J.LACAN
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XIX-
...Ou Pire 1971-1972
version
rue CB note
8
mars 1972
(p63->)
(a $
S2 S1)
Les
choses sont telles que, puisque je vise cette année à vous parler de l’UN,
je commencerai aujourd’hui à énoncer ce qu’il en est de l’Autre, de cet
Autre avec un grand A, à propos duquel j’ai recueilli il y a un temps,
l’inquiétude marquée par un marxiste, à qui je devais la place d’où
j’avais pu reprendre mon travail, l’inquiétude qui était celle-ci que cet
Autre, c’était ce tiers qu’à l’avancer dans le rapport du couple, il –
il, le marxiste – lui, ne pouvait identifier qu’à Dieu. Cette inquiétude,
dans la suite, a-t-elle cheminé assez pour lui inspirer une méfiance irréductible
à l’endroit de la trace que je pouvais laisser, c’est une question que je
laisserai de côté pour aujourd’hui, parce que je vais commencer par le dévoilement
tout simple de ce qu’il en est de cet Autre que j’écris en effet avec un
grand A. L’Autre dont il s’agit, l’Autre est celui du couple sexuel,
celui-là même, et c’est bien pour cela qu’il va nous être nécessaire de
produire un signifiant qui ne peut s’écrire que de ce qu’il le barre ce
grand A : A.
On – c’est pas facile – on – je souligne sans m’y arrêter, car
je ne ferai pas un pas – on ne jouit que de l’Autre.
Il
est plus difficile d’avancer en ceci qui semblerait s’imposer, parce que ce
qui caractérise la jouissance, après ce que je viens de dire, se déroberait.
Avancerai-je qu’on n’est joui que par l’Autre ? C’est bien l’abîme
que nous offre en effet la question de l’existence de Dieu, précisément
celle que je laisse à l’horizon comme ineffable, parce que ce qui est
important, ce n’est pas le rapport avec ce qui jouit de ce que nous pourrions
croire notre être. L’important, quand je dis qu’on ne jouit que de l’Autre,
est ceci : c’est qu’on n’en jouit pas sexuellement – il n’y a pas de
rapport sexuel – ni n’en est-on joui – vous voyez que « lalangue »,
" lalangue " que j’écris en un seul mot, " lalangue ",
qui est pourtant bonne fille, ici résiste, elle fait la grosse joue. On en
jouit, il faut bien le dire, de l’Autre, on en jouit « mentalement ». Il y a
une remarque dans ce Parménide, qui ici prend sa valeur de modèle, c’est
pour ça que je vous ai recommandé d’aller vous y décrasser un peu.
Naturellement, si vous le lisez de travers les commentaires qui en sont faits à
l’Université, vous le situerez dans la lignée des philosophes, vous y verrez
que c’est considéré comme un exercice particulièrement brillant. Mais, après
ce peut salut, on vous dit qu’il n’y a pas grand chose à en faire, que
Platon a simplement poussé la jusqu’à son dernier degré d’acuité ceci
qu’on vous déduira de sa théorie des formes. C’est peut-être autrement
qu’il faut le lire : il faut le lire avec innocence... Remarquez que de temps
en temps quelque chose peut vous toucher, ne serait-ce par exemple que cette
remarque, quand il aborde comme ça tout à fait en passant, au début de la
septième hypothèse qui part de " Si l’Un n’est pas ", tout à
fait en marge, il dit : « et si nous disions que le Non-Un n’est pas ? » Et
là il s’applique à montrer que la négation de quoi que ce soit – pas
seulement de l’Un, du non-grand, du non-petit – cette négation
comme telle se distingue de ne pas nier le même terme.
(p64->) C’est bien quant à ce dont il
s’agit, de la négation de la jouissance sexuelle, ce à quoi je vous prie à
l’instant de vous arrêter.
Que j’écrive ce S parenthèse du grand A barré, S (A),
et qui est la même chose que ce que je viens de formuler que de l’Autre, on en
jouit mentalement, ceci écrit quelque chose sur l’Autre et, comme je l’ai
avancé, en tant que terme de la relation qui, de s’évanouir de ne pas
exister, devient le lieu où elle s’écrit, où elle s’écrit telle que ces
quatre formules sont là écrites pour transmettre un savoir, parce que – j’y
ai déjà fait, il me semble, suffisamment
allusion – le savoir, en la matière, le savoir peut-être s’enseigne, mais
ce qui se transmet, c’est la formule. C’est
justement
parce qu’un des termes devient le lieu où la relation s’écrit qu’elle ne
peut plus être... relation puisque le terme change de fonction, qu’il devient
le lieu où elle s’écrit et que la relation n’est que d’être écrite
justement au lieu de ce terme. Un des termes de la relation doit se vider pour
lui permettre, à cette relation, de s’écrire. C’est bien en quoi ce «
mentalement » que j’ai avancé tout à l’heure entre des guillemets, que la
parole ne peut pas énoncer, c’est cela qui radicalement soustrait à ce
" mentalement " toute portée d’idéalisme, cet idéalisme
incontestable à le voir se développer sous la plume de Berkeley, des remarques
que j’espère que vous connaissez, qui reposent toutes sur ceci que rien de ce
qui se pense n’est que pensé par quelqu’un. C’est bien là argument ou
plus exactement argumentation irréductible et qui aurait plus de mordant s’il
avouait ce dont il s’agit : de la jouissance. Vous ne jouissez que de vos Fantasmes,
voilà ce qui donnerait portée à l’idéalisme que personne par ailleurs,
malgré qu’il soit incontestable, ne prend au sérieux. L’important, c’est
que vos fantasmes vous jouissent. Et c’est là que je peux revenir à ce que je
disais tout à l’heure, c’est que, comme vous voyez, même " lalangue
", qui est bonne fille, ne laisse pas sortir cette parole facilement.
Que
l’idéalisme avance qu’il ne s’agit que de pensées, pour en sortir,
" lalangue " qui est bonne fille, mais pas si bonne fille que ça,
peut peut-être vous offrir quelque chose que je vais quand même pas avoir
besoin d’écrire pour vous prier de faire consonner ce " que " autrement.
Enfin s’il faut vous le faire entendre : q.u.e.u.e ! " Queue de pensées
", c’est ce qui permet la bonne-fillerie de lalangue en français,
c’est dans cette langue que je m’exprime, je ne vois pas pourquoi je n’en
profiterais pas ; si j’en parlais une autre, je trouverais un autre truc ! Il
ne s’agit là " queue de pensées ", non, comme le dit l’idéaliste,
en tant qu’on les pense, ni même seulement qu’on les pense donc je suis –
ce qui est un progrès pourtant – mais qu’elles se pensent réellement.
C’est
en ça que je me classe, pour autant que ça a le moindre intérêt, parce que
je vois pas pourquoi je me classerais, pourquoi je me classerais
philosophiquement, moi par qui émerge un discours qui n’est pas le discours
philosophique, le discours psychanalytique nommément, celui dont le schème, je
l’ai reproduit à droite,

(p65->)
que je qualifie de discours en raison de ceci que j’ai souligné, c’est que
rien ne prend de sens que des rapports d’un discours à un autre discours. Ca
suppose, bien entendu, cet exercice à quoi je peux pas dire ni espérer que je
vous aie vraiment rompus... Tout ça vous passe, bien sûr, comme l’eau sur
les plumes d’un canard, puisque – et d’ailleurs c’est ce qui fait votre
existence – vous êtes bien solidement insérés dans des discours qui vous précèdent,
qui sont là depuis un temps, une paye, le discours philosophique y compris,
pour autant que vous le transmet le discours universitaire, c’est-à-dire dans
quel état ! Vous y êtes bien solidement installés et ça fait votre assiette.
Ceux
qui occupent la place de cet Autre, de cet Autre que, moi, je mets au jour, il
faut pas croire qu’ils soient tellement plus avantagés sur vous ; mais quand
même, on leur a mis entre les mains un mobilier qui n’est pas facile à
manier. Dans ce mobilier, il y a le fauteuil dont on n’a pas encore très bien
repéré la nature. Le fauteuil est pourtant essentiel parce que le propre de ce
discours, c’est de permettre à ce quelque chose qui est écrit là-bas en
haut à droite, sous la forme du
et qui est, comme toute écriture, une forme
bien ravissante, – que le S soit ce que Hogarth donne pour la trace de la
beauté, c’est pas tout à fait un hasard, ça doit avoir quelque part un sens
et puisqu’il faille le barrer, ça en a sûrement un aussi – mais quoi
qu’il en soit, ce qui se produit à partir de ce sujet barré, c’est quelque
chose dont il est curieux de voir que je l’écris de la même façon que ce
qui tient, dans le discours du Maître, une autre place, la place dominante. Ce
S de 1, Sl, c’est justement ce que j’essaie pour vous, en tant qu’ici je
parle, c’est ce que j’essaie pour vous de produire, en quoi – je l’ai déjà
dit maintes fois – je suis à la place, la même – et c’est en cela
qu’elle est enseignante – je suis a la place de l’analysant.
Ce qui est écrit s’est-il pensé, voilà la question. On peut ne plus pouvoir
dire par qui ça s’est pensé. Et c’est même, en tout ce qui est écrit,
ce à quoi vous avez à faire. La « queue de pensées » dont je parlais, c’est
le sujet lui-même, le sujet en tant que hypothétique de ces pensées. Cet
hypothétique, on vous en a tellement rebattu les oreilles depuis Aristote, l’
qui était pourtant bien clair, on en a fait une telle chose qu’une chatte
n’y retrouverait plus ses petits. Je vais l’appeler " la traîne ",
la traîne justement de cette « queue de pensées >, de ce quelque chose de
réel qui fait cet effet de comète que j’ai appelé la « queue de pensées
» et qui est peut-être bien le phallus.
Si ce qui se passe là n’est pas capable d’être reconquis par ce que je
viens d’appeler la traîne, ce qui n’est concevable que parce que l’effet
qu’elle est, est de même saillie que son avènement, à savoir le désarroi,
si vous me permettez d’appeler ainsi la disjonction du rapport sexuel, si ce
qui se passe là n’est pas capable d’être reconquis " nachträglich
", si ce qui s’est pensé n’est ouvert à portée des moyens d’une
repensée, ce qui consiste justement à s’apercevoir, à l’écrire, que c’étaient
des pensées – parce que l’écrit, quoi qu’on en dise, vient après que
ces pensées, ces pensées réelles, se soient produites, c’est dans cet
effort de repensée, de ce « nachträglich », cette répétition, qui est le
fondement de ce que découvre l’expérience analytique. Que ça s’écrive,
c’est là preuve, mais preuve seulement de « l’effet de reprise », "
nachträglich ",
(p66->)
c’est ce qui fonde la psychanalyse. Combien de fois dans les dialogues
philosophiques voyez-vous l’argument, enfin : si tu ne me suis pas jusque-là,
il n’y a pas de philosophie. Ce que je vais vous dire, c’est exactement la même
chose : de deux choses l’une, ou ce qui est encore reçu dans le commun, dans
tout ce qui s’écrit sur la psychanalyse, dans tout ce qui coule de la plume
de ces psychanalystes, à savoir que ce qui pense n’est pas pensable, et
alors il n’y a pas de psychanalyse ; pour qu’il puisse avoir psychanalyse, et
pour tout dire interprétation, il faut que ce dont part la « queue de pensées »
ait été pensé, pensé en tant que pensée réelle.
C’est
bien pour ça que je vous ait fait des tartines avec ce Descartes. Le " je
pense, donc je suis " ne veut rien dire
s’il n’est vrai. Il est vrai parce que « donc je suis », c’est ce que je
pense avant de le savoir et que je le veuille ou non. C’est la même chose. La
même chose, c’est ce que j’ai appelé justement la " Chose Freudienne
". C’est justement parce que c’est la même chose, ce " je pense
" et ce que je pense, c’est-à-dire " donc je suis ", c’est
justement parce que c’est la même chose que ça n’est pas équivalent.
Parce que c’est pour ça que j’ai parlé de la " Chose freudienne ". C’est parce que dans une chose, deux faces – et écrivez ça comme
vous voulez : f.a.c.e. ou f.a.s.s.e. – deux faces, c’est non seulement pas
équivalent, c’est-à-dire remplaçable l’un par l’autre dans le dire, il
n’y a pas d’équivalent, c’est même pas pareil.
C’est pour ça
que je n’ai parlé de la " Chose freudienne » que
d’une certaine façon. Ce que j’ai écrit, ça se lit, c’est même curieux
que ce soit une des choses qui forcent à le re1ire. c’est même pour ça que
c’est fait. Et quand on le relit, on s’aperçoit que je parle pas de la
chose, parce qu’on peut pas en parler. " En " parler : je la fais
parler elle-même. La Chose dont il s’agit énonce ; « Moi, la vérité,
je parle ». Et elle le dit pas, bien sûr, comme ça, mais ça doit
se voir, c’est même pour ça que j’ai écrit, elle le dit de toutes les manières
et j’oserais dire que ce n’est pas un mauvais morceau, je ne suis appréhendable
que dans mes cachotteries ! Ce qu’on en écrit, de la Chose, il faut le considérer
comme ce qui s’en écrit venant d’elle, non pas de qui écrit. C’est bien
ce qui fait que l’ontologie, autrement dit la considération du sujet comme être,
l’ontologie est une honte, si vous me le permettez ! Vous l’avez donc bien
entendu : il faut savoir de quoi on parle. Ou le " donc je suis "
n’est qu’une pensée, à démontrer que c’est l’impensable qui pense, ou
c’est le fait de le dire qui peut agir sur la Chose assez pour qu’elle
tourne autrement. Et c’est en cela que toute pensée se pense de ses rapports
à ce qui s’en écrit. Autrement, je le répète, pas de psychanalyse. Nous
sommes dans l’I.N.A.N. qui est actuellement ce qu’il y a de plus répandu,
l’I.N.A.N.alysable.
Il
ne suffit pas de dire qu’elle est impossible, parce que ça n’exclut pas
qu’elle se pratique. Pour qu’elle se pratique sans être I.N.A.N., ce
n’est pas la qualification d’impossible qui importe, c’est son rapport à
l’impossible qui est en cause, et le rapport à l’impossible est un rapport
de pensée. Ce rapport ne saurait avoir aucun sens si l’impossibilité démontrée
n’est pas strictement une impossibilité de pensée parce que c’est la seule
démontrable. Si nous fondons l’impossible dans ce rapport au Réel, il nous
reste à dire ceci que le vous donne en cadeau, je le tiens
(p67->) d’une charmante femme, lointaine dans
mon passé, restée pourtant marquée d’une charmante odeur de savon, avec
l’accent vaudois qu’elle savait prendre pour, tout en s’en étant purifiée,
savoir le rattraper, " Rien n’est impossible à l’homme " qu’elle disait
– je peux pas vous imiter l’accent vaudois, moi, je suis pas né là-bas –
" ce qu’il peut pas faire, il le laisse ". Ceci pour vous centrer tout ce
qu’il en est de l’impossible en tant que ce terme est recevable pour
quelqu’un de sensé .
Eh
bien, cette annulation de l’Autre ne se produit qu’à ce niveau où
s’inscrit de la seule façon qu’il se peut inscrire, à savoir comme je
l’inscrit : F de x,
et la barre dessus
,
ce qui veut dire qu’on ne peut pas écrire que ce qui y fait obstacle, à savoir
la fonction phallique,
,
ne soit pas vrai. Alors qu’est-ce que veut dire F
de x, à savoir " II existe x ", tel qu’il pourrait s’inscrire
dans cette négation de la vérité de la fonction phallique ? C’est ce qui mérite
que nous l’articulions selon des temps et vous voyez bien que ce que nous
allons mettre en cause est très précisément ce statut de l’existence en
tant qu’il n’est pas clair. Je pense qu’il y a assez longtemps que vous
avez les oreilles, la comprenoire rebattue de la distinction de l’essence et
de l’existence pour ne pas être satisfaits. Qu’il y ait là, dans ce que le
discours analytique nous permet d’apporter de sens aux discours précédents, c’est
quelque chose que je ne pourrai en fin de compte, de la collection de ces
formules, épingler que du terme d’une motivation dont l’inaperçu est ce
qui engendre par exemple la dialectique hégélienne qui, en raison de cet
inaperçu, ne s’en passe, si je puis dire, qu’à considérer que le discours
comme tel régente le monde.
Me
voilà rencontrant une petite note latérale, je ne vois pas pourquoi je ne la
prendrai pas, cette digression, d’autant plus que vous ne demandez que ça.
Vous ne demandez que ça parce que, si je vais tout droit, ça vous fatigue !
Ce qui laisse une ombre de sens au discours de Hegel, c’est une absence, c’est
très précisément cette absence de la plus-value telle qu’elle est tirée de
la jouissance, dans le Réel, du discours du Maître. Mais cette absence toute
de même note quelque chose : elle note réellement l’Autre, non pas comme
aboli, mais justement comme impossibilité de corrélat. Et c’est en présentifiant
cette impossibilité qu’elle colore le discours de Hegel, parce que... vous
ne perdrez rien à relire, je ne sais pas, simplement la préface de la Phénoménologie
de l’Esprit en corrélation avec ce que j’avance ici. Vous voyez tous les
devoirs de vacances que je vous donne : Parménide et la Phénoménologie, la
préface
au moins, parce que la Phénoménologie, naturellement vous ne la lisez jamais.
Mais la préface est foutrement bien, elle vaut à elle seule, le boulot de la
relire et vous verrez que ça confirme, que ça prend sens de ce que je vous
dis. J’ose pas encore vous promettre que le Parménide en fera autant, prendra
sens, mais je l’espère, parce que c’est le propre d’un nouveau discours
que de renouveler ce qui se perd dans le tournoiement des discours anciens,
justement le sens.
Si
je vous ai dit qu’il y a quelque chose qui le colore, ce
discours de Hegel,
c’est que là le mot couleur veut dire autre chose que sens. La promotion de
ce que j’avance justement le décolore, achève l’effet du discours de Marx,
où il y a quelque chose que je voudrais souligner et qui fait sa limite :
c’est qu’il comporte une protestation dont il se trouve
(p68->) qu’il consolide le discours du Maître
en le complétant, et pas seulement de la plus-value, en incitant – je sens
que ça va provoquer des remous – en incitant la femme à exister comme égale.
Égale à quoi, personne ne le sait, puisqu’on peut très bien dire aussi que
l’homme égale zéro, puisqu’il lui faut l’existence de quelque chose qui
le nie pour qu’il existe comme tous ! En d’autres termes, la sorte de
confusion, qui n’est pas inhabituelle : nous vivons dans la confusion et on
aurait tort de croire que nous en vivons, ça ne va pas de soi, je vois pas
pourquoi le manque de confusion empêcherait de vivre. C’est même très
curieux qu’on s’y précipite, c’est bien le cas de le dire : on s’y rue.
Quand un discours tel que le discours analytique émerge, ce qu’il vous
propose, c’est d’avoir les reins assez fermes pour soutenir le complot de la
vérité. Chacun sait que les complots, ça tourne court. C’est plus facile de
faire tant de bla-bla-bla qu’on finit par très bien repérer tous les conjurés.
On confond, on se précipite dans la négation de la division sexuelle, de la
différence, si vous voulez. Si j’ai dit " division ", c’est que c’est opérationnel.
Si je dis " différence ", c’est parce que c’est précisément ce
que prétend effacer cet usage du signe " égal " : la femme =
l’homme.
Ce qu’il y a de formidable, je vais vous le dire : ce n’est
pas toutes ces conneries ; ce qui est formidable, c’est l’obstacle qu’elles prétendent,
de ce mot grotesque transgresser. J’ai enseigné des choses qui ne prétendaient
rien transgresser, mais cerner un certain nombre de points nœuds, points
d’impossible. Moyennant quoi il y a bien sûr, des gens que ça dérangeait
parce qu’ils étaient les représentants, les assis du discours
psychanalytique, en exercice, m’ont fait, comme ça, un de ces coups qui vous
affaiblissent la voix. Ça m’est arrivé par, par un charmant gars,
physiquement, il m’a fait ça un jour, c’est un amour, il y a mis un courage
! Il l’a fait malgré que j’étais en même temps sous la menace d’un truc
auquel je croyais pas spécialement – mais enfin je faisais comme si – d’un
revolver. Mais les types qui m’ont coupé la voix dans un certain moment, ils
ne l’ont pas fait malgré que..., ils l’ont fait parce que j’étais sous
la menace d’un flingue, celui-là, d’un vrai, pas d’un joujou, comme
l’autre. Ça consistait à me soumettre à l’examen, c’est-à-dire au
standard précisément des gens qui ne voulaient rien entendre du discours
analytique encore qu’ils en occupassent la position assise. Alors que
vouliez-vous que je fisse ? Du moment que je ne me soumettais pas à cet examen,
j’étais, bien sûr, d’avance condamné, ce qui naturellement rendait
beaucoup plus facile de me couper la voix ! Parce que ça existe, une voix. Ça
a duré comme ça plusieurs années, je dois dire, j’avais si peu de voix...
J’ai tout de même une voix dont sont nés les Cahiers pour la psychanalyse,
qui est une très, très, très bonne littérature, je vous les recommande décidément,
parce que j’étais tellement tout entier occupé à ma voix que moi, ces «
Cahiers pour la Psychanalyse » – je vais tout vous dire, je peux pas tout
faire ; je peux pas lire le Parménide, relire la Phénoménologie et autres
trucs et puis lire les Cahiers pour la Psychanalyse – il fallait que j’aie
repris du poil de la bête, j’en ai maintenant, je les ai lus de bout en bout,
c’est formidable ! C’est formidable, mais c’est marginal parce que ce n’était
pas fait par des psychanalystes. Pendant ce temps-là, les psychanalystes
bavardaient : on a jamais autant
(p69->)
parlé de la transgression autour de moi que pendant le temps
où j’avais là...
pfuit ! Voila !
Parce que figurez-vous, quand il s’agit du véritable impossible, de
l’impossible qui se démontre, de l’impossible tel qu’il s’articule –
et ça, bien sur, on y met le temps – entre les premiers scribouillages qui
ont permis la naissance d’une logique à l’aide du questionnement de "
lalangue ", puis le fait qu’on s’est aperçu que ces scribouillages
rencontraient quelque chose qui existait, mais pas à la façon dont on croyait
jusqu’alors, à la façon de l’être c’est-à-dire de ce que chacun
d’entre vous se croit, se croit être, sous prétexte que vous êtes des
individus, on s’est aperçu qu’il y avait des choses qui existaient en ce
sens qu’elles constituent la limite de ce qui peut tenir
de l’avancée de
l’articulation d’un discours. C’est ça le Réel. Son
approche par la voie de ce que j’appelle le Symbolique, ce qui veut dire les modes de ce qui s’énonce
par ce champ, ce champ qui existe, du langage, cet impossible, en tant qu’il
se démontre, ne se transgresse pas.
Il
y a des choses qui depuis longtemps ont fait repérage, repérage mythique peut-être,
mais repérage très bien, pas seulement de ce qu’il en est de cet
impossible,
mais de sa motivation, très précisément à savoir que ne s’écrit pas le
rapport sexuel. Dans le genre, on a jamais rien fait de mieux que, je ne dirai
pas la religion, parce que comme je vous le dirai, je vous l’expliquerai en
long et en large, on ne fait pas d’ethnologie quand on est psychanalyste, et
noyer la religion dans un terme général, c’est la même chose que de faire
de l’ethnologie. Je peux pas dire non plus qu’il y en ait qu’une, mais il
y a celle dans laquelle nous baignons, la religion chrétienne. Eh bien,
croyez-moi, la religion chrétienne, elle s’en arrange foutrement bien, de vos
transgressions, c’est même tout ce qu’elle souhaite, c’est ce qui la
consolide. Plus il y a de transgressions, plus ça l’arrange !
Et
c’est bien de ça qu’il est question, il s’agit de démontrer où est le
vrai de ce qui fait tenir debout un certain nombre de discours qui vous empêtrent.
Je
finirai aujourd’hui – j’espère que je n’ai pas abîmé ma bague –, je
finirai aujourd’hui sur le même point par lequel j’ai commencé.
Je
suis parti de l’Autre, je n’en suis pas sorti, parce que le temps passe et
puis qu’après tout il ne faut pas croire qu’au moment où la séance finit,
moi, je n’en ai pas ma claque. Je rebouclerai donc ce que j’ai dit, trait
local, concernant l’Autre, laissant ce qu’il pourra en être de ce que
j’ai à vous avancer de ce qui est le point pivot, le point que je vise cette
année, à savoir l’Un – ce n’est pas pour rien que je ne l’ai pas abordé
aujourd’hui, parce que, vous verrez, il y a rien qui soit aussi glissant que
cet Un. C’est très curieux : en fait de chose qui a des faces à ce qu’elles
se fassent, non point innombrables, mais singulièrement divergentes, comme vous
le verrez, c’est bien l’Un. L’Autre, ce n’est pas pour rien qu’il faut
d’abord que j’en prenne l’appui. L’Autre, entendez-le bien, l’Autre,
entendez-le bien, c’est donc un ENTRE, l’ « entre » dont il s’agirait
dans !e rapport sexuel, mais déplacé, et justement de s’ « Autre-poser ».
De s’ « Autreposer », il est curieux qu’à poser cet Autre, ce que
(p70->) j’ai eu à avancer aujourd’hui ne
concerne que la femme. Et c’est bien elle qui, de cette figure de l’Autre,
nous donne l’illustration à notre portée, d’être comme l’a écrit un poète,
"entre centre et absence ", entre le sens qu’elle prend dans ce que
j’ai
appelé cet « au-moins-un » où elle ne le trouve qu’à l’état de ce que
je vous ai annoncé – annoncé pas plus – de n’être que pure existence.
Entre centre et l’absence, que devient quoi pour elle ? Justement cette
seconde barre que je n’ai pu écrire qu’à la définir comme « Pas-toute »,
celle qui n’est pas contenue dans la fonction phallique sans pourtant être sa
négation. Son mode de présence est entre centre et absence, entre la fonction
phallique dont elle participe, singulièrement de ce que l’ « au-moins-un »
qui est son partenaire, dans l’amour, y renonce pour elle, ce qui lui permet,
à elle, de laisser ce par quoi elle n’en participe pas, dans l’absence qui
n’est pas moins jouissance, d’être " jouis-absence ".
Et
je pense que personne ne dira que ce que j’énonce de la fonction phallique relève
d’une méconnaissance de ce qu’il en est de la jouissance féminine. C’est
au contraire de ce que la " jouis-présence ", si je puis ainsi
m’exprimer, de la femme, dans cette partie qui ne la fait " Pas- toute
" ouverte à la fonction phallique, c’est de ce que cette " jouis-présence ",
l’ « au-moins-un " soit pressé de l’habiter dans un
contresens radical sur ce qui exige son existence, c’est en raison de ce
contresens, qui fait qu’il ne peut méme plus exister, que l’exception de
son existence même est exclue, qu’alors ce statut de l’Autre fait de n’être
pas universel s’évanouit et que la méconnaissance de l’homme en est nécessitée,
ce qui est la définition de l’hystérique.
C’est
là-dessus que je vous laisserai aujourd’hui. Je mets un point et je vous
donne rendez-vous dans huit jours. La séance de Sainte-Anne tombe un jour tel,
le 1er jeudi d’avril, que, j’en avertis ceux qui sont ici pour qu’ils le
fassent savoir aux autres qui fréquentent Sainte-Anne, elle n’aura pas lieu.
note:
bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou
si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance
de m'adresser un email. Haut
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ce 18 juillet 2005