peu inspiré de la Maçonnerie, " The prudent member ", " le membre prudent ". Et, c'est dans sa fonction de " membre prudent " que nous le trouvons ici. Et le " membre prudent " dit " I suppose so - " Je le suppose " - et non pas - " Je crois que oui " -, dit la traduction française, - " Je suppose ainsi " - " Je sous-pose ainsi " " Je suppose quelque chose " pour répondre à cette question, n'est-ce-pas, - " n'es-tu pas mon fils ? " -. Donc, je sous-pose de la sorte, ce qui en principe renvoie à ce qu'a dit le père, mais qui, tout à coup, dès lors que l'on suit le texte, prend une autre figure. Car, immédiatement, nous avons cet arrêt, cet arrêt marqué par ce que les anglais, les anglo-saxons, appellent " period ", quelque chose qui fait période, un point qui n'est pas de suspension, mais de suspens, et un point à partir duquel surgit Mosenthal. A nouveau ponctué, à nouveau mis en période. Autour de ce nom propre, justement, quelque chose s'articule  et se désarticule en même temps. Quelque chose s'articule et se désarticule de la sous-position annoncée. Quelle est donc cette, ce suppôt, quelle est donc (p5->) plus nettement cette fonction de sous-pot, de suppôt de Mosenthal ?

    Ici, dans ce contexte, il rapporte , il a pour fonction ce signifiant de rapporter la parole du père à l'auteur d'un texte à l'auteur, précisément, du texte qui vient d'être évoqué par le père. Mais, on voit bien que, dans sa brutalité, ce signifiant fait plus opacité qu'autre chose. Et, on est amené, le lecteur est amené à dégager, à retrouver de quelle pensée ceci fait renvoi , de quel déplacement, dans quel déplacement ce signifiant est impliqué. Déplacement, il y en a un qui est évident, c'est que, dans le texte, le texte, disons, premier, celui des " Lotophages " , n'est-ce pas, celui de la page 75-76, le nom en question, le nom de l'auteur, figure avant la citation. Ici, il est en position de signature. I1 est en position de signature et il est en position, également de réponse. C'est très tentant, c'est très bien, puis c'est Moïse, n'est-ce pas, alors ça fait plaisir. Mais si on a à l'esprit, comme toujours, nest-ce pas, on a toujours ça à l'esprit parce qu'on passe son temps à relire, la place qui était celle de Mosenthal, dans le premier texte, on trouve que là, c'était une réponse déplacée à une question sur l'existence du vrai nom. Qu'une question qui elle-même n'arrivait à se formuler que d'une manière éloquemment vacillante. Et, il faut que j'inscrive ici une phrase qui est précisément la question à laquelle Mosenthal répondait, était censé répondre :

" What is this the rigt name is ? By M . it is . Rachel is it ? No .

Alors, pour faire bonne mesure, j'ai mis la suite qui a quand même un certain intérêt, aussi, peut-être. Mosenthal, même si un germanique qui connaît son argot, y entend autre chose, à un tréma près, Mosenthal, c'est le nom d'une pièce de théâtre, le nom de l'auteur d'une pièce de théâtre dont Bloom essaie de retrouver, de retraduire le titre original allemand, qui est en fait un nom de femme, un nom juif de femme, un nom qui n'a pas été gardé en anglais c'est une curieuse idée - il s'agit d'un mélodrame qui avait pour titre " Deborah ", en allemand, qui a été traduit, en anglais, sous le nom de " Lea ", et c'est ce que Bloom essaie de retrouver, dont il essaie de retraduire le titre original qui est un nom de femme.

    (p6->) Et alors, ce qui lui, ça prend la forme de cette recherche-là . On voit évidemment le jeu de cache-cache entre le nom de l'auteur et celui de la créature au niveau de l'art, qui met en jeu à la fois, l'être, avec insistance, le " is " insiste, et la problématique sexuelle, un patronyme venant à la place d'un nom de fille. Alors ici le lecteur qui, à qui rien n'a échappé dans " Ulysse " dit que ça lui fait penser à autre chose dans " Ulysse ", quelque chose qui se trouve avoir un rapport avec Bloom lui-même. Avec Bloom lui-même, et là je vous redonne, je vous donne alors,  je suis désolé de le faire par petits morceaux, mais je suis simplement une démarche qui a été la mienne-, je vous redonne le passage, le premier passage dans lequel s'inscrivaient toutes ces belles choses. Je vous le donne dans la traduction française qui, là, n'est pas trop mauvaise à quelques détails près :  

  " Monsieur Bloom s'arrêta au coin de la rue, ses yeux
errant sur les affiches hautes en couleur : limonades
de Cantrel et ( Cochraine)           aromatisées, expositions d'été chez Cléry  - oui, c'est ça, c'est plutôt soldes d'été chez Cléry -. Non, il s'en va tout droit. Tiens. ( Alors il s'en va tout droit, c'est quelqu'un à qui il vient de parler dont il se demande s'il est en train de l'observer ). Tiens, ce soir, " Lea ", ( donc la pièce en question ). Madame BA ( Baadman Falmer ) aimerait la revoir là-dedans. Elle jouait Hamlet hier au soir. Travestie. ( travestie, et alors, c'est là que commence justement un petit passage sur la problématique des sexes, l'expression anglaise c'est " mail-impersonator ", n'est-ce pas, acteur qui a pris donc la persona, n'est-ce pas, acteur-homme, mais qui peut s'appliquer aussi bien à l'une des pièces, Hamlet, qu'à l'autre, Lea. C'est autour de cela que ça va tourner. ). Travesti ? Peut-être, elle jouait Hamlet hier soir. Travesti, peut-être était-il une femme. Est-ce pour ça qu'Ophélie s'est suicidée ? "
 

                                               Alors, il y a à un certain niveau, donc, le fait que Hamlet, le rôle de Hamlet était joué très souvent par des femmes. Et ; il se trouve que un critique anglosaxon avait eu la fantaisie d'analyser Hamlet en termes justement de travesti, en prenant en quelque sorte le travesti  au sérieux, et disant, là-dedans, si Ophélie se suicide, c'est parce qu'elle s'est aperçue que Hamlet, en fait, était une femme. Peut-être était-il une femme. Alors, ce critique, je ne l'invoque pas par hasard, je l'invoque par, je veux dire au nom de mon savoir shakespearien et joycien, simplement parce que ça reparait ailleurs dans Ulysse. J'essaie de limiter (p7->) le plus possible les références externes . " Est-ce pour cela qu'0phélie s'est suicidée ? " , l'énoncé anglais est légèrement différent :

Why Ophelia commited suicide ?                          
Pourquoi Ophélie s'est-elle suicidée ?                    
      ou bien : Est-ce la raison pour laquelle Ophélie s'est suicidée ?

Ceci, évidemment, ne passe pas dans la traduction française, et je pense que c'est quand même assez important à remarquer. Et, quest-ce qui vient ensuite :

" Pauvre papa. Comme il parlait souvent de Kate Bateman 
     dans ce rôle, attendait aux portes de l'Adelphi    , à       
Londres, toute la journée, pour rentrer. C'était l'année 
     avant ma naissance, soixante-cinq, et la Ristori à Vienne. "

Alors, c'est là que commence le titre :

" Qu'est-ce que c'était que le titre . . . " etc.               

Enfin, je vous fais grâce d'une traduction, enfin, chacun, je crois, peut la fabriquer. Pas moi.

  " C'est par Mosenthal. Est-ce Rachel ? Non. La scène dont  
il parlait toujours où le vie d 'Abraham, aveugle,    
      reconnaît la voix et lui touche la figure avec ses doigts. " 

Donc, ici : " la voix de Nathan, la voix de son fils, " etc. " Chaque mot est si . . . ", alors, après le passage :

 " La voix de Nathan, la voix de son fils, j'entends la   
 voix de Nathan qui laissa son père mourir de douleur 
 et de chagrin dans mes bras, qui abandonna la maison 
 de son père et le Dieu de son père, chaque mot est si  
  profond, Leopold. "                                    

" Pauvre papa. Pauvre homme. Je suis content de n'être
pas entré dans la chambre pour regarder sa figure. 
Ce jour-là, mon Dieu, mon Dieu ! "                    
  " Bah ! , peut-être que cela valait mieux pour lui. "    

Dans ce passage-là, se trouve donc, en réalité, en jeu, toute une série de questions. Questions, donc, sur l'exsistence, non seule-(p8->)ment sur l'être et le nom, mais sur l'existence et le suicide. La question sur le nom, et là, il faut que, je vais revenir sur ce point-là, sur le nom qui est en fait aussi bien le nom du père, de son père, que le nom de la pièce, de l'auteur de la pièce, disons, du personnage central de la pièce, et enfin, la question sur le sexe qui " personne ", qui est ce qui, dedans, fait " personner "

    Le nom, donc, derrière la question du nom, se trouve le suicide du père, qui a cette autre caractéristique, c'est que il a précisément changé de nom. C'est ce que l'on nous indique dans un autre passage, ce qui, donc, est présenté d'une manière qui, elle-même, m'a paru curieuse. Dans un bistrot, des gens s'interrogent, un certain nombre de piliers de bistrot s'interrogent sur Blooms :

" C'est un Juif renégat ", dit l'un d'entre eux.             

Et, en anglais, ça se dit " pervert ". " Perverted Jew ". Et le mot " pervert ", en anglais, signifie " renégat ". C'est pas du tout une invention de Joyce, une astuce, c'est comme ça. D'ailleurs, vous le trouvez vers la fin de Portrait: " Est-ce que vous essayez de me convertir ou de me pervertir ", " convert ", " pervert ", c'est comme ça que ça fonctionne en anglais.

" C'est un Juif renégat, qui vient de Hongrie et c'est    
lui qui a tiré tous les plans selon le système hongrois 
( de cette histoire du plan politique du SinnFein ). Il a  
      obtenu de changer de nom par décret. Pas lui, le père "       

Donc, il apparaît que le père a changé de nom. Et il a changé d'une manière qui est assez intéressante, selon une formule juridique qui s'appelle " deed poll " ( indenture ). Deed, c'est-à-dire un acte, un acte mais poll évoque, décrit en quelque sorte ce qu'est l'acte, du point de vue du document. C'est un document qui est rogné. Et il est rogné, ce poll qui décrit ce qui est rogné, est également ce qui décrit ce qui est étêté, n'est-ce pas, ce qui est décapité. Un têtard, un arbre qui a été rogné, c'est " a polled ", et poll peut désigner aussi la tête. Alors, le " deed poll ", c'est ce type d'acte particulier qui est rogné. I1 a cette caractéristique de ne comporter qu'une partie, c'est un acte qui est, c'est (p9->) pour ça qu'on dit par décret, n'est-ce pas, il a décrété que, et cela s'oppose à, cela se distingue au moins de " indenture " qui est un acte déchiré, selon justement une indentation, pour être confié aux parties, n'est-ce pas, aux deux parties, ou deux ou plusieurs parties. C'est, nous dit-on, nous dit Joyce, de cette manière que le père a changé de nom. I1 a changé de nom, il a changé quel nom ?

  " Nullement ", dit Martin. " Ils n'ont que le nom en com . . " Ah oui, " Est-ce qu'il est cousin du dentiste Bloom ? " dit dit Jack (?)      . " Nullement ", dit Martin, " ils n'ont    que le nom de commun. Il s'appelait Virag . C'est le  nom du père qui s'est empoisonné. "   

Et, en anglais, ça donne ceci :

                       " The father's name that poisoned himself ".

où l'on entend, presque, que c'est le nom qui s'est empoisonné, nest-ce pas. " The father's name " ; il y a une espèce de jeu sur le génitif, qui fait, sur la position du nom du père, qui fait que c'est le nom qui semble s'être empoisonné. Virag . Virag réapparaît, il est évoqué à plusieurs endroits, dans Ulysse, il réapparaît dans Circé, mais ce qui réapparaît dans Circé d'abord, c'est une virago, désignée comme telle, Virago. Alors, c'est ici que on peut, peut-être, se souvenir de ce que c'est que " virago ", c'est-à-dire le nom qui, dans la Vulgate, dans la traduction de la Bible par St Jérôme, sert à désigner la femme, du point de vue d'Adam. Dans la genèse, l'homme est amené à nommer la femme : " Tu t'appelleras femme ". I1 l'appelle " Virago ", puisqu'elle est un p`tit peu homme. Elle est " fomme " ; si vous voulez. A une côte près, enfin.

    Arrivé à ce point de mes élucubrations ! et de mes cafouillages dans, entre les lignes d'Ulysse, je souhaiterais distinguer dans cet entrelacis, ce qui fait mine de trou, car évidemment, on est tenté d'utiliser pour une interprétation, en vue dune interprétation, un schéma qui serait tiré de, du suicide, du changement de nom, du refus par Bloom de voir le visage de son père mort, évidemment, on trouverait très gentil et très complaisant que réapparaisse justement tout ça, dans Circé, dans l'hallucination. Seulement,  (p10->) voilà, ce n'est peut-être pas tout à fait suffisant, même s'il y a de la vérité là-dedans, pas tout à fait suffisant pour faire fonctionner le texte. Par exemple, pour rendre compte du passage, " Pauvre papa . Pauvre homme. " N'est-ce pas, dans le premier passage, il disait : " après " chaque mot est si profond " Léopold rapportant le commentaire de papa sur la pièce, " Pauvre papa. Pauvre Homme ? Ce qui était peut-être pas très gentil non plus pour les propos de papa. " Je suis content de ne pas être rentré dans la chambre pour regarder sa figure ", " je  suis content ", " ce jour-là, mon Dieu, Pap, peut-être que ça valait mieux pour lui ". Enfin bref il y a des tas de choses comme cela dont il faudrait quand même rendre compte aussi, et, il faudrait surtout arriver à rendre compte des effets produits dans la redistribution dramatique que constitue Circé. Car ça se tient, car ça fonctionne, car il y a quand même des choses qui se passent, justement, à côté de ce qui fait mine de trou.

    Et, je pense justement  que le tour de main de Joyce consiste, entre autres choses, à déplacer si j'ose dire l'aire ( erre ? ) de trou de manière à permettre certains effets . On aperçoit par exemple la disparition de la voix du fils dans la citation donnée : la voix du fils n'est pas mentionnée, pas plus que la mort du père. Mais, en revanche, un effet est produit par cette voix du fils déplacée en réplique, mais une voix du fils porteuse justement d'un certain savoir-faire sur le signifiant. Cette précaution, cette habileté  à parler, à supposer, à sous-poser, on voit qu'elle se propage, on voit qu'elle se propage selon une logique qui est tout à fait éloquence. J'ai parlé de l'éloquence du Mosentral bien bien rhétorique, en période, et puis aussi par l'articulation, Mosenthal, All that's . . . ", n'est-ce pas, j'en ai marre, marabout, " All that's left of him ", alors il faut ici que je vous donne la phrase anglaise : ce que disait Rudolph dans Circé,  c'est de ce qu'il répétait :

   " Are you not, my dear the Leopold who left the hange of
            his father and left the God of his father Abraham and ( Jacob )
Qui a laissé, qui a quitté  qui a abandonné , alors,
" All that's left of him ", tout ce qui est, tout ce qui
  reste de lui, tout ce qui abandonne de lui, c'est quand
            même déjà pas mal, et puis aussi, tout ce qui est à gauche de lui.


(p11->) Alors, évidemment, si l'on pense à ce qu'indique le credo, sur les places respectives du père et du fils, n'est-ce-pas, là-haut, ça en dit long sur le respect impliqué là-dedans. Tout ce qui reste de lui, bon, un nom, un nom d'auteur, tout ce qui est à gauche de lui, donc, de toute façon, quelque chose qui n'est pas du vrai fils. Je ne sais pas où il faut s'arrêter là-dedans, je frémis, il vaut mieux que je m'arrête. Ce qui est sûr, c'est que Bloom, ça lui fait plaisir, à lui aussi, ça m'a fait plaisir, moi, quand j'ai vu ça, ça lui a fait plaisir à lui, c'est sûr, et ça s'est entendu ça s'est entendu, et comment est-ce qu'on le voit, c'est que papa n'est pas content du tout. La réplique suivante, ça commence par :

 " Rudolph, severely, one night, they bring you home drunk 
Une nuit, on t'a rapporté saoul                     etc.

Sévèrement, autrement dit je t'en prie, pas d'humour déplacé, parlons plutôt de tes transgressions à toi. Donc, cette jubilation de Bloom qui, prudemment, a dit des choses qu'il avait à dire, c'est des choses qui font plaisir, donc à tout le monde. Mais alors, dans cette série d'effets dont je viens de dégager quelques-uns, il y a une sorte de cascade , une sorte de cascade parce que se développe un autre effet qui est en quelque sorte de structure, par rapport au précédent, une sorte de résultat  des effets précédents. Cette espèce de jeu par rapport au père, sur toutes ces choses, je n'y reviens pas, semble faire glisser du côté de la mère ; cette espèce de père, contesté de différentes façons, n'est-ce pas, conduit à une mère, et à une mère qui est du côté, disons, de l'Imaginaire, pour simplifier, car donc Rudolph évoque une transgression du fils, qui est revenu, qui est revenu saoul, qui a dépensé de l'argent, et qui est revenu aussi couvert de boue. Mud. Mais le lecteur, bon il a fait, ça a été un beau spectacle pour sa mère, dit-il, " nice spectacle for your poor mother ", n'est ce pas, hein, c'est pas moi, c'est elle qui était pas contente. Mais, la manière dont ça arrive, la manière dont c'est refilé à la mère, par la boue, c'est assez drôle parce que Mud, ceux d'entre vous qui ont lu le Portrait en anglais, on peut remarquer qu'à un certain moment, Mud est une sorte de forme familière de mother. Et, ici, c'est autour des pages, je sais pas, dans le premier, en gros, dans les deux premiers chapitres, je crois que c'est au dé-(p12->)but du second chapitre. Et il est question, c'est associé à la pantomime. Où est-elle ? Eh bien, tenez, après tout j'ai ça là, je vais peut-être essayer de vous le retrouver Mais j'ai pas le temps, peut-être. Quelle heure il est ?

      Voilà. Bon, dans cette éditions dans l'édition Vikings c'est page soixante-sept, et, c'est une petite saynète de rien du tout, du type Épiphanie, je ne sais pas comment il faut dire ça, j'emploie le terme avec un peu de provocation parce j'ai . . . . . Bon. Euh ! Épiphanie ? Oui. - oui. Mais là, on pourrait discuter, disons, de sa pertinence. Ça fait partie d'une série de petites que Joyce a placé, donc dans un des premiers chapitres d'Ulysse, de, du Portrait, et où l'enfant, le jeune Steven, est en train de s'y retrouver dans Dublin, à partir d'un certain nombre, disons, de points, de scènes, de lieux, de maisons. I1 était là, assis dans une maison. En général, ça commence comme ça. Et, on le voit assis sur une chaise, dans la cuisine de sa tante, et sa tante était en train de lire le journal du soir et d'admirer " the beautifull  May-bell Hunter ", une belle actrice, et une petite fille arrive toute bouclée, elle, sur la pointe des pieds, pour regarder le portrait, et dit doucement :

" What is she in , Mud ? " 
           - Dans quoi est-elle, boue ( maman ) ?   
        - Dans la pantomime, mon amour.    

Alors, il se trouve que ce passage de Circé glisse dans la boue, n'est-ce pas, puisque ça revient, le signifiant revient trois ou quatre fois dans ce passage là, glisse de la boue à un surgissement de la mère : " beau spectacle pour ta pauvre mère " dit Rudolph et Bloom dit " maman " parce qu'elle est en train d'apparaître à l'instant-même. Dès que un certain, certains mots, certains signifiants apparaissent dans Circé, l'objet, si j'ose dire, fait surface, et fait surface comment ? Vêtue en dame de pantomime, crinoline et tournure, avec un corsage à la widow-trunky ?, elle apparaît en dame de pantomime, c'est-à-dire selon la logique de la pantomime anglaise, homme déguisé en femme, n'est-ce pas, les spectacles de pantomime, qui se jouaient en particulier autour de Noël qui sont évoqués là, impliquaient un renversement des habits, et un travestissement généralisé. Pantomime, n'est-ce pas. Donc, d'un certain (p13->) point de vue, ce serait donc, bon, le vêtement féminin. Mais ce qui fonctionne à nouveau ici, ça fonctionne, tout de suite ça part dans deux directions. Ça part dans deux directions parce que dès le début d'Ulysse, on avait évoqué la mère en rapport avec la pantomime, la mère comme ayant, ayant ri, n'est-ce pas, à la pantomime, à la pantomime de Turco Le Terrible. Dans l'édition française, c'est à la page 13-14. Dans une sorte de, dans une évocation de sa mère, Steven dit, après l'avoir évoquée morte, dit :

" Ou maintenant, ses secrets, vieux éventails de plumes,   
carnets de bal à glands, imprégnés de musc, une parure 
de grains d'ambre dans son tiroir fermé à clé, une cage 
  d'oiseaux qui avait été suspendue à la fenêtre ensoleillée
         de la maison où elle vécut jeune fille. Elle allait voir le vieux
Royce dans la pantomime de Turco Le Terrible, et riait 
   avec tout le monde quand il chantait : " Je suis le garçon, 
    possesseur du don de se rendre invisible. " Gaîté fantomale, 
enfuie en fumée ; fumée de musc. "                      

    Donc, ce qui réapparaît là-dedans, c'est donc un ensemble fantasmatique, lié à la mère, mais lié à la mère par le truchement de Steven, avec quand même une ambiguïté radicale, de quoi riait-elle n'est-ce pas, du vieux Royce chantant, de ce qu'il disait ; de . . . bon, de son jeu de voix, Dieu sait quoi . . .

    Et alors cette mère, cette mère-là, cette mère problématique se trouve être vêtue telle qu'est vêtue, dans la pantomime, la mère d'Aladin: " Widow-trunky ( ?) , le corsage à la widow-trunky ? c'est le corsage donc de la mère d'Aladin dans les pantomimes. Mère d'Aladin ; qui évidemment ne comprenait rien à ce que faisait son fils, sinon ceci c'est que, en astiquant bien la lampe, on faisait parler l'esprit qui était dedans. J'en resterai là sur ce point, pour passer à un autre aspect du fonctionnement du texte.

    Helen Bloom qui vient de surgir n'est pas du tout comme papa du côté des Sages de Sion, mais, à l' entendre, elle est plutôt du côté de la religion catholique, apostolique et romaine. Car qu'est-ce qu'elle dit en le voyant tout plein de boue :

" O Blessed Redeemer ! 
                               0, Rédempteur Bienheureux ! 0 Béni soit le Rédempteur !

        " What have they done to him ! 
     Que lui ont-ils fait, etc.  

(p14->)

                          " Sacred Heart of Mary ! Where were you at all !
                   Sacré coeur de Marie, où étiez vous donc !

Ce qui est d'ailleurs assez curieux parce que " Sacré coeur de Jésus " plutôt devrait lui venir à l'esprit, ce qui signe d'une certaine manière son rapport narcissique à la religion ; elle est très nettement catholique à la manière dont on pouvait l'être particulièrement au XIXème siècle, n'est-ce pas, et c'est toute cette dimension-là qui en fait, je pense, mérite d'être soulignée dès que l'on parle de Joyce - dès que l'on parle de Joyce, même si on va le chercher dans les textes les plus bénins, même si on va le chercher dans les textes de Steven Heroe, même si on va le chercher dans les textes de Gens de Dublin, de Dublinois.

    Un rapport imaginaire à la religion, c'est ce qu'on aperçoit derrière la mère, dans la mère de Joyce, chez Joyce. D'abord, je voudrais le signaler à propos de l'Épiphanie. Ce que l'on appelle l'Épiphanie, ça signifie bien des tas de choses, au fond, assez diverses, il y a un endroit seulement où Joyce l'a défini. c'est dans le Portrait de l'Artiste, dans le ( ça y est ), dans Steven Heroe, Steven le Héros, c'est le seul endroit où il emploie le mot, et on a évidemment allégrement déformé ce qu'il a dit. Il a eu le bonheur de donner une définition : par Épiphanie, il entendait une manifestation spirituelle, découverte à travers la vulgarité du langage, etc. Bon. Un truc bien poli, bien didactique et Thomas d'Aquanisant, mais comment ça vient tout ça ? Ça vient à la suite, ça vient dans un texte qui, en deux pages nous fait passer d'un dialogue avec la mère, dans laquelle la mère fait reproche à Steven de son incroyance, en invoquant qui donc, les prêtres, en disant : " les prêtres . . les prêtres , . les prêtres . . . " . Et, Steven, à la fois, rompt avec elle sur ce plan-là, et d'un autre côté, contourne le problème, se met à évoquer justement, bon, glisse au rapport femme-prêtre, glisse ensuite vers la bien-aimée, et, tout d'un coup, se met à dire, euh, ( j'ai pas le texte ici, malheureusement, parce que j'avais pas pensé l'invoquer, mais enfin, vous le retrouverez assez facilement dans Steven Heroe, si ça vous intéresse ), il dit tout de suite après " un spectacle de Dublin ", ah oui, 

    " Et il se met à errer dans les rues, et un spectacle de (p15->)

        " Dublin émeut suffisamment sa sensibilité pour lui faire composer un poème. "

puis, plus rien sur le poème, et il rapporte le dialogue qu'il a entendu, qui est un dialogue entre une jeune personne et un jeune homme, et un des rares mots qui apparaît, c'est le mot " Chapel ", là-dedans, et pratiquement il y a que des points de suspension dans ce dialogue. Donc, ce dialogue où il n'y a rien lui fait écrire un poème. Et puis, d'un autre côté, il baptise ça, d'une les lignes qui suivent, " Épiphanie ". Voilà ce qu'il voulait faire, enregistrer ces scènes, ces saynètes réalistes lui en racontent tant. Donc, une double, une espèce de dédoublement de l'expérience une espèce de dédoublement d'un côté du, d'un côté réaliste, disons, pour simplifier, de l'autre côté, en quelque sorte, poétique et, une espèce de liquidation, de censure, dans le texte de Steven Heroe, de ce qui en fait était du côté du poétique. Et le poème en question, on s'aperçoit qu'il s'intitule : " La vilanelle ? de la tentatrice ", n'est-ce pas. Mais précisément ça arrive, ça arrive dans un certain discours qui implique justement la mère, et la mère dans son rapport au prêtre.

    Alors cette . . . le rapport, le rapport que je définis grossièrement, et vous me le pardonnerez, comme rapport imaginaire à la religion, on le retrouve d'autres manières dans le Portrait de l'Artiste, avec par exemple les sermons sur l'enfer qui sont justement interminables, qui sont très sadiques et kantiens, et qui sont en fait, qui visent à représenter dans le détail les horribles tortures de l'enfer, et qui visent à représenter, à donner in praesentia, justement, une idée de ce qu'est l'enfer.

    Du même ordre de fonctionnement, le confesseur. Le confesseur comme étant celui qui écoute, mais aussi répond, répond quoi, dit quoi, c'est précisément surtout de cela que ça tourne. Autour de ça que tournent, entre autres choses, les Pâques de Steven, les confessions de ses turpitudes, et puis aussi, l'artiste, la fonction de l'artiste. J'invoquerai ici deux passages, deux textes, l'un qui se trouve près du début de Steven le Héros où il dit que en écrivant ses poèmes, il avait la possibilité de remplir la double fonction de confesseur et de confessé. Et puis, l'autre texte, l'autre passage, il se trouve vers la fin du Portrait de (p16->) l'Artiste, et c'est le moment où, mortifié de voir la bien-aimée tendre l'oreille et sourire à un jeune prêtre bien lavé, il dit euh, bon, lui, il avait renoncé à être prêtre, il y avait pas de problème, c'est une affaire réglée, il est pas de ce côté-là : " Et dire quand même que c'est des types comme ça qui leur racontent des choses dans la pénombre n'est-ce pas, et moi ( je brode, hein, mais enfin vous, vous reverrez le texte, hein, il existe à quelque chose près ) qu'il voudrait arriver à être là avant qu' elle n'engendre quelqu'un de leur race, et que l'effet de ce qui se passera, l'effet de cette parole, n'est-ce pas, améliore quand même un peu, cette fichue race, n'est-ce pas. Ça a peut-être bien rapport avec la fameuse conscience incréée. Ça passe par l'oreille n'est-ce pas, la fameuse conception par l'oreille qu'on retrouve d'ailleurs dans Circé, n'est-ce pas, évoquée bien sur . . . ( intervention de Lacan : " Qu'on retrouve dans . . . " - Aubert : " dans Circé, entre autres choses " - Lacan " et que Jones, sur laquelle Jones a beaucoup insisté, Jones, l'élève de Freud,            oui c'est cela. ) Non, parce que il y a un Jones aussi qui, le professeur Jones qui, dans Finnegans Wake, euh, jaspine n'est-ce pas, à n'en plus finir. C'est un de ceux qui ont des tas de trucs à raconter sur le bouquin lui-même, n'est-ce pas. Dans Ulysse, le type qui a cette fonction, il s'appelle Matthew, quelquefois, enfin, c'est de ceux qui . . . Bon, enfin de toute façon, il fallait qu'ils aient des noms, qui circulent bien. Jones, ça circule bien.

    Autre chose concernant cette dimension imaginaire de la religion, au fond, c'est résumé dans Ulysse, dans le fameux passage où se trouvent opposées la conception, disons, trinitaire et problématique de la théologie, par opposition à la conception italienne, madonisante, n'est-ce pas, qui bouche évidemment tous les trous avec une image de Marie. Et alors, vous avez pu remarquer dans Ulysse, comment il dit qu'au fond l'Église catholique s'est pas mal débrouillée en plaçant l'incertitude du vide, n'est ce pas, à la base de tout. Là encore, je brode.

    Donc, le fonctionnement de ce texte, de ces textes, une des choses au moins, un certain nombre de choses qui font fonctionner, ce sont évidemment des noms du père à de multiples niveaux. On saisit bien que dans les deux passages auxquels je me suis (p17->) accroché, c'est de la  fonction qui est en cause, n'est-ce pas, c'est la fonction qui apparaissait à travers les aïeux, à travers la profondeur accordée à tout cela. Mais, dans Circé, et dans Ulysse dans son ensemble, ce qui fait bouger les choses, ce qui fait artifice, c'est le cache-cache avec les noms du père. C'est à-dire que à côté justement de ce qui fait mine de trou , il y a les déplacements de trous et il y a les déplacements de noms de père. On a aperçu, au passage, dans le désordre, Abraham, Jacob, Moïse, Virag , on aperçoit Dédalus également, et puis on en aperçoit un qui est assez rigolo, parce que dans un épisode qui est assez central, assez central parce qu'il y a un oeil, c'est le Cyclope, il y a un type qui s'appelle JJ (        ) JJ, dont on se souvient, si on a de la mémoire, que dans un épisode précédent on l'avait rencontré sous le nom de JJ 0'Molloy, c'est-à-dire de la descendance des Molloy, hein, alors là il faut bien écouter. Un JJ fils de 0' Molloy. Mais là, dans les Cyclopes, il apparaît sous ce nom-là. Alors, il a une position assez curieuse ce type, parce que il est homme de loi, en principe, mais homme de loi, je dirai même pas déchu, mais en voie de déchéance. On nous dit, et là encore les mots anglais sont intéressants : sa clientèle diminue  - " practice doing lean " - sa pratique diminue. Et qu'est-ce qui se passe pour cet homme de loi dont la pratique fiche le camp, c'est qu'il joue - " gambling ". Le jeu remplace de quelque manière la pratique. Bon, il y aurait un certain de choses, évidemment, à élaborer à partir de ça, sans doute. Ce que je voudrais simplement indiquer, c'est la fonction de ce père parfaitement faux, qui a les initiales à la fois de James Joyce, de John Joyce, papa, le papa de Joyce. La parole de ce JJ 0' Molloy porte sur les autres pères notamment. C'est lui qui, dans un certain passage, se raccroche à l'énigme citée la semaine dernière par Lacan. C'est lui qui se tourne vers Steven, dans l'épisode qui se passe dans le Journal, dans la salle de rédaction, se tourne vers Steven pour lui donner un beau morceau de rhétorique. C'est intéressant parce que on sait que d'abord le 0' Molloy, en question, il s'est tourné vers le jeu, et puis pour survivre quand même aussi, il fait du travail littéraire dans les journaux. Il fait du travail littéraire dans les journaux, c'est-à-dire quelque chose qui peut vous renvoyer (p18->) dans l'oeuvre de Joyce, aux " Morts ", la dernière nouvelle de Gens de Dublin, n'est-ce pas, le type qui a écrit des nouvelles dans les , qui a écrit dans les journaux, des comptes-rendus, on ne sait pas trop quoi, etc. Ça réapparaît également d'une autre manière dans les Exilés, n'est-ce pas. Quel genre de littérature ? Est-ce que c'est de la littérature qui reste ? Est-ce que ça mérite de vivre ? Bon, alors le O' Molloy en question, le JJ en question, on nous dit qu'il se tourne vers Steven, dans cette salle de rédaction, et il lui présente un beau spécimen d'éloquence judiciaire. Ça se trouve dans l'édition française page 137 :

  " Tourné vers Steven, JJ 0' Molloy lui dit posément :
" L'une des périodes les plus harmonieuses que j'ai 
    jamais entendue de ma vie, je la dois aux  lèvres   
            de Seymour Bushe,  (p .137)                                  

qui évidemment, à une lettre près, signifie, donc, le buisson, et éventuellement, alors là, c'est peut-être trop tôt pour l'indiquer, c'est également la toison sexuelle, si vous voulez.

" Samer Bushe, c'était dans cette affaire de fratricide, 
l'affaire Childs. Bushe était au banc de la défense. "  

Alors, ici, une petite interpellation shakespeare - et dans le porche de mon oreille versa etc. - Hamlet - à propos, comment a-t-il découvert ça, puisqu'il est mort en dormant - et l'autre histoire, la Bête à deux dos - ça, c'est donc Steven qui cogite ça.

" Citez-là demanda le professeur (il y en a toujours un pour ça hein ! )

" Italia magistra artium ", c'est le titre, un de ces titres qui scandent l'épisode de la salle de rédaction.

" I1 parlait de la procédure en matière de preuve. "

Alors là je vous renvoie au texte anglais qui dit : " the law of evidence " - " He spoke of the law of evidence " - La loi de l'évidence , si on veut, mais certainement le témoignage. La loi du  (p19->) témoignage. Non pas exactement le témoignage devant la loi, etc.

" de la procédure en matière de preuve (la loi du témoignage)             
dit JJ 0 ! Molloy, de la loi romaine opposée à la loi mosaïque           
primitive, la lex talionis. Et il va parler du Moïse de Michel-Ange,    
au Vatican. Ah ! Des termes bien choisis en petit nombre annonça Lenehan.

Bon, je passe sur certaines phrases qui mériteraient, évidemment sans doute qu'on s'y arrête, mais enfin, j'ai pas le temps.

P 137 " JJ 0' Molloy reprit, détachant chaque mot : " Voici ce qu'il en disait :      
" Une musique figée, marmoréene figure cornue et terrible de la divine forme   
humaine, symbole éternel de prophétique sagesse, qui, si quelque chose,         
  de ce que l'imagination ou la main d'un sculpteur inscrivit dans le marbre     
spirituellement transfigurant et transfiguré, a mérité de vivre, mérite de vivre. "

Vous avez suivi, bien sûr ! Donc, ici, le 0' Molloy en question ayant commencé par se faire caisse de résonnance d'un savoir sur la loi, n'est-ce pas, ayant réparti les lois, les lois par rapport à l'évidence, par rapport au témoignage, allez-vous y retrouver, ayant fait ceci, c'est lui qui fait parler Bushe, n'est-ce pas, c'est lui qui fait parler le buisson. C'est lui qui fait parler, qui fait porter témoignage rhétorique sur art, sur l'art comme fondant le droit à l'existence - " deserves to live " - fondant le droit à l'existence de l'oeuvre d'art. Vous voyez l'écho que cela a par rapport à, bon, la littérature de journaux, qu' est-ce que ça veut dire, comment ça se situe par rapport à cela " deserves to live " - ce qui mérite de vivre, et, fondant ainsi, en droit, le porteur de la loi, Moïse, puisque il restera, peut-être pas en tant que Moïse, mais Moïse du Vatican. C'est comme ça qu'on nous le dit. Le Moise du Vatican. Ce qui est évidemment assez intéressant quand on a à l'esprit ce que le Vatican représente du point de vue d'Ulysse. Alors, ce " deserves to live ", il insiste puisqu'il réapparaît par le biais de la rhétorique sous la forme de l'insistance - " deserves to live, deserve to live " I1 réapparaît avec insistance, mais il est marqué, il est contresigné par ses effets sur celui auquel la période était destinée, à savoir Steven. JJ 0' Molloy s'était tourné vers lui, et ce qui  (p20->) se passe, c'est que, insidieusement gagné par l'élégance de la phrase et du geste, Steven se sentit rougir. Et, curieusement, curieusement, ces rougeurs de Steven, elles sont en série par rapport à d'autres textes de Joyce, je pense, en particulier, ce texte du Portrait que vous avez pu remarquer lors du voyage à Cork avec son père. Steven va avec son père dans un amphithéâtre, amphithéâtre de l'école de médecine où son père a traîné quelque temps, peu de temps, semble-t-il, et le père est à la recherche de ses initiales. On cherche les initiales gravées par papa. Ces initiales, évidemment, on ne pense pas que ce sont aussi les siennes. " Simon Deadalus ", ça s'initiale Steven Deadalus, mais ce par quoi Steven tombe, c'est le mot foetus, " foetus ", et ça lui fait un effet boeuf. Il en rougit, en pâlit ; etc, etc. Là encore, en rapport avec l'initiale, dans un autre rapport évidemment, mais en rapport avec l'initiale, justement le mérite d'exister. Et, à ce propos là, je refais, je complète cette série du mérite d'exister par référence à un autre passage qui est dans Dublinois, dans les Morts, les Morts qu'on pourrait très bien traduire Le Mort, n'est ce pas. impossible de décider, de trancher. Le personnage, un des personnages centraux, Gabriel Conroy, va faire un discours le discours traditionnel, n'est-ce pas, de la réunion de famille. C'est lui qui est là, toujours là pour écrire dans les journaux ou faire les petits discours de ce genre, et, on vient de parler à table justement des artistes dont le nom est oublié, de ceux finalement qui n'ont rien laissé, sinon un nom tout à fait problématique : " Parkinson, dit la vieille tante, Oui, c'est ça, il était formidable, extraordinaire, quelle voix, on n'a jamais entendu ça : " Alors, lui, ça le fait penser, c'est là-dessus qu'il parle ; c'est là dessus qu'il repart, et il repart en concluant sa première période, une de ses premières périodes sur deux choses, un écho d'une chanson qui s'intitule " Love's Old Sweet Song ", La Vieille et douce chanson de l'amour, qui évoque le paradis perdu dans ses premières lignes, et l'autre chose, sur laquelle s'achève sa période, c'est une citation de Milton, pas du paradis perdu, de Milton, dans laquelle Milton dit à peu près ceci, évidemment, c'est tronqué chez Joyce, Milton dit à peu près ceci : " J'espère, je voudrais pouvoir léguer aux siècles à venir une oeuvre conçue de telle sorte qu'ils ne la laisseront pas volontiers mourir . "    

    (p21->) Donc, se trouvent joints dans le discours de Joyce, la question justement du droit à l'existence, celui au droit à la création, et celui de la validité, et celui aussi de la certitude.

    Ce que je voudrais rajouter. Je voudrais rajouter une première chose concernant le bush . Bush , vous voyez qu'il, se construit d'une sorte de série du bush , à partir du Holy Bush, du bush éloquent, qui parlant de Moïse, parle aussi d'un holey bush, n'est-ce pas, puisque ça, ça se trouve aussi dans la Bible, n'est-ce pas. L'Eternel dit à Moïse que le sol qu'il foule devant le buisson ardent est " holey ". Le " holy. bush ", et un " holy bush ", un bush qui se révèle avoir un certain rapport au " fox ". Car, lorsque 0' Molloy reparaît dans Circé, lorsque JJ reparaît dans Circé, il a des moustaches de renard, et quelque chose de bushe, de l'avocat Bushes : le renard, au renard que lui aussi on a aperçu à plus dune reprise dans le Portrait par exemple. I1 apparait bien sûr parce que il est, Fox est un des pseudonymes de Parnell, associé un peu à sa chute. Mais il est aussi une sorte de signifiant ramenant la dissimulation, foxing, -" He was not foxing "-, dit le jeune Steven quand il est à l'infirmerie et qu'il a peur de se faire accuser de fraude. Et puis, un peu plus tard, lorsqu'il vient de renoncer à entrer dans les ordres, qu'il a aperçu sa carte de visite, le Révérend Steven Daedalus , S.J., il évoque quelle tête il peut bien y avoir là-dessous, n'est-ce pas, et une des choses qui lui revient à l'esprit, c'est : " Ah oui ! une tête de Jésuite qu'ont certains appelée comme ceci, " l (?) J (?) ", et d'autres appelée " foxy camble ", camble, le renard.

    Donc, il y a cette série bush, fox, mais il y a aussi il y a aussi et ça, ça fonctionne, le jeu sur Molloy, Moly, qui s'articule sur le holy. Nous avions : holy, holey, Moly, Molloy et, un autre mot qui ne parait pas dans Ulysse, mais dont Joyce dit, alors là c'est une chose que je tire un petit peu de la manche, plutôt des lettres de Joyce, mais après tout les lettre : c'est des trucs qu'il a écrit, oui, lorsqu'il indique, il donne le nom de quelque chose qui est sensée faire fonctionner, entrer dans le fonctionnement de Circé, c'est cette plante, l'ail doré, que Hermès a donnée à Ulysse pour qu'il se tire d'affaire chez (p22->) Circé. Et, ça s'appelle Moly. Là où ça devient drô1e, c'est que il y a entre les deux, entre Moly et Molly, une différence qui est de l'ordre de la phonation . Ce qui se phonise, je ne sais pas comment il faut dire, dans Ulysse, c'est Molly, avec une voyelle simple et le Moly dont il parle, c'est une diphtongue, une ditongue, comme on disait autrefois, et la ditongue se transfère, se transforme en consonnance , avec en même que la diphtongue, la ditongue se transforme en une voyelle simple, il y a un redoublement consonnantique, un redoublement de consonnance et c'est cette consonnance qui apparaît dans Ulysse sous la forme de Holly. C'est trop beau pour être vrai.

    Alors ce qu'il dit de Molly, de Moly pardon, de cette plante, ce sont des choses curieuses, il en dit des choses différentes, l'une que je crois Lacan analysera, une autre que je me contente de signaler. C'est donc le don d'Hermès, Dieu des voies publiques, et c'est l'influence invisible ( prière, hasard, agilité, présence d'esprit, pouvoir de récupération qui sauve en cas d'accident ). C'est donc quelque chose qui confirme Bloom dans son rôle de prudence, n'est-ce pas, il est le prudent, il est celui qui répond finalement assez à la définition que j'ai trouvée en note dans le Lalande sur cette question de la prudence - c'est curieusement décevant Lalande sur la question de la prudence - probablement parce que c'est surtout St Thomas qui en parle. I1 y a une petite note sans nom d'auteur, une petite citation qui dit ceci : prudence - l'habileté dans le choix des moyens d'obtenir pour soi-même le plus grand bien être - et, c'est comme ça justement, qu'on se supporte, semble-t-il, dirait Bloom.

      La deuxième chose que je voulais ajouter avant de me taire, c'est simplement souligner qu'il s'agit dans toutes ces choses de la certitude, notamment, de la certitude et de comment on peut fonder ça . La certitude, elle réapparaît justement à propos du fameux virag . Parce que je ne vous ai pas tout dit, je me suis arrêté dans la citation, la fameuse citation où on parlait de virag , où on parlait, où les autres 0'Molloy racontaient ce qu'il en était de virag . Page 331, dans Ulysse. 0ui.

" Il s'appelait Virag , c'était le nom du père qui s'é-(p23->)tait empoisonné.         
I1 a obtenu de changer de nom par décret, pas lui, le père. Voilà le nouveau      
Messie de l'Irlande, dit le citoyen, l'Île des Saints et des Sages. Oui, eux aussi,   
ils attendent encore leur rédempteur dit Martin, tout comme nous, en somme.       
  Oui, dit J.J. Et chaque fois qu'ils ont un enfant mâle, ils croient que ça peut être 
  le Messie. Et tout Juif est parait-il dans une agitation extraordinaire jusqu'à ce 
qu'il sache s'il est père ou mère. "                                              

Alors, là-dessus, je serai bref, indiquant simplement ce qui apparaît peut-être des, par delà l'humour qui est, constitue un des fonctionnements de ce texte du Cyclope, un humour de bistrot mais un humour qui est bien là, un humour qui, d'ailleurs, serait à rattacher à d'autres problèmes touchant l'antisémitisme, et je n'ai pas le temps de la raccrocher là.

    Identification imaginaire, qui je crois situe le problème également de la problématique de la succession. La problématique du Messie et, à travers elle, la problématique de la succession. Le problème de la parole du roi fondant la légitimité la parole du roi qui est ce qui permet, même si le ventre de la mère a menti, n'est-ce pas, de retomber sur ses pieds, par une légitimation. C'est le problème de la légitimation, c'est-à-dire de la possibilité de porter la marque du roi, la couronne, stephanos, quelque chose comme ça, en grec, ou bien de porter la marque du roi, telle qu'elle apparaît dans Circé à propos de vira   , qui dégringole par la cheminée, le grand-père, avec l'étiquette, hein, l'étiquette ça vient tout de suite comme ça, " basilicogrammate ", avec 1e gramme du roi. 

    Cette problématique de la légitimité qui se révèle problématique de la légitimation a une dimension, prend peut-être figure ici de dimension imaginaire et de sa récupération. Cette certitude, il me semble que Joyce l'utilise, la met en scène, dans ses rapports avec les effets de voix. Même si une parole, une parole paternelle est contestée en tant que parole, en tant que ce qu'elle dit, il me semble que quelque chose, suggère-t-il, en passe dans la personnation, dans ce qui est derrière la personnaition, dans ce qui est du côté de la phonation, peut-être, du côté de ce qui est également quelque chose qui mérite de vivre dans la mélodie. Dans la mélodie, et pourquoi ? Peut-être justement à (p24->) cause de ce quelque chose qui a des effets, malgré tout, sur la mère, à travers la mélodie. L'allégresse, " fantasmal mirth " l'allégresse fantasmatique de la mère qui est évoquée au début, vers les pages 10, 13 dans Ulysse, elle a à faire justement à la pantomime et au vieux Royce, au vieux Royce qui chantait. Donc, quelque chose passe à travers la mélodie, non pas peut-être seulement la sentimentalité, puisque la culture irlandaise, au tournant du siècle, s'est fait en grande partie des mélodies de Moore, que dans Finnegans Wake, Joyce appelle Moore's maladies, les Maladies de Moore. C'était le triomphe de papa Joyce, de John Joyce. Mais peut-être justement que dans cet art de la voix, dans cet art de la phonation, en est-il passé suffisamment pour le fils. Donc, si la certitude, quant à ce qu'on fabrique a toujours quelque chose à voir avec le miroir, avec ses effets de miroir que l'on, qu'il faudrait énumérer, cela a à voir aussi avec les effet de voix du signifiant. Et je voudrais simplement rappeler que la fameuse nouvelle Les Morts, par laquelle Joyce a ficelé Gens de Dublin, n'est-ce pas, à un moment absolument crucial de sa production poétique, au moment où les choses se sont débloquées, ont commencé à jouer, Les Morts, disent certains, ça lui est venu lorsque son frère lui a parlé d'une interprétation particulière d'une mélodie de Moore, sur les revenants qui met en jeu des revenants, et un dialogue entre des revenants et des vivants. Et, Stanislas lui avait dit, le type qui a chanté ça l'a chanté d'une façon intéressante, d'une façon, justement, qui disait quelque chose. Et, comme par hasard, Joyce s'est mis à écrire les Morts à partir de cela, à ce moment-là, pardon, et, au centre, un des centres, tout au moins de cette nouvelle, c'est le moment où la femme du héros est médusée, gelée, comme l'autre Moïse-là, en entendant un chanteur tout enroué, chanter cette fameuse mélodie, et quel effet, ça fait sur le héros, ça lui symbolise sa femme. I1 dit à ce moment-là, il l'aperçoit en haut de l'escalier, dans l'obscurité, et il se dit : qu'est-ce qu'une femme dans l'obscurité, etc . . . . symbolise ? I1 la décrit en termes réalistes, n'est-ce pas, vaguement réalistes, mais il dit en même temps qu'est-ce que ça symbolise. Ça symbolise une certaine écoute, entre autres choses.

    Alors, cette certitude, cette certitude et ces problèmes (p25->) de la certitude et de ses fondements par rapport aux effets de voix sur le signifiant, Joyce a voulu en énoncer des règles dans une science esthétique. Mais il s'est aperçu peu à peu que c'était moins lié à la science que ça et que c'était justement un savoir-faire lié par une pratique du signifiant. Et, évidemment, ici, ce que j'ai très présent à l'esprit, ce qui s'impose à moi à travers ce que, au-delà de ce que Aristote dit sur la praxis dans la Poétique, c'est la définition de Lacan, n'est-ce pas, action concertée par l'homme, et alors concertée évidemment nous prépare à ce qui met en mesure de traiter le Réel par le Symbolique. Et la question de la mesure, eh bien, on l'aperçoit très précisément dans Circé, au moment où Bloom entrant dans le bordel est aperçu par Steven qui se tourne, et cette évocation de la mesure est, comme par hasard, aussi une citation de l'Apocalypse.  

    Alors, je m'arrête, avant que ça devienne par trop apocalyptique.

LACAN :

    Je vais dire un mot de conclusion. Je remercie Jacques AUBERT de s'être mouillé. Car, il est évident que comme l'auteur de Surface and Symbol, dont je vous ai dit le nom la dernière fois, il est évident que le terme dont cet auteur se sert pour dire, pour épingler l'art de Joyce, qu'il s'agit là de " inconcevably ", inconcevablement, " private jokes " ; des jokes inconcevablement privés.

    Dans ce même texte apparaît le mot que j'ai dû chercher dans le dictionnaire - eftsoonrise - je ne sais pas si ce mot est commun, vous ne le connaissez pas ? - eftsoonrise - ça ne vous dit rien ? - c'est-à-dire eftsoon, des eftsoonrides, c'est des choses renvoyées à tout à l'heure. I1 ne s'agit que de ça. Non seulement ces, ces effets sont renvoyés à tout à l'heure, mais ils ont un effet le plus souvent déroutant. C'est évidemment l'art, l'art de Jacques AUBERT qui vous a fait suivre un de ses fils, de façon telle qu'il vous tienne en haleine. Tout ceci n'est évidemment pas sans fonder ce que, à quoi j'essaie de donner une consistance, et une consistance dans le noeud.

    Qu'est-ce qui, dans ce glissement de Joyce, auquel je me suis aperçu que je faisais référence dans mon séminaire " Encore " j'en suis stupéfait, j'ai demandé à Jacques Aubert si c'était là le départ de son invitation à parler de Joyce, il m'a affirmé que à ce moment-là, le séminaire " Encore " n'était pas encore paru, de sorte que ça ne peut pas être ça qui l'a invité à me présenter ce trou dans lequel je me risque par, sans doute, par quelque prudence, la prudence telle qu'il l'a définie. Mais le trou du noeud ne m'en fait pas moins question. Si j'en crois SOURY et THOME, puisqu'aussi bien c'est eux à qui je dois mention de ceci que sans doute, dont sans doute je m'étais aperçu bien sûr et que le noeud, le noeud à proprement parler borroméen, lequel n'est pas un noeud, mais une chaîne. Si ce noeud, on peut en repérer la duplicité, je veux dire qu'il y en a deux, qu'à ce que les cercles, les ronds de ficelle ; soient coloriés, s'ils ne sont pas coloriés, ce qui veut dire que quelque chose distingue, quelque chose, la qualité coloriée, distingue chacun des deux autres si ce n'est qu'à l'aide de ce barbouillage que nous pouvons faire qu'il y ait deux noeuds, puisque ceci est équivalent au fait que (p27->) s'ils sont incolores, si rien ne les distingue autrement dit, rien non plus ne distingue l'un de l'autre. Vous me direz que dans la mise à plat, il y en a un qui est lévogyre et l'autre qui est dextrogyre, mais c'est justement là qu'est le tout de la mise en question de la mise à plat.

    La mise à plat implique un point de vue, un point de vue spécifié. Et ce n'est sans doute pas pour rien que n'arrive pas d'aucune façon à se traduire dans le Symbolique la notion de la droite et de la gauche.

    Pour le noeud, ceci ne commence à exister qu'au-delà de la relation triple. Comment se fait-il que cette relation triple ait ce privilège, c'est bien là ce dont je voudrais m'efforcer de résoudre la question. Il doit y avoir là quelque chose et qui ne doit pas être sans rapport avec cet isolement que nous a fait Jacques AUBERT de la fonction de la phonation précisément dans ce qu'il en est de supporter le signifiant. Mais, c'est bien là ce point vif sur lequel je reste en suspens. C'est à savoir à partir de quand la signifiance en tant qu'elle est écrite se distingue des simples effets de la phonation. C'est la phonation qui transmet cette fonction propre du nom et c'est du nom propre que nous repartirons, j'espère, la prochaine fois que nous nous retrouverons.


note: bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance de m'adresser un email. Haut de Page 
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revu ce 25 août 2005