J.LACAN                   gaogoa

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séminaire XIX - ... Ou pire ...1971-1972
                 
version rue CB

10 Mai 1972                  note

 

     (p95->) Il m’est difficile, il m’est difficile de vous frayer 1a voie dans un discours qui ne vous intéresse " pas-tous ". Je veux dire comme " pas-tous ", et même j’ajoute : que comme « pas-tous ». Une chose est évidente, c’est le caractère-clef dans la pensée de Freud du « Tous ». La notion de foule qu’il hérite de cet imbécile qui s’appelait Gustave Lebon lui sert à entifier ce tous. Il n’est pas étonnant qu’il y découvre la nécessité d’un " il existe ", dont, à cette occasion. il ne voit que l’aspect qu’il traduit comme le trait unaire : " der einziger Zug ". Le trait unaire n’a rien à faire avec " l’Y a d’ l’UN " que j’essaye de serrer cette année au titre qu’il n’y a pas mieux à faire, ce que j’exprime par « ... ou pire », dont ce n’est donc pas pour rien que j’ai dit le dire adverbialement. J’indique tout de suite : le trait unaire est ce dont se marque la répétition comme telle. La répétition ne fonde aucun « Tous », ni n’identifie rien parce que tautologiquement, si je puis dire, il ne peut pas y en avoir de première. C’est en quoi toute cette psychologie de quelque chose qu’on traduit par " des foules ", psychologie des foules, loupe ce qu’il s’agirait d’y voir avec un peu plus de chance : la nature du « pas-tous » qui la fonde, nature qui est celle justement de « la femme » – à mettre entre guillemets – qui pour le père Freud a constitué jusqu’à la fin le problème, le problème de ce qu’elle veut – je vous ai déjà parlé de ça.

    Mais revenons à ce que j’essaye cette année de filer pour vous. N’importe quoi, c’est vrai, peut servir à écrire l’UN de répétition. Ce n’est pas qu’il ne soit rien, c’est qu’il s’écrit avec n’importe quoi, pour peu que ça soit facile à répéter en figure. Rien de plus facile à figurer pour l’être qui se trouve en charge de faire que dans le langage ça parle, rien de plus facile à figurer que ce qu’il est fait pour reproduire naturellement, à savoir, comme on dit, son semblable ou son type, non  pas qu’il sache d’origine faire sa figure, mais elle le marque et ça, il peut le lui rendre, lui rendre la marque qui justement est le trait unaire. Le trait unaire est le support de ce dont je suis parti sous le nom de stade du miroir, c’est-à-dire d’identification imaginaire. Mais non seulement ce pointage d’un support typique, c’est-à-dire imaginaire, la marque comme telle, le trait unaire, ne constitue pas un jugement de valeur comme il m’est revenu – on l’a dit – que je faisais – un jugement de valeur du type : imaginaire : caca !, symbolique : miam-miam ! ; mais tout ce que j’ai dit, écrit, inscrit dans des graphes, schématisé dans le modèle optique à l’occasion, où le sujet se réfléchit dans le trait unaire et où c’est seulement à partir de 1à qu’il se repère comme Moi-Idéal, tout cela insiste justement sur ce que l’identification imaginaire s’opère par une marque symbolique. De sorte que qui dénonce ce manichéisme – le jugement de valeur : pouah ! – dans ma doctrine démontre seulement ce qu’il en est, pour m’avoir entendu ainsi depuis le début de mon discours dont il est pourtant contemporain : un porc pour se dresser sur ses pattes et faire le porc debout, n’en reste pas moins le porc qu’il était de souche, mais il n ’y a que lui pour s’imaginer qu’on s’en souvient.

    Pour revenir à Freud dont je n’ai fait jusque-là que commenter la fonction qu’il a introduite sous le nom de narcissisme, c’est bien de (p96->) l’erreur qu’il a commise en liant le moi sans relais à sa " Massen-Psychologie " que relève l’incroyable de l’institution dont il a projeté ce qu’il appelle l’économie du psychisme, c’est à savoir l’organisation à quoi il a cru devoir confier la relance de sa doctrine. Il l’a voulue telle pour quoi ? Pour constituer la garde d’un noyau de vérité. C’est ainsi que Freud l’a pensé. Et c’est bien ainsi aussi que ceux qui s’avèrent être les fruits de cette conception s’expriment pour même, s’ils déclarent modeste ce noyau, s’en attirer la considération. Ce qui, du point où les choses en sont maintenant dans l’opinion, est comique. Il suffit pour le faire apparaître d’indiquer ce qu’implique cette sorte de garant : une école de sagesse. Voilà comment de toujours on aurait appelé ça. L’est-ce ? La sagesse, comme il apparaît du livre même de la patience, de la sapience qu’est l’Ecclésiaste, c’est quoi ? C’est comme il est dit clairement : c’est le savoir de la jouissance. Tout ce qui se pose comme tel se caractérise comme ésotérique et l’on peut dire qu’il n ’y a pas de religion, hors de la chrétienne, qui ne s’en pare – avec les deux sens du mot. Dans toutes les religions, la bouddhique et aussi bien la mahométane, sans compter 1es autres, il y a cette parure et cette façon de se parer, je veux dire de marquer la place de ce savoir de la jouissance. Ai-je besoin d’évoquer les tantras pour l’une de ces religions, les soufis pour l’autre. C’est ce dont s’habilitent aussi les philosophies présocratiques et c’est ce avec quoi rompt Socrate qui y substitue – et on peut dire nommément – la relation à l’objet a qui n’est rien d’autre que ce qu’il appelle âme. Cette opération s’illustre suffisamment du partenaire qui lui est donné dans le " Banquet " sous l’espèce parfaitement historique d’Alcibiade, autrement dit de la frénésie sexuelle, à quoi aboutit normalement le discours du Maître, si je puis dire, absolu, c’est-à-dire qu’il ne produit rien que la castration symbolique, je rappelle la mutilation des Hermès, je l’ai fait en son temps quand, de ce " Banquet " je me suis servi pour articuler le transfert ( Voir Séminaire " Sur le Transfert ", 1960-6l ) . Le savoir de la jouissance, à partir de Socrate, ne survivra plus qu’en marge de la civilisation, mais bien entendu sans qu’elle en ressente ce que Freud appelle pudiquement son malaise. Un dingue de temps en temps mugit à s’y retrouver dans le fil de cette subversion, ça ne fait date qu’à ce qu’il soit capable de la faire entendre dans le discours même qui a produit ce savoir : le discours chrétien, pour mettre les points sur les i, puisque n’en doutons pas, c’est l’héritier du discours socratique, c’est le discours du Maître " up-to-date ", du Maître dernier modèle, et des petites filles modèle-modèle qui sont sa progéniture.

    On m’assure que dans ce genre, celui que j’appelle modèle-modèle, qui maintenant se pare d’initiales diverses, mais qui commencent toujours par M, il en vient ici à la pelle. Je le sais parce qu’on me le dit. Car, moi, d’où je suis, il ne me suffit pas pour les voir, de vous regarder, parce que justement de départ elles ne sont " pas-toutes " modèle-modèle. Oui, remarquons-le, ça fait de l’effet évidemment quand, cette remarque, qu’il y a eu subversion – et j’ai dit que ça fait date – c’est un Nietzsche qui la profère. Je fais simplement remarquer, qu’il ne peut la proférer – je veux dire se faire entendre – qu’à l’articuler dans le seul discours audible, c’est-à-dire celui qui détermine le Maître up-to-date comme sa descendance. Tout ce beau monde s’en régale naturellement, mais ça n’y (p97->) change rien. Tout ce qui s’est produit en fait partie depuis le départ et, bien  entendu, que les initiales elles-mêmes dont il  était tout à l’heure question, y soient aussi depuis !e départ, ça ne se découvre que " nachträglich "

    Je ne crois pas inutile de marquer ici que le " pas-tous " vient de glisser, comme il est naturel, en « pas-toutes », c’est fait pour ça, tout le bla-bla dont je produis aujourd’hui qu’on ne peut pointer quelque mouvement dans l’émergence du discours qu’à marquer que le sens en reste problématique, notamment ce qu’il ne faut pas entendre dans ce que je viens de dire, à savoir un sens de l’histoire, puisque, comme tout autre sens, il ne s’éclaire que de ce qui arrive et que ce qui arrive ne dépend que de la fortune. Pourtant ceci ne veut pas dire qu’il ne soit pas calculable. A partir de quoi ? De l’Un qu’on y trouve. Seulement il ne faut pas se tromper sur ce qu’on trouve d’UN. Ce n’est jamais celui qu’on cherche. C’est pourquoi, comme je l’ai dit après un autre qui est dans mon cas – " je ne cherche pas ", qu’il a dit, " je trouve " – la manière, la seule de ne pas se tromper, c’est à partir de la trouvaille de s’interroger sur ce qu’il y avait, si on l’avait voulu, à chercher. Qu’est-ce que la formule dont j’ai ; un jour ; articulé le transfert, ce depuis fameux " sujet-supposé-savoir " ? Mes artefacts d’écriture y démontrent un pléonasme : il faut écrire sujet $, ce qui rappelle qu’un sujet n’est jamais qu’un supposé : . Je n’use de la redondance qu’à partir de la surdité de l’Autre. Il est clair que c’est le savoir qui est supposé, et personne ne s’y est jamais trompé. Supposé à qui ? Certainement pas à 1’analyste, mais à sa position. Ce sur quoi on peut consulter mes séminaires, car c’est bien ce qui frappe à les relire : pas de bavures. A la différences de mes Écrits. Oui. C’est comme ça. C’est parce que j’écris vite. Je ne me l’étais jamais dit, mais je m’en suis aperçu parce qu’il m’est arrivé que je parle récemment à quelqu’un. Je l’ai fait depuis la dernière fois où certains d’entre vous m’ont entendu à Sainte-Anne. J’ai avancé des choses à partir de la Théorie des Ensembles ici évoquée, pour mettre en question cet Un dont  je parlais tout à l’heure, à l’instant . Je prends toujours mes risques, et on ne peut pas dire que, cette fois-là, je ne les ai pas pris, avec tout l’humour nécessaire

    , deux puissances ALEPH indice zéro moins UN, je crois vous avoir suffisamment souligné la différence qu’il y a de l’index zéro à la fonction du zéro quand elle est utilisée dans une échelle exponentielle. Bien sûr, ce n’est pas dire que je n’ai chatouillé là la sensibilité de mathématiciens qui pouvaient être ce soir-là dans mon auditoire. Ce que je voulais dire en attendant que quelque chose m’en  revienne – c’était une interpellation –, ce que je voulais dire c’est que, soustrait l’UN, tout cet édifice des nombres devrait, à l’entendre comme produit d’une opération logique, nommément celle qui procède de de la position du zéro et de la définition du successeur, se défaire dans toute la chaîne jusqu’à revenir à son départ. Il est curieux qu’il m’ait fallu convoquer expressément quelqu’un pour que, de sa bouche, je retrouve le bien-fondé de ce qu’aussi la dernière fois j’ai énoncé, à savoir que ceci ne comporte pas seulement 1'UN qui se produit du zéro, mais un autre que comme tel j’ai marqué repérable dans la chaîne du passage d’un nombre à l’autre quand il s’agit de compter ses parties. C’est là-dessus que j’espère conclure, mais dès maintenant je me contente de noter que la personne qui ainsi me confir-(p->98)mait, c’est elle qui dans une dédicace qu’elle m’a fait l’honneur de me faire à propos d’un petit article où elle-même s’était énoncée que j’écrivais vite. Ça ne m’était pas venu à l’idée parce que ce que j’écris, je le refais dix fois. Mais c’est vrai que la dixième fois, je l’écris très vite et c’est pour ça qu’il y reste des bavures : parce que c’est un texte. Un texte, comme le nom l’indique, ça ne peut se tisser qu’à faire des nœuds. Quand on fait des nœuds, il y a quelque chose qui reste et qui pend. Je m’en excuse. Je n’ai jamais écrit que pour les gens sensés m’avoir entendu. Et quand, par exception, j’écrivais d’abord, le rapport d’un congrès par exemple, je n’y ai jamais donné qu’un discours sur mon rapport. Qu’on consulte ce que j’ai dit à Rome pour le congrès ainsi nommé : j’ai fait le rapport écrit qu’on sait et ça a été publié en son temps, ce que j’ai dit ; je ne l’ai pas repris dans mon écrit, mais on y sera certainement plus à l’aise que dans le rapport lui-même.

    Ceux pour qui donc, en somme, j’avais fait ce travail de reprise logique, ce travail qui part du discours de Rome, dès qu’ils abandonnent la ligne critique qui en résulte, de ce travail, pour retourner aux êtres dont je démontre précisément que ce discours doit s’abstenir, pour retourner à ces êtres et en faire le support du discours de l’analysant, ne font que revenir aux bavardages. C’est pourquoi ceux-là même qui ont pris le large de ce discours, aussitôt dit, aussitôt fait, en ont complètement perdu le sens. C’est bien pourquoi à propos de mon " sujet-supposé-savoir », il s’est trouvé qu’ils émettent, voire qu’ils impriment noir sur blanc – ce qui est plus fort – justement à s’ apercevoir décollés de ce où je les conduisais, de la ligne où je les maintenais, qu’ils ne savaient plus rien. A partir de quoi, je le répète, ils ont été à dire qu’à le supposer, ce savoir, à la position. de l’analyste, c’est très vilain parce que c’est dire que l’analyste fait semblant. Il n’y a à cela qu’une petite paille que j’ai déjà pointé tout à l’heure, c’est que l’analyste ne fait pas semblant : il occupe – il occupe avec quoi ? c’est ce que je laisse à y revenir – il occupe la position du semblant. Il l’occupe légitimement parce que, par rapport à la jouissance, à la jouissance telle qu’ils ont à la saisir dans les propos de celui qu’au titre d’analysant ils cautionnent dans son énonciation de sujet, il n’y a pas d’autre position tenable, qu ’il n’y a que là que s’aperçoit jusqu’où la jouissance, la jouissance de cette énonciation autorisée, peut se mener sans dégâts trop notoires. Mais le semblant ne se nourrit pas de la jouissance qu’il bafouerait aux dires de ceux qui reviennent au discours de l’ornière. Il donne, ce semblant, à autre chose que lui-même son porte-voix. et justement de se montrer comme masque que je dis ouvertement porté, comme dans la scène grecque : le semblant ne prend effet que d’être manifeste. Quand l’acteur porte le masque, son visage ne grimace pas, il n’est pas réaliste ; le pathos est réservé au chœur qui s’en donne – c’est le cas de le dire – à cœur joie. Et pourquoi ? Pour que le spectateur, je dis celui de la scène antique, y trouve son plus-de-jouir communautaire, à lui. C’est bien ce qui fait pour nous le prix du cinéma, là le masque est autre chose : c’est l’irréel de la projection.

    Mais revenons à nous, c’est de donner voix à quelque chose que l’analyste peut démontrer que cette référence à la scène grecque est opportune, car qu’est-ce qu’il fait, d’occuper comme tel cette position du semblant ? Rien d’autre que de démontrer justement que le pouvoir, démontrer que la terreur ressentie du désir dont s’organise la névrose (p->99) – ce qu’on appelle défense – n’est au regard de ce qui s’y produit de travail en pure perte que conjuration à faire pitié. Vous retrouvez aux deux bouts de cette phrase ce qu’Aristote désigne de l’effet de la tragédie sur l’auditeur. Et où ai-je dit que le savoir dont procède cette voix soit du semblant ? Doit-elle même le paraître, prendre un ton inspiré ? Rien de pareil : ni l’air, ni la chanson du semblant ne lui conviennent à l’analyste. Seulement voilà, comme il est clair que ce savoir n’est pas l’ésotérique de la jouissance, ni seulement le savoir-faire de la grimace, il faut se résoudre à parler de la vérité comme position fondamentale, même si de cette vérité on ne sait pas tout puisque je la définis par son mi-dire, par le fait qu’elle ne peut plus que se mi-dire. Mais qu’est-ce alors que le savoir qui s’assure de la vérité ? Il n’est rien que ce qui provient de la notation qui résulte du fait de la poser à partir du signifiant, maintien assez rude à soutenir, mais qui se confirme de fournir un savoir non initiatique parce que procédant, n’en déplaise à quelqu’un, du sujet qu’un discours assujettit comme tel à la production, ce sujet qu’il se trouve des mathématiciens pour qualifier de créatif, et à préciser que c’est bien de sujet qu’il s’agit, ce qui se recoupe à ce que le sujet, dans ma logique, s’exténue à se produire comme effet de signifiant, bien entendu, en en restant aussi distinct qu’un nombre réel d’une suite dont la convergence est assurée rationnellement.

    Dire savoir non initiatique, c’est dire savoir qui s’enseigne par d’autres voies que celles directes de la jouissance, lesquelles sont toutes conditionnées de l’échec fondateur de la jouissance sexuelle, je veux dire de ce par où la jouissance constitutive de l’être parlant se démarque de la jouissance sexuelle, séparation et démarquage dont certes l’efflorescence est courte et limitée. Et c’est pourquoi on n’en a pu faire que le catalogue précisément à partir du discours analytique dans la liste parfaitement finie des pulsions. Sa finitude est connexe de l’impossibilité qui se démontre dans le questionnement véritable du rapport sexuel comme tel. Exactement, c’est dans la pratique même du rapport sexuel que s’affirme le lien que nous promouvons. Nous, comme êtres parlants, promouvons partout ailleurs de l’impossible et du réel, à savoir que le Réel n’a pas d’autre attestation : toute réalité est suspecte d’être, non pas imaginaire, comme on me l’impute, car à la vérité il est assez patent que l’Imaginaire tel qu’il surgit de l’éthologie animale c’est une articulation du Réel. Ce que nous avons à suspecter de toute réalité, c’est qu’elle soit fantasmatique et ce qui permet d’y échapper, c’est qu’une impossibilité dans la formule symbolique qu’il nous est permis d’en tirer en démontre le réel dont ce n’est pas pour rien qu’ici pour désigner le symbolique en question on se servira du mot terme.

    L’amour, après tout, pourrait être pris pour objet d’une phénoménologie ; l’expression 1ittéraire de ce qui en est émis est assez profuse pour qu’on puisse présumer qu’on en pourrait tirer quelque chose. C’est tout de même curieux que, mis à part quelques auteurs comme Stendhal, Baudelaire et laissons tomber la phénoménologie amoureuse du surréalisme dont le moralisme me coupe les bras – c’est le cas de le dire –, il est curieux que l’expression littéraire soit si courte pour qu’il ne puisse même pas nous en apparaître la seule chose qui nous intéresserait : c’est l’étrangeté, et que si ceci suffit à désigner tout ce qui s’en inscrit dans le roman du XIX siècle, pour tout ce qui est avant, c’est (p->100) le contraire : c’est – reportez-vous à l’Astrée qui, pour les contemporains, n’était pas rien – c’est que nous y comprenons si peu ce qu’elle pouvait être, justement pour les contemporains, que nous n’en ressentons plus qu’ennui. De sorte que cette phénoménologie, il nous est bien difficile de la faire et qu’à reprendre ce qui y ferait inventaire, on ne puisse en déduire d’autre chose que la misère de ce sur quoi elle s’appuie.

    La psychanalyse, elle, est partie là-dedans en toute innocence. Bien entendu, c’est pas très gai ce qu’elle a rencontré d’abord. Il faut reconnaître qu’elle ne s’y est pas limitée, mais ce qui lui en reste et ce qu’elle a frayé d’abord d’exemplaire, c’est ce modèle d’amour en tant qu’il est donné par les soins donnés de la mère au fils, à ce qui s’inscrit encore dans le caractère chinois : HAO, ce qui veut dire le bien ou ce qui est bien. C’est rien d’autre que ça : qui figure le fils Tseu et ça qui veut dire la femme. A étendre ça, de la fille chérissant le père sénile et même à ce à quoi je fais allusion à la fin de ma " Subversion du sujet ", à savoir au mineur que sa femme frictionne avant qu’il la baise, c’est pas ça qui nous éclairera beaucoup le rapport sexuel !

    Le savoir sur la vérité est utile à l’analyste pour autant qu’il lui permet d’élargir un peu son rapport à ces effets de sujet justement dont j’ai tenté de dire qu’il les cautionne en laissant le champ libre au discours de l’analysant. Que l’analyste doive comprendre le discours de l’analysant, ça semble en effet préférable. Mais savoir d’où, c’est une question qui ne semble pas s’imposer aux yeux de la seule notation de ce qu’il lui faille être dans la discours à occuper la position du semblant. Il faut, bien sûr, accentuer que c’est en tant que de a que cette position du semblant il l’occupe. L’analyste ne peut rien comprendre sinon au titre de ce que dit l’analysant, à savoir de se voir, non comme cause, mais effet de ce discours, ce qui ne l’empêche pas en droit de s’y reconnaître. Et c’est pour ça qu’il vaut mieux qu’il soit passé par là, dans l’analyse didactique, qui ne peut être sûre qu’à n’avoir pas été engagée à ce titre.

    Il y a une face du savoir sur la Vérité qui prend sa force d’en négliger totalement le contenu, d’asséner que l’articulation signifiante est tellement son lieu et son heure que quelque chose qui n’est rien que cette articulation dont la monstration au sens passif se trouve prendre un sens actif et s’imposer comme démonstration à l’être, à l’être parlant qui ne peut faire à cette occasion que de reconnaître, pour le signifiant, non seulement l’habiter, mais n’en être rien que la marque. Car la liberté de choisir ses axiomes, c’est-à-dire le départ choisi pour cette démonstration ne consiste qu’à en subir comme sujet les conséquences qui, elles, ne sont pas libres, à partir seulement de ceci que la Vérité peut se construire à partir seulement de 0 et de 1, ce qui s’est fait non seulement au début du dernier siècle, quelque part entre Boole et Morgan, avec l’émergence de la logique mathématique, en quoi il ne faut pas croire que 0 et l ici notent l’opposition de la Vérité et de l’erreur. C’est la révélation, qui ne prend sa valeur que « nachträglich », par Frege et Cantor de ce que ce Zéro dit de l’erreur, qui encombrait les stoïciens pour qui c’était ça et que ça conduisait cette charmante folie de l’implication matérielle dont ce n’est pas pour rien qu’elle était refusée par certains de ce qu’elle pose (p101->) que l’implication est véritable qui fait résulter la vérité formulée, l’erreur impliquant la vérité est une implication vraie. Il n’est donc rien de pareil dans la position de ceci avec la logique mathématique : que 0 implique 1 est une implication notable de 1, c’est-à-dire du vrai

(0 ---> 1) --->1

0 a tout autant de valeur véridique que 1, parce que 0 n’est pas la négation de la vérité 1, mais la vérité du manque qui consiste en ce qu’à 2, il en manque 1, ce qui veut faire, sur le seul plan de la vérité, que la Vérité ne puisse parler qu’à s’affirmer à l’occasion, comme ça s’est fait pendant des siècles, être la double vérité, mais jamais à être la vérité complète.

    0 n’est pas la négation de quoi que ce soit, notamment d’aucune multitude. Il joue son rôle dans l’édification du nombre. Il est tout à fait arrangeant comme chacun sait : s’il n’y avait que des 0, comme on se la coulerait douce ! Mais ce qu’il indique c’est que, quand il faudrait qu’il y an ait 2, il  n’y en a jamais et ça c’est une vérité.

    0 implique l, le tout impliquant 1, est à prendre, non comme le faux impliquant le vrai, mais les deux vrais, l’un impliquant l’autre, mais aussi d’affirmer que le vrai ne soit jamais qu’à manquer de son partenaire. La seule chose à quoi le 0 s’oppose, mais résolument, c’est à avoir une relation à 1 telle que 2 puisse en résulter. Il n’est pas vrai que – c’est ce que je marque de la barre qui convient –-- que 0 impliquant 1 implique 2. 

    Comment donc saisir ce qu’il en est de ce 2, sans quoi il est clair que ne peut se construire aucun nombre ? Je n’ai pas parlé de les numérer, mais de les construire. C’est bien pour ça que, la dernière fois, je vous ai menés jusqu’à l’aleph, c’était pour, au passage, vous faire sentir que dans la génération d’un nombre cardinal à l’autre, dans le comptage des sous-ensembles, quelque chose quelque part se compte comme tel qui est un autre 1, ce que j’ai marqué du triangle de Pascal en faisant remarquer que chaque chiffre qui se trouve à droite marquer le nombre des parties se fait de l’addition de ce qui y correspond comme partie dans l’ensemble précédent.  

    C’est ce 1, ce 1 que j’ai caractérisé quand il s’agit du 3 par exemple, à savoir l’a b opposé au c et du b a qui vient de même. Pour ce qu’il y en est de 4, il faut qu’à l’a b, au b a,  

(p102->) à l’a c, il y ait l’a. b. c, la juxtaposition des éléments de l’ensemble précédent, leur juxtaposition comme telle qui vienne en compte au seul titre de 1. C’est ce que j’ai appelé " la mêmeté de la différence ", parce que c’est en tant que rien d’autre dans leur propriété n’est que d’être différence que des éléments qui viennent ici supporter les sous-ensembles, que ces éléments sont comptés eux-mêmes dans la génération des parties qui vont suivre. J’insiste. Ce qui est en question, c’est ce dont il s’agit quant au dénombré, c’est l’un en plus en tant qu’il se compte comme tel dans le dénombré ou dans l’aleph de ses parties à chaque passage d’un nombre à son successeur. C’est de se compter comme tel de la différence comme propriété que la multiplication qui s’exprime dans l’exponentielle (2 , n-1 en  exponentiel), des parties de l’ensemble supérieur, de sa bipartition, que s’avère dans l’aleph, quoi ? A être mis à l’épreuve du dénombrable. Que c’est là que se révèle en tant que d’un Un, de l’Un qu’il s’agit, c’est d’un autre qu’il s’agit ; que ce qui se constitue à partir de l’1 et du 0 comme inaccessibilité du 2, ne se livre q’au niveau de l’aleph° () , c’est-à-dire de l’infini, actuel .

    Je vais, pour terminer, vous le faire sentir et sous une forme tout à fait simple qui est celle-ci : de ce qu’on peut dire quant à ce qu’il en est des entiers, concernant une propriété qui serait celle de l’accessibilité. Définissons-là de ceci qu’un nombre est accessible de pouvoir être produit, soit comme somme, soit comme exponentiation des nombres qui sont plus petits que lui. A ce titre, le début des nombres se confirme de n’être pas accessible et très précisément jusqu’à 2. La chose nous intéresse tout spécialement quant à ce 2, puisque du rapport de l’ l à 0, j’ai suffisamment souligné que l’1 s’engendre de ce que le 0 marque de manque. Avec 0 et 1, que vous les additionnez ou que vous les mettiez l’un à l’autre, voire l’un à lui-même dans une relation exponentielle, jamais le 2 ne s’atteint. Le nombre 2, au sens où je viens de le poser, qu’il puisse d’une sommation ou d’une exponentiation s’engendrer des nombres plus petits, ce test s’avère négatif : il n’y a pas de 2 qui s’engendre au moyen du 1 et du 0.

    Une remarque de Goedel est ici éclairante, c’est très précisément que l’aleph° (), à savoir l’infini actuel, est ce qui se trouve réaliser le même cas, alors que pour tout ce qu’il en est des nombres entiers à partir de 2 – commencez à 3 : 3 se fait avec 1 et 2, 4 peut se faire d’un 2 mis à sa propre exponentiation, et ainsi de suite – il n’y a pas un nombre qui ne puisse se réaliser par une de ces deux opérations à partir des nombres plus petits que lui. C’est précisément ce qui fait défaut et ce en quoi, au niveau de l’aleph 0 reproduit cette faille que j’appelle de l’inaccessibilité.

    Il n’y a proprement aucun nombre qui, qu’on s’en serve à en faire l’addition indéfinie avec tous, voire avec tous ses successeurs, ni non plus à le porter à un exposant aussi grand que vous voudrez, qui jamais accède à l’aleph.

    Il est singulier – et ceci est ce qu’aujourd’hui je dois laisser de côté, quitte à le reprendre, si ça intéresse quelques-uns dans un cercle plus étroit –, il est tout à fait frappant que, de la construction de Cantor, il résulte qu’il n’y a pas d’aleph qui à partir de l’aleph 0 ne puisse être tenu pour accessible. Il n’est pas moins vrai que, de l’avis de ceux qui ont fait (p103->) progresser cette difficulté de la Théorie des Ensembles, c’est seulement de la supposition que, dans ces alephs, il y en a d’inaccessible, que peut se réintroduire, dans ce qu’il en est des nombres entiers, ce que j’appellerai la consistance, autrement dit que, sans cette supposition de l’inaccessible quelque part se reproduisant dans les alephs, ce dont il s’agit et ce dont je suis parti et ce qui est fait pour vous suggérer l’utilité de ce qu’il y ait de l’Un à ce que vous sachiez entendre ce qu’il en est de cette bipartition à chaque instant fuyante, de cette bipartition de l’homme et de la femme : tout ce qui n’est pas homme est-il femme, on tendrait à l’admettre, mais puisque la femme n’est " pas-toute ", pourquoi tout ce qui n’est pas femme serait-il homme ? Cette bipartition, cette impossibilité d’appliquer, en cette matière du genre, quelque chose qui soit le principe de contradiction, qu’il ne faille rien de moins que d’admettre l’inaccessibilité de quelque chose au-delà de l’aleph pour que la non-contradiction soit consistante, qu’il soit fondé de dire que ce qui n’est pas 1 soit 0 et que ce qui n’est pas 0 soit 1, c’est cela que je vous indique comme étant ce qui doit permettre à l’analyste d’entendre, un peu plus loin qu’à travers les verres de lunettes de l’objet a, ce qui ici se produit, ce qui se produit d’effet, ce qui se crée de Un par un discours qui ne repose que sur le fondement du signifiant.  

note : bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance de m'adresser un email. Haut de Page relu ce 20 juillet 2005