J.LACAN                             gaogoa

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XIX- ...Ou Pire    1971-1972
      
version rue CB                                   note

15 mars 1972

 

(p73->)

    La dernière fois, je vous ai raconté quelque chose qui était centré sur l’Autre, ce qui est plus commode que ce dont je vais parler aujourd’hui, dont je vous ait déjà caractérisé ce qu’on pourrait appeler le rapport, le rapport à l’Autre, très précisément en ceci qu’il n’est pas inscriptible, ce qui ne rend pas les choses plus faciles. Il s’agit de l’UN, l’UN pour autant que déjà je vous ai indiqué, vous indiquant aussi comment la trace s’en est frayée dans le Parménide de Platon, dont le premier pas pour y comprendre quelque chose, c’est de vous apercevoir que tout ce qu’il en énonce comme dialectisable, comme se développant de tout discours possible au sujet de l’UN, c’est d’abord, et à ne le prendre qu’à ce niveau qui n’est rien en dire d’autre, comme il s’exprime, que « c’est UN », et peut-être y en a-t-il un certain nombre d’entre vous à avoir sur mes adjurations ouvert ce livre et de s’être aperçus que c’est pas la même chose de dire que " l’UN est ". " C’est UN ", c’est la première hypothèse et « l’UN est », c’est la seconde ; elles sont distinctes. Naturellement pour que ceci porte, il faudrait que vous lisiez Platon, avec un petit bout de quelque chose qui viendrait de vous. Il ne faudrait pas que Platon ne soit pour vous que ce qu’il est, un auteur. Vous êtes formés depuis votre enfance à faire de l’ " auteur-stop ". Depuis le temps que c’est passé dans les mœurs, cette façon de vous adresser aux machins-là comme autorisés, vous devriez savoir que ça ne mène nulle part, encore bien sûr que ça puisse vous mener très loin.

    Ces observations étant faites, c’est de l’UN donc pour des raisons dont il va falloir encore que je m’excuse – car au nom de quoi est-ce que je vous occuperais avec ça ? – c’est de l’UN que je vais vous parler aujourd’hui. C’est même pour ça que j’ai inventé un mot qui sert de titre à ce que je vais vous le dire. Je ne-suis pas très sûr, je suis même sûr du contraire, je n’ai pas inventé l’UNAIRE, le trait unaire qu’en 1962 j’ai cru pouvoir extraire de Freud qui l’appelle " einzig ", en le traduisant ainsi, ce qui a paru, à l’époque, miraculeux à quelques-uns. C’est bien curieux que l’einziger Zug, la deuxième forme d’identification distinguée par Freud, ne les ait jamais retenus jusque-là.

    Par contre, le mot dont je ferai accolade à ce que je vais vous dire aujourd’hui, est tout à fait nouveau. Et il est fait comme d’une précaution, parce qu’à la vérité, il y a beaucoup de choses qui sont intéressées à l’UN de sorte qu’il n’est pas possible... Je vais essayer pourtant de frayer tout de suite quelque chose qui situe l’intérêt que mon discours, pour autant qu’il est lui-même frayage du discours analytique, l’intérêt que mon discours a, à passer par l’UN.

    Mais d’abord prenez-en le champ en gros désigné donc de l’UNIEN, U- N - I - E - N. C’est un mot qui ne s’est jamais dit, qui a pourtant son intérêt d’amener une note, une note d’éveil pour vous chaque fois que l’UN sera intéressé et qu’à le prendre ainsi sous une forme épithète, ça vous rappellera ce que Platon d’abord promeut, c’est que de sa nature il a des pentes directes. Que, dans l’analyse, il en soit parlé, c’est ce qui ne vous échappe pas, je pense, à nous souvenir de ce qu’il y réside à cette (p74->) bizarre assimilation de l’Éros à ce qui tend à coaguler. Sous prétexte que le corps, c’est très évidemment une des formes de l'UN, que ça tient ensemble, que c’est un individu sauf accident, il est – c’est singulier – promu par Freud, et c’est bien, à vrai dire, ce qui met en question la dyade avancée par lui d’Éros et de Thanatos, si elle n’était pas soutenue d’une autre figure qui est très précisément celle où échoue le rapport sexuel, à savoir celle de l’UN et de PAS-UN, c’est à savoir zéro, on voit mal la fonction que pourrait tenir ce couple stupéfiant. Il est de fait qu’il sert. Il sert au profil d’un certain nombre de malentendus, d’épinglages de la pulsion de mort, ainsi dite à tort et à travers. Mais il est certain qu’en tout cas, l’UN ne saurait dans ce discours sauvage qui s’institue de la tentative d’énoncer le rapport sexuel, il est strictement impossible de considérer la copulation de deux corps comme n’en faisant qu’un. Il est extraordinaire qu’à cet égard, le « Banquet » de Platon, alors que les savants ricanent du Parménide, le " Banquet " de Platon soit pris au sérieux comme représentant quoi que ce soit qui concerne l’amour.

    Certains se souviennent peut-être encore que j’en ai usé dans une année, exactement ce!le qui précède celle que j’ai avancée tout à l’heure, l’année 61-62. C’est en 1960-1961 que j’ai pris le " Banquet " pour terrain d’exercice, et je n’ai rien songé à en faire d’autre qu’à en fonder le transfert. Jusqu’à nouvel ordre, le transfert, qu’il y ait quelque chose de l’ordre du deux peut-être à son horizon, ne peut pas passer pour une copulation. Je pense tout de même avoir un petit peu indiqué alors le mode de dérision sur lequel se déroule cette scène à très proprement parler désignée comme bachique.

    Que ce soit Aristophane qui promeut, qui  invente la fameuse bipartition de l’être qui de prime abord n’eût été que bête à deux dos qui se tient serrée et dont c’est !a jalousie de Zeus qui en fait deux à partir de là, c’est assez dire dans quelle bouche est mis cet énoncé pour indiquer qu’on s’amuse, on s’amuse bien d’ailleurs ! Le plus énorme, c’est qu’il n’apparaisse pas que celle qui couronne tout le discours, la nommée Diotime ne joue pas un autre rôle, puisque ce qu’elle enseigne, c’est que l’amour ne tient qu’à ce que l’aimé, qu’il soit homo ou hétéro, on n’y touche pas, qu’il n’y a que l’Aphrodite uranienne qui compte. Ce n’est pas précisément dire que ce soit l’UN qui règne sur l’Éros. Ce serait déjà à soi tout seul une raison d’avancer quelques propositions déjà frayées d’ailleurs sur l’UN, s’il n’y avait pas en outre ceci, c’est ce que, dans l’expérience analytique, le premier pas c’est d’y introduire UN, en analyste qu’on est, on lui fait faire le pas d’entrée, moyennant quoi l’analysant dont il s’agit, cet UN, le premier mode de sa manifestation est évidemment de vous reprocher de n’être qu’UN entre autres, moyennant quoi ce qu’il manifeste, mais bien sûr sans s’en apercevoir, c’est très précisément que ces " autres " il n’a rien à  faire avec eux et que c’est pour ça qu’avec vous l’analyste, il voudrait être le seul pour que ça fasse deux, et qu’il ne sait pas que ce dont il s’agit c’est justement qu’il s’aperçoive que " deux " c’est cet UN qu’il se croit et où il s’agit qu’il se divise.

    Alors donc il y a de l’UN. Il faudrait écrire ça – aujourd’hui je suis pas très porté à écrire, mais enfin pourquoi pas – :

                                     Y A D’ L’UN  

(p75->)

    Pourquoi pas l’écrire comme ça ?

    L’écrire comme ça, vous allez le voir, ça a un certain intérêt, qui n’est pas sans justifier le choix de cet UNIEN tout à l’heure, c’est qu « y a d’ l’un », écrit comme ça, ça met en valeur une chose propice de la langue française, et dont je ne sais pas si on peut tirer le même avantage du " There is " ou du « Es Gibt ». Les gens qui en ont le maniement pourront peut-être me l’indiquer. " Es Gibt " commande l’accusatif, n’est-ce pas, on dit : « es gibt einen... " quelque chose, quand c’est au masculin. " There is ", on peut dire " there is one ", " there is a... " quelque chose, je sais bien qu’il y a le " There " qui est une amorce de ce côté-là. Mais c’est pas simple. En français, on peut dire " il y en a ". Chose très étrange, je n’ai pas réussi – ça ne veut pas dire que ça ne soit pas trouvable, mais enfin comme ça de la façon assez hâtive dont je procède, malgré tout la fonction de la hâte en logique, j’en sais un petit quelque chose ! il faut bien que je me presse, le temps, me presse –, je n’ai pas réussi à voir, à trouver quelque chose ni à simplement, – je vais vous dire ce que j’ai consulté : le Littré, le Robert, pendant que j’y étais, le Damourette et Pichon et quelques autres quand même –, l’émergence historique – c’est ce qu’un dictionnaire comme le Bloch et von Wartburg est fait pour vous donner – l’émergence d’une formule aussi capitale que " il y a ", qui veut dire ça : " y en a ". C’est sur le fond de l’indéterminé que surgit ce que désigne, pointe à proprement parler l’ " il y a ", dont curieusement y a – je vais dire n’y a pas – n’y a pas d’équivalent – c’est vrai –, d’équivalent courant dans ce que nous appellerons les langues antiques. Au nom de quoi, justement se désigne que le discours, eh bien, comme dit et comme le démontre le Parménide, le discours ça change. C’est bien en ça que le discours analytique peut représenter une émergence et qu’il s’agirait peut-être que vous en fassiez quelque chose, si tant est que, dès ma disparition – aux yeux de beaucoup d’esprits, bien sûr, toujours présente comme possible, sinon imminente – dès ma disparition enfin on s’attend, dans le même champ, à la véritable pluie d’ordure qui déjà s’annonce, parce qu’on croit que ça ne peut plus tarder, dans la trace de mon discours. Il vaudrait peut-être mieux que se confortent ceux qui pourraient donner à ce frayage une suite dont heureusement aussi j’ai dans un endroit, un endroit bien précis, quelques prémices, mais rares. Parce qu’on passe son temps à me casser les pieds et les oreilles avec le fait de savoir le rapport du discours analytique avec la révolution. C’est peut-être justement lui qui porte le germe d’aucune révolution possible, parce qu’il ne faut pas confondre la révolution avec le vague-à-l’âme qui peut vous prendre comme ça à tout bout de champ sous cette étiquette. C’est pas tout à fait la même chose.

    " Y en a " donc, c’est sur fond, sur fond de quelque chose qui n’a pas de forme. Quand on dit " y en a ", ça veut dire d’habitude " y en a du... " ou " y en a des... ", on peut même ajouter de temps en temps à ce " des " " des qui ", « des qui pensent », « des qui s’expriment », " des qui racontent ", des machins comme ça ; ça reste un  fond d’indétermination. La question commence sur ce que ça veut dire « de l’UN ». Car dès que l'UN est énoncé, le « de » n’est plus là que comme un mince pédicule sur ce qu’il en est de ce fond. D’où est-ce que cet UN surgit ?C’est très précisément ce que, en première hypothèse Platon essaye d’avancer à dire, comme il peut, faute qu’il ait à sa disposition d’autres mots :

(p76->" s’il est UN ", car , un a manifestement la fonction de suppléance de ce qui ne s’accentue pas, comme en français, de l’ « il y a », et de ce qu’il faudrait sûrement le traduire – je comprends le scrupule qui y arrête les traducteurs – il faudrait sûrement le traduire « s’il y a UN ou l’UN » – c’est à vous de choisir. Mais ce qui est certain, c’est que Platon choisit et que son UN n’a rien à faire avec ce qui englobe. Il y a même quelque chose de remarquable, c’est que ce qu’il en démontre immédiatement, c’est qu’il ne saurait avoir aucun rapport avec quoi que ce soit dont il a fait sous mille formes la recension métaphysique et qui s’appelle la dyade, en tant que dans l’expérience de la pensée elle est partout : le plus grand – le plus petit, le plus jeune – le plus vieux, etc. l’incluant – l’inclus et tout ce que vous voudrez de cette espèce. Ce qu’il commence par démontrer est très précisément ceci qu’à prendre l’UN par le moyen d’une interrogation discursive, et qui est là interrogé ? Ce n’est évidemment pas le pauvre petit, le cher mignon, le dénommé Aristote, si mon souvenir est bon, dont il semble difficile de croire que ça puisse être à ce moment-là celui qui nous a laissé sa mémoire. Il est bien clair que comme dans tout dialogue, dans tout dialogue platonicien, il n’y a pas trace d’interlocuteur. Ca semble ne s’appeler dialogue que pour illustrer, ce que j’ai depuis longtemps énoncé, que le dialogue, justement, il ny en a pas. Ca ne veut pas dire qu’il n’y ait pas présente au fond du dialogue platonicien une bien autre présence – présence humaine, disons-le – que dans bien d’autres choses qui se sont écrites depuis. Il ne nous en faudrait pour témoignage que ceci, que dans les premières approches, la façon dont se prépare ce qui constitue l’os du dialogue, ce que j’appellerai l’entretien préliminaire, celui qui nous explique, comme dans tous les dialogues, comment c’est arrivé que cette chose folle qui ne ressemble en rien à quoi que ce soit qu’on puisse appeler dialogue – c’est là vraiment qu’on peut le sentir, si déjà on ne savait pas, par le commun de la vie qu’on a jamais vu un dialogue aboutir à quoi que ce soit – il s’agit dans ce qu’on appelle dialogue, dans cette littérature qui a sa date, justement de serrer quel est le réel qui peut faire croire, qui donne l’illusion qu’on peut arriver à quelque chose en dialoguant avec quelqu’un. Alors ça vaut qu’on prépare le truc, qu’on dise de quel zin-zin il s’agissait. Le vieux Parménide et sa clique qui est là, il fallait rien moins que ça pour que puisse s’énoncer quelque chose qui fait parler qui ? Eh bien, l’UN, et à partir du moment où vous le faites parler, l’UN, ça veut la peine de regarder à quoi ça sert celui qui tient l’autre crachoir ! Il ne peut que dire des trucs comme ça : ; " oh là là, encore trois fois plus vrai que vous ne le disiez... " c’est ça le dialogue ! Naturellement quand c’est l’UN qui parle. Ce qui est curieux, c’est la façon dont Parménide l’introduit : l’UN, il lui passe la main dans le dos, il lui explique : « Cher mignon, viens ici parler, cher petit un, tout cela n’est que bavardage » parce que vous ne traduisez pas n’est-ce pas, par l’idée qu’il s’agit d’adolescent. Je dis ça pour ceux qui ne sont pas avertis. Surtout que comme en face de la page, on vous dit qu’il s’agit de se conduire comme des innocents, comme des jeunots, vous pourriez confondre. Ils ne sont pas nommés comme ça, les jeunots, dans le texte grec. , ça veut dire bavardage. Et on peut considérer que c’est là quelque chose qui est comme l’amorce, la préfiguration, la préfiguration de ce que nous appelons dans notre rude langage comme ça, tressé par ce qu’on a pu, la phénoménologie qu’on pouvait à ce moment-là avoir à la portée de sa main, ce qu’on a traduit par « asso-(p77->)ciation libre ». Naturellement l’association n’est pas libre. Si elle était libre, elle n’aurait aucun intérêt, mais c’est la même chose que le bavardage : c’est fait pour apprivoiser 1e moineau. L’association, il est bien entendu qu’elle est liée. On ne voit pas quel serait son intérêt si elle était libre. Le bavardage en question, il est certain qu’il ne fait aucun doute que comme ce n’est pas quelqu’un qui parle, mais que c’est l’UN, on peut voir là à quel point c’est lié, parce que c’est très démonstratif.

    A mettre les choses dans ce relief, ça permet de situer pas mal de choses et en particulier le pas qui se franchit de Parménide à Platon, parce qu’il y avait déjà un pas de franchi par Parménide dans ce milieu ou il s'agissait en somme de savoir ce qu’il en est du Réel. Nous en sommes toujours tous là. Après qu’on ait dit que c’était l’air, l’eau, la terre, le feu et puis qu’après ça on n’avait plus qu’à recommencer, il y a quelqu’un qui s’est avisé que le seul facteur commun à toute cette substance dont il s’agissait, c’était d’être dicible. C’est ça, le pas de Parménide. Seulement le pas de Platon, c’est différent. C’est différent : c’est de montrer que, dès qu’on essaye de dire d’une façon articulée, ce qui se dessine, la structure, comme on dirait dans ce que j’ai appelé tout à l’heure notre rude langage – le mot " structure " ne vaut pas mieux que le mot d’association 1ibre – mais ce qui se dessine fait difficulté et que le Réel, c’est dans cette voie qu’il faut le chercher : , qu’on traduit improprement la forme, c’est quelque chose qui déjà nous promet le serrage, le cernage de ce qui fait béance dans le dire. En d’autres termes, Platon était pour tout dire Lacanien !

    Naturellement il ne pouvait pas le savoir. En plus, il était un peu débile, ce qui ne facilite pas les choses, mais ce qui sûrement l’a aidé. J’appelle débilité mentale, le fait qu’un être, un être parlant, ne soit pas solidement installé dans un discours. C’est ce qui fait le prix du débile. Il n’a aucune autre définition qu’on puisse lui donner, sinon d’être ce  qu’on appelle un peu à côté de la plaque, c’est-à-dire qu’entre deux discours il flotte. Pour être solidement installé comme sujet, il faut s’en tenir à un ou alors bien savoir ce qu’on fait. Mais c’est pas parce qu’on est en marge qu’on sait ce qu’on dit. De sorte que pour ce qui est de son cas, ça lui a permis solidement parce qu’après tout il avait des cadres, il ne faut pas croire que dans son temps les choses ne fussent pas prises dans un très solide discours et il en montre le bout de l’oreille quelque part dans les entretiens préliminaires de ce Parménide. C’est tout de même lui qui l’a écrit. On ne sait pas si il se marre ou non, mais enfin, il n’a pas attendu Hegel pour nous faire la dialectique du maître et de l’esclave. Et je dois dire que ce qu’il en énonce est d’une autre assiette que ce qu’avance toute la " Phénoménologie de l’Esprit ". Non pas qu’il conclue, mais qu’il donne les éléments matériels. Il avance, il avance et il le peut parce que de son temps, ce n’est pas du chiqué. On se demande si c’était mieux ou plutôt que pire de penser que les maîtres et les esclaves s’étaient là affirmés. Ça permettait de s’imaginer que ça pouvait changer à tout instant et en effet ça changeait à tout instant. Quand les maîtres étaient faits prisonniers, ils devenaient esclaves et quand les esclaves étaient affranchis, eh bien, ils devenaient maîtres ! Grâce à quoi, Platon s’imagine – et il le fait dans les préliminaires de ce dialogue – que l’essence maître, l ’, et celle de l’esclave, eh bien, on peut considérer qu’elles n’ont rien à faire avec ce qu’il en est réellement. Le maître (p78->) et l’esclave sont entre eux dans des rapports qui n’ont rien à faire avec le rapport de l’essence-maître et de l’essence-esclave. C’est bien en cela qu’il est un peu débile, c’est que nous avons vu faire le grand mélange, qui s’opère toujours par une certaine voie dont il est curieux qu’on ne voie pas à quel point elle promet la suite, c’est qu’on est tous frères, hein ? Il y a une région comme ça de l’histoire, du mythe historique, je veux dire du mythe en tant qu’il est histoire, ça ne s’est vu qu’une fois : chez les Juifs où on sait, la fraternité, à quoi ça sert ! Ça a donné le grand modèle : elle est faite pour qu’on vende son frère, ce qui n’a pas manqué de se produire dans la suite de toutes les subversions qui sont dites tourner autour du discours du maître.

    Il est tout à fait clair que l’effort dont Hegel s’exténue au niveau de la " Phénoménologie ", la crainte de la mort, la lutte à mort de pure prestance, et j’t’en raconte et j’t’en remets ! Moyennant quoi – c’est l’essentiel à obtenir – il y a un esclave. Mais je le demande à tous ceux qui ont des frémissements comme ça de changer les rôles, je le demande enfin : qu’est-ce qui peut faire, puisque l’esclave survit, qu’il devienne pas tout de suite après la lutte à mort de pure prestance venant de lui et la crainte de la mort qui change de camp, tout ça ne subsiste, n’a chance de subsister qu’à condition qu’on voie très précisément ce que Platon écarte – ce que Platon écarte, mais qui saura jamais au nom de quoi, parce qu’on ne peut pas, mon dieu, sonder son cœur, c’est peut-être débilité mentale simplement – il est clair qu’au contraire que c’est là la plus belle occasion de marquer ce qu’il en est de ce qu’il appelle le ,, la participation.

    Jamais l’esclave n’est esclave que de l’essence du maître, de même que le maître sans... – j’appelle ça l’essence, appelez-le comme vous voudrez, j’aime beaucoup mieux l’écrire Sl : le Signifiant – Maître – et quant au Maître, s’il n’y avait pas S2, le savoir de l’esclave, qu’est-ce qu’il en ferait ?

    Je m’attarde. Je m’attarde pour vous dire l’importance de cette chose invraisemblable qu’il y en ait, de l’UN. C’est là le point à mettre en relief, car dès qu’on interroge cet UN, ce qu’il devient, enfin, comme une chose qui se défait, c’est qu’il est impossible de le mettre en rapport avec quoi que ce soit hors la série des nombres entiers, qui n’est rien d’autre que cet UN.

    Bien sûr, ceci ne survient, n’arrive, ne surgit qu’à la fin d’une longue élaboration du discours. Dans la logique de Frege, celle qui s’inscrit dans les « Grundlagen der Arithmetik », vous verrez à la fois l’insuffisance de toute déduction logique de UN, puisqu’il faut qu’elle passe par le zéro dont on ne peut tout de même pas dire que ce soit l'UN et pourtant d’où se déroule que c’est de ce UN qui manque au niveau du zéro que procède toute la suite arithmétique, alors que parce que déjà de 0 à l ça fait 2 ; dès lors ça fera 3, parce qu’il y aura 0, l et 2 avant et ainsi de suite. Et ceci très précisément jusqu’au premier des aleph qui curieusement – et pas pour rien – ne peut se désigner que d’Aleph 0.

    Bien sûr, ceci peut vous paraître à une distance savante. C’est bien pour ça qu’il faut l’incarner et que j’ai mis d’abord ; " yad’lun ", " y a (p79->) d’lun " et que vous ne sauriez trop vous exclamer de cette annonce qu’autant de points d’exclamation à la suite que très précisément l’aleph 0 (x) sera juste suffisant pour sonder ce qu’il peut en être, si vous l’approchez suffisamment, de l’étonnement qui mérite qu’il y ait « d’l’UN ».

    Oui, ça ne mérite bien que d’être salué de cet « ouille » puisque nous parlons en « langue d’ouille » ! Je veux dire " hoc en ille ". Ici est bien celui-là dont il s’agit, l’UN, le responsable. C’est à l’attraper par les oreilles que " y en a " montre bien le fond dont il existe. Lc fond dont il existe tient en ceci qui ne va pas de soi : c’est que pour prendre d’abord le premier meuble que j’avais à portée de ma main, l’UN débile mental, vous pouvez y ajouter une grippe à tiroirs, un pied de nez, une fumée, un " Bonjour de ta Catherine ", une civilisation, voire une jarretière dépareillée, eh bien, ça fait huit ! Si épars que ça vous paraisse, il y en a comme ça à la pelle, mais ils tiennent tous à l’appel : petits ! petits ! petits ! Et l’important – parce qu’il faut évidemment que je rende sensible les choses autrement que par un 0, l et par x – l’important, c’est que ça suppose toujours le même UN, l’UN qui ne se déduit pas, contrairement à la poudre aux yeux que peut vous jeter John Stuart Mill, simplement de prendre des choses distinctes à les tenir pour identique, parce que ça, c’est simplement quelque chose qu’illustre, dont donne le modèle, le boulier, mais le boulier a été fait exprès pour que ça se compte et qu’à l’occasion se comptent les huit épars que je vous ait fait surgir tout à l’heure. Seulement ce que le boulier ne vous donnera pas, c’est ceci qui se déduit directement et sans aucun boulier de UN, c’est à savoir qu’entre ces huit meubles dont je vous ai parlé tout à l’heure, eh bien, il y a, parce qu’ils sont huit, 28 combinaisons deux par deux, pas une de plus, et que ça c’est comme ça, du fait de l’UN. Naturellement j’espère que ça vous frappe et, comme j’en ai pris huit, ça vous empêche, ça vous sidère. Vous saviez pas d’avance que ça ferait 28 combinaisons, encore que ça soit facile : c’est, je ne sais pas quoi :

non, voyez-vous, ça ne fait pas 28, ça fait 21. Bon. Et alors ! Ca change rien ! Le chiffre, on peut le connaître, c’est ce dont il s’agit. Si j’en avait mis moins, c’est quelque chose qui vous aurait porté à travailler, à me dire que peut-être que même il faudrait que je compte les rapports de chacun à l’ensemble. Pourquoi je ne le fais pas, c’est ce que je serai forcé d’attendre la prochaine fois pour vous expliquer. Parce que les rapports de chacun à l’ensemble, ça n’élimine pas justement qu’il y a UN ensemble et que, de ce fait, ça veut dire que vous en remettez UN, ce qui aboutirait à en effet augmenter considérablement le nombre des combinaisons deux par deux. Au niveau du triangle, si je vous avais mis seulement trois UN, ça aurait fait trois combinaisons seulement. Vous en avez tout de suite six si vous prenez l’ensemble pour UN. Mais justement ce dont il s’agit, c’est de s’apercevoir là d’une autre dimension de l’UN que j’essaierai de vous illustrer la prochaine fois du triangle arithmétique.

    En d’autres termes, l’UN donc n’a toujours même sens. Il a le sens par exemple de ce UN de l’ensemble vide qui, chose curieuse, à notre numération d’éléments ajoutera deux. Je vous montrerai pourquoi et à partir d’où.

(p80->) Néanmoins nous approchons déjà de quelque chose qui, à ne pas partir du tout de l’UN comme tout, nous montre que l'UN dans son surgissement n’est pas univoque. En d’autres termes, nous renouvelons la dialectique platonicienne. C’est bien ainsi que je prétends vous mener quelque part à poursuivre par cette bifidité de l'UN. Encore faut-il voir si elle tient. Cet UN que Platon si bien distingue de l’être, c’est assurément que l’être, lui, est UN toujours en tous les cas, mais que l’UN ne sache être comme être, voilà qui est dans le Parménide parfaitement démontré. C’est bien historiquement d’où est sortie la fonction de l’existence. Ce n’est pas parce que l’UN n’est pas qu’il ne pose pas la question et il la pose d’autant plus qu’où que ce soit, à jamais, qu’il doivent s’agir d’existence, ce sera toujours autour du UN que la question tournera.

    La chose dans Aristote ne s’approche que timidement au niveau des propositions particulières. Aristote s’imagine qu’il suffit de dire que " quelques " – quelques seulement, pas tous – sont comme ci ou comme ça, pour que ça les distingue, que ce n’est qu’en les distinguant de ce qui, lui, est comme ça, si celles-ci ne le sont pas par exemple, que ça suffit à assurer leur existence. C’est bien en quoi l’existence déjà dès sa première émergence s’amorce tout de suite, s’énonce de son inexistence corrélative. Il n’y a pas d’existence, sinon sur fond d’inexistence et inversement.
" Ex-sistere ", ne tenir son soutien que d’un dehors qui n’est pas, c’est bien là ce dont il s’agit dans l’UN. Car à la vérité, d’où surgit-il ? En un point où Platon arrive à le serrer. Il ne faut pas croire que ce soit, comme il semble, seulement à propos du temps. Il l’appelle .  Traduisez ça comme vous voudrez = c’est l’instant c’est le soudain, c’est le seul point où il peut faire subsister, c’est bien en effet toujours où toute élucidation du nombre – et Dieu sait qu’elle a été poussée assez loin pour nous donner l’idée qu’il y a d’autres aleph que celui des nombres. Mais celui-là, cet instant, ce point – car c’est cela qui en serait la véritable traduction – c’est bien ce qui ne se trouve décisif qu’au niveau d’un aleph supérieur, au niveau du continu.

    L’UN donc ici précisément semble se perdre et porter à son comble ce qu’il en est de l’existence jusqu’à confiner à l’existence comme telle en tant que surgissant du plus difficile à atteindre, du plus fuyant dans l’énonçable. Et c’est ce qui m’a fait trouver, à me reporter à cet , dans Aristote lui-même, à m’apercevoir qu’en fin de compte, il y a eu émergence de ce terme d’ « exister » quelque part dans la Physique où vous pourrez le trouver, – où vous pourrez le trouver surtout si je vous le donne, c’est quelque part au livre IV de la Physique d’Aristote * – Aristote le définit comme justement ce quelque chose qui a "" dans un temps qui ne peut pas être senti " en raison de son extrême petitesse est . Je ne sais si ailleurs qu’en cet endroit du livre IV de la « Physique », le terme  est proféré dans la littérature antique. Mais il est clair qu’il vient – c’est un participe passé, le participe passé de l’aoriste second , de cet aoriste qui se dit , c’est et je ne sache pas qu’il y ait de verbe, c’est à contrôler.

(p81->) Quoi qu’il en soit, le, " sistere " est déjà, là l’être stable. Être stable à partir d’un dehors : , ce qui n’existe qu’à n’être pas. C’est bien de cela qu’il s’agit. C’est cela que j’ai voulu ouvrir aujourd’hui sous le chapitre général de l’Unien et je vous en demande pardon : si j’ai choisi l’Unien, pardonnez-moi, c’est que c’est l’anagramme d’ennui.

note : bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance de m'adresser un émail.
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relu ce 19 juillet 2005 (consultez notes )