J.LACAN                        gaogoa

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IX-L'IDENTIFICATION

            Version rue CB                                    note

Séminaire du 13 décembre 1961

 

 

(p83->) (V-1)

Cette phrase est une phrase empruntée au début du septième livre des Éléments d'Euclide et qui m'a paru, à tout prendre, la meilleure que j'ai trouvée pour exprimer, sur le plan mathématique, cette fonction sur laquelle j'ai voulu attirer votre attention la dernière fois, de l'1 dans notre problème. Ce n'est pas que j'ai dû la chercher, que j'ai eu de la peine à trouver chez les mathématiciens quelque chose qui s'y rapporte : les mathématiciens, au moins une partie d'entre eux, ceux qui à chaque époque ont été en flèche dans l'exploitation de leur champ, se sont beaucoup occupés du statut de l'unité, mais ils sont loin d'être arrivés tous à des formules également satisfaisantes ; il semble même que, pour certains, cela soit allé dans leurs définitions droit dans la direction opposée à ce qui convient.

  Quoi qu'il en soit, je ne suis pas mécontent de penser que quelqu'un comme Euclide qui tout de même en matière de mathématiques ne peut pas être considéré autrement que comme de bonne race, donne cette formule, justement d'autant plus remarquable qu'articulée par un géomètre, que ce qui est l'unité -
(->p84) (V/2) car c'est le sens du mot    : c'est l'unité au sens précis o`u j'ai essayé de vous la désigner la dernière  fois sous la désignation de ce que j'ai appelé, je reviendrai encore sur ce pourquoi je l'ai appelé ainsi : le trait unaire ; le trait unaire en tant qu'il est le support comme tel de la différence, c'est bien le sens qu'a ici . Il ne peut pas en avoir un autre, comme la suite du texte va vous le montrer.

            Donc , c'est-à-dire cette unité au sens du trait unaire tel qu'ici je vous indique qu'il recoupe, qu'il pointe dans sa fonction ce à quoi nous sommes arrivés l'année dernière dans le champ de notre expérience à repérer dans le texte même de Freud comme "l'Einziger Zug", ce par quoi chacun des étants est dit être un Un, avec ce qu'apporte d'ambiguïté cet neutre de qui veut dire Un en grec, étant précisément ce qui peut s'employer en grec comme en français pour désigner la fonction de l'unité en tant qu'elle est ce facteur de cohérence par quoi quelque chose se distingue de ce qui l'entoure, fait un tout, un Un au sens unitaire de la fonction ; donc c'est par l'intermédiaire de l'unité que chacun de ces êtres vient à être dit Un. L'avènement dans le dire de cette unité comme caractéristique de chacun des étants est ici désigné : elle vient de l'usage de la qui n'est rien d'autre que le trait unique.

              Cette chose valait d'être relevée justement sous la plume d'un géomètre c'est-à-dire de quelqu'un qui se situe dans les mathématiques d'une façon telle apparemment que pour lui au minimum, devons-nous dire que l'intuition conservera toute sa valeur originelle. I1 est vrai que ce n'est pas n'importe lequel des géomètres, puisqu'en somme nous pouvons le distin-(p85->) (V-3)guer dans l'histoire de la géométrie comme celui qui le premier introduit, comme devant absolument la dominer, l'exigence de la démonstration sur ce qu'on peut appeler l'expérience, la familiarité de l'espace.

      Je termine la traduction de la citation : "que le nombre lui n'est rien d'autre que cette sorte de multiplicité qui surgit précisément de l'introduction des unités", des monades dans le sens où l'on entend dans le texte d'Euclide.

      Si j'identifie cette fonction du trait unaire, si j'en fais la figure dévoilée de cet Einziger Zug de l'identification, où nous avons été menés par notre chemin l'année dernière, pointons ici, avant de nous avancer plus loin et pour que vous sachiez que le contact n'est jamais perdu avec ce qui est le champ le plus direct de notre référence technique et théorique à Freud, pointons qu'il s'agit de l'identification de la deuxième espèce, p. 117 volume 13 des Gesammelte Werke de Freud. C'est bien en conclusion de la définition de la deuxième espèce d'identification qu'il appelé régressive, pour autant que c' est lié à quelque abandon de l'objet qu'il définit comme l'objet aimé. Cet objet aimé va de la  femme aux livres rares.

      C'est toujours en quelque mesure lie à l'abandon ou à la perte de cet objet que se produit, nous dit Freud, cette sorte d'état régressif d'où surgit cette identification qu'il souligne (avec quelque chose qui est pour nous source d'admiration, comme chaque fois que le découvreur désigne un trait assuré de son expérience dont il semblerait au premier abord que rien ne le nécessite, que c'est là un caractère contingent, (p86->) (V-4) aussi bien ne le justifie-t-il pas, sinon par son expérience ) que dans cette sorte d'identification le moi copie tantôt la situation de l'objet non aimé, tantôt de l'objet aimé, mais que dans les deux cas cette identification est partielle : "höchst bechränkt" hautement limitée -mais qui est accentué au sens d'étroit, de rétréci que c'est "nur ein einziger Zug", seulement un trait unique de la personne objectalisée, qui est comme la place empruntée- du mot allemand.

      Il  peut donc vous sembler qu'aborder cette identification par la deuxième espèce, c'est moi aussi me "bechränken", me limiter, rétrécir la portée de mon abord ; car il y a l' autre, l'identification de la première espèce, celle singulièrement ambivalente qui se fait sur le fond de l'image de la dévoration  assimilante ; et quel rapport a-t-elle avec la troisième, celle qui commence tout de suite après ce point que je vous désigne dans le paragraphe freudien : l'identification à l'autre par l'intermédiaire du désir, l'identification que nous connaissons bien, qui est hystérique, mais justement que je vous ai appris qu'on ne pouvait bien distinguer - je pense que vous devez suffisamment vous en rendre compte - qu'à partir du moment on a structuré - et je ne vois pas quiconque l' ait fait ailleurs qu'ici et avant que cela se fit ici - le désir comme supposant dans sa sous-jacence exactement au minimum toute l'articulation que nous avons donnée des rapports du sujet nommément à la chaîne signifiante, pour autant que cette relation modifie profondément la structure de tout rapport du sujet avec chacun de ses besoins

    (->p87) (V/5) Cette partialité de l'abord, cette entrée, si je puis dire, en coin dans le problème, j'ai le sentiment que, tout en vous la désignant, il convient que je la légitime aujourd'hui, et j'espère pouvoir le faire assez vite pour me faire entendre sans trop de détours en vous rappelant un principe de méthode pour nous : que, vu notre place, notre fonction, ce que nous avons à faire dans notre défrichement, nous devons nous méfier, disons - et ceci poussez-le aussi loin que vous voudrez - du genre et même de la classe.

      Cela peut vous paraître singulier que quelqu'un qui pour vous accentue la prégnance, dans notre articulation des phénomènes auxquels nous avons à faire, de la fonction du langage, se distingue ici d'un mode de relation qui est vraiment fondamental dans le champ de la logique. Comment indiquer, parler dune logique qui doit, au premier temps de son départ, marquer la méfiance que j'entends poser tout à fait originelle, de la notion de la classe ? C'est bien justement en quoi s'originalise, se distingue le champ que nous essayons ici d'articuler, ce n'est aucun préjugé de principe qui me mène là ; c'est la nécessité même de notre objet à nous qui nous pousse à ce qui se développe au cours des années, segment par segment, une articulation logique qui fait plus que de suggérer, qui va de plus en plus près, nommément cette année, je l'espère, à dégager des algorithmes qui me permettent d'appeler logique ce chapitre que nous aurons à adjoindre aux fonctions exercées par le langage dans un certain champ du réel, celui dont nous autres, êtres parlants, sommes les conducteurs.


        (->p88) (V/6) Méfions-nous donc au maximum de toute    pour employer une terme platonicien, de tout ce qui est la figure de communauté dans aucun genre et tout spécialement dans ceux qui sont pour nous les plus originels. Les trois identifications ne forment probablement pas une classe, si elles peuvent néanmoins porter le même nom qui y apporte une ombre de concept ; ce sera aussi sans doute à nous d'en rendre compte ; si nous opérons avec exactitude, cela ne semble pas être une tâche au-dessus de nos forces. En fait, nous savons d'ores et déjà que c'est au niveau du particulier que toujours surgit ce qui pour nous est fonction universelle, et nous n'avons pas trop à nous en étonner au niveau du champ où nous nous plaçons puisque, concernant la fonction de l'identification, déjà nous savons - nous avons assez travaillé ensemble pour le savoir - le sens de cette formule : que ce qui se passe, se passe essentiellement au niveau de la structure ; et la structure, faut-il le rappeler, et justement je crois qu'aujourd'hui, avant de faire un pas plus loin il faut que je le rappelle - c'est ce que nous avons introduit nommément comme spécification registre du symbolique. Si nous le distinguons de l'imaginaire du réel, ce registre du symbolique - je crois aussi devoir pointer tout ce qu'il pourrait y avoir là-dessus d'hésitation à laisser en marge ce dont je n'ai vu personne s'inquiéter ouvertement, raison de plus pour dissiper là-dessus toute ambiguïté - il ne s'agit pas d'une définition ontologique, ce ne sont pas ici des champs de l'être que je sépare. Si à partir d'un certain moment, et justement celui de la naissance de ces séminaires, j'ai cru devoir faire entrer en jeu cette triade du symbolique, de l'imaginaire et du réel,            (->p89) (V/7)  c'est pour autant que ce tiers élément qui n'était point jusque là dans notre expérience suffisamment discerné comme tel, est exactement à mes yeux ce qui est constitué exactement par ce fait de la révélation d'un champ d'expérience. Et, pour ôter toute ambiguïté à ce terme, il s'agit de l'expérience freudienne, je dirai d'un champ d'expériment. Je veux dire qu'il ne s' agit pas d "'Erlebnis", il s'agit d'un champ constitué d'une certaine façon jusqu'à un certain degré par quelque artifice, celui qui inaugure la technique psychanalytique comme telle, la face complémentaire de la découverte freudienne, complémentaire comme l'endroit l'est à l'envers, réellement accolé.

      Ce qui s'est révélé d'abord dans ce champ, vous le savez bien sûr que ce soit la fonction du symbole et du même coup le symbolique. Dès le départ ces termes ont eu l'effet fascinant, séduisant, captivant, que vous savez, dans l'ensemble du champ de la culture, cet effet de choc dont vous savez que presqu'aucun penseur, et même parmi les plus hostiles ; n'a pu s'y soustraire. Il faut dire que c'est aussi un fait d'expérience que nous avons perdu de ce temps de la révélation, et de sa corrélation avec la fonction du symbole, nous en avons perdu la fraîcheur, si l'on peut dire, cette fraîcheur corrélative de ce que j'ai appelé l'effet de choc, de surprise, comme proprement la définit Freud, lui-même comme caractéristique de cette émergence des relations de l'inconscient, ces sortes de flash sur l'image caractéristique de cette époque par quoi, si l'on peut dire, nous apparaissaient de nouveaux mode d'inclusion, des êtres imaginaires, par où soudain quelque chose guidait, leur sens à proprement parler s'éclairait d'une prise que nous ne pourrions mieux faire pour les qualifier que de (->p90) (V/8) les désigner du terme de Begriff, prise gluante, là où les plans collent, fonction de la fixation, je ne sais quelle Haftung si caractéristique de notre rapport dans ce champ imaginaire du même coup évoquant une dimension de la genèse où les choses s'étirent plutôt  qu'elles n'évoluent : ambiguïté certaine qui permettrait de laisser le schéma évolution comme présent : comme impliqué je dirai naturellement dans le champ de nos découvertes.

    Comment dans tout cela pouvons-nous dire qu'en fin de compte ce qui caractérise ce temps mort pointé par toutes sortes  de théoriciens et de praticiens dans l'évolution de la doctrine sous des chefs et des rubriques diverses, se soit produit ? Comment cette espèce de long feu a-t-il surgi qui nous impose, ce qui est proprement notre objet ici, celui où j'essaie de vous guider, de reprendre toute notre dialectique sur des principes plus sûrs ? C'est bien que quelque part nous devons désigner la source de fourvoiement qui fait qu'en somme nous pouvons dire qu'au bout d'un certain temps ces aperçus ne restaient vifs pour nous qu'à nous reporter au temps de leur surgissement, et ceci plus encore sur le plan de l'efficacité dans notre technique, dans l'effet de nos interprétations ; dans leur partie efficace. Pourquoi les imagos par nous découvertes se sont-elles en quelque sorte banalisées ?

      Est-ce que c'est seulement par une sorte d'effet de familiarité ? Nous avons appris à vivre avec ces fantômes, nous coudoyons le vampire, la pieuvre, nous respirons dans l' espace du ventre maternel au moins par métaphore. Les "comics" (->p91) (V/9) eux aussi avec un certain style, le dessin humoristique, font pour nous vivre ces images comme on n'en a jamais vu dans un autre âge, véhiculant les images même primordiales de la révélation analytique en en faisant un objet d'amusement courant à l'horizon la montre molle et la fonction du Grand Masturbateur gardées dans les images de Dali.

      Est-ce là seulement ce par quoi notre maîtrise semble fléchir l'usage instrumental de ces images comme révélatrices ? Sûrement pas seulement, car projetées - si je puis dire- ici dans les créations de l'art, elles gardent encore leur force que j'appellerai pas seulement percutante mais critique, elles gardent quelque chose de leur caractère de dérision ou d'alarme, mais c'est que ce n'est pas de çà qu'il s'agit dans notre rapport à celui qui pour nous vient à les désigner dans l'actualité de la cure.

      Ici il ne nous reste plus comme dessein de notre action que le devoir de bien faire, faire rire n'en étant qu'une voie très occasionnelle et limitée dans son emploi. Et là ce que nous avons vu se passer, ce n'est rien d'autre qu'un effet qu'on peut appeler de rechute ou de dégradation, c'est à savoir que ces images nous les avons vues tout simplement retourner à ce qui s'est fort bien désigné soi-même sous le type d' archétype, c'est-à-dire de vieille ficelle du magasin des accessoires en usage. C'est une tradition qui s'est fort bien reconnue sous le titre d'alchimie ou de gnose, mais qui était liée justement à une confusion fort ancienne et qui était celle où était resté empêtré le champ de la pensée humaine pendant des siècles.


   
(->p92) (V/10) I1 peut sembler que je me distingue ou que je vous mette en garde contre un mode de compréhension de notre référence qui soit celui de la Gestalt. Ce n'est pas exact. Je suis loin de sous-estimer ce qu'a apporté, à un moment de l'histoire de la pensée, la fonction de la Gestalt ; mais pour m'exprimer vite et parce que là je fais cette espèce de balayage a notre horizon qu'il faut que je refasse de temps en temps pour éviter justement que renaissent toujours les mêmes confusions, j'introduirai pour me faire entendre cette distinction : ce qui fait le nerf de certaines des productions de ce mode d' explorer le champ de la Gestalt, ce que j'appellerai la Gestalt cristallographique, celle qui met l'accent sur ces points de jonction, de parenté, entre les formations naturelles et les organisations structurales, pour autant qu'elles surgissent et sont définissables seulement à partir de la combinatoire signifiante, c'est cela qui en fait la force subjective, l'efficace de ce point, lui, ontologique où nous est livré quelque chose dont nous avons en effet bien besoin, qui est à savoir s'il y a quelque rapport qui justifie cette introduction en matière de soc de l'effet du signifiant dans le réel.

     Mais ceci ne nous concerne pas. Car ça n'est pas le champ auquel nous avons affaire ; nous ne sommes pas ici pour juger du degré de naturel de la physique moderne, encore qu'il puisse nous intéresser, - c'est ce que je fais de temps en temps devant vous quelquefois - de montrer qu'historiquement c'est justement dans la mesure où elle a tout à fait négligé le naturel des choses que la physique a commencé à entrer dans le réel.


(->p93) (V/11)     La Gestalt contre laquelle je vous mets en garde, c'est une Gestalt qui, vous l'observerez, à l'opposé de ce à quoi se sont attachés les initiateurs de la Gestalt théorique, donne une référence purement confusionnelle à la fonction de 1a Gestalt qui est celle que j'appelle la Gestalt anthropomorphique, celle qui par quelque voie que ce soit confond ce qu'apporte notre expérience avec la vieille référence analogique du macrocosme et du microcosme, de l'homme universel, registres assez courts au bout du compte, et dont l'analyse pour autant qu'elle a cru s'y retrouver ne fait que montrer une fois de plus la relative infécondité. Ceci ne veut pas dire que les images, que j'ai tout à l'heure humoristiquement évoquées, n'aient pas leur poids, ni qu'elles ne soient pas là pour que nous nous en servions encore. A nous-mêmes doit être indicative la façon dont depuis quelque temps nous préférons les laisser tapies, dans l'ombre ; on n'en parle plus guère, si ce n'est à une certaine distance ; elles sont là, pour employer une métaphore freudienne, comme une de ces ombres qui dans le champ des enfers sont prêtes à surgir. Nous n'avons pas su vraiment les réanimer, nous ne leur avons sans doute pas donné assez de sang à boire. Mais après tout tant mieux, nous ne sommes pas des nécromants.

  C'est justement ici que s'insère ce rappel caractéristique de ce que je vous enseigne, qui est là pour changer tout à fait la face des choses, à savoir de montrer que le vif de ce qu'apportait la découverte freudienne ne consistait pas dans ce retour des vieux fantômes, mais dans une relation autre.

(->p94) (V/12)    Subitement ce matin, j'ai retrouvé, de l'année 1946, un de ces petits "Propos sur la causalité psychique" par lesquels je faisais ma rentrée dans le cercle psychiatrique tout de suite après la guerre ; et il apparaît dans ce petit texte que voici (texte paru dans les entretiens de Bonneval), dans une sorte d'apposition ou d'incidence au début d'un même paragraphe conclusif, cinq lignes avant de terminer ce que j'avais à dire sur l'imago : "plus inaccessible à nos yeux faits pour les signes du changeur" qu'importe la suite : "que ce dont le chasseur du désert", dis-je-que je n'évoque que parce que nous l'avons retrouvé la dernière fois, si je me souviens bien - "sait voir la trace imperceptible : le pas de la gazelle sur le rocher, un jour se révèleront les aspects de l'imago".

  L'accent est à mettre pour l'instant au début du paragraphe "plus inaccessible à nos yeux ..." Qu'est-ce que ces signes du changeur ? Quels signes et quel changement ou quel changeur ?

  Ces signes, ce sont précisément ce que je vous ai appelé à articuler comme les signifiants, c'est-à-dire ces signes en tant qu'ils opèrent proprement par la vertu de leur associativité dans la chaîne, de leur commutativité, de la fonction de permutation prise comme telle. Et voilà où est la fonction du changeur : l'introduction dans le réel d'un changement qui n'est point de mouvement ni de naissance ni de corruption et de toutes les catégories du changement que dessine une tradition que nous pouvons appeler aristotélicienne, celle de la connaissance comme telle, mais d'une autre dimension où le changement dont il s'agit est défini comme tel dans la combinatoire topologique qu'elle nous permet de définir comme émergence de (->p95) (V/13) ce fait, du fait de structure, comme dégradation à l'occasion, à savoir chute dans ce champ de la structure et retour à la capture de l'image naturelle.

   Bref, se dessine comme tel ce qui n'est après tout que le cadre fonctionnant de la pensée, allez-vous dire. Et pourquoi pas ? N'oublions pas que ce mot de pensée est présent, accentué dès l'origine par Freud, comme sans doute ne pouvant pas être autre qu'il n'est, pour désigner ce qui se passe dans l'inconscient. Car ce n'était certainement pas le besoin de conserver le privilège de la pensée comme tel, je ne sais quelle primauté de l'esprit qui pouvait ici guider Freud. Bien loin de là : s'il avait pu, ce terme, l'éviter, il l'aurait fait. Et qu'est-ce que çà veut dire à ce niveau ? Et pourquoi est-ce que cette année j'ai cru devoir partir, non pas de Platon même pour ne point parler des autres, mais aussi bien pas de Kant, pas de Hegel, mais de Descartes ? C'est justement pour désigner que ce dont il s'agit, là où est le problème de l'inconscient pour nous, c'est de l'autonomie du sujet pour autant qu'elle n'est pas seulement préservée, qu'elle est accentuée comme jamais elle ne le fut dans notre champ, et précisément de ce paradoxe que ces cheminements que nous y découvrons ne sont point concevables si à proprement parler ce n'est le sujet qui en est le guide et de façon d'autant plus sûre que c'est sans le savoir, sans en être complice, si je puis dire : "conscius", parce qu' il ne peut progresser vers rien ni en rien qu'à ne le repérer qu'après coup, car rien qui ne soit par lui engendré justement qu'à mesure de le méconnaître d'abord.


(->p96) (V/14)   C'est ceci qui distingue 1e champ de l'inconscient, tel qu'il nous est révélé par Freud. I1 est lui-même impossible à formaliser, à formuler si nous ne voyons pas qu'à tout instant il n'est concevable qu'à y voir, et de la façon la plus évidente et sensible, préservée cette autonomie du sujet, je veux dire ce par quoi le sujet en aucun cas ne saurait être réduit à un rêve du monde. De cette permanence du sujet, je vous montre la référence et non pas la présence. Car cette présence ne pourra être cernée qu'en fonction de cette référence : je vous l'ai démontrée, désignée la dernière fois dans ce trait unaire, dans cette fonction du bâton comme figure de l'un en tant qu'il n'est que trait distinctif, trait justement d'autant plus distinctif qu'en est effacé presque tout ce qui le distingue, sauf d'être un trait en accentuant ce fait que plus il est semblable, plus il fonctionne, je ne dis point comme signe, mais comme support de la différence, et ceci n'étant qu'une introduction au relief de cette dimension que j'essaie de ponctuer devant vous. Car à 1a vérité il n'y a pas de "plis", plus : il n'y pas d'idéal de la similitude, d'idéal de l'effacement des traits. Cet effacement des distinctions qualitatives n'est là que pour nous permettre de saisir le paradoxe de l'altérité radicale désignée par le trait, et il  est après tout peu important que chacun des traits ressemble à l'autre. C'est ailleurs que réside ce que j'ai appelé à l'instant cette fonction d'altérité. Et terminant la dernière fois mon discours   j'ai pointé quelle était sa fonction, celle qui assure à la répétition justement ceci que par cette fonction, seulement par elle, cette répétition échappe à l'identité de son éternel retour sous la figure du chasseur cochant le nombre de quoi?

(->p97) (V/15)      De traits par où il a atteint sa proie, ou du divin Marquis qui nous montre que, même au sommet de son désir, ces coups il prend bien soin de les compter, et que c'est là une dimension essentielle, en tant que jamais elle n'abandonne la nécessité qu'elle implique dans presqu'aucune de nos fonctions.

      Compter les coups, le trait qui compte, qu'est-ceci ? Est-ce qu'ici encore vous suivez bien ?

      Saisissez bien ce que j'entends désigner, c'est ceci qui est facilement oublié dans son ressort : c'est que ce à quoi nous avons affaire dans l'automatisme de répétition c'est ceci : un cycle de quelque façon si amputé, si déformé, si abrasé que nous le définissions : dès lors qu'il est cycle et qu'il comporte retour à un point terme, nous pouvons le concevoir sur le modèle du besoin, de la satisfaction. Ce cycle se répète ; qu'importe qu'il soit tout à fait le même ou qu'il présente de menues différences, ces menues différences ne seront manifestement faites que pour le conserver dans sa fonction de cycle comme se rapportant à quelque chose de définissable comme à un certain type, par quoi justement tous les cycles qui font précédé s'identifient dans l'instant comme étant, en tant qu'ils se reproduisent, à proprement parler les mêmes. Prenons pour imager ce que je suis en train de dire le cycle de la digestion : chaque fois que nous en faisons une, nous répétons la digestion. Est-ce à cela que nous nous référons quand nous parlons, dans l'analyse, d'automatisme de répétition ? Est-ce que c'est en vertu d'un automatisme de répétition que nous faisons des digestions qui sont sensiblement
(->p98) (V/16)
toujours 1a même digestion ?

      Je ne vous laisserai pas d'ouverture à dire que jusque là c'est un sophisme. Il peut y avoir bien entendu des incidents dans cette digestion qui soient dus à des rappels d'anciennes digestions qui furent troublées : des effets de dégoût, de nausée, liés à telle ou telle liaison contingente de tel aliment avec telle circonstance.

      Ceci ne nous fera pas franchir pour autant d'un pas de plus la distance à couvrir entre ce retour du cycle et la fonction de l'automatisme dé répétition. Car ce que veut dire 1'automatisme de répétition en tant que nous avons à lui affaire, c'est ceci : c'est que si un cycle déterminé qui ne fut que celui-là - c'est ici que se profile l'ombre du "trauma" que je ne mets ici qu'entre guillemets, car çà n'est pas son effet traumatique que je retiens, mais seulement son unicité - celui-là donc qui se désigne par un certain signifiant que seul peut supporter ce que nous apprendrons dans la suite à définir comme une lettre, instance de la lettre dans l'inconscient ce grand A, l'A initial en tant qu'il est numérotable, que ce cycle là - et pas un autre - équivaut à un certain signifiant, c'est à ce titre que le comportement se répète pour faire ressurgir ce signifiant qu'il est comme tel, ce numéro qu'il fonde.

         Si pour nous la répétition symptomatique a un sens vers quoi je vous redirige, réfléchissez sur la portée de votre propre pensée. Quand vous parlez de l'incidence répétitive dans la formation symptomatique, c'est pour autant que ce qui se répète est là, non pas même seulement pour remplir la fonction (->p99) (V/17)  naturelle du signe qui est de représenter une chose qui serait ici actualisée, mais pour présentifier comme tel le signifiant que     cette action est devenue.

      Je dis que c'est en tant que ce qui est refoulé est un signifiant que ce cycle de comportement réel se présente à sa place. C'est ici, puisque je me suis imposé de donner une limite d'heure précise et commode pour un certain nombre d'entre vous à ce que je dois exposer devant vous, que je m' arrêterai. Ce qui s'impose à tout ceci de confirmation et de commentaires, comptez sur moi pour vous le donner dans la suite de la façon la plus convenablement articulée, si étonnant qu'ait pu vous en apparaître l'abrupt, au moment où je l'ai exposé à l'instant.


note: bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance de m'adresser un émail. Haut de Page 
commentaire             relu et corrigé en août 2002