IX-L'IDENTIFICATION
Séminaire du 28 mars 1962
(->p320) (XV/1)
A quoi nous sert la topologie de cette surface,
de
cette surface appelée tore, pour autant que son inflexion constituante, ce qui
nécessite ses tours et retours est ce qui peut nous suggérer le mieux la loi
à laquelle le sujet est soumis dans le processus de l'identification-?
Ceci bien sûr ne pourra finalement nous apparaître que quand nous aurons
effectivement fait le tour de tout ce qu'il représente et jusqu'à quel point
il convient à la dialectique propre au sujet en tant qu'elle est dialectique de
l'identification.
A titre donc de repère et pour que quand je
mettrai en valeur tel ou tel point, que j'accentuerai tel relief, vous
enregistriez, si je puis dire, à chaque instant le degré d'orientation, le
degré de pertinence par rapport à un certain but à atteindre de ce qu'à cet
instant j'avancerai, je vous dirai qu' à la limite ce qui peut s'inscrire sur
ce tore, pour autant que cela peut nous servir, va à peu près se symboliser
ainsi, que cette forme, ces cercles dessinés, ces lettres attenantes à chacun
de ces cercles, vont nous le désigner à l'instant. Le tore sans doute paraît
avoir une valeur privilégiée. Ne croyez pas que ce soit la seule forme de
surface non sphérique qui soit capable de nous intéresser ; je ne saurais trop
encourager ceux (->p321) (XV/2) qui
ont pour cela quelque
penchant, quelque facilité, à se rapporter à ce qu'on
appelle topologie algébrique et aux formes qu'elle vous propose dans ce quelque
chose qui, si vous le voulez, par rapport à la géométrie classique, celle que
vous gardez inscrite au fond de vos culottes du fait de notre passage dans
l'enseignement secondaire, se présente exactement dans l'analogie de ce que
j'essaie de vous faire sur le plan symbolique, ce que j'ai appelé une logique
élastique, une logique souple. Cela c'est encore plus manifeste pour la géométrie
dont il s'agit. Car la géométrie dont il s'agit dans la topologie algébrique
se présente elle-même comme la géométrie des figures qui sont en
caoutchouc. Il est possible que, les auteurs fassent intervenir ce caoutchouc,
ce "rubber" comme on dit en anglais, pour bien mettre dans l'esprit de
l'auditeur ce dont s'agit ; il s'agit de figures déformables et qui à travers
toutes les déformations restent en rapport constant. Ce tore n'est pas forcé
de se présenter ici dans sa forme bien remplie. Ne croyez pas que parmi les
surfaces qu'on définit, qu'on doit définir, qui sont celles qui nous intéressent
essentiellement, les surfaces closes, pour autant qu'en tout cas le sujet se présente
lui-même comme quelque chose de clos, les surfaces closes, qu'elle que soit votre
ingéniosité, vous voyez qu'il y a tout le champ ouvert aux inventions les plus
exorbitantes. Ne croyez pas d'ailleurs que l'imagination s'y prête de si bon gré au forgeage de ces formes
souples, complexes, qui s'enroulent, se nouent
avec elles-mêmes. Vous n'avez qu'à essayer de vous assouplir à la théorie
des noeuds pour vous apercevoir combien il est difficile déjà de se
représenter les combinaisons les plus simples ; encore ceci ne vous mènera-t-il
pas loin. Car on démontre que toute surface close, si compliquée soit-elle,
vous arriverez
Donc, tout peut se réduire à
l'adjonction à la forme d'une sphère avec un certain nombre de poignées plus
un certain nombre d'autres formes éventuelles.
J'espère que la séance avant les
vacances je pourrai vous initier à cette forme qui est bien amusante - mais quand je pense que
la plupart d'entre vous ici n'en soupçonnent même pas
Donc il y a là la possibilité sur la
surface d'une sphère quelconque comme venant à réaliser, à simplifier une
surface si compliquée, soit-elle, la possibilité de trous ; vous ne
pouvez pas aller au-delà, c'est-à-dire que quelque compliquée
que soit la surface que vous imaginiez, je veux dire par exemple quelque
compliquée que la surface que vous ayez à faire, vous ne pourrez jamais
trouver quelque chose de plus compliqué que ça. De sorte qu'il y a un certain
naturel à la référence au tore comme à la forme la plus simple intuitivement
, la plus accessible.
Ceci peut nous enseigner quelque chose.
Là-dessus je vous ai dit la signification que nous pouvions donner par
convention, artifice, à deux types de l'axe circulaire, pour autant qu'ils y
sont privilégiés. Celui qui fait le tour de ce qu'on peut appeler le cercle générateur
du tore, s'il est un tore de révolution pour autant que susceptible de se répéter
indéfiniment, en quelque sorte le même et toujours différent, il est bien
fait pour représenter pour nous l'instance signi-(->p324)
(XV/5)iante et spécialement l'insistance de
la demande répétitive, d'autre part ce qui est impliqué dans cette succession
de tours, à savoir une circularité accomplie tout en étant inaperçue par le
sujet qui se trouve pour nous offrir une symbolisation passive évident et en
quelque sorte maxima quant à la sensibilité intuitive de ce qui est impliqué
dans les termes mêmes du désir inconscient, pour autant que le sujet en suit
les voies et les chemins sans le savoir. A travers toutes ces demandes, il est
en quelque sorte à lui seul, ce désir inconscient, la métonymie de toutes ces
demandes, et vous voyez à l'incarnation vivante de ces références
auxquelles je vous ai assouplis, habitués tout au long de mon discours, nommément
à celui de 1a métaphore et de la métonymie.
Ici, la métonymie trouve en quelque
sorte son application la plus sensible comme étant manifestée par le désir en
tant que le désir est ce que nous articulons comme supposé dans la succession
de toutes les demandes en tant qu'elles sont répétitives. Nous nous trouvons
devant quelque chose où vous voyez que le cercle ici décrit mérite que nous
l'affections du symbole grand D, en tant que symbole de la Demande. Ce quelque
chose concernant le cercle intérieur doit bien avoir affaire avec ce que
j'appellerai le désir métonymique. Eh bien, il y a parmi ces cercles, l'essai
que nous pouvons en faire, un cercle privilégié qui est facile à décrire :
c'est le cercle qui partant de l'extérieur du tore trouve le moyen de se
boucler, non pas simplement de passer à travers le trou central, mais
d'envelopper le trou central sans pour autant passer par le trou central. Ce
cercle là a le privilège de faire les deux
Quel est
l'intérêt de ceci ? L'intérêt
de ceci est que si nous aboutissions à une dialectique élémentaire, à savoir
celle de l'opposition de deux demandes, si c'est à l'intérieur de ce même
tore
que je symbolise par un autre cercle analogue la demande de l'Autre avec ce
qu'il va comporter pour nous de "ou..., ou...","ou ce que je
demande", "ou ce que tu demandes" nous voyons ça tous les jours
dans la vie quotidienne, ceci pour rappeler que dans les conditions privilégiées
au niveau où nous allons la chercher, l'interroger dans l'analyse il faut que
nous nous souvenions de ceci, à savoir de l'ambiguïté qu'il y a toujours dans
l'usage même du terme "ou", "ou bien", ce terme de la
disjonction symbolisé en logique ainsi : a V b.
I1 y a deux usages de ce "ou...,
ou...". Ce n'est pas pour rien que la logique marquerait tous ses efforts
et, si je puis dire, fait effort pour lui conserver toujours les valeurs de l'ambiguïté,
à savoir pour montrer la connexion d'un "ou ..., ou ..." inclusif
avec un "ou ..., ou ..." exclusif.
Que le "ou..., ou" concernant
par exemple ces deux cercles peut vouloir dire deux choses : le choix entre un
des deux de ces cercles. Mais est-ce que cela veut dire que simplement
quant à la position du "ou ..., ou ..." il y ait
Le rapport du désir avec une certaine intersection
comportant certaines lois n'est pas simplement appelé pour mettre sur le
terrain, matter of fact, ce qu'on peut appeler le contrat, l'accord des demandes
; c'est, étant donné l'hétérogénéité profonde qu'il y a entre ce champ et
celui-ci, suffisamment symbolisé par ceci : ici nous avons affaire à la
fermeture de la surface et là à proprement parler à son vide interne.
C'est
cela qui nous propose un modèle qui nous montre qu'il s' agit d'autre chose que
de saisir la partie commune entre les demandes. En d'autres termes, il s'agira
pour nous de savoir dans quelle mesure cette forme peut nous permettre de
symboliser comme tels les constituants du désir, pour autant que le désir
pour le sujet est ce quelque chose qu'il a à constituer sur le
chemin de la demande. D'ores et déjà je vous indique qu'il y a deux
points, deux dimensions que nous pouvons privilégier dans ce cercle particulièrement
significatif dans la topologie du tore : c'est d'une part la distance qui
rejoint le centre du vide central avec ce point qui se trouve être, qui
peut se définir comme une sorte de tangence grâce à quoi un plan recoupant
le tore va nous permettre de dégager de la façon la plus simple ce cercle privilégié.
C'est cela qui nous donnera la définition, la mesure du petit a en tant qu'objet
du désir.
D'autre part, ceci pour autant qu'il n'est lui-même
repérable, définissable, que par rapport au diamètre même
Ceci dit, il est bien entendu que le
sujet, dans ce à quoi nous avons affaire à notre partenaire qui nous appelle
en ça que nous avons devant nous sous la forme de cet appel ; et ce qui vient
parler devant nous seul, ce qu'on peut définir et scander comme le sujet, seul
cela s'identifie. Ca vaut la peine de le rappeler parce que après tout, la pensée
glisse facilement. Pourquoi, si on ne met pas les points sur les i, on ne dirait
pas que la pulsion s'identifie et qu'une image s'identifie ? Ne peut être dit
avec justice s'identifier, ne s'introduit dans la pensée de Freud le terme
d'identification qu'à partir du moment où on peut à un degré quelconque,
même si ce n'est pas articulé dans Freud, considérer comme la dimension du sujet
- cela ne veut pas dire que ça ne nous mène pas beaucoup plus loin que
le sujet - cette identification.
La preuve là aussi
- je vous
rappelle ceci dont on ne peut savoir si c'est dans les antécédents, les
premiers ou dans le futur de mon discours que je le pointe - c'est que la
première forme d'identification et celle à laquelle on se
Vous le verrez, il n'y a aucun autre
moyen de la faire intervenir sinon de la rejoindre par une thématique qui a déjà
été élaborée, et depuis les traditions les plus antiques, mythiques, voire
religieuses sous le terme de "corps mystique". Impossible de ne pas
prendre les choses dans l'empan qui va de la conception sémitique primitive
: il y a du père de toujours à tous ceux qui descendent de lui identité de corps, mais à l'autre bout vous savez il y a
la notion que je viens d'appeler
par son nom, celle de corps mystique, pour autant que c'est d'un corps que se
constitue une église ; et ça n'est pas pour rien que Freud, pour définir
pour nous l'identité du moi dans ses rapports avec ce qu'il appelle à
l'occasion "Massen psychologie" se réfère à la corporéité
de l'Église.
(->p329)
(XV/10) Mais comment vous faire partir
de 1à sans prêter à toutes les confusions et croire que, comme le terme
mystique l'indique assez, c'est sur de tous autres chemins que ceux où notre expérience voudrait nous
entraîner, ce n'est que rétroactivement, en quelque sorte, revenant sur les
conditions nécessaires de notre expérience, que nous pourrons nous introduire
dans ce que nous suggère d'antécédence toute tentative d'aborder dans dans sa
plénitude la réalité de l'identification. L'abord donc que j'ai choisi dans
la deuxième forme de l'identification n'est pas de hasard , c'est parce que
cette identification est saisissable sous le mode de l'abord par le signifiant
pur , par le fait que nous pouvons saisir d'une façon clair et rationnelle un
biais pour entrer dans ce que ça veut dire l'identification du sujet pour autant que le
sujet met au monde le trait
unaire, plutôt que le trait unaire une fois détaché fait apparaître le sujet
comme celui qui compte, au double sens du terme.
L'ampleur de l'ambiguïté que vous pouvez donner
Chatterton et ses compagnons dans l'Antarctique plusieurs centaines de kilomètres de la côte, explorateurs livrés à la plus grande frustration, celle qui ne tient pas seulement aux |
carences plus ou moins élucidée à ce moment - car c'est un (->p330) (XV/11) un texte déjà d'une cinquantaine d'année - aux carences plus ou moins élucidées d'une alimentation spéciale qui est encore à l'épreuve à ce moment, mais qu'on peut dire désorientés dans un paysage, si je puis dire, encore vierge, non encore habité par l'imagination humaine, nous rapporte dans les notes bien singulières à lire qu'ils se comptait toujours un de plus qu'ils n'étaient, qu'ils ne s'y retrouvaient pas : "On se demandait toujours où était passé le manquant", le manquant qui ne manquait pas sinon de ceci que tout effort de compte leur suggérait toujours qu'il y en avait un de plus, donc un de moins.
Vous touchez là l'apparition à l'état nu du sujet qui n'est rien que cela, que la possibilité d'un signifiant de plus, d'un 1 en plus grâce à quoi il constate lui-même qu'il y en a un qui manque.
Si je vous rappelle cela c'est simplement pour pointer dans une dialectique comportant les termes les plus extrêmes où nous situons notre chemin et où vous pourrez croire et quelquefois vous demander même si nous n'oublions pas certaines références. Vous pouvez par exemple vous demander même quel rapport il y a entre le chemin que je vous ai fait parcourir et ces deux termes auxquels nous avons eu affaire, nous avons affaire constamment mais à des moments différents, de l'Autre et de la chose.
Bien sûr, le sujet
lui-même au dernier terme est destiné à la chose, mais sa loi, plus
exactement son fatum, est ce chemin qu'il ne peut décrire que par le passage
par l'Autre (->p331) (XV/12) en tant que l'Autre est marqué du
signifiant, et c'est dans l'en deçà de ce passage nécessaire par le signifiant
que se constituent comme tels le désir et son objet. L'apparition de cette
dimension de l'Autre et l'émergence du sujet, je ne saurais trop le rappeler
pour vous donner bien le sens de ce dont il s'agit et dont le paradoxe, je
pense, doit vous être suffisamment articulé en ceci que le désir, au sens -
entendez le - le plus naturel, doit et ne peut se constituer que
dans la tension créée par ce rapport à l'Autre, laquelle s'origine en ceci de
l'avènement du trait unaire en tant que d'abord et pour commencer de la chose
il efface toujours ce quelque chose tout autre chose que cet un qui a été à
jamais irremplaçable ; et nous trouvons là dès le premier pas - je vous
le fais remarquer en passant - la formule, là se termine la formule de
Freud : là où était la chose je dois advenir. Il faudrait remplacer à
l'origine par : "Wo es war, da durch den Ein", plutôt par "durch
den Eins" là par le un en tant que un, le trait unaire, "werde ich",
adviendra le "je" : tout du chemin est tout tracé à chaque point du
chemin.
C'est bien là que j'ai tenté de vous
suspendre la dernière fois en vous montrant le progrès nécessaire à cet
instant en tant qu'il ne peut s'instituer que par la dialectique effective qui
s'accomplit dans le rapport avec l'Autre.
Je suis étonné de l'espèce de matité
dans laquelle il m'a semblé que tombait mon articulation, pourtant soignée, du
Rien Peut-être et du Peut-être Rien. Qu'est-ce qu'il faut
donc pour vous y rendre sensibles ?
(->p332)
(XV/11) Peut-être que justement mon texte
à cet endroit et la spécification de leur distinction comme message en
question, puis comme réponse, mais pas au niveau de la question, comme
suspension de la question au niveau de la question, a été trop complexe pour
être simplement entendu de ceux qui ne l'ont pas noté dans ses détours afin
d'y revenir. Si déçu que je puisse être c'est forcément moi qui ai tort,
c'est pourquoi j'y reviens et pour me faire entendre. Est-ce
qu'aujourd'hui par exemple je ne vous suggérerai pas au moins la nécessité
d'y revenir ; et en fin de compte c'est simplement vous demandant : est-ce
que vous pensez que "rien de sûr" comme énonciation peut vous paraître
prêter au moindre glissement, à la moindre ambiguïté avec "sûrement
rien ?" C'est tout de même pas pareil. I1 y a la même différence entre le
"rien peut-être", et le "peut-être rien". Je
dirai même qu'il y a dans le premier, le "rien de sûr", la même vertu
de sapage de la question à l'origine qu'il y a dans "le rien peut-être".
Et même dans le "sûrement rien", il y a la même vertu de réponse éventuelle
sans doute, mais toujours anticipée par rapport à la question, comme c'est
facile à toucher du doigt, me semble-t-il, si je vous rappelle que c'est toujours avant toute question et pour des raisons de sécurité, si je puis
dire, qu'on apprend à dire, dans la vie quand on est petit,
(->p333)
(XV/14) Ainsi donc ce que nous voyons, c'est que
le sujet pour trouver la chose s'engage d'abord dans la direction opposée,
qu'il n'y a pas moyen d'articuler ces premiers pas du sujet, sinon par un rien
dont il est important de vous le faire sentir dans cette dimension même à la
fois métaphorique et métonymique du premier jeu signifiant parce que chaque
fois que nous avons affaire avec ce rapport du sujet au rien, nous autres
analystes, nous glissons régulièrement entre deux pentes : la pente commune
qui tend vers un rien de destruction, c'est la fâcheuse interprétation de
l'agressivité considérée comme purement réductible au pouvoir biologique
d'agression, qui n'est d'aucune façon suffisante, sinon par dégradation, à
supporter la tendance au rien telle qu'elle surgit à un certain stade nécessaire
de la pensée freudienne et juste avant qu'il ait introduit l'identification
dans l'instinct de mort.
L'autre, c'est une néantisation
qui s'assimilerait
Je voudrais, pour vous mener sur ce
chemin, vous paver la voie de fleurs. Je vais m'y essayer aujourd'hui, je veux
dire marquer mes intentions quand je vous dis que c'est à partir de la problématique
de l'au-delà de la demande que l'objet se constitue comme objet du désir
; je veux dire que c'est parce que l'Autre ne répond pas, sinon que "rien
peut-être", que le pire n'est pas toujours sûr, que le sujet va
trouver dans un objet les vertus mêmes de sa demande initiale. Entendez que
c'est pour vous paver la voie de fleurs que je vous rappelle ces vérités d'expérience
commune, dont on ne reconnaît pas assez la signification, et tacher de vous
faire sentir que ce n'est pas par hasard, analogie, comparaison, ni seulement
fleur mais affinités profondes qui me feront vous indiquer l'affinité au
terme de l'objet à cet Autre - avec un grand A - en tant par
exemple qu'elle se manifeste dans l'amour, que le fameux morceau d'Eliante dans
le Misanthrope est repris du "De natura rerum" de Lucrèce .
"La pâle est aux jasmins en
blancheur comparable... La noire à faire peur une brune adorable ; La maigre a de la taille et de la liberté, La grasse est dans son port pleine de majesté, La malpropre, sur soi de peu d'attraits chargée Est mise sous le nom de beauté négligée ..." |
(->p335)
(XV/16) Ce n'est rien d'autre que le signe
impossible à effacer de ce fait que l'objet du désir ne se constitue que dans
le rapport à l'Autre en tant que lui-même s'origine de la valeur du
trait unaire. Nul, privilège dans l'objet sinon dans cette valeur absurde donnée
à chaque trait d'être un privilège.
Que faut-il encore d'autre pour
vous convaincre de la dépendance structurale de cette constitution de 1'objet
(objet du désir) par rapport à 1a dialectique initiale du signifiant, en
tant qu'elle vient échouer sur la non-réponse de l'Autre, sinon le
chemin déjà parcouru par nous de la recherche sadienne que je vous ai
longuement montré - et si c'est perdu, sachez tout au moins que je me
suis engagé à y revenir dans une préface que j'ai promise à une édition de
Sade - que nous ne pouvons méconnaître avec ce que j'appelle ici
l'affinité structurante de ce cheminement vers l'Autre en tant qu'il détermine
toute institution de l'objet du désir ; que nous voyons dans Sade à chaque
instant mêlées, tressées l'une avec l'autre l'invective - je dis
l'invective contre l'Être Suprême, sa négation n'étant qu'une forme de
l'invective même si c'en est la négation la plus authentique - absolument tissée avec ce que j'appellerai, pour en approcher, l'aborder un
peu, non pas tant la destruction de l'objet que ce que nous pourrions prendre
d'abord pour son simulacre parce que vous savez l'exceptionnelle résistance des
victimes du mythe sadien à toutes les épreuves par où elles font passer le
texte romanesque. Et puis quoi, qu'est-ce que veut dire cette sorte de
transfert à la mère incarnée dans la nature d'une certaine et fondamentale
Enfin de compte au dernier terme, Sade
l'a dit
(->p337)
(XV/18) S'il y a autre chose que j'ai à vous
rappeler ici pour scander suffisamment la légitimité de l'inclusion nécessaire
de l'objet du désir dans ce rapport à l'Autre en tant qu'il implique la marque
du signifiant comme tel, je vous la désignerai moins dans Sade comme dans un de
ses commentaires récents, contemporains les plus sensibles, voire les plus
illustres. Ce texte paru tout de suite après la guerre dans un numéro des
Temps Modernes, réédité récemment par les soins de notre ami
Jean-Jacques Pauvert dans l'édition nouvelle de la première version de
Justine, c'est
la préface de Paulhan. Un texte comme celui-là ne peut
nous être indifférent, pour autant que vous suivez ici les détours de mon
discours ; car il est frappant que ce soit par les seules voies d'une rigueur rhétoricienne
- vous le verrez qu'il n'y a pas d'autre guide au discours de Paulhan,
l'auteur de "Fleurs de Tarbes" - que le dégagement par lui si
subtil j'entends par ces voies de tout ce qui a été articulé jusqu'à présent
sur le sujet de la signification du sadianisme, à savoir ce qu'il appelle
"complicité de l'imagination sadienne avec son objet", c'est-à-dire
la vue de l'extérieur, je veux dire par l'approche qu'en peut faire une
analyse littérale, la vue la plus sûre, la plus stricte que l'on puisse donner
de l'essence du masochisme, dont justement il ne dit rien si ce n'est qu'il nous
fait très bien sentir que c'est dans cette voie, que c'est là le dernier mot
de la démarche de Sade, non pas à la jurer cliniquement et en quelque sorte du
dehors où pourtant le résultat est manifeste. Il est difficile de mieux
s'offrir à tous les mauvais traitements de 1a société que Sade ne l'a fait à
chaque instant, mais ce n'est pas là l' essentiel, l'essentiel étant suspendu
dans ce texte de Paulhan, (->p338) (XV/19) que je vous prie de lire, qui ne procède
pas que par les voies
(->p339) (XV/20) Tout ceci, ces détours, ce chemin pavé par des fleurs de Tarbes précisément ou des fleurs littéraires, pour bien vous marquer ce que je veux dire quand je parle de ce que j'ai pour vous accentué : à savoir la perturbation profonde de la jouissance en tant que la jouissance se définit par rapport à la chose, par la dimension de l'Autre comme tel en tant que cette dimension de l'Autre se définit par m'introduction du signifiant.
Encore trois petits pas en avant et puis je remettrai à la prochaine fois la suite de ce discours dans la crainte que vous ne sentiez trop quelle fatigue grippale m'abrite aujourd'hui.
Jones est un curieux personnage dans l'histoire de l'analyse : par rapport à
l'histoire de l'analyse ce qu'il impose à mon esprit, je vous le dirai tout de
suite pour continuer ce chemin de fleurs d'aujourd'hui, c'est quelle diabolique
volonté de dissimulation il pouvait bien y avoir chez Freud pour avoir confié
à ce rusé Galois, comme tel à trop courte vue, pour qu'il n'aille pas trop
loin dans le travail qui lui était confié, le soin de sa propre biographie.
C'est là dans l'article sur le symbolisme que j'ai consacré à l'oeuvre de
Jones, ce qui ne signifie pas simplement le désir de clore mon article sur une
bien bonne, ce qui signifie ce sur quoi j'ai conclu, à savoir la comparaison de
l'activité du rusé Galois avec le travail du ramoneur. Il a en effet fort bien
ramoné tous les tuyaux et on pourra me rendre cette justice que dans le dit
article (->p340) (XV/21) je l'ai suivi dans tous les détours de la
journée jusqu'à sortir avec lui tout noir par la porte qui débouche sur le
salon, comme vous vous le rappelez peut-être. Ce qui m'a valu de la part
d'un autre membre éminent de la Société analytique, un de ceux que j'apprécie
et aime le plus, gallois aussi, l'assurance dans une lettre qu'il ne comprenait
vraiment absolument rien à l'utilité que je croyais apparemment trouver dans
cette minutieuse démarche.
Jones n'a jamais rien fait de plus dans
sa biographie pour marquer quand même un peu ses distances que d'apporter une
petite lumière extérieure, à savoir les points où la construction freudienne
se trouve en désaccord, en contradiction avec l'évangile darwinien, ce qui est
tout simplement de sa part une manifestation proprement grotesque de supériorité
chauvine.
Jones donc, au cours d'une oeuvre dont le cheminement est
passionnant en raison de ses méconnaissances même, à propos spécialement du stade phallique et de son expérience
exceptionnellement abondante des homosexuelles féminines, Jones rencontre le
paradoxe du complexe de castration qui constitue assurément le meilleur de tout
ce à quoi il a adhéré - et bien fait d'adhérer - pour articuler
son expérience et où littéralement il n'a jamais pénétré que ça. La
preuve, c'est l'introduction de ce terme, certes maniable, à condition qu'on
sache quoi en faire, à savoir qu'on sache y repérer ce qu'il ne faut pas faire
pour comprendre la castration : le terme d'aphanisis. Pour définir 1e sens de
ce que je peux appeler sans rien forcer ici l'effet d'oedipe, Jones nous dit
quelque chose qui
Si je m'y arrête, c'est pour donner à
ce choix
Est-ce que c'est même concevable d'abord dans le fait d'expérience, au point
où Freud le fait entrer en (->p342) (XV/23)
jeu dans une des issues possibles
- et je l'accorde - exemplaires du conflit freudien, celui de
l'homosexuelle féminine ? Regardons y de près. Ce désir qui disparaît à
quoi, sujet, tu renonces, est-ce que notre expérience ne nous apprend pas
que ça veut dire que dès lors ton désir va être si bien caché qu'il peut
un temps paraître absent ? Disons même à la façon de notre surface du
cross-cap ou de la mitre : il s'inverse dans la demande. La demande ici,
une fois de plus, reçoit, son propre message sous une forme inversée. Mais en
fin de compte, qu'est-ce que ça veut dire ce désir
caché sinon ce que nous appelons et découvrons dans l'expérience
comme désir refoulé ? I1 n' y a en tout cas qu'une seule chose que nous savons
fort bien que nous ne trouverons jamais dans le sujet : c'est la crainte du
refoulement en tant que telle, au moment même où il s'opère, dans son
instant. S'il s'agit dans l'aphanasis de quelque chose qui concerne le désir,
il est arbitraire étant donnée la façon dont notre expérience nous apprend
à le voir se dérober.
Il est
impensable qu'un analyste
articule que dans la conscience puisse se former quelque chose qui serait la
crainte de la disparition du désir. Là où le désir disparaît, c'est-à-dire
dans le refoulement, le sujet est complètement inclus, non détaché de cette
disparition. Et nous le savons : l'angoisse, si elle se produit, n'est jamais de
la disparition du désir, mais de l'objet qu'il dissimule, de la vérité du désir,
ou si vous voulez encore de ce que nous ne savons pas du désir de l'Autre.
Toute interrogation de la conscience concernant le désir comme pouvant défaillir
ne peut être que complicité. Conscius veut dire complice d'ailleurs, ce en
quoi ici
Donc l'aphanasis expliquée comme source de l'angoisse
(->p344) 5XV/25) Pourquoi est-ce là que vient
surgir la fonction du phallus, là où en effet tout serait sans lui si facile
à comprendre malheureusement d'une façon tout à fait extérieure à l'expérience
? Pourquoi la chose du phallus, pourquoi le phallus vient-il comme mesure
au moment où il s'agit de quoi ? du vide inclus au coeur de la demande,
c'est-à-dire de l'au-delà du Principe du Plaisir, de ce qui
fait de la demande sa répétition éternelle, c'est-à-dire de ce
qui constitue la pulsion. Une fois de plus, nous voici ramenés à ce point que
je ne dépasserai pas aujourd'hui que le désir se construit sur le chemin d'une
question qui le menace et qui est du domaine du "n'être", que
vous me permettrez d'introduire ici avec ce jeu de mots. Une réflexion
terminale m'a été suggérée ces jours-ci avec la présentification toujours quotidienne de la façon dont il convient d'articuler décemment, et non
pas seulement en ricanant, 1es principes éternels de l'Église ou les détours
vacillants des diverses lois nationales sur le Birth Control, à savoir que la
première raison d'être, dont aucun législateur jusqu'à présent n'a fait
état pour la naissance d'un enfant, c'est qu'on le désire et que nous qui
savons bien le rôle de ceci - qu'il a été ou non désiré - sur tout le développement
du sujet ultérieur, il ne semble pas que nous ayons éprouvé le besoin de
rappeler pour l'introduire, le faire sentir à travers cette discussion ivre qui
oscille entre les nécessités utilitaires évidentes d'une politique démographique et la crainte angoissante
- ne l'oubliez pas - des
abominations qu'éventuellement l'eugénisme nous promettrait.
C'est
un premier pas, un tout petit pas,
mais un pas essentiel - et combien à mettre à l'épreuve, vous 1e ver-(->p345)
(XV/26)rez- départageant d'une telle possibilité de
choisir, que de faire remarquer le rapport constituant effectif dans toute
destinée future soit-disant à respecter comme le mystère essentiel de
l'être à venir qu'il ait été désiré et pourquoi.
Rappelez-vous qu'il arrive souvent que le
fond du
note: bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire,
ou si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par
avance de m'adresser un émail.
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relu en septembre 2002