J.LACAN gaogoa
XIX-
...Ou Pire 1971-1972
version
rue CB note
9 février 1972
(p51->)
Vous adorez les conférences. C’est pourquoi j’ai prié hier soir, par un petit papier que je lui ai porté vers 10 heures 1/4, j’ai prié mon ami Roman Jakobson dont j’espérais qu’il serait ici présent, je l’ai prié donc de vous faire la conférence qu’il ne vous a pas faite hier, puisqu’après vous l’avoir annoncée, je veux dire avoir écrit sur !e tableau noir quelque chose d’équivalent à ce que je viens de faire ici, il a cru devoir rester dans ce qu’il a appelé les généralités, pensant sans doute que c’est ce que vous préfériez entendre, c’est-à-dire une conférence. Malheureusement – il me l’a téléphoné ce matin de bonne heure – il était pris à déjeuner avec des linguistes, de sorte que vous n’aurez pas de conférence.
Ben,
en voilà une, c’est typique : « Je te demande de me refuser ce que je
t’offre » – ici, arrêt parce que j’espère qu’il n’y a pas besoin de
rien ajouter pour que ça se comprenne, c’est très précisément ça, la
" lettre d’a-mur », la vraie – « de refuser ce que je t’offre » – on
peut compléter pour ceux qui par hasard n’auraient jamais compris ce que
c’est que la " lettre d’a-mur » – « de refuser ce que je t’offre parce
que (p52->) ça n’est pas ça ». Vous voyez, j’ai
glissé. J’ai glissé
parce que, mon Dieu, c’est à vous que je parle, vous qui aimez les conférences.
" Ça n’est pas ça " : il y a d’ajouté : « n ». Quand le ne est ajouté,
il n’y a pas besoin qu’il soit explétif pour que ça veuille dire quelque
chose, à savoir la présence de l’énonciateur, la vraie, la correcte.
C’est justement parce que l’énonciateur ne serait pas là que l’énonciation
serait pleine et que ça devrait s’écrire : " parce que : c’est pas ça ».
J’ai
dit qu’ici l’amusement était sérieux, qu’est-ce que ça peut bien vouloir
dire ? A la vérité, j’ai cherché, je me suis renseigné comment ça se
disait " sérieux » dans diverses langues. Pour la façon dont je le conçois,
je n’ai pas trouvé mieux que la nôtre qui prête au jeu de mots. Je sais pas
assez bien les autres pour avoir trouvé ce qui, dans les autres, en serait l’équivalent.
Mais dans la nôtre, « sérieux » comme je l’entends, c’est " sériel ".
Comme vous le savez déjà, j’espère, un certain nombre d’entre vous, sans
que j’ai eu a vous le dire, le principe du sériel, c’est cette suite des
nombres entiers qu’on a pas trouvé d’autres moyens de définir qu’à dire
qu’une propriété y est transférable de N à N + 1 qui ne peut être que
celle qui se transfère de 0 à 1, le raisonnement par récurrence ou induction
mathématique, dit-on encore.
Seulement
voilà, c’est bien le problème que j’ai essayé d’approcher dans mes
derniers amusements : qu’est-ce qui peut bien se transférer de 0 à l
? C’est là le coton ! C’est pourtant bien ce que je me suis
donné comme
visée
cette année de serrer . . . ou pire. Je n’avancerai pas aujourd’hui
dans cet intervalle, qui de prime abord est sans fond, de ce qui se transfère
de 0
à 1 ; mais ce qui est sûr et ce qui est clair, c’est qu’à prendre les
choses 1 par l, il faut en avoir le cœur net. Car quelque effort qu’on ait fait
pour logiciser la suite de la série des nombres entiers, on n’a pas
trouvé mieux que d’en désigner la propriété commune – c’est la seule
– comme étant celle de ce qui se transfère de 0 à l.
Dans
l’intervalle, vous avez été, ceux de mon École, avisés de ne pas manquer
ce que Roman Jakobson devait vous apporter de lumière sur ce qu’il en est de
l’analyse de la langue, ce qui à la vérité est fort utile pour savoir où
je porte maintenant la question. C’est pas parce que j’en suis parti, pour
en venir à mes amusements présents, que je dois m’y tenir pour lié. Et ce
qui assurément m’a frappé, entre autres, dans ce que vous a apporté Jakobson,
c’est quelque chose qui
concerne ce point d’histoire que ce
n’est pas d’aujourd’hui que la langue, " lalangue ", c’est à l’ordre
du jour. Il vous a parlé entre autres, d’un
certain Boetius Dacus, fort important, a-t-il souligné, parce qu’il a articulé des
" suppositions " – je pense qu’au moins pour certains, ça fait écho à ce
que je dis depuis longtemps de ce qu’il en est du sujet, du sujet
radicalement, ce que " suppose " le signifiant. Puis il vous a dit
qu’il se
trouvait que depuis un certain moment, ce Boèce, ce Boèce qui n’est pas
celui que vous connaissez – celui-là il a extrait les images du passé, Dacus
qu’il s’appelle, c’est-à-dire Danois, c’est pas le bon, c’est par
celui qui est dans le dictionnaire Bouillet – il vous a dit qu’il avait
disparu, comme ça arrive, pour une petite question de déviationnisme. En fait,
il a été accusé d’averroïsme et, dans ce temps-là, on ne peut pas dire
que ça ne pardonnait (p53->)
pas, mais ça pouvait ne pas pardonner quand on avait l’attention attirée par
quelque chose qui avait l’air un peu solide comme, par exemple, de parler des
" suppositions ".
De
sorte qu’il n’est point tout à fait exact que les deux choses soient sans
rapport et c’est ce qui me frappe. Ce qui me frappe, c’est que, pendant des
siècles, quand on touchait à " lalangue ", il fallait faire attention.
Il y a une lettre qui n’apparaît que tout à fait en marge dans la composition
phonétique,
c’est celle-là, qui se prononce " hache " : H en français.
Ne touchez pas à
la Hache, c’est ce qui était prudent pendant des siècles quand on touchait
à la langue. Parce qu’il s’est trouvé que pendant des siècles, quand on
touchait à la langue, eh bien, dans le public, ça faisait de l’effet, un
autre effet que l’amusement.
Une
des questions qu’il ne serait pas mal que nous entrevoyions comme ça tout à
fait à la fin, encore que, là où je m’amuse d’une façon plaisante,
j’en ai donné, sous la forme de ce fameux mur, l’indication, il serait peut-être
pas mal que nous entrevoyions pourquoi maintenant l’analyse
linguistique, ça fait partie de la recherche scientifique. Qu’est-ce que ça
peut bien vouloir dire ? La définition – là je me laisse un peu entraîner
– la définition de la recherche scientifique, c’est très exactement ceci
– il n’y a pas loin à chercher – c’est une recherche bien nommée en
ceci que c’est pas de trouver qu’il est question, en tout cas rien qui dérange
justement ce dont je parlais tout à 1’heure, à savoir le public.
J’ai
reçu récemment d’une contrée lointaine – je ne voudrais faire à
quiconque aucun ennui, je vous dirai donc pas d’où – une question de
recherche scientifique, c’était un « comité de recherche scientifique sur
les armes », textuel ! Quelqu’un qui ne m’est pas inconnu – c’est bien
pour ça qu’on me consultait sur ce qu’il en était de lui – se proposait
pour faire une recherche sur la peur. Il était question de lui donner un crédit
qui, traduit en francs français, devait tout doucement dépasser son
demi-million d’anciens francs, moyennant quoi il passerait – c’était écrit
dans le texte ; le texte lui-même, je peux pas vous le donner, mais je l’ai
– il était question qu’il passe à Paris 3 jours, à Antibes 28, à Douarnenez
19 ;
à San Mantano qui, je crois – Antonella, tu es là ? San
Mantano, ça doit être une plage assez agréable, non ? ou je me trompe ? Non,
tu ne sais pas ? c’est peut-être à côté de Florence, enfin on ne sait pas
– à San Mantano 15 jours, et ensuite à Paris 3 jours.
Grâce
a une de mes élèves j’ai pu résumer mon appréciation en ces termes : « I
bowled over with admiration ». Puis j’ai mis une grande croix sur tout le détail
des appréciations qu’on me demandait sur la qualité scientifique du
programme, ses résonances sociales et pratiques, la compétence de l’intéressé
et ce qui s’ensuit. Cette histoire n’a qu’un intérêt médiocre, mais elle
commente ce que j’indiquais, ça ne va pas au fond de la recherche
scientifique. Mais il y a quelque chose quand même que ça dénote – et
c’est peut-être le seul intérêt de l’affaire –, c’est que j’avais
d’abord proposé comme ça au téléphone, à la personne qui, Dieu merci,
m’a corrigé : « I bowled over » – vous ne savez pas naturellement ce que ça
veut dire, je ne le savais pas non plus – « Bowl, B.o.w.l. », c’est la
boule, je suis donc boulé, je suis comme un jeu de quilles tout entier (p54->)
quand une bonne boule le bascule. Vous m’en croirez, si vous
voulez, ce que j’avais proposé au téléphone, moi qui ne connaissais pas
l’expression " I bowled over ", c’était moi " I’m blowed over
" : je
suis soufflé. Mais c’est naturellement complètement incorrect, car « blow »
qui veut en effet dire souffler – c’est ce que j’avais retrouvé –
" blow ", ça fait " blown " ça ne fait pas « blowed ».
Donc si j’ai dit «
blowed », est-ce que ça n’est parce que sans le savoir, je le savais que c’était
" bowled over " !
Là
nous rentrons dans le 1apsus, c’est-à-dire dans les choses sérieuses. Mais en
même temps, c’est fait pour nous indiquer que, comme Platon l’avait déjà
entrevu dans le « Cratyle », que le signifiant soit arbitraire, c’est pas si
sûr que ça. Puisqu’après tout, " bowl " et « blow », hein, c’est pas
pour rien que c’est si voisin, puisque c’est justement comme ça que je
l’ai manqué d’un poil, le « bowl ». Je sais pas comment vous qualifierez
cet amusement, mais je le trouve sérieux.
Moyennant
quoi, nous revenons a l’analyse linguistique dont certainement, au nom de la
recherche, vous entendrez de plus en plus parler. C’est difficile d’y mener
son chemin là où le clivage en vaut la peine.
On
apprend des choses, par exemple, qu’il y a des parties du discours, je m’en
suis gardé comme de la peste, je veux dire de m’y appesantir, pour ne pas
vous engluer. Mais enfin, comme certainement la recherche va se faire entendre
– comme elle se fait entendre ailleurs – je vais parler du verbe. On vous énonce
que le verbe exprime toutes sortes de choses et il est difficile de se dépêtrer
entre l’action et son contraire. Il y a le verbe intransitif qui manifestement
ici fait un obstacle, l’intransitif devient alors très difficile à classer.
Pour nous en tenir à ce qu’il y a de plus accentué dans cette définition,
on vous parlera d’une relation binaire pour ce qu’il en est du verbe type où,
il faut bien le dire, le même sens de verbe ne se classe pas de la même façon
dans toutes les langues. Il y a des langues où l’on dit " l’homme bat le
chien ". Il y a des langues où l’on dit " il y a du battre le chien par
l’homme ". Ce n’est pas essentiel, la relation est toujours binaire.
Il
y a des langues où on dit " l’homme aime le chien ". Est-ce que c’est
toujours aussi binaire quand, dans cette langue, – car là, il y a des différences
– on s’exprime de la façon suivante : " l’homme aime au chien ",
pour
dire non pas qu’il le « like », qu’il aime ça comme un bibelot, mais
qu’il a de l’amour pour son chien. « Aimer à quelqu’un », moi, ça m’a
toujours ravi. Je veux dire que je regrette de parler une langue où on dit «
j’aime une femme », comme on dit " je la bats ". « Aimer à une femme »,
ça me semblerait plus congru, c’est même au point qu’un jour, je me suis
aperçu – puisque nous sommes dans le lapsus, continuons – que j’écrivais :
" tu ne sauras jamais combien je t’ai aimé ". J’ai pas mis de e à la
fin, ce qui est un lapsus, une faute d’orthographe, si vous voulez,
incontestablement, mais c’est en y réfléchissant justement que je me suis
dit que si j’écrivais ça comme ça, c’est parce que je devais sentir «
j’aime à toi ». Mais enfin, c’est personnel.
Quoi
qu’il en soit, on distingue avec soin de ces premiers verbes ceux qui se définissent
par une relation ternaire : « je te donne quelque (p55->)
chose ». Ça peut
aller de la nasarde au bibelot, mais enfin là il y a trois termes. Vous avez pu
remarquer que j’ai toujours employé le " je te " comme élément de
la
relation.
C’est
déjà vous entraîner dans le sens qui est bien celui ou je vous conduis,
puisque là, vous le voyez, il y a du ; " je te demande de me refuser ce
que je t’offre ". Ça va de soi parce qu’on peut dire " l’homme donne
au chien une petite caresse sur le front ".
Cette
distinction de la relation ternaire avec la re1ation binaire est tout à fait
essentielle. Elle est essentielle en ceci : c’est que quand on vous schématise
la fonction de la parole on vous parle " petit d ", " grand D
", du
destinateur et du Destinataire, à quoi on ajoute la relation que, dans le schéma
courant, on identifie au message. Et certes on souligne que le destinataire
doit posséder le code pour que ça marche. S’il le possède pas, il aura à le
conquérir, il aura à déchiffrer.
Est-ce que cette façon d’écrire est satisfaisante ? Je prétends, je prétends que 1a relation, s’il y en a une – mais vous savez que la chose peut être mise en question – s’il y en a une qui se passe par la parole, implique que soit inscrite la fonction ternaire, à savoir que le message
|
dD |
et
qu’il n’en reste pas moins que, y ayant un destinateur, un destinataire et
un message, ce qui s’énonce dans un verbe est distinct, c’est à savoir que
le fait qu’il s’agisse d’une demande, du D qui est là, mérite d’être
isolé. Pour grouper les trois éléments, c’est justement en ça que c’est
évident, et seulement évident quand j’emploie « je » et « te », quand
j’emploie " tu " et " me ", c’est que ce " je "
et ce " te
", ce " tu
", ce " me ", ils sont précisément spécifiés de l’énoncé de la
parole. Il ne peut y avoir ici aucune espèce d’ambiguïté.
Autrement
dit, il n’y a pas que ce qu’on appelle vaguement le code, comme s’il n’était
là qu’en un point ; la grammaire fait partie du code, à savoir cette structure
tétradique que je viens de marquer comme étant essentielle à ce qui
se dit. Quand vous tracez votre schéma objectif de la communication, émetteur,
message et à l’autre bout, le destinataire, ce schéma objectif est moins
complet que la grammaire, laquelle fait partie du code. C’est bien en quoi il
était important que Jakobson vous ait produit cette généralité que la
grammaire, elle aussi, fait partie de la signification et que ce n’est pas
pour rien qu’elle est employée dans la poésie.
Ceci
est essentiel, je veux dire de préciser le statut du verbe, parce que bientôt
ça vous décantera les substantifs selon qu’ils ont plus ou moins de poids.
Il y a des substantifs lourds, si je puis dire, qu’on appelle concrets, comme
s’il y avait autre chose comme substantifs que des substituts ! Mais enfin il
faut de la substance, alors que je crois urgent de marquer d’abord que nous
n’avons à faire qu’à des sujets. Mais laissons là les choses pour
l’instant. (p56->) Une critique, qui curieusement
ne nous vient que réfléchie
de la tentative de logiciser la mathématique, se formule en ceci, en ceci où
vous reconnaîtrez la portée de ce que j’avance, c’est que, à prendre la
proposition comme fonction propositionnelle, nous aurons à marquer la fonction
du verbe, et non pas de ce qu’on en fait, à savoir fonction de prédicat.
La fonction du verbe, prenons ici le verbe " demander ", je te demande,
F, j’ouvre la parenthèse : x, y, c’est « je » et « te » .
F
(x, y
qu’est-ce
que je te demande ? « De refuser », autre verbe. Ce qui veut dire qu’à la
place de ce qui pourrait être ici la petite caresse sur la tête du chien, c’est-à-dire
z, vous avez par exemple f et de nouveau x, y :
F
(x, y, f (x, y
Et
là, est-ce que vous êtes forcés de terminer, c’est-à-dire d’y mettre ici
z ? Ça n’est nullement nécessaire, car vous pouvez avoir très bien par
exemple je mets un – ne
le mettons pas parce
que tout à l’heure ça fera
des confusions – je mets un petit ,
et encore x, y, " ce que je t’offre
",
moyennant quoi nous avons à fermer trois parenthèses :
F
(x, y, f (x, y, (x, y)))
Ce
à quoi je vous conduis est ceci de savoir, non pas – vous allez le voir –
comment surgit le sens, mais comment c’est d’un nœud de sens que surgit
l’objet, l’objet lui-même et, pour le nommer, puisque je l’ai nommé
comme j’ai pu, l’objet (a).
Je
sais qu’il est très captivant de lire Wittgenstein. Wittgenstein, pendant
toute sa vie, avec un ascétisme admirable, a énoncé ceci que je concentre :
ce qui ne peut pas se dire, eh bien, n'en parlons pas. Moyennant quoi, il
pouvait dire presque rien, à tout instant, il descendait du trottoir et il était
dans le ruisseau, c’est-à-dire qu’il remontait sur le trottoir, le trottoir
défini par cette exigence. Ce n’est assurément pas parce qu’en somme mon
ami Kojève a expressément formulé la même règle – Dieu sait que, lui, ne
l’observait pas – mais ce n’est pas parce qu’il l’a formulée que je
me croirais obligé d’en rester à la démonstration, à la vivante démonstration
qu’en a donnée Wittgenstein.
C’est
très précisément, me semble-t-il, de ce dont on ne peut pas parler qu’il
s’agit quand je désigne du « c’est pas ça » ce qui seul motiva une
demande telle que de « refuser ce que je t’offre ». Et pourtant s’il y a
quelque chose qui peut être sensible à tout le monde, c’est bien ce " c’est
pas ça
" : nous y sommes à chaque instant de notre existence. Mais
alors, tâchons de voir ce que ça veut dire, car ce " c’est pas " »,
nous pouvons le laisser à sa place, à sa place dominante, moyennant quoi évidemment
nous n’en verrons jamais le bout.
Mais au lieu de le couper, tachons de le mettre dans l’énoncé lui-même. C’est pas ça, quoi ? Mettons-le de la façon la plus simple, ici le " je ", ici le " te ", ici " je te demande " (D) " de me refuser " (R) " ce que je t’offre " (O) et puis là, il y a de la perte (ç)
(p57->)
Mais si c’est pas ce que je t’offre, si c’est parce que
c’est pas ça que je te demande de refuser, c’est pas ce que je t’offre
que tu refuses, alors j’ai pas à te le demander. Et voilà qu’ici aussi ça
se coupe (en R),
moyennant
quoi si j’ai pas à te demander de le refuser, pourquoi est-ce que je te le
demande ? Ça se coupe aussi ici (en D).
Moyennant quoi pour reprendre dans un schéma plus correct, où le " je " et le " te " sont ici, la " Demande " ici, le « Refuser » ici, et l’ " Offre " ici,
à savoir
une première tétrade qui est celle-ci : je te demande de refuser ; une
seconde : refuser ce que je t’offre ; peut-être ce qui ne nous étonnera pas,
nous pouvons voir dans la distance qu’il y a des deux pôles distincts de la
Demande et l’offre, que c’est peut-être là qu’est le « c’est pas ça
».
Mais
comme je viens de vous l’expliquer, si nous devons ici dire que c’est
l’espace qu’il y a, qu’il peut y avoir entre ce que j’ai à te demander
et ce que je veux t’offrir, à partir de ce moment-là, il est également
impossible de soutenir la re1ation de la Demande au Refuser, et du Refuser à
l’Offre.
Est-ce que j’ai besoin de commenter dans le détail ? Ça ne sera peut-être quand
même
pas inutile. Pour la raison de ceci d’abord : vous pouvez vous demander
comment ça se fait qu’après tout de tout ça, je vous donne un schéma
spatial. C’est pas de l’espace qu’il s’agit, c’est de l’espace pour
autant que nous y projetons nos schémas objectifs. Et ça nous en (p58->)
indique déjà assez, à savoir que nos schémas objectifs commandent peut-être
quelque chose de notre notion de l’espace, je dirais encore avant que ça soit
commandé par nos perceptions. Je sais bien que nous sommes enclins à croire que
c’est nos perceptions qui nous donnent les trois dimensions. Il y a un nommé
Poincaré qui n’est pas sans vous être connu, qui a fait pour le démontrer
une très jolie tentative. Néanmoins ce rappel du préalable de nos schémas
objectifs ne sera peut-être pas inutile pour apprécier plus exactement la portée
de sa démonstration.
Ce
que je veux, ce sur quoi je veux plutôt insister, ce n’est pas seulement ce
rebondissement du " c’est pas ça que je t’offre " au " c’est pas
ça que
tu peux refuser ", ni même au " c’est pas ça que je te demande
". C’est
ceci, c’est que ce qui n’est pas ça, ça n’est peut-être pas du tout ce
que je t’offre et que nous prenons mal les choses à partir de !à. C’est
" que je t’offre ", car qu’est-ce que ça veut dire, " que je t’offre
" ? Ca
ne veut pas dire du tout que je donne, comme il suffit d’y réfléchir. Ca veut
pas dire non plus que tu prennes, ce qui donnerait un sens à " Refuser
".
Quand j’offre quelque chose, c’est dans l’espoir que tu me rendes. Et c’est
bien pour ça que le potlatch existe. Le potlatch, c’est ce qui noie,
c’est ce qui déborde l’impossible qu’il y a dans l’offre, l’impossible que ce soit un don. C’est bien pour
ça que le potlatch, dans notre
discours, nous est devenu complètement étranger, ce qui ne rend pas étonnant
que dans notre nostalgie nous en faisions ce que supporte l’impossible, à savoir le Réel, mais justement le Réel
comme impossible.
Si
ce n’est plus dans le « ce que » de ce que je t’offre que réside le «
c’est pas ça », alors observons ce qui procède de !a mise en question de
l’offrir comme tel. Si c’est, non « ce que je t’offre », mais « que je
t’offre » que je te demande de refuser, ôtons l’offre – ce fameux substantif verbal qui serait un moindre substantif, c’est pourtant bien quelque
chose – ôtons l’offre et nous voyons que la Demande et le Refus perdent
tout sens. Parce que qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire de demander de
refuser ?
Il
vous suffira d’un tout petit peu d’exercice pour vous apercevoir qu’il en
est strictement de même si vous retirez de ce nœud, « je te demande de refuser
ce que je t’offre », n’importe lequel des autres verbes. Car si vous
retirez le refus, qu’est-ce que peut vouloir dire l’offre d’une demande et,
comme je vous l’ai dit, il est de la nature de l’offre que, si vous retirez
la demande, refuser ne signifie plus rien. C’est bien pourquoi la question qui
pour nous se pose n’est pas de savoir ce qu’il en est du « c’est pas ça
» qui serait en jeu a chacun de ces niveaux verbaux, mais de nous apercevoir
que c’est à dénouer chacun de ces verbes de son nœud avec les deux autres
que nous pouvons trouver ce qu’il en est de cet effet de sens en tant que je
l’appelle l’objet a.
Chose
étrange, tandis qu’avec ma géométrie de la tétrade je m’interrogeais
hier soir sur la façon dont je vous présenterais cela aujourd’hui, il m’est
arrivé, dînant avec une charmante personne qui écoute les cours de M.
Guilbaut, que, comme une bague au doigt, me soit donné quelque chose que je
vais maintenant, que je veux vous montrer quelque chose (p59->)
qui n’est
rien de moins, paraît-il – je l’ai appris hier soir – que les armoiries
des Borromée.
Il
y faut un peu de soin, c’est pour ça que je m’y mets. Et voilà. Vous pouvez
refaire la chose avec les ficelles. Si vous copiez bien ça soigneusement – je
n’ai pas fait de faute – vous vous apercevrez de ceci : c’est que –
faites bien attention – celui-là, le troisième là, ne le voyez plus, vous
pouvez faire un effort comme ça, c’est accessible, vous ne voyez plus. Vous
pouvez remarquer que les deux autres, vous voyez, celui-là passe au-dessus de
celui de gauche et il passe au-dessus aussi là, donc ils sont séparés.
Seulement à cause du troisième, ils tiennent ensemble. Ca, vous pouvez faire
l’essai, si vous n’avez pas d’imagination, il faut faire l’essai avec
trois petits bouts de ficelle. Vous verrez qu’ils tiennent, mais il n’y a
rien à faire ! Il suffit donc que vous en coupiez un pour que les deux autres,
encore qu’ils aient l’air noués tout à fait comme dans le cas de ce que
vous connaissez bien, à savoir des trois anneaux des Jeux Olympiques, n’est-ce
pas, qui, eux, continuent de tenir quand il y en a un qui a foutu le camp. Eh
bien, ceux-là, c’est fini !
C’est
quelque chose qui a tout de même de l’intérêt, puisqu’il faut se
souvenir que quand j’ai parlé de chaîne signifiante, j’ai toujours impliqué cette concaténation.
Ce
qui est très curieux – c’est ce qui va nous permettre aussi de retourner au
verbe binaire – c’est que les binaires, on ne semble pas s’être aperçu
qu’ils ont un statut spécial très en rapport avec l’objet a. Si au
lieu de prendre l’homme et le chien, ces deux pauvres animaux, comme exemple,
on avait pris le " je " et le " te ", on se serait aperçu
que le plus typique d’un verbe binaire, c’est par exemple « je t’emmerde ». Ou
bien
« je te regarde », ou bien « je te parle », ou bien " je te bouffe
".
C’est les quatre espèces comme ça, les quatre espèces qui n’ont précisément
d’intérêt que dans 1eur analogie grammaticale, à savoir d’être
grammaticalement équivalentes.
Et
alors, est-ce que nous n’avons pas là, en réduit, en minuscule, ce quelque
chose qui nous permet d’illustrer cette vérité fondamentale que tout
discours ne tient son sens que d’un autre discours. Assurément la
Demande ne suffit pas à constituer un discours, mais elle en a la structure fondamentale
qui est d’être, comme je me suis exprimé, un quadripode. J’ai souligné
qu’une tétrade est essentielle à la représenter de même qu’un
quaternion de lettres, F, x, y, z, est indispensable.
Mais
Demande, Refus et Offre, il est clair que, dans ce nœud que j’ai avancé
aujourd’hui devant vous, ils ne prennent leur sens que chacun (p60->)
l’un de l’autre, mais ce qui résulte de ce nœud tel que j’ai essayé
de le dénouer pour vous, ou plutôt à prendre l’épreuve de son dénouement,
de vous dire, de vous montrer que ça ne tient jamais à deux tout seul, que
c’est là le fondement, la racine, de ce qu’il en est de l’objet a.
Qu’est-ce
à dire, c’est que je vous en ai donné le nœud minimum, mais vous pourriez en
ajouter d’autres. Parce que ce n’est pas ça, quoi ? Que je désire, et qui
ne sait que le propre de la Demande, c’est très précisément de ne pouvoir
situer ce qu’il en est de l’objet du désir. Avec ce désir, ce que je
t’offre, ce que je t’offre, qui n’est pas ce que tu désires, nous
bouclerions aisément la chose avec ce que tu désires que je te demande. Et la
lettre d’a-mur s’étendra ainsi indéfiniment.
note: bien
que relu, si vous découvrez
des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou si vous souhaitez une précision
sur le texte, je vous remercie par avance de m'adresser un email.
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