IX-L'IDENTIFICATION
Séminaire du 21 mars 1962
(->p298)
(XIV/1)
+
(Schéma I)
Je vous ai laissés la dernière fois au niveau de
cet embrassement symbolique des deux tores où s'incarne imaginairement le
rapport d'interversion, si l'on peut dire ; vécu par le névrosé dans la mesure
sensible, clinique, où nous voyons qu'apparemment au moins c'est dans une dépendance
de la demande de l'Autre qu'il essaie de fonder, d'instituer son désir. Bien sûr,
il y a là quelque chose de fondé dans cette structure que nous appelons la
structure du sujet en tant qu'il parle, qui est celle pour laquelle nous
fomentons pour vous cette topologie du tore que nous croyons très fondamentale.
Il a la fonction de ce qu'on appelle ailleurs en topologie le groupe
fondamental, et après tout ce sera la question à quoi il faudra que nous
indiquions une réponse. J'espère que cette réponse, au moment où il faudra
la donner, sera vraiment surabondamment déjà dessinée.
Pourquoi si c'est là la structure fondamentale,
a-t-elle été de si longtemps et de toujours si profondément méconnue
par la pensée philosophique, pourquoi si c'est ainsi
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+ Les schémas numérotés sont en fin du séminaire
XIV, page 319.
(les schémas indiqués ci-dessus ne sont pas joints à la
séance du 21 Mars 1963 dans la version " rue CB ", par contre une page
-non paginée- de schémas -non numérotés- jointe à la séance du 28 Mars 1962 me semble
correspondre à ce séminaire. Je la joins donc comme page 319 . Sûrement une
erreur de classement ! -Le claviste-)
(->p299)
(XIV/2) l'autre topologie, celle de la sphère,
qui traditionnellement paraît dominer toute l'élaboration de la pensée
concernant son rapport à la chose.
Reprenons les choses où nous les avons
laissées la dernière fois et où je vous indiquais ce qui est impliqué dans
notre expérience même : il y a dans ce noeud avec l'Autre, pour autant qu'il
nous est offert comme une première approximation sensible, peut-être
trop facile - nous verrons qu'il l'est assurément - il y a dans ce
noeud avec l'Autre, tel qu'il est ici imagé, un rapport de leurre. Retournons
ici à l'actuel, à l'articulé de ce rapport à l'Autre. Nous le connaissons.
Comment ne le connaîtrions-nous pas quand nous sommes chaque jour le
support même de sa pression dans l'analyse et que le sujet névrosé, à qui
nous avons affaire fondamentalement, devant nous, se présente comme exigeant de
nous la réponse, ceci même si nous lui enseignons le prix qu'il y a, cette réponse,
à la suspendre.
La réponse sur quoi ? C'est bien là ce
qui justifie notre schéma, pour autant qu'il nous montre, l'un à l'autre se
substituant, désir et demande ; c'est justement que la réponse, c'est sur son
désir et sur sa satisfaction. Ce sans doute à quoi aujourd'hui je serai à peu
près certainement limité par le temps qui m'est donné, c'est à bien
articuler à quelles coordonnées se suspend cette demande faite à l'Autre,
cette demande de réponse, laquelle spécifie dans sa raison vraie sa raison
dernière, auprès de quoi toute approximation est insuffisante, celle qui dans
Freud s'épingle comme Versagen,
Le rapport essentiel de la frustration
à laquelle nous avons affaire, à la parole est le point à soutenir, à
maintenir toujours radical, faute de quoi notre concept de la frustration se dégrade
: elle dégénère jusqu'à se réduire au défaut de gratification concernant
ce qui au dernier terme ne peut plus être conçu que comme le besoin. Or, il
est impossible de ne pas rappeler ce que le génie de Freud nous avère
originellement quant à la fonction du désir, ce dont il est parti dans ses
premiers pas - laissons de côté les lettres à Fliess, commençons à
la "Science des rêves" et n'oublions pas que "Totem et
Tabou" était son livre préféré - lequel génie de Freud nous avère
est ceci que le désir est foncièrement, radicalement structuré par ce noeud
qui s'appelle Oedipe, et d'où il est impossible d'éliminer ce noeud interne
qui est ce que j' essaie de soutenir devant vous par ces figures, ce noeud in
(->p302)
(XIV/5) Voilà où se constitue le champ commun
dans lequel
Nous
avons devant nous le chemin qui
nous reste à parcourir de ce sommet où je vous ai amenés la dernière fois de
la dominance de l'autre dans l'institution du rapport frustrant ; la seconde
partie du chemin doit nous mener de la frustration à ce rapport à définir qui
constitue comme tel le sujet dans le désir, et vous savez que c'est là seulement que nous pourrons convenablement articuler la castration. Nous ne
saurons donc au dernier terme ce que veut dire cette place d'ex-sistence que
quand ce chemin sera achevé. Dès maintenant, nous pouvons, nous devons même
rappeler, mais rappeler ici au philosophe le moins introduit à notre
expérience,
ce point singulier à le voir si souvent se dérober à son propre discours, c'est qu'il y a bien une question, à savoir ce pourquoi il faut que le sujet soit
représenté - et j'entends au sens freudien représenté par un représentant
représentatif - comme exclu du champ même où il a à agir dans des
rapports disons lewiniens avec les autres comme individus, qu'il faut au niveau
de la
Réfléchissez sur ces petits problèmes
jamais épuisés - car les logiciens de la langue s'y exercent et leurs
balbutiements sont là plus qu'instructifs - qu'aussi souvent
Le même jour où je vous en parlais
ici, je me suis détourné de citer ce que je venais de lire dans le Canard Enchaîné
à la fin de ces morceaux de bravoure qui se poursuivent sous la
signature d'André Ribaud avec pour titre la Cour "Il ne faut pas se
décombattre (dans
un style pseudo-Saint-Simonien, de même que Balzac écrivait une
langue du XVIème siècle entièrement inventée par lui) de quelque défiance
des rois".
Vous comprenez parfaitement ce que cela
veut dire.
Essayez de l'analyser logiquement et
vous voyez que cela dit exactement le contraire de ce que vous comprenez ; et
vous
Si le tore comme tel peut nous servir, vous le
En faut-il beaucoup plus, et toute une littérature
qui culmine dans l'oeuvre de Kafka peut nous faire apercevoir qu' il suffit de
retourner ce que, parait-il, la dernière fois je
Que veut dire ce rappel si ce n'est pour nous, au (->p308)
(XIV/11) point où nous avons à nous avancer, que si ce rapport de
structure est si naturel qu'à condition
d'y penser nous trouvions partout et fort loin enfoncées ses racines dans la
structure des choses, le fait que quand il s'agit que la pensée s'organise, le
rapport du sujet au monde elle le méconnaisse au cours des âges si
abondamment, pose justement la question de savoir pourquoi il y a là si loin
poussé refoulement, disons à tout le moins méconnaissance.
Ceci nous ramène à notre départ qui
est celui du rapport à l'Autre, en tant que je l'ai appelé, fondé sur quelque leurre qu'il s'agit maintenant d'articuler bien ailleurs
Ce
graphe qui s'inscrirait si bien ici (Schéma II) dans la béance même par où
le sujet se raccorde
(->p310) (XIV/13) Que le peut-être au niveau de la
demande mise en question : "Qu'est-ce que je veux ?" parlant à
l'Autre, que le peut-être vient ici en position homologique à ce qui au
niveau du message constituait la réponse éventuelle "peut-être
rien", c'est la première formulation du message. "Peut-être
rien", ce peut être une réponse, mais est-ce la réponse à la
question "rien peut-être ?" Justement pas. Ici l'énonciatif
"rien" comme posant la possibilité du non lieu de conclure d'abord
comme antérieure à la cote d'existence, à la puissance d'être, cet énonciatif
au niveau de la question prend toute sa valeur d'une substantivation du néant
de la question elle-même. La phrase "rien peut-être"
s'ouvre, elle, sur la probabilité que rien ne la détermine comme question, que
rien ne soit déterminé du tout, qu'il reste possible que rien ne soit sûr,
qu'il est possible qu'on ne puisse pas conclure si ce n'est par le recours à
l'antériorité infinie du Procès kafkaïen, qu'il y ait pure subsistance de la
question avec impossibilité de conclure.
Seule l'éventualité du réel permet
de déterminer quelque chose et la nomination du néant de la pure subsistance
de la question, voile ce à quoi, au niveau de la question elle-même,
nous avons affaire. "Peut-être rien" pouvait être au niveau du
message une réponse, mais le message n'était justement pas une question.
"Rien peut-être ?" au niveau de la question, ne donne qu'une métaphore,
à savoir la puissance d'être est de l'au-delà, toute éventualité y a
disparu déjà et toute subjectivité aussi. I1 n'y a qu'effet de sens, renvoi
du sens au sens à l'infini, à ceci près que, pour nous analystes, nous
nous sommes habitués par expérience à structurer ce renvoi sur deux plans et
que c'est cela qui change tout, à savoir que la métaphore pour nous
C'est donc en ce point précis, précieux
pour l'articulation de la différence de l'énonciation à l'énoncé, qu' il
nous fallait un instant nous arrêter. Cette possibilité du rien, si elle n'est
pas préservée, c'est ce qui nous empêche de voir, malgré cette omni-présence
qui est au principe de toute articulation possible proprement subjective, cette
béance qui est également très précisément incarnée dans le passage
du signe au signifiant où nous voyons apparaître ce qu'est ce qui distingue le
sujet dans cette différence : est-il signe en fin de compte, lui ou
signifiant ?
Signe, signe
de quoi ? I1 est justement
le signe de rien. Si le signifiant se définit comme représentant le sujet auprès
d'un autre signifiant - renvoi indéfini des sens - et si ceci signifie
quelque chose, c'est parce que le signifiant signifie auprès de l'autre
signifiant cette chose privi
L'Autre ne répond donc rien si ce n'est
que rien
(->p313)
(XIV/16) Le désir ainsi se constitue d'abord de
sa nature comme ce qui est caché à l'Autre par structure ; c'est l'impossible
à l'Autre justement qui devient le désir du sujet. Le désir se constitue
comme la partie de la demande qui est cachée à l'Autre. Cet Autre qui ne
garantit rien justement en tant qu'Autre, en tant que lieu de la parole, c'est là
qu'il prend son incidence édifiante. I1 devient le voile, la couverture, le
principe d'occultation de la place même du désir et c'est là que l'objet va
se mettre à couvert, que s'il y a une existence qui se constitue d'abord c'est
celle-là et qu'elle se substitue à l'existence du sujet lui-même
puisque le sujet en tant que suspendu à l'Autre reste également suspendu à
ceci que du côté de l'Autre rien n'est sûr sauf justement qu'il cache, qu'il
couvre quelque, chose qui est cet objet, cet objet qui n'est encore peut-être
rien en tant qu'il va devenir l' objet du désir.
L'objet du désir existe comme ce rien
même dont l'Autre ne peut savoir que c'est tout ce en quoi il consiste ; ce
rien en tant que caché à l'Autre prend consistance, il devient l'enveloppe
de tout objet devant quoi la question même du sujet s'arrête pour autant que
le sujet alors ne devient plus qu'imaginaire. La demande est libérée de la
demande de l'Autre dans la mesure où le sujet exclut ce non savoir de l'Autre.
Mais il y a deux formes possibles d'exclusion: "je m'en lave les mains de ce
que vous savez ou de ce que vous ne savez pas, et j'agis" "vous n'êtes
pas sans ignorer" veut dire à quel point je m'en moque que vous sachiez ou
que vous ne sachiez pas. Mais il y a aussi l'autre façon ; "il faut
Qu'est-ce que fait l'homme aux rats
en se levant la nuit comme Théodore ? I1 se traîne en savates vers le couloir
pour ouvrir la porte au fantôme de son père mort pour lui montrer quoi ? Qu'il
est en train de bander. Est-ce que ce n'est pas là la révélation d'une
conduite fondamentale ? Le névrosé veut que, faute de pouvoir, puisqu'il
appert que l'Autre ne peut rien, à tout le moins il sache. Je vous ai parlé
tout à l'heure d'engagement : le névrosé, contrairement à ce qu'on croit,
est, quelqu'un qui s'engage comme sujet. I1 se ferme à l'issue double du message
et de la question ; il se met lui même en balance pour trancher entre le
"rien peut-être" et le "peut-être rien", il se
pose comme réel en face de l'Autre ; c'est-à-dire comme impossible.
Sans doute ceci vous apparaîtra mieux de savoir comment ça se produit. Ce
n'est pas pour rien qu'aujourd'hui j'ai fait surgir cette image du Théodore
freudien dans son exhibition nocturne et fantasmatique, c'est qu'il y a bien
quelque médium, et pour mieux dire, quelque instrument à cette incroyable
transmutation de l'objet du désir à l'existence du sujet et que c'est justement le phallus. Mais ceci est
Vous ne comprendrez rien à
l'obsessionnel si vous ne vous souvenez pas de cette dimension qu'il
incarne, lui l'obsessionnel, en ceci qu'il est de trop -c'est sa forme de
l'impossible à lui - et que dés qu'il essaie de sortir de sa position
embusquée d'objet caché, il faut qu'il soit l'objet de nulle part. D'où cette
espèce d'avidité presque féroce chez l'obsessionnel d'être celui qui est
partout pour n'être justement nulle part.
Le goût d'ubiquité de l'obsessionnel
est bien connu, et faute de le repérer vous ne comprendrez rien à la plupart
de ses comportements. La moindre des choses, puisqu'il ne peut pas être partout,
c'est d'être en tous les cas en plusieurs endroits à la fois, c'est-à-dire
qu'en tout cas nulle part on ne puisse le saisir.
L'hystérique a un autre mode qui est le
même bien sûr, puisque la racine de celui-ci, quoique moins facile,
moins immédiat à comprendre. L'hystérique aussi peut se poser comme réel en
tant qu'impossible. Alors son truc, c'est que cet impossible subsistera si
l'Autre l'admet comme signe. L'hystérique se pose comme signe de quelque chose
à quoi l'Autre pourrait croire ; mais pour constituer ce signe elle est bien réelle
Voici donc où aboutit cette structure,
cette dialectique fondamentale toute entière reposant sur la défaillance dernière
de l'Autre en tant que garantie du sûr. La réalité du désir s'y institue et
y prend place par l'intermédiaire de quelque chose dont nous ne signalerons
jamais assez le paradoxe, la dimension du caché, c'est à dire la dimension qui
est bien la plus contradictoire que l'esprit puisse construire dès qu'il s'agit
de la vérité. Quoi de plus naturel que l'introduction de ce champ de la vérité
si ce n'est la position d'un Autre omniscient, au point que le
philosophe le plus aigu, le plus acéré, ne peut faire tenir la dimension même
de la vérité, qu'à supposer que c'est cette science de celui qui sait tout
qui lui permet de se soutenir.
Et pourtant rien de la réalité de
l'homme, rien de ce qu'il quête ni de ce qu'il suit ne se soutient que de
cette dimension du caché, en tant que c'est elle qui infère la garantie qu'il
y a un objet bien existant et qu'elle donne par réflexion cette dimension du
caché ; en fin de compte c'est elle qui donne sa seule consistance à cette
autre problématique. La source de toute foi et de la foi en Dieu éminemment
est bien ceci que nous nous déplaçons dans la dimension même de ce que bien
que le miracle de ce qu'il doit tout savoir lui donne en somme toute sa
subsistance, nous agissons comme si toujours les neuf dixièmes de nos
intentions, il n'en savait rien. "Pas un mot à la Reine mère", tel
est le principe sur lequel toute constitution subjective se déploie et se déplace.
(->p317)
(XIV/20) Est-ce qu'il n'est pas possible
que se conçoive une conduite à la mesure de ce véritable statut du désir et
est-ce qu'il est même possible que nous ne nous apercevions pas que rien, pas un
pas de notre conduite éthique ne peut, malgré l'apparence, malgré le
bavardage séculaire du moraliste, se soutenir sans un repérage exact de la
fonction du désir ? Est-il possible que nous nous contentions d'exemples
aussi dérisoires que celui de Kant quand, pour nous révéler la dimension
Est-ce que ce n'est pas là que
commence la dimension morale qui n'est pas de savoir quel devoir nous devons
remplir ou non vis à vis de la vérité, ni si notre conduite tombe ou non sous
le coup de la règle universelle, mais si nous devons ou non satisfaire au désir
du tyran ?
(->p318)
(XIV/21) Là est la balance éthique à
proprement parler ; et c'est à ce niveau que sans faire intervenir aucun
dramatisme externe - nous n'en avons pas besoin - nous avons aussi
à faire à ce qui, au terme de l'analyse, reste suspendu à l'Autre. C'est pour
autant que la mesure du désir inconscient au terme de l'analyse reste encore
impliquée dans ce lieu de l'Autre que nous incarnons comme analystes, que Freud
au terme de son oeuvre peut marquer comme irréductible le complexe de castration comme par le sujet inassumable.
Ceci je l'articulerai la prochaine fois,
me faisant fort de vous laisser à tout le moins entrevoir qu'une juste définition
de la fonction du phantasme et de son assomption par le sujet nous permet
peut-être d'aller plus loin dans la réduction de ce qui est apparu
jusqu'ici à l'expérience comme une frustration dernière.
note: bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire,
ou si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par
avance de m'adresser un émail.
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commentaire
relu en septembre2002