J.LACAN gaogoa
séminaire XIX - ...Ou pire -1971-1972
version rue CB
14 juin 1972 note
texte de 18 pages
(p119->) Bon,
alors je suppose que pour ce qui résulte du mixage... (problèmes du micro...)
On n’entend rien. Est-ce que vous entendez comme ça ?
Alors,
mettez-y du votre, puisque ça semble, comme la
dernière fois, marcher assez mal. Est-ce que, cette fois-ci j’arrive à me
faire entendre . Un peu plus ? Je vais faire de mon mieux. Venez donc un peu
plus près. On ne sait pas, ça peut servir à quelque chose tout à l’heure.
Alors
en tenant compte de ce que j’appelais tout à l’heure le mixage, les
communications qui ont pu se faire entre mon public d’ici et celui de
Sainte-Anne – je suppose que maintenant, ils se sont unifiés, c’est le cas
de le dire – vous avez pu voir que nous sommes passés de ce que j’ai appelé,
un jour ici, d’un prédicat formé à votre usage, nommément l’UNIEN, nous
sommes passés, la dernière fois, à Sainte-Anne, au terme d’une autre
facture qui se fonderait du terme, de la forme UNIER. Ce dont je vous ai parlé,
ce que j’ai avancé la dernière fois à Sainte-Anne, c’est le pivot qui se
prend dans cet ordre qui se fonde – mettez " fonde ",
fondez-le, que ce soit du fondé fondu ! – je dis donc cet UNIER qui se fonde
– et je vous priais que ce « fondé » soit... il ne vous
paraisse pas trop fondamental, ce que j’appelais le « laisser dans
le fondu » – cet UNIER qui se fonde, il y en a un, il
en existe un qui dit que non. Ce n’est pas tout à fait pareil que de nier. Mais cette forgerie
du terme U-N-I-E-R comme un verbe qui se conjugue et d’où nous pourrions avancer
qu’en somme, pour ce qu’il en est de la fonction
représentée dans
l’analyse par le mythe du père (P-E-R-E), il unie (U-N-I-E), c’est ça,
pour ceux qui ont pu réussir à entendre, à travers les pétards, le point sur
lequel j’aimerais justement aujourd’hui vous permettre disons d’accommoder.
Le
père UNIE donc. Dans le mythe, il a ce corrélat des « toutes »,
toutes les femmes. C’est là, si l’on suit mes inscriptions quantiques
(q-u-a-n-t-i-q-u-e-s) qu’il y a lieu d’introduire une modification : ils les
UNIE certes,
mais " pas toutes " justement. Ici se touche à la
fois tout ce qui n’est pas de mon cru à dire, à savoir la parenté de la logique
et du mythe. Ce manque seulement que l’une puisse corriger l’autre. Ça,
c’est du travail qui reste devant nous. Pour l’instant, je rappelle que, avec
ce que je me suis permis d’approximation du père, avec ce que j’ai
inscrit de l’é-pater, vous voyez que la voie qui conjoint à l’occasion le
mythe avec la dérision ne nous est pas étrangère. Ca
ne touche en rien au statut fondamental des structures intéressées.
C’est
amusant enfin qu’il y a des gens qui découvrent sur le tard ce dont je
peux bien dire, de ma place, que c’est un peu général pour l’instant,
toute cette effervescence, cette turbulence qui se produit autour de termes
comme le signifiant, le signe, la signification, la sémiotique, tout ce qui
occupe pour l’instant le devant de la scène, c’est curieux, les singuliers
retards qui s’y montrent. Il y a une très bonne petite revue, enfin pas plus
mauvaise qu’une autre, dans laquelle je vois surgir comme ça
sous le titre de « l’Atelier d’écriture » un
article, mon Dieu, pas plus (p120->)
mauvais
qu’un autre, qui s’appelle « l’Agonie du signe ». C’est toujours très
touchant, l’agonie. Agonie veut dire lutte, mais aussi agonie veut dire
qu’on est en train de tourner de l’œil, alors l’agonie du signe, ça fait
très pathétique. J’eusse préféré que ce ne fût pas au pathétique que
tout cela tournât ! Ça part d’une invention charmante de la possibilité de
forger un nouveau signifiant qui serait celui de fourmi... Fourmidable. En
effet, c’est « fourmidable », tout cet article ! Et on commence par
poser la question de : quel peut bien être le statut de " fourmidable "
?
Mais,
j’aime bien ça, d’autant plus que c’est
quelqu’un qui quand même est très averti depuis longtemps d’un certain
nombre de choses que j’avance et qui, pour en somme au début de cet article
se croire obligé de faire l’innocent, à savoir d’hésiter, à propos de
" fourmidable ", à le ranger, soit dans la
métaphore, soit dans la métonymie, et dire qu’il y a quelque chose qui est négligé
dans la théorie jakobsonnienne, c’est celle qui consisterait à emboutir des mots
les uns après les autres, mais il y a longtemps que j’ai
expliqué ça
! J’ai écrit « l’Instance de la lettre » exprès
pour ça :
S sur s, avec le résultat 1 parenthèse effet de signification, c’est le déplacement,
c’est la condensation, c’est très exactement la voie par où en effet on
peut créer – ce qui est quand même un petit peu plus amusant et utile que
« fourmidable » – on peut créer UNIER. Et puis ça sert à
quelque chose, ça sert à vous expliquer, par une autre voie, ce que
j’ai
tout à fait renoncer à aborder par celle des Noms du Père. J’y ai renoncé
parce qu’on m’en a empêché à un moment, et puis que c’était justement
les gens à qui ça aurait pu rendre service qui
m’en ont empêché. Ça aurait pu leur rendre
service dans leur intimité personnelle, c’est des gens particulièrement
impliqués du côté du Nom du Père ; il y a une clique très spéciale
dans le monde qu’on peut épingler d’une tradition religieuse, c’est
eux que ça aurait aérés, et je ne vois pas
pourquoi je me dévouerais spécialement
à ceux-là.
Alors
j’explique l’histoire de ce que Freud a abordé comme il a pu, justement
pour éviter sa propre histoire : « al’shaddai » en particulier –
c’est le nom dont il se désigne, celui dont le nom ne se dit pas – il
s’est reporté sur l’OEdipe, il a fait quelque chose, il a fait quelque
chose de très propre, en somme, d’un peu aseptique. Il l’a pas poussé plus
loin. Mais c’est bien là, ce dont il s’agit : c’est qu’on laisse passer
les occasions de reprendre ce qui le dirigeait et ce qui devrait faire que
maintenant le psychanalyste soit à sa place dans son discours.
Sa
chance est passée, bien sûr, je l’ai déjà dit, de sorte que dans
l’avion là, qui me ramenait là de je ne sais où, qui me ramenait de Milan
d’où je reviens hier soir,... j’ai apporté le truc, c’est vraiment très
bien. C’est dans l’avion, dans un truc qui s’appelle Atlas et qui est
distribué à tous les voyageurs par la compagnie Air France, il y a un très
joli petit article. Heureusement que je ne l’ai pas, puisque je l’ai oublié
chez moi, heureusement parce que ça m’aurait
entraîné à vous en lire des passages, et il n’y a
rien d’ennuyeux comme d’entendre lire. Il n’y a rien d’ennuyeux comme
ça. Enfin, il y a des psychologues, et des
psychologues de la plus haute volée, qui s’emploient aux Amériques à faire des
enquêtes sur les rêves, parce que les rêves, on les prend en
quête, en enquête, et on s’aperçoit enfin que... c’est très rare, les rêves
sexuels ! Ils rêvent de tout, ces gens-là, ils rêvent de sport, ils rêvent de
tas de blagues, ils rêvent
C’est
quand même curieux que personne, en somme, dans ce grand public supposé, car tout
cela, c’est de la supposition, enfin c’est vrai que dans une certaine résonance,
tous les rêves, c’est ce qu’aurait dit Freud, qu’ils étaient tous
sexuels. Il a jamais dit ça, justement, jamais, jamais, jamais. Il a dit que
les rêves étaient des rêves de désir. Il n’a jamais dit que c’était du
désir sexuel.
Seulement
comprendre le rapport qu’il y a entre le fait que les rêves soient des rêves
de désir et cet ordre du sexuel qui se caractérise par ce que je suis en train
d’avancer, parce qu’il m’a fallu le temps pour l’avancer, pour ne pas
jeter le désordre dans l’esprit de ces charmantes personnes qui ont fait
qu’au bout de dix ans que je leur racontais des trucs, ils ne songeaient qu’à
une chose : rentrer dans le sein da l’Internationale Psychanalytique, tout
ce que j’avais bien pu raconter, c’était, bien sûr, des beaux exercices,
des exercices de style. Eux étaient dans le sérieux, et le sérieux,
c’est l’Internationale Psychanalytique.
Oui.
Ce qui fait que maintenant je peux avancer – et qu’on l’entende – qu’il
n’y a pas de rapport sexuel et que c’est pour ça
qu’il y a tout un ordre qui fonctionne à la place où il y aurait ce rapport
et que c’est là dans cet ordre que quelque chose est conséquent comme effet
de langage, à savoir le désir, et qu’on pourrait peut-être avancer un tout
petit peu et penser que quand Freud disait que le rêve c’est la satisfaction
d’un désir, satisfaction dans quel sens ?... Quand je pense que j’en
suis encore là ! ! Que personne, malgré tous ces gens qui s’occupent à
embrouiller ce que je dis, à en faire du bruit, personne ne s’est encore
jamais avisé d’avancer cette chose, qui est pourtant la stricte conséquence
des choses que j’ai avancées, que j’ai articulées de la façon la plus précise – si mon
souvenir est bon, en 57, attendez, même pas : en 55 ! A propos du
rêve de " l’injection d’Irma ", j’ai pris, pour leur montrer comment on
traite un texte de Freud, je leur ai bien expliqué ce qu’il avait d’ambigu,
que ce soit là justement, et pas du tout dans l’inconscient, au niveau de ses
préoccupations présentes, que Freud interprète ce rêve, ce rêve de désir
qui n’a rien à faire avec le désir sexuel, même s’il a toutes les
applications de transfert qui vous conviennent. Le terme d’immixtion des
sujets, je l’ai avancé en 55, vous vous rendez compte : 17 ans !
Et
puis il est clair que... il faudra que je le publie, comme ça,
si je l’ai publié c’est que j’ai été absolument écœuré de la façon
dont ça avait été repris
dans un certain livre qui est sorti sous le titre d’ " Auto- Analyse " : c’était mon texte, mais en y remettant de façon
à ce que personne n’y comprenne rien ! !
Qu’est-ce
que ça fait, un rêve ? Ca ne satisfait
pas le désir. Pour
des
X,
dans la salle. – " C’est une pollution. "
LACAN.
– Qui vient de dire ce terme précis ?
X.
– C’est moi !
LACAN
– Oui, c’est ça, mais je suis particulièrement satisfait de vous voir choisir
ce terme, vous devez être particulièrement
intelligent ! Je me suis déjà réjoui publiquement de ce qu’une de mes
analysées, qui est quelque part donc, par là, qui est une personne particulièrement
sensible, ait parlé en effet, à propos de mon discours de « pollution
intellectuelle ». C’est une dimension très fondamentale, voyez-vous,
la pollution. J’aurais pas probablement poussé les choses jusque-là aujourd’hui,
mais vous avez l’air
tellement fier d’avoir fait surgir ce terme
de pollution, que je soupçonne que vous ne devez
rien y comprendre. Néanmoins, vous allez voir que je vais tout de suite,
non seulement en faire usage, mais me réjouir une seconde fois que quelqu’un
l’ait fait surgir, car c’est précisément ça,
la difficulté du discours analytique. Je relève cette intervention, je saute
là-dessus,
j’embarque une chose que, dans l’urgence comme ça d’une
fin d’année, je me trouverais donc avoir l’occasion de dire, c’est ceci,
puisque c’est à la place du semblant que le discours analytique se caractérise
de situer l’objet a, figurez-vous, Monsieur qui croyez avoir fait là un
coup d’éclat, que vous abondez précisément dans le sens de ce que j’ai à
avancer. C’est à savoir que la pollution la plus caractéristique en ce
monde, c’est très exactement l’objet a dont l’homme prend et vous
aussi prenez votre substance, et que c’est de devoir, de cette pollution
qui est l’effet le plus certain sur la (p123->) surface
de ce globe de l’homme, de devoir en faire en son corps, en son existence
d’analyste, une représentation, qu’il y regarde à plus d’une fois. Les
chers petits en sont malades, et je dois vous dire que je ne suis pas non plus
moi-même, dans cette situation, plus à l’aise qu’un autre. Ce que
j’essaie de leur démontrer, c’est que ce n’est pas tout à fait impossible de
le faire un peu décemment. Grâce à la logique, j’arrive à leur – s’ils voulaient bien se 1aisser tenter ! – leur rendre
supportable cette position qu’ils occupent en tant que a dans le discours
analytique et leur permettre de concevoir que c’est évidemment pas peu de chose que d’élever
cette fonction à cette position du semblant qui est la position-clé dans tout
le discours.
C’est
là qu’est le ressort de ce que j’ai toujours essayé de faire sentir comme
la résistance – et elle n’est que trop compréhensible – de l’analyste
à vraiment remplir sa fonction. Il ne faut pas croire que la
position du semblant, elle soit aisée pour qui que ce soit. Elle
n’est vraiment tenable
qu’au niveau du discours scientifique, et pour une simple raison : c’est
que là, ce qui est porté à la position de commandement est quelque chose
qui est tout à fait de l’ordre du Réel en tant que tout ce que nous
touchons du Réel, c’est la Spaltung, c’est la fente, autrement dit c’est
la façon dont je définis le sujet. C’est parce que, dans
le discours scientifique, c’est le S, le $
qui est là à la position-clé que
ça tient. Dans le discours universitaire, c’est le savoir.
Là, la
difficulté est encore bien plus grande à cause d’une espèce de
court-circuit parce que, pour faire semblant de savoir, il faut savoir faire
semblant et ça s’use vite. C’est bien pour ça
que quand j’étais là, là d’où je reviens comme je vous l’ai dit tout à
l’heure, à savoir à Milan, j’avais une assistance évidemment beaucoup
moins nombreuse que la votre – mettons le quart – mais il y avait la
beaucoup de jeunes, beaucoup de ces jeunes qui sont ce qu’on appelle dans le
mouvement, il y avait même enfin un personnage tout à fait respectable et
d’une assez haute stature qui se trouve en être là-bas le représentant.
Sait-il ou ne sait-il pas – on ne m’a dit qu’il était là qu’après et
je n’ai pas pu l’interroger –, sait-il ou ne sait-il pas qu’en étant là
dans cette pointe, ce qu’il veut, c’est comme tous ceux qui sont ici intéressés
un peu par ce mouvement, c’est redonner au discours universitaire sa valeur.
Comme le nom l’indique, çà aboutit aux unités de valeur. Ils voudraient
qu’on sache un peu mieux comment faire semblant de savoir. C’est ça qui les guide.
Eh bien, en effet, c’est respectable et pourquoi pas ?
Le discours universitaire, c’est un statut aussi fondamental qu’un autre.
Simplement, ce que je marque, c’est que c’est pas le même, parce que
c’est vrai... ça n’est pas le même que le
discours psychanalytique. La place du semblant y est tenue différemment.
Et
alors c’est comme ça que j’ai été amené là-bas
– mon Dieu, comment faire avec un auditoire nouveau et surtout s’il peut
confondre – j’ai essayé de leur expliquer un tout petit peu comme ça
quelle était ma place, mon histoire, j’ai commencé par dire que mes Écrits,
enfin, c’était... c’était la poubellication, qu’il fallait pas qu’ils
croient qu’ils pouvaient là-dessus me repérer. Il y avait quand même... et
a1ors là, le mot « séminaire », bien sûr, comment
leur faire comprendre que – ce que j’étais forcé tout de suite de leur avouer
– que le séminaire, c’est pas un séminaire. c’est un truc que je dégoise
tout seul à mes bons amis depuis des années, mais qu’il y avait eu autrefois
un temps où ça méritait son nom,
RECANATI.
– La lettre dont le Docteur Lacan vient de faire allusion, était en fait
quelques remarques de commentaires sur trois textes de Peirce :
que je lui ai remis, non pas tant qu’il ne les connût pas, c’est évident, mais
parce que ces textes justement différaient de ceux à quoi il avait pu par ailleurs
faire référence. Il s’agissait d’une part de textes de cosmologie, et d’autre
part de textes ayant un rapport à la mathématique. Je vais tout d’abord
préciser un peu la teneur de ces trois textes, avant d’en venir à la manière
dont je pourrai en parler.
Quant
à la mathématique, Peirce donne une critique des définitions qu’il connaît
des ensembles continus. Il examine trois définitions, nommément celle d’Aristote,
celle de Kant, celle de Cantor, qu’il critique
toutes, et en fonction d’un critère unique.
Ce critère, c’est qu’il voudrait que, dans chaque définition, soit marqué
le fait même de la définition, puisque, dit-il, à définir un ensemble
continu, on n’est pas sans le déterminer d’une certaine manière – et ceci est important pour le résultat de la définition
– où le processus même de la définition doit être marqué quelque part
comme tel.
Quant
à la cosmologie, Pierce part d’un problème à peu près similaire ou d’une
préoccupation similaire à propos du problème de la genèse de l’univers.
Son problème, c’est celui de l’avant et de l’après. On ne peut accéder
à ce qu’il y avait avant, en faisant la simple opération analytique qui
consiste à retirer à ce qu’il y a eu après tout ce qui fait le caractère de
cet après, puisqu’on n’aboutirait par là qu’à un après raturé et que
précisément c’est sur le mode de cette rature que se constitue l’après
qui ne diffère que par une inscription précise glissée sur le mode de la
rature, de l’avant. Autrement dit, l’avant est en quelque sorte un après,
ou plutôt l’après est un avant inscrit et on ne pourra absolument pas déduire
l’avant de l’après, parce que l’avant qui est inscrit dans l’après,
c’est précisément l’après, et en ce sens, n’a plus rien à voir avec
l’avant dont le propos est justement de n’être pas inscrit.
Autrement
dit, c’est l’inscription qui compte. Ou bien ce qui est avant, ça
n’est rien – c’est ce que dit Peirce quand il parle de la genèse de
l’univers : avant, il n’y avait rien, mais ce rien c’est quand même un
Mais
avant de ce faire, je voudrais quand même vous dire quelques mots sur ma
position ici, qui est évidemment paradoxale, puisque je ne suis spécialiste
ici évidemment de rien et pas plus de Peirce que d’un autre et que tout ce
que je vais dire sur cet auteur ou sur d’autres, puisque je vais parler
d’autres, sera ce que je peux reprendre au discours que tient le Docteur
Lacan. A ce titre, dans ma parole même, je conserve mon statut d’auditeur. Et
comment cela est-il possible ? Justement à ne signifier dans mon discours, à
moi, que le fait d’avoir écouté. Ceci pose le problème d’à qui
m’adresser. Car il est évident que, si je m’adresse à ceux qui comme moi
ont écouté, ça ne leur servira à rien et, si je m’adresse à ceux qui
n’ont pas écouté, je n’inscrirai le rien, je ne pourrai qu’inscrire le
rien de leur non-écoute et permettre par là une élaboration qui évidemment
s’en servira dans sa suite, mais qui n’aura plus rien à voir avec le rien
pur qu’il était au début ; en l’occurrence donc, ça ne changera rien et
c’est en tant que mon intervention d’auditeur ne dérange rien que je peux
effectivement représenter l’auditoire, puisque, somme toute, toutes les
interventions d’Aristote ne sont que supposées dans le discours de Parménide
et que justement, le plus vite c’est terminé, le mieux c’est généralement
quant aux interventions d’Aristote ou plutôt pour qu’il puisse lui-même
tenir un véritable discours, il faut qu’à son tour il ait un auditeur muet
à qui il puisse s’identifier, ce qui explique que l’autre Aristote dans
la Métaphysique du vous (!) platonicien : car c’est après que Platon a parlé
ou, si on veut, après que Parménide ait parlé – pour l’autre – qu’il
peut lui-même commencer à le faire. D’où ici le paradoxe, mais comme ce
paradoxe n’est pas mon fait, je laisse au Docteur Lacan de le commenter après
puisque je n’en puis rien dire quant à moi.
On
ne peut pas, dit Pierce, opposer le vide, le zéro, au quelque chose, car le zéro
est quelque chose – c’est bien connu – le vide représente quelque chose,
et Peirce dit qu’il fait partie de ces concepts secondants, concepts
importants chez Peirce et que je reverrai un peu dans la suite. Il
n’est pas une monade comme vide inscrit, mais il est relatif. En effet si
l’on pose ce vide, on l’inscrit. En l’occurrence, l’inscription de
l’ensemble vide peut donner ceci :
Ceci
se reconnaît pour être l’ensemble vide considéré comme un élément de
l’ensemble des parties de l’ensemble vide.
Donc ici, le vide se constitue comme UN, et si on voulait répéter un peu
l’opération et faire l’ensemble des parties de l’ensemb1e des parties de
l’ensemble vide, on aurait vite quelque chose comme ça :
(p126- >)
et
ceci se reconnaît pour pouvoir très bien représenter le 2.
Aussi bien ceci
peut-il représenter le 1.
Et
c’est par là qu’on est amené à refaire cette remarque que, bien sûr,
c’est la répétition d’une inexistence qui peut fonder bien des choses. et
notamment la suite des entiers en l’occurrence. Mais ce qui intéresse
Pierce, dans cette remarque, c’est que ce qui se répète, ce n’est pas
l’inexistence comme telle ou plutôt pas exactement, c’est l’inscription de
l’inexistence en tant que l’inexistence se marque de cette inscription, et
c’est ce qu’il développera à bien des reprises, dans plusieurs textes, et
je vais en parler.
On rejoint là son propos mathématique. Quand on veut, dit-il, définir un système où cette inexistence est répétée, il faut préciser qu’elle est répétée comme inscrite. C’est au départ qu’il y a une inscription d’une inexistence, et ceci est très important pour la logique. Le quanteur universel, tout seul, ne saurait rien définir. Le quanteur universel, pour Pierce, c’est quelque chose de secondant, aussi paradoxal que cela paraisse ; comme il dit, il est relatif à quelque chose ; ce qui fonde ce quanteur, c’est la néantisation préalable et secondan inscrite des valeurs qui le contredisent. Ainsi d’un point de vue purement méthodologique, Pierce s’attaque à Cantor : Cantor a tort, parce que sa définition du continu renvoie nommément à tous les points de l’ensemble. Pierce précise : il faut faire varier la définition d’un point de vue logique. Une ligne ovale n’est continue que parce qu’il est impossible de nier qu’au moins un de ses points doit être vrai pour une fonction qui ne caractérise absolument pas l’ensemble, par exemple, quand il s’agit de passer de l’extérieur à l’intérieur, où il faut nécessairement passer par un des points du bord. Ceci est en quelque sorte une approche latérale. On ne peut pas poser comme ça le quanteur universel, il faut passer par une néantisation préalable, et qui passe elle-même par une fonction préalable. La négation ici est elle-même érigée en fonction, et l’ensemble des ensembles pertinents pour cette fonction, en l’occurrence, dans la mesure où il est impossible de nier... etc., est l’ensemble vide qui inscrit la négation comme impossible. Le même type d’exemple pourrait être pris en topologie éventuellement. Si l’on écoutait Pierce, le théorème des points fixes devrait s’énoncer comme suit. Je vais l’écrire.
(p127->) Il
est impossible de nier que, dans une déformation d’un disque sur son bord, au
moins un point échappe à la déformation qu’il autorise par le fait même
d’y échapper. Le théorème des points fixes, si on le prend par exemple pour
quelque chose comme un disque, il s’agit, en quelque sorte, il s’agit de déformer
de manière continue un disque sur son bord, il est certain – et c’est donné
dans le théorème – qu’au moins un point du disque échappe à la déformation,
c’est-à-dire reste fixe et que c’est par le fait qu’il y a un point qui
reste fixe qu’on peut effectuer la déformation générale, sans quoi ce ne
serait pas possible. Mais ici, je puis dire, il y a évidemment contradiction,
disons qu’il y a une liaison très nette entre ce point qui échappe à la
fonction qu’il autorise, à la fonction elle-même.
LACAN. – Ça, c’est un théorème démontré. C’est pas seulement
démontrable, démontré en mathématique. D’autre part, ce théorème se
symbolise. Vous pouvez peut-être le commenter, comment il est symbolisé par ce
« il existe x » – car c’est une formule qui est très près en somme de
celle que j’ai été amené à inscrire – il existe x tel qu’il faille
nier qu’il n’y a pas de
de x,
qu’il faille nier qu’il n’y a pas d’existence de x telle que F
de x soit
nié. Vous pouvez un peu faire saisir.
RECANATI. – Il y a une double négation, certes, mais ce n’est pas que les deux
négations
ne sont pas équivalentes, ce n’est pas exactement les mêmes. Et d’autre
part, surtout, cette double négation, dans la mesure où elle est inscrite à
ce qu’on voit dessous, c’est pas la même chose que d’affirmer simplement.
On aurait pu affirmer. Là, c’est pour ça que
je citais au début la critique du quanteur universel en quelque sorte comme
donnée comme ça. S’il est le produit d’une
double négation, cette pre- mière négation, d’après lui, elle porte
sur une négation érigée comme fonction. Par exemple : les points ne restent
pas fixes, eh bien, il y a un point qui justement échappe à cette fonction,
et, à ce titre là, la nécessité est avant tout de les inscrire,
c’est pourquoi je l’ai fait la, et i1 faudrait marquer peut-être d’une
manière spécifique ce que j’ai dit être une impossibilité, mais en même
temps, ici c’est simplement l’ensemble vide posé comme le seul ensemble
fonctionnant pour la fonction de la négation.
LACAN.
– Je crois que ce qu’il faut que vous souligniez, c’est ceci : c’est que
la barre portée ici sur les deux termes chacun comme nié, est un «
il n’est pas vrai que », un « il n’est pas vrai que » fréquemment
utilisé en mathématique, puisque c’est le point-clé, c’est ce à quoi
nous fait aboutir la démonstration dite de la contradiction. Il s’agit en
somme de savoir pourquoi, en mathématique, il est reçu
qu’on puisse fonder, mais seulement en mathématique, parce que partout
ailleurs comment pourriez-vous fonder quoi que ce soit d’affirmable sur un
« il n’est pas vrai que ». C’est bien là de quoi l’objection
vient dans l’intérieur des mathématiques à l’usage de la démonstration
par l’absurde. C’est la question qui est de savoir, c’est comment en
mathématique la démonstration par l’absurde peut fonder quelque chose qui se
démontre en effet comme tel – je ne vais pas revenir à la contradiction.
C’est là que se spécifie le domaine propre des mathématiques. Alors sous
cet « il n’est pas vrai que », vous avez qu’il s’agit
de donner le statut à la barre négative qui est celle qu’on juge en un point
de mes schémas pour dire que ça c’est une négation
: il n’existe pas de x qui satisfasse à ceci : .
(p128->) RECANATI. – Dans
les termes de Peirce, c’est le travail qui vient en premier, qui est
la première inscription. Parce qu’il dit le potentiel – et ça allait y revenir
dans le cours parce que c’est un concept qui est finalement assez élaboré –
c’est le champ d’inscription des impossibilités non inscrites encore, c’est
le champ des impossibilités possibles et, dans ce champ, quelque chose vient
le subvertir par ce trait en quelque sorte qui est ici impossibilité, qui
est une espèce de coupure, coupure qui est faite à l’intérieur d’un domaine
qui auparavant est en quelque sorte unique et c’est pour ça que, dit Peirce,
il faut inscrire la première impossibilité d’abord, ça détermine tout, et
ensuite
éventuellement les négations et toutes ces spécifications-là continuent à déterminer,
mais c’est déjà là à l’intérieur de l’impossible. Autrement dit, il dit qu’il
y a deux champs : il y a d’une part le champ des potentiels qui est l’élément
du pur zéro, on pourrait dire du pur vide – et ça j’y reviendrai – et
d’autre
part les impossibles qui sont ceux qui naissent du potentiel, mais pour
s’y
opposer pas nettement et, dans l’intérieur des impossibles, on peut dire des
choses comme ça, c’est-à-dire : " il n’existe pas x tel que non –
F de
x ", " il existe x tel que non –
F de
x ". Mais il fait une opposition de ces deux champs comme fondamentalement
s’opposant, l’un étant l’élément du pur zéro, l’autre étant l’élément que
je dirais du zéro de répétition. Et c’est là-dessus que je voudrais revenir.
LACAN.
– Vous admettez par exemple que je transcrive ce que vous avez dit, en disant
que le potentiel égale le champ des possibilités comme déterminant
l’impossible.
RECANATI.
– Comme déterminant, et je précise tout de suite ce qu’il a dit : c’est
ce champ des possibilités qui détermine l’impossible, mais pas au sens de
Hegel. Il faut faire attention, dit-il lui-même, ça détermine,
non pas nécessairement, mais potentiellement, c’est-à-dire qu’on ne peut
pas dire : nécessairement ça devait arriver ; on
remarque que c’est arrivé ; on sait que c’est ce potentiel qui a déterminé
cet impossible, mais non pas nécessairement on est d’accord. Donc c’est
exactement ce que je voulais dire. Le potentiel...
LACAN – On pourrait peut-être le transcrire comme ça
: potentiel = champ des possibilités comme déterminant l’impossible.
RECANATI.
– Donc c’est avec cette sorte de considération que Peirce construit le
concept du potentiel. C’est donc le lieu où s’inscrivent les impossibilités.
C’est la possibilité générale des impossibilités non effectuées, c’est-à-dire
non inscrites. C’est le champ des possibilités comme déterminant
l’impossible. Mais il ne comporte, comme je viens de le dire, par rapport aux
inscriptions qui s’y produisent, aucune nécessité,
ce qui signifie notamment, pour un problème mathématique, que du 2, on ne peut
pas rendre compte rationnellement au sens de Hegel, c’est-à-dire
nécessairement. Le 2 est venu, on peut dire d’où il est venu, on peut
certainement le mettre en rapport avec le 0, avec ce qui se passe entre le 0
et le 1, mais de dire pourquoi il est venu, impossible. Le
potentiel permet ça :
de définir le paradoxe du continu. Et ça, c’est dans un texte de Peirce (PEIRCE,
Réflexions sur la définition kantienne du continu, voL VI, 168.),
je cite ça, mais en fait je ne l’ai pas regardé
de bien près,
LACAN – Là, Cantor a tort.
RECANATI.
– Pour ce qui est de la cosmologie, le zéro absolu, le pur néant, comme dit
Peirce, est différent du zéro qui se répète dans la suite des entiers. Il
n’est autre, ce zéro qui se répète dans la suite des entiers, que l’ordre
en général du temps – et j’y reviendrai – tandis que le
zéro absolu,
c’est l’ordre en général du potentiel. Ainsi le zéro a une dimension
propre et Peirce essaie d’insister pour que cette dimension soit inscrite
quelque part, soit au moins marquée, soit présentée dans les définitions
mathématiques. Le problème est évidemment...
LACAN. – Là, Cantor n’est pas contre.
RECANATI.
– Le problème est évidemment : comment peut-on
passer d’une dimension, celle du potentiel par exemple, à l’autre que je
dirais celle de l’impossible ou celle du temps ou ce qu’on voudra. Peirce
présente ainsi ce problème : comment penser non temporellement ce qu’il
y avait avant le temps. Ça rappelle certes
Spinoza et saint Augustin, mais ça rappelle surtout les empiristes et ici je
dois dire qu’on a souvent remarqué que Peirce a repris le style des
empiristes et leurs préoccupations. Mais, pour situer véritablement
l’originalité de Peirce, on n’a jamais rapporté ça aux empiristes, on
n’a jamais cherché ce qui chez eux a pu préparer tout ça. Or
pourtant ces deux dimensions, l’une potentielle et l’autre, si l’on veut,
temporelle ou plutôt une dimension du zéro absolu et une dimension du zéro de
répétition, étaient présentes dès le début de l’épopée empiriste. Et
c’est là-dessus que je voudrais dire un petit mot pour montrer comment on
peut le dégager.
LACAN. – Dites-le bien. Tonitruez-le ! !
RECANATI-
Avant de... Je ferai cela et après je reviendrai à la sémiotique de Peirce
dans le rapport avec tout cela.
Il
va caractériser, pour essayer d’atteindre cet élément irréductible, tout
ce qui se passe avec l’aide de cet élément, mais avec plus que cet élément,
c’est-à-dire en un mot, comme il dit, tout ce qui se passe dans l’entendement.
Avec ça, on va pouvoir arriver à voir ce qui
fonde véritablement l’originalité de la sensation si tant est que c’est
de la sensation que dérive tout ce qui se passe dans l’entendement.
Or, le propre de l’entendement, dit-il, et, ce dans son premier essai –
j’insiste parce qu’il y a une petite divergence après, il s’est éloigné
de cette idée qui était évidemment son originalité la plus grande – le
propre de l’entendement, c’est l’ordre, c’est la liaison en général,
liaison comme liaison des idées, liaison des signes, liaison des besoins, en
fait c’est toujours une liaison des signes, c’est toujours la même chose.
Chez l’homme, l’ordre fonctionne tout seul, dit-il, et il s’en explique
un peu, tandis que chez les bêtes, il faut, pour mettre l’ordre en branle,
une impulsion extérieure ponctuelle. Et Condillac précise : Entre les hommes
et les bêtes – et c’est une assez belle phrase qu’il dit – entre les
hommes et les bêtes, il y a les imbéciles et les fous. Les uns n’arrivent
pas à accrocher l’ordre, il s’agit des imbéciles qui systématiquement
n’arrivent pas à accrocher l’ordre ; et les autres, ils n’arrivent plus à
s’en détacher ; eux sont complètement noyés dans l’ordre, ils
n’arrivent plus à prendre de distance, ils n’arrivent plus à s’en détacher.
L’ordre en général, c’est ce qui permet de passer d’un signe à l’autre, c’est
la possibilité d’avoir une idée de la frontière entre
deux signes, et Condillac a une conception du signe comme étant toujours
impropre, toujours une métaphore. Et il le dit nommément, cette fois, dans
un cours d’études où il fait l’apologie des tropes, reprenant peut-être
– je n’en suis pas sûr – les termes de Quintilien. Toujours est-il
que, pour lui, un signe, c’est ça qui vient remplir l’intervalle entre
deux autres signes. Dans ce sens, dans un signe, qu’est-ce qui est considéré
? Ce sont les deux autres signes limitrophes, dont au moins deux, qui sont
considérés, mais pas comme signes en tant qu’ils pourraient entraîner une
représentation du point de vue de leur bord à eux, c’est-à-dire du point de
vue formel. Et il précise donc que ça ne peut pas être a proprement parler
une représentation uniquement des signes, puisqu’il dit : il n’y a pas de
représentation formelle, il n’y a pas de représentation abstraite, il
y a toujours une représentation qui représente une représentation, c’est-à-dire
qu’il y a toujours une médiatisation de la représentation de signe,
mais jamais une immédiatisation du contenu par exemple ; comme il dit lui-même,
l’image d’une perception, sa répétition n’est que sa répétition
hallucinatoire, il dit que c’est la même chose, on ne peut pas différencier
une perception et son image, et par là, il fait la critique de toutes les théories
antérieures. Donc l’ordre, c’est ce que le signe représente en tant que le
signe substantifie un intervalle entre
deux
LACAN. – Les deux phrases que j’avais commencées à
écrire tout au long du truc, et que certains ont peut-être
copiées, sont directement l’énoncé de ce que vous avez dit. Je reproduis
Recanati ici.
RECANATI.
– Maine de Biran, lui-même disciple de Destutt de Tracy, fait d’abord
mourir cette différence entre l’événement et l’inscription de l’événement.
Et. on voit qu’il va en faire le pivot de toute sa théorie. Il a, dit-il, un
perpétuel décalage entre l’inscription et l’événement. Ce décalage,
dit Maine de Biran, vient du décalage chez l’être parlant – et je ne plaisante
pas – entre le sujet de l’énoncé et le
sujet de l’énonciation. C’est dans les " Fondements de la
psychologie " de Maine de Biran, où il montre à peu près que, à se représenter
le moi, dans la mesure où dans toute représentation il y a déjà un moi, on
peut dire qu’à ce moment-là, il y en a deux.
Dès qu’on essaie de se représenter le « je », ça veut dire automatiquement qu’il
y en a deux,
ça veut dire
qu’immédiatement il y en a deux, ça veut dire que médiatement il n’y en a
jamais... qu’il n’y en a jamais un que médiatement.
Pour
Condillac, l’ordre des signes, en tant que l’ordre des signes
est l’ordre de ce décalage, a comme modèle l’espace qu’il dit pluridimensionnel du temps et je ne m’étale pas là-dessus. Le temps, on peut dire que
ce n’est que la répartition infinie des ponctualités, la ponctualité comme
temps-zéro. Mais le même problème que plus
haut, se pose : ce n’est pas la même ponctualité, celle qui se répète dans
le temps et celle dont le temps est issu, la ponctualité zéro, celle dont le
temps est issu, la ponctualité zéro comme transparence précisément entre
l’inscription et l’événement. La ponctualité qui se répète dans le
temps – toujours pour Condillac – est relativisée à être considérée dans le
temps comme cette ponctualité-là présente, passée ou à venir. Elle
aussi est considérée du point de vue de ses bords, du point de vue de sa
frontière. Le temps qui est toute une série de
ponctualités est dans la série des frontières inter-ponctuelles en tant que
la frontière est justement le pointage des bords effectifs de deux ponctualités
ou aussi bien de deux signes. Il y a donc la même différence entre la
ponctualité absolue et le temps qu’entre l’ensemble vide et l’ensemble de
ses parties : c’est l’inscription du zéro qui est élément de celui-ci,
de même que c’est l’inscription de la ponctualité qui est l’élément du
temps.
Ainsi
il y a une faille qui est donnée au départ dans toute cette théorie
et que Maine de Biran essayait peut-être le mieux
de cerner. Le système des signes n ’est que la répétition infinie de cette
faille. En tant que telle, toute faille – et ça, ça se répète dans tous les
écrits des
On
rejoint par là la sémiotique de Peirce dont on était parti. Peirce appelle
" phaneron ", du mot grec l’ensemble
de tout ce qui est présent à l’esprit – c’est d’ailleurs
à peu près le sens de – réel
ou pas, l’immédiatement observable, et il part de là, il décompose les éléments
du " phaneroa ". Il y a trois éléments
dans le « phaneron » indissociables, qu’il appelle, d’une
part, ce qu’on pourrait traduire par le " priman " – c’est la monade
en général, je crois qu’il emploie le mot monade – élément
complet en lui-même, d’autre part, le " secondan ", force statique,
opposition, tension statique entre deux éléments, c’est-à-dire que chaque élément
immédiatement évoque cet autre avec quoi il est en
relation, et c’est en quelque sorte, un ensemble absolument indissociable.
Et le plus important c’est le " tertian ",
élément immédiatement relatif à la fois à un premier et a un troisième.
Et Peirce précise : toute continuité, tout procès en général relève de la
ternarité. A partir de là, à partir de cette conception de la ternarité
qu’on peut montrer dériver de ses théories astronomiques qu’il a produit
au début de sa vie – mais ça, je n’en dit
mot...
LACAN.
– Peirce as astronomer...
RECANATI.
– Donc, à partir de cette ternarité, il construit une logique qui se spécifie
en sémiotique " Logic of semiotic ", la
sémiotique elle-même se spécifiant à certain niveau comme rhétorique, et ça
c’est important pour Peirce. Tout tient dans sa définition du signe en général.
Le signe, il l’appelle « representamen » – je
suis désolé
de citer – " c’est quelque chose, le representamen, qui pour quelqu’un
tient lieu d’une autre chose d’un certain point de vue ou d’une certaine
manière ". Là-dedans, il y a quatre éléments : pour quelqu’un
qui est le premier – et je récite Peirce – « cela signifie que le signe
crée dans l’esprit du destinataire un signe plus équivalent
ou même plus développé
». Le deuxième point découle de celui-là : la réception du signe est
donc un deuxième signe fonctionnant comme « interprétant ».
Troisièmement, la chose dont le signe tient lieu est dite son " objet ".
C’est ces trois éléments-là qui seront les
trois sommets du triangle sémiotique. Le quatrième terme qui vient est
plus discret, mais non moins intéressant. C’est ce que Peirce appelle le «
Ground » : le signe tient lieu de l’objet non absolument, mais en référence
à une espèce d’idée, appelée le " ground ",
LACAN. – Oui, parce qu’on n’a pas inventé la grammaire spéculative il y a
quelques années, hein !
RECANATI.
– Il s’agit de reconnaître ce qui doit être vrai du signe pour avoir du
sens. L’idée en général est la focalisation
du « representamen » sur un objet déterminé, selon le " ground " ou le point de vue. On voit donc que la signification s’enlève
en quelque sorte sur un fond différencié et que le " ground ",
la détermination du " ground ", c’est presque la détermination du
premier point de vue qui détermine l’inscription, tout ceci sur du
potentiel. De même, le « representamen » est par rapport à son fond
la détermination d’un certain point de vue qui commande le rapport à
l’objet. Le « ground » est donc l’espace préliminaire de l’inscription.
Le
deuxième relation, representamen-objet, c’est le domaine
de la logique pure pour Peirce, c’est la science de ce qui doit être vrai du " representamen
" pour qu’il puisse tenir lieu d’un objet.
La
troisième, la plus importante pour ce que nous faisons ici, c’est la
relation entre le « representamen » et l’ « interprétant »,
ce que Peirce appelle, avec génie, " la rhétorique pure " qui reconnaît
les 1ois – ça fonctionne au niveau des lois
– selon lesquelles un signe donne naissance à un autre signe qui le développe.
Selon le cursus des « interprétants » qu’on va voir, cette
question de la rhétorique pure, Peirce l’aborde à
l’aide
de son triangle sémiotique. Je vais préciser chacun des termes pour qu’on
saisisse mieux ce que dit Peirce pour ce qui est de cette relation. " Le
”representamen ” premier a une relation primitive à un deuxième, l’objet
", l’objet est donc deuxième, le signe est donné d’abord, «
mais cette relation peut déterminer un troisième, l’interprétant, à avoir
la même relation à son objet que lui-même entretient ». Autrement
dit, la relation du representamen avec l’objet est commandée à être la même
relation, la même du point de vue de l’ordre, mais différente cependant.
(p135->) Différente,
c’est-à-dire plus spécifiée, c’est-à-dire d’une certaine manière
qu’on a un peu réduit le champ de possibilités de ce signe qui vient, et comme ça, ça
continue à l’infini, on le réduit de plus en plus, on va
voir ça. Le « ground » absent
ici, détermine la relation du " representamen " à l’objet lui-même,
et la représentation du
" representamen " à
l’objet détermine comme répétition la relation du représentant a l’objet
qui détermine comme répétition elle-même – qu’est-ce que je disais ?
j’ai dit du représentant ? – Oui donc, le representamen-objet détermine
representamen-objet.
Mais,
d’une certaine manière, on peut dire et Pierce le dit – que l’objet de la
relation entre l’interprétant et l’objet, ce n’est pas exactement
l’objet qui est objet de l’interprétant, c’est l’ensemble de cette relation, c’est-à-dire d’une part que tout
ça,
c’est l’objet de ça et que d’autre part ça,
ça doit répéter ça. Ca
doit le répéter en général dans la forme et l’avoir pour objet. Et on
pourra prendre un exemple.
Pierce
prend un exemple...
LACAN.
– Ce que je traduis en disant que l’existence, c’est l’insistance.
RECANATI.
– On voit que tout le problème, c’est le tout début, c’est ce qui se
passe entre le « representamen » et l’objet. Or, justement il est impossible
de rien dire de ce qui se passe là-dessus,
impossible de revenir
de ce qui se passe là-dessus. Tout ce qu’on sait, c’est que ça, ce qui se
passe là-dessus, entre les deux, ça entraîne tout le reste, je vais finir par
là sur le reste parce que ça, ça
continue à l’infini. Dès qu’on veut savoir, pour que ça, ça ait du sens, dit
Peirce – le procès de
signification il se fait à partir de là – pour que ça, ça ait du sens
d’une manière ou d’une autre, il faut nécessairement
que du rapport, si on prend l’objet en tant que « justice » et si on
prend le « representamen » comme étant " balance ", il faut
justement que cette relation-la qui en soi ne fait rien, elle soit interprétée
par ses interprétants, ses interprétants
pouvant être n’importe quoi ; ça pourra être " égalité ", et à ce titre-là,
la relation en général de l’interprétant à ici va être elle-même interprétée
par un deuxième interprétant, on pourra mettre « communiste »,
on pourra mettre ce qu’on voudra, et ça continue sans arrêt. C’est-à-dire
qu’au départ, il y a un tout qui est donné, il y a une espèce de voie, il y
a un fond qui est choisi, à l’intérieur d’un fond différencié, et à
partir de là il y a une tentative d’exhaustion absolument impossible de ce
fond à partir de la première étape qui est donnée dans le tout. Le
triangle sémiotique – on le voit, c’est très clair – reproduit la même relation
ternaire, que vous aviez citée à propos des armoiries des Borromée,
c’est-à-dire – et Peirce ne dit pas, il ne choisit pas les armoiries des Borromée,
mais il emploie les mêmes termes – les trois pôles sont liés par
cette relation d’une manière qui n’admet pas de relations duelles
multiples, mais une triade irréductible. Je le cite : « l’interprétant
ne peut avoir de relation duelle à l’objet, mais à la relation que lui commande
celle du signe-objet, qu’il ne peut avoir
cependant identique, mais dégénérée. La relation signe-objet sera le propre
objet de l’interprétant comme signe ».
Donc le triangle se développe en chaîne comme interprétation interminable– et le mot est de Peirce, c’est quand même fantas-(p136->)tique, « interprétation
interminable » comme expression – c’est-à-dire
qu’à chaque fois, c’est ce que vous tracez comme nouvelle hypoténuse qui
est pris pour objet du nouvel interprétant à chaque fois. Ceci qui n’est là
qu’en pointillé, en quelque sorte, se voit affirmé comme objet ensuite pour
le nouvel interprétant, et ce triangle continue à l’infini.
Pour
l’exemple que j’ai pris, la relation " égalité-justice ", est de
même
ordre que la relation balance-justice. Mais ce n’est pourtant pas la même.
« Égalité » vise non seulement « justice », mais
aussi le rapport " balance-justice ".
Alors, pour revenir à Locke, par exemple, on voit que justement ceci est pris
comme objet d’une interprétation, mais ce qui est nouveau, en quelque sorte,
dans le point de vue terminal, dans le résultat de l’interprétation, c’est
que l’inscription de l’objet y est marquée comme telle, parce que
justement le rapport en général balance-justice est mis à côté de l’objet
lui-même, à savoir la justice. Tel est le modèle du procès de signification en
tant qu’il est interminable. D’un premier écart, celui qui est donné par
un premier trait à l' intérieur du " ground-reprensentamen-objet ",
d’un premier écart naît une série d’autres et l’élément pur du
premier écart était ce " ground ", analogue au pur zéro. Ici encore,
surgit la double fonction du vide.
Bon,
vu l’heure, je ne vais pas continuer, parce qu’il y aurait peut-être des
tas d’exemples à prendre, et ce, aussi bien un peu partout dans Peirce qu’un
peu partout dans toutes les théories, là, j’ai pris l’empirisme. On aurait
pu prendre un peu n’importe quoi. Vous avez notamment cherché du côté de
Berkeley, c’est une bonne idée parce que c’est très riche. On pourrait
multiplier ces exemples, mais ce ne serait que s’en tenir au commentaire.
Lacan
a dit que son discours permettait de redonner sens aux discours plus anciens.
C’est certainement le premier fruit qu’on peut en retirer, mais le repérage
de ce qui s’est produit en général comme frayage sous la plume de Peirce par
exemple, n’est encore que l’inscription de ce qui comptait jusque-là pour du
beurre, jusque-là : jusqu’à Pierce et jusqu’à Lacan comme
on voudra. Dorénavant, de cette inscription de ce qui était jusque-là du zéro,
doit naître une énorme suite infinie, c’est
à cette suite qu’il s’agit de faire place.
LACAN.
– Voilà. Il a fallu que j’aille à Milan, pour éprouver le besoin
d’obtenir une réponse. Je trouve que celle que je viens d’obtenir est très
suffisamment satisfaisante pour que vous puissiez pour aujourd’hui vous en
satisfaire aussi.
note:
bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou
si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance
de m'adresser un émail. Haut
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