J.LACAN                   gaogoa

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XIV- La logique du fantasme. 1966-1967

                        version rue CB

15 Mars 1967                       note  

    (p183->)Le Dr LACAN présente 1e Dr GREEN qui doit parler à ce séminaire :

« En vertu des trames secrètes et toujours très sures de mon surmoi, comme aujourd’hui je m’étais donné vacances, j’ai trouvé moyen d’avoir à parler hier à 5 h du soir à la jeune génération psychiatrique à Ste Anne. Génération des candidats analystes. Qu’est-ce que j’avais à faire là ? A la vérité, pas grand-chose étant donné que ceux qui m’y avaient précédé et nommément de mes élèves et des mieux faits pour leur apprendre ce qui peut être destiné à les éc1airer sur mon enseignement, Mme Aulagnier par exemple, pierre, que ne fonderons-nous sur cette pierre. S. Leclaire, Ch. Melman, pour les nommer par ordre alphabétique. Mise à part la distraction qui me pousse à dire oui quand on me demande quelque chose, j’avais tout de même quelque raison d’y être. A savoir, que ceci se passait dans le cadre d’un enseignement qui est celui de mon vieil ami, de mon vieux camarade H. Ey. Notre génération puisque c’est là même, celle de H. Ey et la mienne aura donc quelque rôle, ce vieux camarade en particulier aura été celui à qui pour moi, je donne le pompom quant à une fonction qui n’est rien d’autre que celle que j’appellerai du civilisateur.

 

    Vous vous rendez mal compte de ce que c’était la salle de Garde de Ste Anne quand nous y sommes arrivés tous les deux, avec d’autres aussi qui avaient la même vocation mais qui sont restés à mi-route. Le sous-développement si je puis dire quant aux dispositions logiques, puisque de logique il s’agit ici, était vraiment à ce niveau, vers 1925, c’est pas d’hier, quelque chose d’extraordinaire. Depuis ce temps, H. Ey a introduit sa grande machine, l’organo-dynamisme, c’est une doctrine. C’est une doctrine fausse mais incontestablement civilisatrice. A cet égard elle a rempli son rôle, c’est dire qu’il n’y a pas dans le champ des hôpitaux psychiatriques qu’un seul esprit qui n’ait été touché par les questions que cette doctrine met au premier plan et ces questions sont des questions de la plus grande importance.

 

    Que la doctrine soit fausse est presque secondaire, eu égard à cet effet, d’abord parce que ça ne peut pas être autrement, parce que c’est une doctrine médicale. Il est nécessaire, il est essentiel au statut médical qu’il soit dominé par une doctrine, ça s’est toujours vu, le jour où il n’y aura plus de doctrine, il n’y aura plus de médecine non plus. D’autre part, il est non moins nécessaire, l’expé-(p184->)rience le prouve, que cette doctrine soit fausse, sans ça elle ne saurait prêter appui au statut médical. Quand les sciences dont la médecine maintenant s’entoure s’ouvrent à elle de toutes parts, se seront rejointes au centre, il n’y aura plus de médecine, il y aura peut-être encore la psychanalyse, qui constituera à ce moment-là la médecine, mais ce sera bien fâcheux parce que ce sera un obstacle définitif à ce que la psychanalyse devienne une science. On ne le souhaite.

 

    Hier soir, j’étais amené devant cet auditoire si choisi, à parler de l’opération de l’aliénation, dont je pense pour la plupart, étant donné qu’on ne se dérange pas facilement de Ste Anne jusqu’à l’École Normale, it is a long way, j’ai cru devoir pour eux, qui constituent en somme la zone d’appel aux responsabilités psychanalytiques. J’ai cru devoir leur épingler, parce que c’était vraiment là le lieu, leur épingler comment se pose, si l’on peut dire, ce qu’on appelle ce choix inaugural, qui est un faux choix puisque c’est un choix forcé, quels sont les noms qui conviennent à ce choix dans cette zone centrale, de celle des futurs responsables. Histoire de leur éveiller les oreilles je leur ai mis là-dessus les noms qui conviennent, je suis bien forcé d’y faire allusion parce qu’il est rare que des entretiens même limités comme ceux-là, restent secret, surtout quand il s’agit d’une salle de garde, et de ces noms vous en viendra-t-il peut-être aux oreilles quelque écho sous la forme de gorge chaude.

 

    Ce ne sont pas forcément des noms obligeants évidemment, mais entre le “ je ne pense pas ” et le “ je ne suis pas ”, ça n’a pas non plus, pour ce qui est d’une zone plus vaste, avancée comme étant les constituants fondamentaux de cette aliénation première, ce n’est pas non plus très obligeant pour l’ensemble des zones que je détache dans le champ humain sous la forme de champ du sujet, ou il ne pense pas ou il n’est pas, ça change si vous le mettez à la troisième personne, c’est bien de “ je ne pense pas, je ne suis pas ” qu’il s’agit. Ceci tempère beaucoup la valeur des termes dont je me suis hier soir servi, surtout si l’on songe qu’en vertu de l’opération de l’aliénation il y a un de ces deux termes qui est toujours exclu. Puis j’ai montré que celui qui reste, prend une toute autre valeur et en quelque sorte positive en se proposant, en s’imposant même comme terme d’échelle qui se propose justement à la critique de ce que j’invoquais à ce moment-là, de considérer que la position propre aux candidats c’est la critique, c’était très urgent, que la situation ancienne, sous développée, de la logique, la situation actuelle dans cette génération, par une sorte de paradoxe et par un effet qui est justement celui de l’analyse, l’incidence casus du meilleur optimisme, peut-être en bien de ces pessimus, la plus mauvaise les autres étaient des sous développés de la logique, mais ceux-là ont une tendance à en être les moines, je veux dire à la façon dont le moines se retirent du monde ils se retirent aussi de la logique, ils attendent pour y penser que leur analyse soit finie ! Je les ai vivement incités à  abandonner ce point de vue, je ne suis pas le seul d’ailleurs et ce trouble, il y en a d’autres, il y en a un à côté  de moi par exemple qui est de ceux, qui dans cet ordre, essaient d’éveiller quand il en est encore temps, je veux dire pas du tout forcément à la fin de la psychanalyse (p185->) didactique, mais aussi bien en cours, et cela vaut-il peut-être mieux, 1a vigilance critique de ceux qu’il peut avoir à l’occasion, à endoctriner, néanmoins, je dois dire que c’est au titre de psychanalyste, de représentant de ce champ qui est ce1ui problématique où se joue encore tout l’avenir de la psychanalyse, que M. Green se trouve recevoir de moi, aujourd’hui, la parole, ceci en raison du fait qu’il s’y est proposé lui-même, je veux dire que ce n’est nullement au titre d’être un de mes élèves sinon un des mes suivants, qu’il va vous dire aujourd’hui les réflexions que lui inspirent les derniers termes que j’ai apportés concernant la logique du fantasme.

  Je lui laisse maintenant la parole pour tout le temps qu’il voudra me réservant de tirer profit à votre usage comme au mien de ce qu’il aura aujourd’hui avancé.

 

Docteur GREEN :

  Lacan, à la suite d’un séminaire qui m’avait fait beaucoup réfléchir, et qui m’avait fait lui dire le regret que j’avais que les séminaires fermés soient supprimés, m’a redonné l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui, ce dont je le remercie.

    Cependant, il est nécessaire que les choses soient bien claires dès le départ, les élections législatives sont terminées, et ça n’est pas à une confrontation comme celles que vous avez pu entendre sur les ondes que je vais me 1ivrer aujourd’hui. Je vais surtout essayer à la suite de la lecture des séminaires que Lacan m’a transmis la semaine dernière, essayer de repérer un certain nombre de points à propos desquels je vais me livrer à un examen de la théorie lacanienne par rapport à la théorie freudienne et les problèmes que cela pose.

 

    Lacan, au cours d’un de ses séminaires, a dit : ce qui nous intéresse ce n’est pas la pensée de Freud, c’est l’objet qu’il a découvert.

   

    En effet, cette prise de position est très importante, elle prévient contre une pseudo-orthodoxie freudienne, mais néanmoins, il y a des problèmes qui se posent autant à la comparaison de l’esprit et de la lettre, et ce n’est pas ici que je vous apprendrai que Lacan tient plus à la lettre qu’à l’esprit. Mais il s’agit précisément de constituer la lettre de Freud et de tenter sa formalisation, j’ai déjà l’année dernière au cours d’un séminaire fermé concernant la question de l’objet “a” parlé dirai-je, devant le petit séminaire, c’est aujourd’hui devant le grand séminaire que je parle et je crois que cela n’est pas sans me poser un problème particulier car devant l’assistance sélectionnée par Lacan lui-même du petit séminaire, je savais au moins à qui je parlais, alors qu’aujourd’hui, je dais vous dire que je ne sais pas à qui je parle et que cela pose des problèmes pour moi en tant que je m’adresse surtout aux analystes.  

(p186->) Je vais repérer les problèmes que je vais traiter devant vous et qu'on pourra grouper sous cinq chapitres

    - je parlerai, d'abord du " Ça " et de sa vérité grammaticale dans ses rapports avec l'inconscient.

    - J'aborderai ensuite la question de la répétition dans son rapport avec la diachronie.

    - J'aborderai ensuite la pulsion par rapport au langage.

    - Je poursuivrai avec l'examen de ce que j'appellerai : les classes pulsionnelles, à savoir : les questions des pulsions dites à but inhibé par rapport aux pulsions à but non inhibé en tant qu'elles pourraient nous dire quelque chose des rapports entre le Grand Autre et le " a ".

    - Et enfin, je concluerai par quelques remarques concernant l'unité subjective c'est-à-dire la relation du Un unifiant au Un comptant, dans les rapports de la structure au Sujet.

    Lacan, au cours du séminaire du ler février 1967, disait : " il n'est pas facile de penser l'Es ", c'est surtout dans le séminaire du 11 janvier que Lacan a donné les formulations les plus achevées concernant l'Es.

    Qu'est-ce que c'est ? Ça est. Ça vient de disparaître. Un peu plus, ça allait être. Quelque chose qui pointe vers l'Être dit Lacan. Dans les Écrits, page 517, Lacan précise : " c'est d'un lieu d'être qu'il s'agit ", cette position se raccorde à la proposition que Lacan lui-même a qualifié de présocratique, Vo est Var Soll ich verden. Lacan en a donné plusieurs traductions. Dans la Chose freudienne là où fut ça, là dois-je survenir. Ensuite, dans l'instance de la lettre : là ou fut ça, il me faut advenir, Et enfin, une omission que je lui signale dans son index qui est signé de lui-même, p. 864, c'est-à-dire la dernière définition n'est pas signalée, comme c'est la dernière, il me semble important de la donner : là ou c'était, là, comme sujet dois-je advenir.

    Rapport donc à propos du ça, de la pensée, à l'Être, " ce n'est non pas un être, mais un desêtre, " ( séminaire du 11 janvier 67 ) . Enfin, le point, la définition, peut-on dire, qui est pivotale (pour employer un mot très employé ces dernières années), le pas est à proprement parler ce qui, dans le discours, en tant que structure logique est très exactement tout ce qui n'est pas je, c'est-à-dire tout le reste de la structure et quand je dis structure logique, entendez par là grammaticale (séminaire du 11 janvier). Ici se trouve centré le problème que nous avons à cerner en ce qui concerne la question du ça, l'inconscient est structuré comme un langage, le Ça, donc par rapport à l'inconscient est tout ce qui n'est pas je, tout le reste dela structure logique comme grammaticale qui est l’essence du ça. (séminaire du 11 janvier). A cet égard, nous assistons en partie sinon à une réfutation du moins à une mise en place, des positions antérieures de Lacan concernant le Ca parle, " ça parle " est un court-circuit de 1a relation ça – inconscient mais à condition précise Lacan, qu’on s’aperçoive bien qu’il ne s’agit de nul être.

     Voilà donc la position lacanienne concernant le ça. Je vais maintenant me tourner vers Freud pour considérer trois textes majeurs, je crois que nous nous trouvons 1à devant des problèmes très difficiles, et gui impliquent certainement une réflexion supplémentaire pour examiner la compatibilité ou l’incompatibilité de la théorie lacanienne avec la position freudienne en tous cas dans sa 1ettre. Dans le moi et le ça Freud donne la définition du Ca : pour se faire, il va d’abord proposer un, raisonnement qui est le suivant : il va dire qu’il y a des représentations verbales, auditives et des représentations visuelles, les représentations verbales étant auditives les représentations visuelles étant évidemment non auditives. Et il va dire que le passage de ces représentations inconscientes au conscient va 
obligatoirement passer par le stade du préconscient, tandis qu’il va exister une autre catégorie de phénomènes qui eux ne passeront jamais par l’état préconscient et qui passeront directement de 1’état inconscient, à l’état conscient. Il s’agit là des affects.

      Quel est l’intérêt de ce rappel ? C’est justement de préciser que l’inconscient va comprendre deux secteurs au moins : celui de la représentation et celui des affects et que les représentations vont être le support de la combinatoire représentation de mots, ou représentation de choses, alors que l’affect lui, ne peut entrer dans aucune combinatoire. Si, cependant, nous maintenons la position que j’ai défendue ici concernant l’affect en tant qu’il est un signifiant, nous voyons que là où nous nous heurtons à des problèmes de suture pour ce qu’il est des affects. Qu’en est-il donc au regard du langage ? Au regard du 1angage, dans le discours de l’analysé nous avons des éléments qui entrerons en jeu et qui ne seront pas ceux de la combinatoire, qui seront ceux de la ponctuation du discours, de ses pauses, de ses coupures, de la prosodie, de l’accentuation et ça n’est certainement pas la même chose pour un analyste de dire deux choses qui sont pratiquement les mêmes, losrqu’il rapporte une séance, « il me dit alors d’une voix étranglée : "mais alors ce serait mon père mort à qui je parlais dans le rêve ", le même chez l’obsessionnel : " mais alors ce serait mon père mort à qui je parlais dans le rêve".

     En 1932, dans la 32ème Conférence, Freud donne la définition 1a plus extensive du ça et qui est certainement celle qui apporte le plus de clarification et c’est je crois surtout en ce qui concerne cette définition ou cette description que le problème va se poser de la question de la vérité grammaticale du ça. C’est l’obscur, l’inaccessible partie de notre personnalité.

    (p188->) Nous approchons du ça par des analogies, nous l'appelons, un chaudron plein d'excitations bouillonnantes où nous figurons ouvert à une de ses extrémités aux influences somatiques, et prenant là en lui des besoins pulsionnels qui trouvent leur expression psychique en lui, mais nous ne pouvons dire sous quel subsratum. Il est empli d'énergie, l'atteignant à partir des pulsions, mais il n'a pas d'organisation, ne produit aucun vouloir commun, seulement une tentative pour amener la satisfaction des besoins pulsionnels à l'observance du principe de plaisir. Les lois logiques de la pensée ne s'appliquent pas au ça, ceci est vrai avant tout de la loi de non contradiction, là Freud va reprendre exactement dans les mêmes termes qu'il a décrit les processus primaire et l'inconscient, c'est-à-dire, les différentes caractéristiques que vous connaissez, c'est-à-dire la coexistence des contraires, l'absence de négation, l'inexistence de références temporo-spatiales, et Freud insiste énormément sur cette intemporalité.

    Il termine à peu près sur ceci : le facteur économique ou si vous préférez quantitatif, est intimement lie au principe de plaisir, domine tous ces processus, les investissements pulsionnels cherchant la décharge, c'est à notre avis tout , ce qu'il y a dans le temps. Freud insiste quand même sur le fait que ces caractéristiques de décharge ignorent complètement la qualité de ce qui est investi, ce que dans le moi nous appellerions une idée. Eh bien, je vous renvoie à ces pages, mais je voudrais également rappeler que concernant cette 31ème conférence, Freud, dit : nous n'utiliserons plus le terme inconscient, dans le sens systématique et nous donnerons à ce que nous avons décrit jusque là un meilleur nom qui ne soit plus sujet à malentendu, suivant un usage verbal de Nietzsche et adoptant une suggestion de Groddeck nous l'appellerons à l'avenir : le Ça.

    Voilà donc quelle est la position freudienne. Tout ce qu'on peut dire c'est que, quand quelques années avant sa mort, Freud écrira l'abrégé, il reprendra ces mêmes formulations que j'appellerai, dans une direction encore plus radicalisée. Freud même donne des précisions concernant ce que contient le ça, il dit : l'hérité, le présent à la naissance, fixé dans la constitution et avant tout les pulsions qui s'originent dans l'organisation somatique et trouvent leur expression psychique sous une forme qui nous est inconnue. Quel est donc le sens de cette opération opérée par Freud ?

    Puisque nous y retrouvons des termes tout à fait identiques à ceux que Freud emploie pour le processus primaire et pour l'inconscient, on peut dire que le ça comprend trois polarités

    - celle que j'appellerai constituante du symbolique, la condensation et le déplacement.

    - une polarité que j'appellerai, faute de mieux, catégorielle, c'est-à-dire la définition du ça par rapport au concept de négation, par rapport au temps, ou à l'espace.

(p189->
    -enfin une troisième polarité  que j'appellerai énergétique , la dessus je n'ai pas besoin de m'expliquer, c'est-à-dire la tendance essentiellement à la décharge et au processus quantitatif.

    Ce qu’on a pas assez remarqué c’est la solidarité, je dirai la consubstantialité presque, de ce remaniement de la 2ème topique ; avec l’introduction de la pulsion de mort. En fait, si nous voulons parler de 1a symbolisation, nous sommes ob1igés de parler de la structure et c’est le point central que je développerai au long de cet exposé, en ce que la structure naît d’une action liée à l’antagonisme d’éros et de la pulsion de mort. La vérité grammaticale, la concaténation, la suture, est le résultat d’un travail qui inclut le contre travail de la pulsion de mort. Suture, chaîne signifiante, le Un comptant s’identifie au zéro en tant qu’il est indispensable au procès. Mais, et c’est surtout là-dessus que j’aimerais pouvoir attirer votre attention, le zéro peut dissoudre l’opération l’empêcher de se reproduire et tout peut rester à ce zéro sans faire un pas de plus. Ce ne sera certainement pas par facétie que je reviendrai à la métaphore du chaudron et je vais associer là-dessus, je vais associer en vous proposant deux autres circonstances où il est question du chaudron dans Freud. La première sera celle du mot d’esprit, A (c’est Freud qui le dit) a emprunté à B un chaudron de cuivre, lorsqu’i1 le rend, B se plaint que le chaudron a un grand trou qui le met hors d’usage, voici la défense de A :

    1) je n’ai jamais emprunté de chaudron à B 
    2) le chaudron avait un trou lorsque je l’ai emprunté à H 
    3) j’ai rendu le chaudron intact

 

    Je pense que cet exposé de la défense de A est le plus propre à nous faire réfléchir, en effet, sur la question de la logique, la logique de l’inconscient et justement sur la sublogique que défend Lacan. Est-ce que cet exemple ne vaut pas les green ideas ? non pas tant les idées de Green, mais les vertes idées, ou les idées vertes.

    Deuxième exemple : Macbeth. Freud dans : " Analyse terminée, analyse interminable ", par1era de la sorcière métapsychologie sans laquelle il n’est pas possible de faire un pas de plus lorsqu’on cherche à comprendre.

    Interrogeons justement ces sorcières de Macbeth, celle que Freud en fait l’analyse dans son article sur les exceptions : les sorcières sont penchées au-dessus du chaudron et elles font une prédiction, c’est-à-dire que c’est exactement la situation d’Oedipe à l’envers, là ce n’est pas l’Oedipe, ce n’est pas Macbeth qui répond à une énigme, c’est une réponse qui lui est donnée en tant que réponse fallacieuse, nous allons voir comment. Car elles disent, : for.........of woman born shall arm Macbeth – " Car aucun, qui est né d’une femme, n’atteindra Macbeth, " c’est là-dessus, vous le savez, que Macbeth va se baser. Si nous en avisons ce discours de sorcière, nous nous trouvons précisément formés de deux catégories ou de deux styles différents : un premier style d’énigme et de prédiction, un deuxième style qui est un style purement incantatoire.

    (p190->) Le ler style me paraîtra celui du lieu de la vérité grammaticale, le deuxième me paraîtra quelque chose que j'appellerai précisément comme un style propre au ça. L'une sans l'autre, n'est pas. Dernier exemple : voyons Freud devant le Moise de Michel-Ange : deux parties là encore : une énigme, un affect. Un affect qui est que Freud se sent lui, regardé, par la statue de Moise, il ne peut en décoller son regard, il pénètre dans 1'eglise de St Pierre, comme un de ses petits juifs qui formaient la tribu d'Israël, comme cette racaille, dit Freud, soufflant le regard de Moise. Le juif regarde le juif, et 1'élucidation sera justement 1'élucidation de la combinatoire, c'est-à-dire de la signification du doigt, de 1'index clans la barbe, mais la encore, j'insiste Freud n'aurait pas pu faire 1'analyse s'il ne s'était d'abord senti concerne par l'affect, par 1'evidence de 1'affect puis-je dire, ou plus exactement la contrainte de 1'affect. Qu'est-ce que je suis demande Freud ? exactement comme il reçoit une réponse comme Moise en a reçu une : « je suis ce que je suis » je ne défends pas 1'affect contre la combinatoire. Je défends simplement le statut signifiant de 1'affect dont la combinatoire ne me parait pas pouvoir rendre compte.

 

  Ici nous aurons une autre perspective, celle de 1'intemporalité et le concept de répétition. Avant de passer a la répétition, je vous lirai un petit dialogue de ma facture

     -« qu'est-ce que ça est ? »
    -
« ça est rien. C'est tout . » 
   
-« est-ce que c'est ? »
    -
«
ou c'était »
   
   
-« Comment ça ? »
   
-« Comme ça.»  
   
-« Qu'est-ce que ça veut dire ? » 
   
-« ça désire. » 
   
-« Comment ça »

   
-« Ca se répète »
   
-« Répète ? »
   
-« Répète»
   
-« jusqu'à quand ? »

   
 
  -« jusqu'à ça».

  Voyons donc ce qu'il en est de la question de la répétition. La répétition est donc une qualification essentielle de la pulsion. Elle est le principe directeur d'un champ en tant qu'elle est proprement subjective, dit Lacan, et d'avancer ici le rapport du Un comptable et du Un signifiant. L'Un de la récurrence ne s'instaure que de la répétition, ce qui se passe quand par 1'effet du répétant ce qui était a répéter devient le répété. Quel est le rapport de la répétition au grand Autre, 1'alienation comme signifiant de I'Autre, en tant qu'il fait de 1'Autre un champ marqué de la même finitude que le sujet lui-même, c'est 1'algorythme bien connu de vous : S (A).  

    (p191->) Lacan constate que le dieu des philosophes n'est pas présent dans la théorie analytique comme théorie du sujet soumis aux lois du langage au lieu de l'Autre, comme lieu de la parole. Cette altérité radicale, présente chez Freud, il nous faut la rechercher bien entendu dans la castration, qui est justement le signe de la finitude. Mais selon Freud les fantasmes originaires sont innés, ils sont comme dit Lacan, en position de signifiants clés, séduction - castration - scène primitive organisateurs du désir humain. Mais ici, il me faut pointer une autre donnée qui me paraît négliger dans l'ensemble du mouvement psychanalytique français de quelque bord qu'il soit. C'est un affreux nom, c'est : la philogenèse. Je pense que la philogenèse, la pulsion de mort, et la deuxième topique sont des données absolument inséparables pour comprendre tout ce qu'il en est de la théorie freudienne après 1920.

    Cette philogenèse n'a pas une fonction sériologique puisqu'elle ordonne le désir, mais en fait, elle a pour fonction de rendre compte de ce qu'on pourrait appeler le hiatus entre l'expérience individuelle et les causes et les conséquences, à savoir : que pour un certain nombre d'expériences le minimum de faits, de causes, entraînent le maximum d'effets. C'est en quoi justement une conception dite génétique du développement ne peut en aucun cas répondre, puisque quantitativement, qu'est-ce que ce sera ? Ce sera comme disait la patiente que je quittais tout à l'heure me parlant de sa curiosité sexuelle infantile, des jeux où elle mettait un coussin sur le ventre pour avoir l'air enceinte : "c'est bien peu de chose".

    C'est bien peu de chose en effet s'il n'y avait pas là des signifiants clés pour donner tout le poids organisateur dans la structure. Mais ceci ne résout pas le problème de ce que nous avons à penser de la philogenèse. Ceci voudrait donc dire selon Freud, que quelque chose d'autre existe dans le temps du sujet qui n'est pas le temps de l'individu. La répétition comme essence du fonctionnement pulsionnel, c'est la reprise au niveau du sujet d'un temps que j'appellerai impersonnel. Celui qui appartient au géniteur. Tout se passerait donc comme si dans le moment synchronique, nous retrouvions là la même division que pour le sujet, à savoir : que Freud introduit dans le temps du sujet un autre temps qui n'est pas le même, je l'appelle, en le raccordant au vocabulaire lacanien, le temps de l'Autre.

    Pour faire l'oedipe, comme dit mon ami Rosolatto, il faut trois générations d'homme, car l'oedipe c'est la double différence : différence des géniteurs entre eux, différence des géniteurs et des engendrés. En quoi elle est à la fois structure et histoire .

     ..................... marquent les choses depuis la pulsion de mort sur l aphilogenèse, nous allons le voir dans le rapport : répétition - mémoire. Il faut ici, dans la théorie freudienne introduire un changement, ce n'est pas moi qui l'introduit, c'est Freud, ce changement sera précisément celui qui a distingué selon les trois instances, trois catégories de phénomènes qui seront différent pour chacunedes trois instances. Voila ce qu'il dira : ce que la pulsion est au ça, la perception le sera pour le moi. (M)ais nous en sommes arrivés la au point ou nous nous demandons si quelque chose ne fonctionne pas de façon équivalente pour le surmoi, ou correspondance. En effet, nous trouvons ceci, et ceci est décrit par Freud d'une façon extrêmement spécifique et dune façon qui, a mon avis, a été très négligée il appelle cela la fonction de 1'ideal. De quoi s'agit-il dans la fonction de l'idéal ? Il s'agit essentiellement de la fonction du père mort qui se constitue autour du totem. Le rituel funéraire rétablit les liens avec le disparu, liens que le mort a aboli et que la mémoire vénère. La mort est la condition nécessaire pour que des signes procèden efficacement par leur pauvreté. Économiquement, 1'opération a des effets comparables a ce que Freud confère au fonctionnement de la pensée qui a, par rapporta l'investissement sensoriel, ou libidinal 1'avantage d'une épargne considérable.

 

 

(courte interruption - un écho se fait dans la rue.........)

    Ainsi la fragilité des liens qui unissent le sujet au disparu, parla mémoire et 1'entretien de leur conservation à travers le rituel exigent eux aussi, une  élévation considérable du niveau d'investissement afin de combattre la perpétuelle menace de leur dissolution. Autrement dit, c'est la question des petites quantités d'énergie qui caractérisent le fonctionnement de la pensée comme Lacan 1'a rappelé, mais ces petites quantités d'énergie ne sont tenables que pour autant que  le niveau général d'investissement du système est globalement fausse.

  Le totem cesse d'être chose, ne se suffit pas d'être témoin, il est absence consacrée par le processus sous-tendu, par le pouvoir de 1'illusion, c'est-à-dire du désir, 1'agrandissement du disparu  (lerguhätgung  est un terme freudien) emplit toute le scène, voire le père d'Hamlet ou le père d'Oreste, mais par le même coup le voila aussi lié par sa place, le père mort, par 1'alliance qui s'est scellée entre la prolongation infinie de sa présence et la protection, la bienveillance, ou mieux la neutralite bienveillante, qu'il doit accorder.

  Cette fonction de 1'idéal comme formatrice du champ de 1'illusion est donc ce  qui pourrait se référer justement au grand Autre lacanien, bien entendu par la mort, la mort du père et la castration de la mère, ce qui se répète dans la pulsion c'est à la fois la compulsion de la pulsion de vie et la compulsion de la pulsion de mort. Lacan spécifie ce rapport du langage à la mort dans un de ses séminaires : le langage, dit-il, ne domine pas ce fondement du sexe en tant qu'il est peut-être plus profondément relié a 1'essence de la mort sur ce qu'il en est de la réalité sexuelle. En conclusion de ce chapitre : la répétition est donc bien fondatrice de la distinction entre 1'Un unifiant et 1'Un comptant. Je mettrai cet Un unifiant sur le compte de cette expérience individuelle, et le Un comptant qui s'identifie avec le zéro du sujet avec cette trace de la fonction de 1'idéal qui entoure chaque            opération, mais le zéro est d'un double emploi. Il est le zéro de la structure du sujet, il est le zéro a quoi le sujet risque d'être effectivement réduit, c'est-à-dire celui du (p193->) silence qui n'ouvre sur aucune opération. Les compteurs de fusée comptant à rebours, 5 - 4 - 3 - 2 - 1 - 0 c'est parti, c'est fini.

 

(A ce moment-la une musique d'orgue emplit la salle .... on attend que ça cesse).

 

    Quand Freud veut articuler la pulsion il ne peut faire autrement que passer par la structure grammaticale (Séminaire 18-01-1967 ) Lacan de tirer sous sa référence : les pulsions et leur destin, et de l'exemple de Ein kin wind schlagen, ce qui aboutit a la réflexion : il n'est que dans un monde de langage que puisse prendre la fonction dominante, le "je veux voir" laissant ouverte la question de savoir d'ou et pourquoi je suis regardé. Il n'est que dans un monde de langage qu'un enfant est . .. . . , sa valeur pivot. Il n'est que dans un monde de langage que le sujet de l'action fasse surgir la question qui le supporte;  pour qui agit-il ? La première remarque c'est que lorsqu'on est tenté de rattacher la fonction au langage on est toujours amené à la réserver à des travaux antérieurs à la pulsion de mort (1915-1919 pour les textes dont il s'agit ici).

    Le monde du langage est lié a la combinatoire des représentations. Or dans les pulsions et leur destin, le verstellung reprezantanz n'est jamais mentionné par Freud, il n'apparaît qu'avec le refoulement (texte sur le refoulement). Toutes les pulsions et leur destin reposent sur 1'analyse des pulsions partielles scoptophylie et sado-masochisme. Les destins des pulsions sont quatre :

 

- retournement contre soi 

- retournement en son contraire 

- refoulement 

- sublimation (chapitre que Freud n'a jamais pu écrire...

 

(nouvelle irruption de la musique ... Cor de chasse...)

 

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qui laisse de côté la question des représentants, si vous vous livrez à ce petit exercice amusant qui consiste, comme Lacan l'a fait plusieurs fois devant vous, à prendre une bande de papier et à la diriger vers le dehors, a la retourner contre vous, et à la retourner en son contraire, c'est-à-dire sans dessus dessous, vous obtenez la bande de Moebius dont il vous est parle si souvent. Le double retournement est donc la condition de la structure, la suture est la précondition de la combinatoire des représentants, la question devient alors de savoir : qu'est-ce qui est mis ensemble en circuit. Interrogeons-nous maintenant sur ce qu'il en est du tore du langage. Je me réfèrerai ici a la linguistique générale de Ch. Bally pour y lire les propositions suivantes, paragraphe 214 :

    "la pensée non communiquée, dit-il est synthétique, c'est-à-dire globale et non articulée. La synthèse est 1'ensemble des faits linguistiques contraints (p194->) dans le discours de la linéarité, et dans la mémoire de la monoscénie." Retenez-donc bien ce fait, que linéarité et monoscènie vont ensemble. Une forme est d'autant plus analytique qu'elle satisfait aux exigences de la linéarite et de la monoscènie. Bally dit : nous espérons montrer qu'en réalité la dystaxie, c'est-à-dire la non-linéarité, est 1'état habituel, et qu'elle est le corrélatif de la polyscènie et que par suite, la discordance entre signifié et signifiant est la règle. Malheureusement je crois que la lecture de Belly montre qu'il n'est pas à la hauteur pour soutenir son projet. Néanmoins, relevons ici le rapport entre linéarité et chaîne signifiante et non linéarité, condensation.

  Si nous retournons vers des courants plus récents, comment adhérer à une conception générative de la grammaire, quand celle-ci prétend vouloir éliminer 1'ambiguité ou le malentendu dans le rejet au nom anomalie sémantique et qui porte sur les faits et les situations qui sont au contraire pour nous le sol le plus ferme sur lequel repose non 1'analyse mail la psychanalyse. Le but de cette linguistique c'est 1'absolue transparence du discours c'est-à-dire de la structure du sujet.

  Lorsque Freud donne la définition de la pulsion en 1915, la demande de travail est imposée au psychique par suite de son lien avec le corporel, nous pouvons donc 1à isoler trois termes : corporel psychique, travail psychique, soit : source, objet, but . Ultérieurement, dans "Malaise de la civilisation" Freud donnera une autre proposition infiniment plus importante, peut-être pas plus importante mais à prendre en considération, c'est-à-dire qu'entre le trajet de la source au but, la pulsion devient opérante psychiquement, qu'on le veuille ou non, nous assistons là à la suture source-objet qui part du corps et qui revient au corps par la befriedigung, dans cet intervalle se constitue psychiquement la pulsion par 1'opération de la suture.

  Ce que quelqu'un dans un article récent a appelé : l'hypostase biologique, comme incohérence de la pensée freudienne, faute de son auteur, d'être au passé, pré(d)jugé de médecin, elle est pour moi, pour nous, une nécessité.  Il ne suffit pas de la dénoncer, Freud y revient sans cesse jusqu'à 1'abrégé au grand dam de ceux qui voudraient se débarrasser de ce témoin gênant. je lis : "mais en retour qu'à considérer la biologie comme le modèle de scientificité inaccessible à une théorie analytique essentiellement provisoire, FREUD aboutit à une dure spéculation suffit à indiquer que cette biologie est un mythe idéologique, l'eschatologie de la psychanalyse " .

  Freud disait : " ça n'empêche pas d'exister " après Charcot. Le philosophe n'aime pas son corps il a (a)voué son amour à la sagesse et s'il le malmène, il faut que ce soit pour une bonne cause. Cc dont il faut rendre compte au contraire, c'est 1'acharnement d'une tendance philosophique à 1'exclure ce biologique. Nous assistons encore à une forclusion, à un rejet de 1'Autre, et pourquoi ne s'agirait-i1 pas ici dune forclusion dont les conséquences seraient au moins aussi désastreuses. Comme je regrette que cet auteur n'ait  pas partagé mon expérience lorsqu'il y a (p195->) 15 ans, étant interne dans un hôpital psychiatrique de la périphérie, j'avais à faire à des hébéphréno-catatoniques au temps où les drogues miracles n'existaient pas je me rappelle d'un jeune homme dont la vie avait été normale jusque vers l'age de 17 ans, qui, ou il était, a 1'hopital psychiatrique était contraint à rester complètement nu sur une planche, mangeant avec ses doigts, grommelant quelques mots inintelligibles, parce qu'il détruisait tout ce qui se trouvait entre ses mains et qu'il était revenu à une condition qui évoque pour nous beaucoup de choses, mais en tous cas, quand Freud parle de la psychose du mur de la biologie, il sait ce dont il parle, il le sait d'autant mieux que je pense que cet auteur ne me contredira pas si je lui dit que 1'exégèse des textes a du bon, mais que la pratique confrontée avec les exigences des textes en a certainement une vertu éclairante. C'est ce que disait Lacan, concernant ce retrait monacal.

  Je pense que si, comme Lacan nous le rappelle, nous n'avons contribué en rien au progrès du biologique en tant qu'analystes, nous sommes quand même obliges d'y penser et peut-être que nous ne pouvons rien en dire mais que nous avons à articuler les rapports du corps à la pensée à travers les effets du langage. Ce langage que Freud appelle le progrès dans 1'intellectualité, ce progrès dans 1'intellectualité c'est au prix d'une illusion qu'il s'est instauré et il faut le rappeler. Citation de Moïse et le monothéisme : l'omnipotence de la pensée, fut, nous le supposons, une expression de 1'orgueil de 1'humanité dans le développement du langage qui eut pour résultat un si extraordinaire progrès dans les activités intellectuelles. Comment le biologique se rappelle-t-il a nous ? Par le mythe d'origine ? Pas seulement, à toutes les étapes, et surtout l'essentielle, celle de la fin de la latence, qui institue une coupure dans le sujet, rupture de la phase de latence, renouvellement et apparition de 1'adolescence. Il suffit d'avoir vu une seule fois la transformation somatique sexuelle d'un garçon ou d'une fille a cet age pour se rendre compte que s'ils piquent des fards, ce n'est pas seulement parce qu'ils ont des pensées qui les gênent mais que ces pensées sont incarnées dans un corps, dans une structure une structure du corps qui est fortement structurée, et une structure de la pensée entre les deux : le ça ; de quel corps s'agit-il ? Est-ce qu'il s'agit du corps repoussé par le signifiant ? Oui sans doute, mais pas entièrement. Pas du corps soumis à la structure du signifiant, est-ce qu'il s'agit du corps de la biologie, oui, sans doute, mais pas entièrement, pas du corps soumis a la structure de 1'organisation vitale.

  Alors ? Mi-chair mi-poisson ? Ici  j'emploierai une analogie que Lacan a utilisé lui-même, qui concernait I'entre-deux mort. Je pourrais appeler ça : l'entre-deux corps. Il n'est pas tout a fait dans l'un, il n'est pas encore tout a fait dans 1'autre, il est traversé du signifiant en son circuit mais en tant que son circuit est a constituer et sa constitution est sans cesse menacée. Suture, concaténation, métonymie, linéarité, sont les chaînes dans lesquelles le sujet se prend, mais ce sont aussi celles qu'il brise périodiquement s'il effectue le pas de sens, il est aussi constamment menace du non-sens

    (p196->) Concluons : il faut unir la force et le sens. Non les opposer, et montrer leur consubstantialité, ils sont conjoints dans la loi, force doit rester à la loi, une loi qui ne s'appuie sur aucun exécutif n'est pas une loi, ils sont unis dans le pouvoir, le père a le pouvoir réel de châtrer et tout père est infanticide. Il n'est que de relire le problème économique du masochisme, pour comprendre la compénétration de la force du sens qui est en même temps la compénétration de la nature et de la culture, c'est ce qui rend nécessaire le concept de travail, c'est la condition de la transformation en sens et du retour du sens comme sens fort. Travail, le mot est dans Freud, travail du rêve, travail du deuil, travail de la cure, et qui dit travail : dit valeur. La valeur dont Saussure parle, il remarque qu'elle n'est pas présente dans tous le champ des sciences, quelques sciences seulement en ont le privilège, linguistique, l'économie, ajoutons la psychanalyse. En tant qu'il s'agit d'appliquer la définition saussurienne, toutes les valeurs sont constituées

    1) par une chose dissemblable, susceptible d'être échangée contre celle dont la valeur est indéterminée.

    2) ou par des choses similaires qu'on peut comparer avec celles dont la valeur est en cause.

    Si vous avez le temps de réfléchir sur ces définitions, vous verrez qu'elles concernent très directement l'objet a, et le rapport au A.

    Le travail c'est quoi ? c est ça (il déploie une grande feuille de papier sur laquelle se trouve un schéma), vous n'y comprenez rien, ça n'a pas d'importance, moi-même je n'y ai rien compris. C'est une malade qui en est à sa septième année d'analyse qui a tenu à me la montrer parce que c'était son travail, elle a tenu à me la montrer et au sens marxiste on dirait qu'elle est aliénée comme elle le dit elle-même (il se trouve que c'est une chaudière, un chaudron de plus) elle m'a toujours dit : « comme c'est triste, je ne verrai jamais cette chaudière, je ne fais que la dessiner, je ne saurais jamais à quoi elle ressemble réellement ». Mais en tant qu'il s'agit d'une aliénation psychanalytique, je dirai qu'elle ne sait pas que c'est son corps qu'elle me montre, que c'est son sexe qu'elle me montre en tant qu'elle n'a ni homme ni enfant, ni pénis et que c'est une des malades, si je dis qu'elle en est à sa septième année, c'est qu'il y avait chez elle cette forclusion du corps qui la rendait quasiment stupide et qui se manifestait chez elle par une inhibition au travail qui est à rapporter, comme nous l'a toujours enseigné Freud, comme résultat de 1'inhibition à la masturbation infantile.

    L'heure est très avancée, j'en arrive au 5ème chapitre, celui des classes pulsionnelles dans leur rapport au A et au «a». C'est le point le plus périlleux de mon exposé, et je crains de ne pas rencontrer l'adhésion de Lacan, je le supporterai, mais je me demande s'il pourra me suivre jusque là .... dans l'accord. Par classe pulsionnelle, je distingue avec Freud, les pulsions partielles d'une part, et les pulsions à but inhibé. Je ne remets pas en question le statut de la pulsion (p197->) partielle qui a été parfaitement articulé et avec quoi je suis tout à fait d'accord. Je voudrais surtout aborder le problème de la pulsion dite à but inhibé, je ne pourrais le faire que de façon cursive, et je vous renvoie au texte paru dans «l'inconscient» où j'y consacre un paragraphe.

    J'aimerais montrer que les pulsions à but inhibé loin d'être un simple destin de pulsion comme un autre, sont en fait une classe pulsionnelle qui est à opposer dès l'origine aux pulsions à but non inhibé. Je pourrais vous en donner une démonstration très précise. Je vous dirais simplement que de 1912 à 1932 Freud leur accordait une place ; quelle est la définition des pulsions dites à but inhibé : en 1932 " en outre nous avons des raisons de distinguer des pulsions qui sont inhibées quant à leur but, mouvements pulsionnels venant de sources bien connues de nous, ayant un but non ambigu, mais qui subissent un arrêt dans leur chemin vers la satisfaction, de sorte qu'il en résulte des investissements d'objets durables, et une inclination permanente, telles sont par exemple les relations de tendresse qui naissent indubitablement des sources des besoins sexuels et invariablement renoncent à leur satisfaction ". (Nouvelles Conférences).

    Si nous essayons d'articuler les choses quant à ces deux catégories pulsionnelles, qu'est-ce que nous pouvons dire ? Nous pouvons nous rappeler une autre citation de Freud selon laquelle 1'enfant, c'est au moment où il perd le sein qu'il est devenu capable de voir dans son ensemble la personne à qui appartient l'organe qui lui apporte la satisfaction, et Freud de dire, " à ce moment la pulsion devient auto-érotique ". C'est-à-dire que nous avons là en ce qui concerne l'objet « a », l'objet partiel, cette perte comme définitive et c'est à ce moment ou cette perte se produit que l'enfant est capable de voir la mère dans son entier. En somme ou le sein, ou la mère, jamais les deux à la fois.

    Je voudrais montrer qu'en ce qui concerne la mère, de la même façon que l'objet perdu est à la source de la retrouvaille à partir des pulsions partielles, et à partir de l'échange qui va pouvoir se faire entre les objets, la permutation des objets et des buts, possibilité du remplacement du sein par quelque chose d'autre une autre partie : un mouchoir, n'importe quoi ; dans l'autre secteur ce à quoi nous avons à faire au moment de la séparation de la mère et l'enfant, c'est précisément à la mise en jeu à ce moment-là de la pulsion à but inhibé qui permet, je dirai, le rabattement du sujet sur lui-même, mais cette opération est elle-même sous-tendue par ce que j'ai essayé d'articuler dans l'objet " a ", sur le concept de l'hallucination négative de la mère. En somme à ce qui correspond à la retrouvaille ou à la recherche de la retrouvaille dans le corps du sujet, du sein perdu, nous aurions dans la sphère du grand Autre l'hallucination négative de la mère. Cette hallucination est rare à rencontrer dans le matériel clinique, nous nous trouvons ici en présence du hiatus clinico-théorique qui est absolument irréductible. J'aurais voulu développer ceci de façon plus précise.  

    (p198->) En somme ce qui est intériorisé au moment de la perte de l'objet «sein» c'est justement le sein comme objet perdu, une perte intériorisée, et ce qui est intériorisé au moment où apparaît la possibilité de voir la mère en son entier, c'est ce qui précédait mythiquement ce moment, l'encadrement silencieux de l'activité de plaisir lié à la pulsion en tant qu'il ne s'agissait pas de ce plaisir lui-même. C'est-à-dire l'encadrement silencieux de la mère comme structure du sujet venu créer le moule identificatoire de l'identification primaire et ayant pour support l'hallucination négative de la mère.

    Ceci est important parce que Freud oppose la relation à la mère comme étant une relation aux sens à la relation du père comme étant une relation au(x) sens ( ? ) . Sensorialité, signification. Tout se passe comme si l'étape dialectique, l'hallucination négative de la mère, ce qui est constitutif du symbolique en tant que cette étape s'intercale entre les sens et le sens et en tant qu'elle constitue le moule identificatoire du sujet.

    Si nous relions à ceci l'opération de retournement qui préside à la formation de la bande de Moebius comme structure du sujet, nous voyons que c'est la même chose de parler de l'hallucination négative de la mère et de l'effet de ce double retournement, quelque chose qui correspond peut-être dans la pensée de Lacan à ce qu'il appelle la double boucle. Mais cette clôture du sujet, cette suture, n'est possible qu'en tant que la pulsion à but inhibé a opéré, c'est-à-dire que le courant d'investissement plutôt que d'aller chercher son objet hors de lui se retourne contre le sujet par retournement contre soi et le retournement en son contraire d'activité en passivité, le sujet passivisé et il l'est toujours à partir de ce moment-là. C'est donc dans l'union de ces deux catégories pulsionnelles que nous aurions le rapport du grand Autre et au «a», le «a» comme étant le support des pulsions partielles et le grand Autre comme résultat des pulsions à but inhibé.

    C'est important parce que nous opposons deux catégories 

      la catégorie de la perte 

      la catégorie du manque

    La catégorie de la perte en tant qu'elle est relative à l'objet " a ", la catégorie du manque en tant qu'elle est relative au grand Autre en tant que ce grand Autre est toujours entamé de la sorte, il est donc toujours barré. Mais là aussi je pensais que Lacan peut-être objecterait c'est que nous nous trouvons devant une situation qui a appelé ses critiques si vigoureuses : la fameuse pulsion génitale. Pourquoi ? Ce que je suis amené à défendre concernant le grand Autre ce n'est peut-être pas la pulsion génitale, mais c'est en tant que dans la mesure où le résultat de l'opération est l'auto-érotisme : la formation d'investissements durables et permanents, il y a un lien entre l'auto-érotisme et la tendresse, ce n'est pas pour rien que Freud donne comme essence de l'auto-érotisme des lèvres qui se baisent elles  (p199->) et des manifestations que nous connaissons bien : l'enfant qui se tortille la mèche de cheveux, se caresse le lobule de l'oreille, et la liaison de ces phénomènes avec la tendresse est tout à fait importante. Elle m'invite donc à postuler sinon la défense de la fameuse pulsion génitale du moins une vocation génitale de l'objet dès le départ, cette vocation génitale de l'objet sera un courant d'investissement qui répondra au courant d'investissement au but dit inhibé et qui va rester là en sommeil jusqu'à la puberté. Il va en rester là. Le champ restera libre aux pulsions partielles et nous aurons deux courants : courant tendre et courant sensuel, le courant sensuel étant le support de la combinatoire du sujet avec la possibilité d'une permutation des buts et des objets alors que ce qui spécifie la pulsion à but inhibé c'est qu'elle ne change pas son objet, elle n'a pas besoin de le perdre, il suffit qu'elle s'ampute de lui. S'amputer de lui et le perdre sont deux choses différentes, c'est en quoi deux catégories ici s'originent : celle du manque, celle de la perte en tant qu'elles aboutissent à des résultats différents et qui, au moment de l'adolescence, inversent leurs rapports, c'est-à-dire que les pulsions partielles qui occupaient le devant de la scène sont amenées à une position introductrice au plaisir, là évidemment l'expérience de chacun est parlante, tandis que le terme final est à ce moment-là : le champ lié à la pulsion génitale, qui évidemment n'inhibe plus à ce moment-là son but, elle le découvre littéralement comme s'il s'agissait de la première fois.

    Voilà ce que j'ai essayé d'articuler sur la relation du grand Autre et du «a » ceci demanderait de plus amples informations. Je concluerai donc sur le problème de l'unité subjective en tant qu'elle intéresse la question du narcissisme primaire. Lacan a critiqué la position des auteurs contemporains sur la fusion, je partage avec lui cette critique, et je pense que la distinction qu'il apporte entre le Un unifiant et le Un comptant est essentielle, la fermeture du circuit nous la montre, comme support d'une chaîne où l'on va pouvoir compter, à tous les sens du terme, le zéro de l'enfant du narcissisme primaire est lié au Un de la mère.

    Ce Un de la mère est marqué en tant qu'il est amputé du «a » que l'enfant est pour elle, l'enfant est à la fois : zéro et «a » pour la mère en tant qu'il est chu d'elle par un effet de coupure, qui porte un joli nom : la «délivrance» en gynécologie. La mère ne sait pas plus que l'enfant que celui-ci. est le «a » de son désir d'un enfant de son père, la métaphore paternelle est donc bien originaire, le passage à l'acte : important, celui de la coupure du sujet qui passe de zéro à Un. A partir du nom et où dans la rencontre maternelle se boucle le circuit par le double retournement, ce double retournement aboutit par la fermeture de ce circuit au renversement des polarités pulsionnelles de la mère et de l'enfant et à un phénomène que j'appelle la décusation primaire qui est le corrélat de ce double retournement de ce croisement des polarités pulsionnelles entre la mère et l'enfant. Ce qui s'instaure de cette façon c'est la différence originaire du sujet, différence entre le géniteur et l'engendré, c'est moi qui compte dit l'enfant, le résultat est celui du Un unifiant comme leurre, bien évidemment, puisque l'objet est perdu, mais si l'objet est perdu il restera le désir et le désir devient objet, se fait objet.

    (p200->) Ici j'ai été intéressé de lire dans Benveniste la relation de l'être ou l'avoir, où Benveniste montre qu'en fait, il n'y a pas deux auxiliaires, il n'y en a qu'un qui est le verbe être, avoir étant : être à quelqu'un.

    Ceci m'a évoqué cette lecture de Freud : avoir et être chez l'enfant, l'enfant comme estimant une relation d'objet par une identification. Je suis l'objet ; avoir est le plus tardif des deux, après la perte de l'objet, il rechute dans l'être. Exemple : le sein, le sein est partie de moi : je suis le sein, seulement plus tard je l'ai, c'est-à-dire : je ne le suis pas.

    Qu'est-ce que le Un unifiant, je proposerai une définition dont les termes seront empruntés au vocabulaire lacanien : je dirai que le Un unifiant en tant qu'il est celui du narcissisme primaire du sujet en tant qu'il se constitue comme l'unité du Un unifiant, c'est l'effacement de la trace de l'autre dans le désir de l'Un. Le désir de l'Un étant pris évidemment dans son sens le plus large. Nous savons qu'il s'agit d'un processus voué à l'échec, à l'aliénation psychotique. Mais qu'en est-il du rapport de la relation de la structure au sujet ? Je dirai que le Sujet comme structure est constamment pris entre le zéro et le Un et le Un comme unifiant comme leurre, le zero comme un comptable, mais aussi que ce zéro doit avoir le double statut, c'est-à-dire qu'il peut être ou le passage du zéro à un est production de la chaîne (? ), nécessité du zéro pour la combinatoire, ou bien le zéro comme désubjectivation radicale. Lorsque je parlais de ce schizophrène, je dirai que ce garçon n'avait rien à apprendre sur le plan du masochisme primaire des héroïnes de M. de Sade. Cette désubjectivation radicale qui fait que le zéro dont il est question ramène le sujet au zéro du corps ou au zéro de la mort.

    La conception du sujet comme structure n'est compatible qu'avec une vue conflictuelle, qui est de prendre le zéro à la lettre, ce que Freud a appelé l'antagonisme d'éros et de la pulsion de mort, si tout le bruit de la vie vient d'Eros, la pulsion de mort a le dernier mot.

    Pour faire plaisir à tout le monde, je terminerai sur une citation japonaise : (Tchi Nuan mort en 1740)

«Avant d'étudier le zen pendant trente ans les montagnes m'apparaissaient comme des montagnes et les eaux comme des eaux, quand j'eus atteint un plus profond savoir, j'en arrivais à ne plus voir les montagnes comme des montagnes ni les eaux comme des eaux, mais maintenant que j'ai pénétré la vraie substance j'ai trouvé le recours, car il est juste que je voie les montagnes de nouveau comme des montagnes et les eaux de nouveau comme des eaux».

 

  note : bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance de m'adresser un émail. Haut de Page 
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