J.LACAN                               gaogoa

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XIX- ...Ou Pire    1971-1972
      
version rue CB                                    note

19 avril 1972

(p85->)


         
II- triangle de Pascal,  III- ensemble vide

 

 

    Je commence parce qu'on m'a demandé en raison de choses prévalentes, je crois, de tout un fonctionnement dans cet endroit, on m'a demandé de finir plus tôt, beaucoup plus tôt que d'habitude, voilà.

    Alors pour aborder ce qui vient, dans une trame, dont j'espère que le souvenir ne vous est pas trop lointain, je le reprends du " y a de l'UN " que j'ai déjà proféré. Pour ceux qui sont là, qui se parachutent d'une contrée lointaine, je repère ce que ça veut dire parce que ce n'est pas d'une sonorité très habituelle . " Y a d' l'UN ",  ça a l'air de venir de je ne sais où : de l'UN, de l'UN, hein, on ne s'exprime pas comme ça d'habitude. C'est pourtant de ça que je parle : de l'UN -- L'--U-N-- il y en a. C'est une façon de s'exprimer qui va se trouver - je l'espère du moins pour vous - en accord avec quelque chose qui, j'espère, n'est pas nouvelle pour tout le monde ici - Dieu merci, je sais que j'ai des oreilles, enfin certaines, averties des champs qu'il se trouve que je dois toucher pour faire face à ce dont il s'agit dans le discours psychanalytique - ça va donc se montrer d'accord - je vous expliquerai en quoi - cette façon de s'exprimer, avec ce qui historiquement s'est produit comme la théorie, la Théorie des Ensembles. Vous avez entendu parler de ça, vous avez entendu parlé de ça parce que c'est comme ça qu'on enseigne maintenant les mathématiques à partir de la classe de 11eme. Il n'est pas sûr, bien sûr, que ça améliore beaucoup la compréhension.

    Mais enfin par rapport à ce qu'il en est d'une théorie dont un des ressort c'est l'écriture, non pas, bien sûr, que la Théorie des Ensembles implique une écriture univoque, mais que , comme bien des choses en mathématiques, elle ne s'énonce pas sans écriture la différence donc avec (p86->) cette formule, ce " y a d’ l’UN " que j’essaye de faire passer, c’est justement toute la différence qu’il y a de l’écrit à la parole. C’est une faille qui n’est pas toujours facile à combler. C’est bien pourtant à quoi je m ’essaye en l’occasion et vous devez tout de suite pouvoir comprendre pourquoi, s’il est vrai que, comme je les récrites au tableau, les deux supérieures de ces quatre formules où j’essaye de fixer ce qui supplée à ce que j’ai appelé l’impossibilité d’écrire justement ce qu’il en est du rapport sexuel, c’est bien dans la mesure où, au niveau supérieur, deux termes s’affrontent dont l’un est " il existe " et l’autre " il n’existe pas " que j’apporte ou je tente d’apporter la contribution qui peut là afférer utilement à partir de la Théorie des Ensembles. Il est remarquable déjà, il est frappant que " il y ait d’ l’UN " n’ait fait aucun sujet d’étonnement, si je puis dire. C’est tout de même peut-être aller un peu vite que de le formuler ainsi ; car enfin on peut mettre à l’actif de ce que j’appelle, comme étonnement, ce en quoi je vous interpelle de vous étonner, on peut y mettre à l’actif justement ce dont j’ai parlé, ce dont je vous ai invités de la façon la plus vive à prendre connaissance, c’est ce fameux Parménide, du cher Platon, qui est toujours si mal lu, enfin en tout cas que, moi, je m’exerce à lire d’une façon qui n’est pas tout à fait celle reçue, pour le Parménide, c’est tout à fait frappant de voir à quel point, à un certain niveau qui est celui proprement du discours universitaire, il met dans l’embarras. La façon qu’ont tous ceux qui profèrent des choses sages au titre de l’Université, est toujours prodigieusement embarrassée, comme s’il s’agissait là d’une gageure, d’une sorte d’exercice en quelque sorte purement gratuit, de ballet ; et le déroulement des huit hypothèses concernant les rapports de l’UN et de l’Être reste en quelque sorte problématique, un objet de scandale. Certains, bien sûr, se distinguent en en montrant la cohérence, mais cette cohérence apparaît à l’ensemble gratuite et la confrontation des interlocuteurs, elle-même, paraît confirmer le caractère anhistorique, si on peut dire, de l’ensemble. Je dirais, si tant est que je puisse avancer quelque chose sur ce point, je dirais que ce qui me frappe c’est vraiment tout à fait le contraire et que si quelque chose me donnait l’idée qu’il y a dans le dialogue platonicien je ne sais quelle première assise d’un discours proprement analytique, je dirais que c’est bien celui-là, le Parménide, qui me le confirmerait. Il est tout à fait clair en effet que si vous vous rappelez ce que j’ai donné, ce que j’ai inscrit comme structure, ce que je vous donne comme structure est bien que quelque chose dont ce n’est pas par hasard que ça s’inscrit comme le Signifiant indexé 1 : se trouve au niveau de la production dans le discours analytique. Et c’est déjà quelque chose, encore que, j’en conviens, ça ne puisse pas vous apparaître tout de suite – je ne vous demande pas de la prendre pour une évidence – c’est une indication enfin de l’opportunité de centrer enfin très précisément sur, non pas le chiffre, mais le signifiant UN, notre interrogation dans sa suite. Ça ne va pas de soi qu’il y ait de l’UN ; ça a l’air d’aller de soi comme ça parce que, par exemple, il y a des êtres vivants et que vous, vous avez bien toute l’apparence, tout un chacun qui êtes là, si bien rangés, d’être tout à fait indépendants les uns des autres, de constituer chacun ce qu’on appelle de nos jours une réalité organique, de tenir comme individus. C’est bien de là, bien sûr, que toute une première philosophie a pris un appui certain. Ce qu’il y a, par exemple, de frappant c’est (p87->) qu’au niveau de la logique aristotélicienne, le fait de mettre sur la même colonne, c’est-à-dire – dans l’occasion je vous le rappelle – de mettre au principe de la même spécification de l’ x, à savoir – je l’ai dit, je l’ai déjà énoncé – enfin de l’homme, de l’être qui se qualifie chez le parlant comme masculin. Si nous prenons le " il existe ", il existe au moins un pour qui F de x n’est pas, recevable comme assertion, eh bien, de ce point de vue, du point de vue de l’individu, nous nous trouvons placés devant une position qui est nettement contradictoire, à savoir que la logique aristotélicienne, laquelle est fondée sur cette intuition de l’individu qu’il pose comme réelle – Aristote nous dit qu’après tout ce n’est pas l’idée du cheval qui est réelle, c’est le cheval bel et bien vivant – sur laquelle nous sommes forcés de nous demander précisément comment vient l’idée, d’où nous la retirons, il renverse, il renverse, non sans arguments péremptoires, ce dont parlait Platon, c’est à savoir que c’est de participer à l’idée du cheval que le cheval se soutient : ce qu’il y a de plus réel, c’est l’idée de cheval. Si nous nous plaçons sous l’angle, sous le biais aristotélicien, il est clair qu’il y a contradiction entre l’énoncé que, pour tout x, x remplit dans la fonction d’argument et le fait qu’il y a quelque x qui ne peut remplir la place d’argument que dans l’énonciation exactement négation de la première. Si on vous dit que tout cheval est, ce que vous voudrez, enfin fougueux et si on y ajoute qu’il y a quelque cheval, au moins un, qui ne l’est pas, dans la logique aristotélicienne, ceci est une contradiction.

    Ce que j’avance est fait pour vous faire saisir que justement, si je peux, si j’ose avancer deux termes, ceux qui sont de droite dans mon groupe à quatre termes – ce n’est pas hasard qu’ils sont quatre –, si je peux avancer que1que chose qui manifestement fait défaut à ladite logique, c’est bien certainement dans la mesure où le terme d’existence a changé de sens dans l’intervalle et où il ne s’agit pas de la même existence quand il s’agit de l’existence d’un terme qui est capable de prendre, dans une fonction mathématique articulée, la place de l’argument.

    Rien encore ici ne fait le joint de ce " y a d’ l’UN " comme tel avec cet " au moins UN " qui est très précisément ce qui est formulé par la notation : il existe un x, au moins UN, qui donne à ce qui se pose comme fonction une valeur qualifiable du vrai. Cette distance qui se pose de l’existence, si l’on peut dire – je ne l’appellerai pas autrement aujourd’hui faute d’un meilleur mot – de l’existence naturelle qui n’est pas limitée aux organismes vivants – ces UNS, par exemple, nous pouvons les voir dans les corps célestes dont ce n’est pas pour rien qu’ils sont parmi les premiers à avoir retenu une attention proprement scientifique ; c’est très précisément dans cette affinité qu’ils ont avec l’UN. Ils apparaissent comme s’inscrivant au ciel comme des éléments d’autant plus aisément marquables de l’UN qu’ils sont punctiformes, et il est certain qu’ils ont beaucoup fait pour mettre l’accent comme forme de passage, pour mettre l’accent sur le point. Si entre l’individu et ce qu’il en est de ce que j’appellerai l’UN réel, dans l’intervalle, les éléments qui se signifient comme punctiformes ont joué un rôle éminent pour ce qui est de leur transition, est-ce qu’il ne vous est pas sensible et certainement est-ce que ça n’a pas retenu notre oreille au passage que je parle de l’UN comme d’un Réel, d’un Réel qui aussi bien peut n’avoir rien à faire avec aucune réalité ? J’appelle réalité ce qui est la réalité, à savoir, par exemple, votre (p88->) existence propre, votre mode de soutien qui est assurément matériel et d’abord parce qu’il est corporel. Mais il s’agit de savoir de quoi on parle quand on dit « y a d’ l’UN ». D’une certaine façon, dans la voie dans laquelle s’engage la science, je veux dire à partir de ce tournant où décidément c’est au nombre comme tel qu’elle s’est fiée pour ce qui est son grand tournant, le tournant galliléen pour le nommer, il est clair que de cette perspective scientifique, le UN que nous pouvons qualifier d’individuel, UN et puis quelque chose qui s’énonce dans le registre de la logique du nombre, il n’y a pas tellement lieu de s’interroger sur l’existence, sur le soutien logique qu’on peut donner à une licorne tant qu’aucun animal n’est pas conçu d’une façon plus appropriée que la licorne elle-même. C’est bien dans cette perspective qu’on peut dire que ce que nous appelons la réalité, la réalité naturelle, nous pouvons la prendre au niveau d’un certain discours et je ne recule pas à prétendre que le discours analytique ne soit celui-là, la réalité, nous pouvons toujours la prendre au niveau du fantasme. Ce Réel dont je parle et dont le discours analytique est fait pour nous rappeler que son accès c’est le Symbolique, le dit Réel, c’est dans et par cet impossible que ne définit que le Symbolique que nous y accédons.

    J’y reviens : au niveau de l’histoire naturelle d’un Pline, je ne vois pas ce qui différencie la licorne d’aucun autre animal qui est parfaitement existant dans l’ordre naturel. La perspective qui interroge le Réel dans une certaine direction nous commande d’énoncer ainsi les choses. le ne suis pas du tout pour autant en train de parler de quoi que ce soit qui ressemble à un progrès. Ce que nous gagnons sur le plan scientifique qui est incontestable, n’accroît absolument pas pour autant par exemple notre sens critique en matière de vie politique par exemple. J’ai toujours souligné que ce que nous gagnons d’un côté est perdu de l’autre pour autant qu’il y a une certaine limitation inhérente à ce qu’on peut appeler le champ de l’adéquation chez l’être parlant. Ce n’est pas parce que nous avons fait en ce qui concerne la vie, la biologie, des progrès depuis Pline que c’est un progrès absolu. Si un citoyen romain voyait comment nous vivons, il est malheureusement hors de cause de l’évoquer en cette occasion en personne, mais enfin il serait probablement bouleversé d’horreur. Comme nous ne pouvons en préjuger que d’après les ruines qu’a laissées cette civilisation, l’idée que nous pouvons nous en faire, c’est de voir, c’est d’imaginer ce que seront les restes de la notre dans un temps qu’il est supposable équivalent. Ceci pour ne pas que vous vous montiez le bourrichon, si je puis dire, sur le sujet d’une confiance que je ferais particulièrement à la science. Il ne s’agit pas dans le discours analytique d’un discours scientifique, mais d’un discours dont la science nous fournit le matériel, ce qui est bien différent.

    Donc il est clair que la prise de l’être parlant sur le monde où il se conçoit comme plongé, schéma déjà qui sent son fantasme, cette prise tout de même ne va en augmentant – ça, c’est certain – cette prise ne va en augmentant que dans la mesure où quelque chose s’élabore et c’est l’usage du nombre. Je prétends vous montrer que ce nombre se réduit tout simplement à ce " y a d’ l’UN".

    Alors il faut voir ce qui historiquement nous permet d’en savoir, sur ce " y a d’ l’UN ", un petit plus que ce que Platon en fait, si je puis (p89->) dire, en le mettant tout à plat avec ce qu’il en est de l’être. Il est certain que ce dialogue est extraordinairement suggestif et fécond et que si vous voulez bien y regarder de près vous y trouverez déjà préfiguration de ce que je peux, sur la base, sur le thème de la Théorie des Ensembles, énoncer de ce « y a d’ l’UN ». Commencez seulement l’énoncé de la première hypothèse : si l’UN, il est à prendre pour sa signification, si l’UN est un, qu’est-ce que nous allons pouvoir en faire ? La première chose qu’il y met comme objection est ceci, c’est que cet UN ne sera nulle part parce que s’il était quelque part, il serait dans une enveloppe, dans une limite et que ceci est bien contradictoire avec son existence d’UN.

    Pour que l’UN ait pu être élaboré dans son existence d'UN de la façon que fonde la Mengenlehre, la Théorie des Ensembles pour le traduire comme l’a traduit, non sans bonheur, en français, mais certainement avec un accent qui ne répond pas tout à fait avec le sens du terme original en allemand qui, du point de vue de ce qu’on vise n’est pas meilleur, eh bien, ceci n’est venu que tard et n’est venu qu’en fonction de toute l’histoire des mathématiques elles-mêmes dont, bien entendu, il n’est pas question ici que je vous retrace même le plus bref des abrégés, mais dans lequel il faut tenir compte de ceci qui a pris tout son accent, toute sa portée, à savoir de ce que je pourrais appeler les extravagances du nombre. Ça a commencé évidemment très tôt, puisque déjà au temps de Platon le nombre irrationnel faisait problème et qu’il se trouvait hériter – il nous en donne l’énoncé avec tous les développements dans le Theetetele scandale pythagoricien du caractère irrationnel de la diagonale du carré, du fait qu’on ne finira jamais, et ceci démontrable sur une figure, et c’est bien ce qu’il y avait de plus heureux pour leur faire apparaître à cette époque l’existence de ce qu’appelle l’extravagance numérique, je veux dire quelque chose qui sort du champ de l’UN ; après ça, quoi ? Quelque chose que nous pouvons, dans la méthode dite d’exhaustion d’Archimède, considérer comme l’évitement de ce qui vient, tellement de siècles après, sous la forme des paradoxes du calcul infinitésimal, sous la forme de l’énoncé de ce qu’on appelle l’infiniment petit, chose qui ne met que très longtemps à être élaborée en posant, en posant quelque quantité finie dont on dit que de toute façon un certain mode d’opérer aboutira à être plus petit que la dite quantité, c’est-à-dire en fin de compte à se servir du fini pour définir un transfini. Et puis l’apparition, ma foi – on ne peut pas ne pas la mentionner – de la série trigonométrique de Fourrier qui n’est pas certainement sans poser toutes sortes de problèmes de fondement théorique, tout ceci conjugué avec la réduction, la réduction à des principes parfaitement finitistes du calcul dit infinitésimal qui se poursuit  la même époque et dont Cauchy est le grand représentant. Je ne fait cette évocation ultra-rapide que pour dater ce que veut dire la reprise sous la plume de Cantor de ce qui est le statut de l’UN.

    Le statut de l’UN à partir du moment où il s’agit de le fonder ne peut partir que de son ambiguïté, à savoir que le ressort de la Théorie des Ensembles tient tout entier à ce que le UN qu’il y a de l’ensemble est distinct de l’UN de l’élément. La notion de l’ensemble repose sur ceci qu’il y a ensemble même avec un seul élément. Ca ne se dit pas comme ça d’habitude, mais le propre de la parole est justement d’avancer avec des gros sabots. Il suffit d’ailleurs d’ouvrir n’importe quel exposé de la (p90->) théorie des Ensembles pour toucher du doigt ce que ceci implique, à savoir que si l’élément posé comme fondamental d’un ensemble est ce quelque chose que la notion même de l’ensemble permet de poser comme un ensemble vide, eh bien, ceci fait, l’élément est parfaitement recevable, à savoir qu’un ensemble peut avoir l’ensemble vide comme constituant son élément, qu’il est à ce titre absolument équivalent à ce qu’on appelle un élément « singleton » pour ne pas justement annoncer tout de suite la carte du chiffre UN, et ceci de la façon la plus fondée, pour la bonne raison que nous ne pouvons définir le chiffre UN qu’à prendre la classe de tous les ensembles qui sont à un seul élément et à en mettre en valeur l’équivalence comme étant proprement ce qui constitue le fondement de l’UN.

    La Théorie des Ensembles est donc faite pour restaurer le statut du nombre. Et ce qui prouve qu’elle le restaure effectivement, ceci dans la perspective de ce que j’énonce, c’est que très précisément à énoncer, comme elle le fait, le fondement de l’UN et à y faire reposer le nombre comme classe d’équivalence, elle aboutit à la mise en valeur de ce qu’elle appelle le non-dénombrable qui est très simple et – vous allez le voir – d’un accès immédiat. Mais qu’à le traduire dans mon vocabulaire j’appelle, non pas le non-dénombrable, objet que je n’hésiterai pas à qualifier de mythique, mais l’impossibilité à dénombrer, ce qui se démontre par la méthode – ici je m’excuse de ne pas pouvoir en illustrer immédiatement la facture ; mais vraiment après tout qu’est-ce, qui empêche ceux d’entre vous que ce discours intéresse d’ouvrir le moindre traité dit " Théorie naïve des ensembles ", pour s’apercevoir que, par la méthode dite diagonale, on peut faire toucher du doigt qu’il y a moyen à énoncer d’une série de façons différentes la suite des nombres entiers, car à la vérité on peut l’énoncer de 36 000 façons, qu’il sera immédiatement accessible de montrer que, quelle que soit la façon dont vous l’ayez ordonnée, il y en aura, à prendre simplement la diagonale et dans cette diagonale à en changer à chaque fois, selon une règle à l’avance déterminée, les valeurs, une autre façon encore de les dénombrer. C’est très précisément en ceci que consiste le réel attaché à l’UN. Et si tant est qu’aujourd’hui je puisse en pousser assez loin, dans le temps auquel j’ai promis que je me limiterai, la démonstration, je vais tout de même dès maintenant mettre l’accent sur ce que comporte cette ambiguïté mise au fondement de l’UN comme tel.

    C’est très exactement ceci que, contrairement à l’apparence, l’UN ne saurait être fondé sur la mêmeté, mais qu’il est très précisément au contraire, par la Théorie des Ensembles, marqué comme devant être fondé sur la pure et simple différence. Ce qui règle le fondement de la Théorie des Ensembles consiste en ceci que, quand vous en notez, disons pour aller au plus simple, trois éléments chacun séparé par une virgule, donc par deux virgules, si un de ces éléments d’aucune façon apparaît être le même qu’un autre, s’il peut lui être uni par quelque signe que ce soit d’égalité, il est purement et simplement tout un avec celui-ci. Au premier niveau de bâti qui constitue la théorie dite de l’ensemble, est l’axiome d’extensionalité qui signifie très précisément ceci qu’au départ il ne saurait s’agir de même. Il s’agit très précisément de savoir à quel moment dans cette construction surgit la mêmeté. La mêmeté, non seulement surgit sur le tard dans la construction et, si je puis dire, sur un (p91->) de ses bords, mais en plus, je puis avancer que cette mêmeté comme telle se compte dans le nombre et que donc le surgissement de l’UN, en tant qu’il est qualifiable du « même » ne surgit, si je puis dire, que d’une façon exponentielle. Je veux dire que c’est à partir du moment où l’UN dont il s’agit n’est rien d’autre que cet Aleph zéro, x, où se symbolise le cardinal de l’infini, de l’infini numérique, de cet infini que Cantor appelle « impropre », mais qui est fait des éléments de ce qui constitue le premier infini propre, à savoir l’Aleph zéro en question, c’est au cours de la construction de cet Aleph zéro qu’apparaît la construction du « même » lui-même, et que ce « même » dans la construction est compté lui-même comme un élément. C’est en quoi nous disons qu’il est inadéquat dans le dialogue platonicien de faire participation de quoi que ce soit d’existant à l’ordre du semblable. Sans le franchissement dont se constitue l’UN d’abord, la notion du semblable ne saurait apparaître d’aucune façon. C’est ce que nous allons, j’espère, voir... si nous ne le voyons pas ici aujourd’hui puisque je suis limité à un quart d’heure de moins que ce que j’ai d’habitude, je le poursuivrai ailleurs et pourquoi pas la prochaine fois au jeudi de Sainte-Anne puisqu’un certain nombre d’entre vous en connaissent le chemin.

    Néanmoins ce que je veux marquer, c’est ce qui résulte de ce départ même de la Théorie des Ensembles et de ce que j’appellerai – pourquoi pas ? – la cantorisation – à condition de l’écrire C-A-N – du nombre. Voici ce dont il s’agit : pour y fonder d’aucune façon le cardinal, il n’y a d’autre voie que celle de ce qu’on appelle l’application bi-univoque d’un ensemble sur un autre. Quand on veut l’illustrer, on ne trouve rien de mieux, on ne trouve rien d’autre que d’évoquer alternativement je ne sais quel rythme primitif de potlatch pour la prévalence d’où sortira l’instauration d’un chef au moins provisoire ou plus simplement la manipulation dite du maître d’hôtel, celui qui confronte un par un chacun des éléments d’un ensemble de couteaux avec un ensemble de fourchettes. C’est à partir du moment où il y en aura encore un d’un côté et plus rien de l’autre, qu’il s’agisse des troupeaux que font franchir un certain seuil chacun des deux concurrents au titre de chef ou qu’il s’agisse du maître d’hôtel qui est en train de faire ses comptes, il apparaîtra quoi ? L’UN commence au niveau où il y en a UN qui manque. L’ensemble vide est donc proprement légitime de ceci qu’il est la porte dont le franchissement constitue la naissance de l’UN. Le premier UN qui se désigne à une expérience recevable, je veux dire recevable mathématiquement, d’une façon qui puisse s’enseigner – car c’est cela que veut dire mathème – et non pas qui fasse appel à cette sorte de fiction grossière qui est ce11e de " c’est à peu près la même chose ", ce qui constitue I'UN et très précisément qui le justifie, qui ne se désigne que comme distinct et non d’aucun autre repérage qualificatif, c’est qu’il ne commence que de son manque. Et c’est bien en quoi nous apparaît, dans la reproduction que je vous ai faite du triangle de Pascal,

(p92->) la nécessité de distinguer chacune de ces lignes dont vous savez, je pense, depuis un bout de temps – je vous l’ai assez souligné – comment elles se constituent, chacune étant faite de l’addition de ce qui est en haut sur la même ligne et de ce qui est noté sur la droite – chacune de ces lignes est donc constituée ainsi. Il importe de s’apercevoir de ce que désigne chacune de ces lignes. l’erreur, le manque de fondement qui s’énonce de la définition d’Euclide qui est très précisément celle-ci :

" La monade est ce selon quoi chacun des étant peut être dit UN et le nombre est très précisément cette multiplicité qui est faite de monades."

    Le triangle de Pascal n’est pas ici pour rien. Il est là pour Figurer ce qu’on appelle, dans la Théorie des Ensembles, non pas les éléments, mais les parties de ces ensembles. Au niveau des parties, les parties énoncées monadiquement d’un ensemble quelconque sont de la seconde ligne, la monade est seconde. Comment appellerons-nous la première, celle qui est en somme constituée de cet ensemble vide dont le franchissement est justement ce dont l’UN se constitue ? Pourquoi ne pas user de l’écho que nous donne la langue espagnole et ne pas l’appeler la NADE. Ce dont il s’agit dans ce UN répété de la première ligne, c’est très proprement la NADE, à savoir la porte d’entrée qui se désigne du manque. C’est à partir de ce qu’il en est de la place où se fait un trou, de ce quelque chose que, si vous en voulez une figure, je représenterai comme étant le fondement du « Y a d’ l’UN », qu’il peut y avoir de l’UN dans la figure d’un sac qui est un sac troué : rien n’est UN qui ne sorte du sac ou qui, dans le sac, ne rentre, c’est là le fondement originel, à le prendre intuitivement, de l’UN.

    Je ne puis en raison de mes promesses – et je le regrette – pousser donc ici plus loin aujourd’hui ce que j’ai apporté. Sachez simplement que nous interrogerons, comme j’en avais déjà ici désigné la figure, que nous interrogerons, à partir de la triade, la forme la plus simple ou les parties, les sous-ensembles faits de parties de l’ensemble, où ces parties sont figurables d’une façon qui nous satisfasse, pour remonter à ce qui se passe au niveau de la dyade et au niveau de la monade. Vous verrez qu’à interroger, non pas ces nombres premiers, mais ces premiers nombres, sera soulevée une difficulté dont le fait qu’elle soit une difficulté figurative, j’espère, ne nous empêchera pas de comprendre qu’elle est l’essence et de voir ce qu’il en est du fondement de l’UN.

 

note : bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance de m'adresser un email. Haut de Page relu ce 19 juillet 2005