J.LACAN
gaogoa
< >
IX-L'IDENTIFICATION
Version rue CB
note
Séminaire du 13 décembre 1961
(p83->)
(V-1)
Cette
phrase est une phrase empruntée au début du septième livre des Éléments d'Euclide et qui m'a paru, à tout prendre, la meilleure que j'ai trouvée pour
exprimer, sur le plan mathématique, cette fonction sur laquelle j'ai voulu
attirer votre attention la dernière fois, de l'1 dans notre problème. Ce n'est
pas que j'ai dû la chercher, que j'ai eu de la peine à trouver chez les mathématiciens
quelque chose qui s'y rapporte : les mathématiciens, au moins une partie
d'entre eux, ceux qui à chaque époque ont été en flèche dans l'exploitation
de leur champ, se sont beaucoup occupés du statut de l'unité, mais ils sont
loin d'être arrivés tous à des formules également satisfaisantes ; il semble
même que, pour certains, cela soit allé dans leurs définitions droit dans la
direction opposée à ce qui convient.
Quoi
qu'il en soit, je ne suis pas mécontent de penser que quelqu'un comme Euclide
qui tout de même en matière de mathématiques ne peut pas être considéré
autrement que comme de bonne race, donne cette formule, justement d'autant plus
remarquable qu'articulée par un géomètre, que ce qui est l'unité
-
(->p84)
(V/2) car c'est le sens du mot : c'est l'unité au sens précis o`u j'ai essayé de vous la désigner la dernière
fois sous
la désignation de ce que j'ai appelé,
je reviendrai encore sur
ce pourquoi je l'ai appelé ainsi :
le trait unaire ; le trait
unaire en tant qu'il est le support
comme tel de la différence,
c'est bien le sens qu'a ici
. Il ne peut pas en avoir un
autre, comme la suite du texte va
vous le montrer.
Donc
, c'est-à-dire cette unité au sens du trait unaire tel qu'ici je vous
indique qu'il recoupe, qu'il pointe dans sa fonction ce à quoi nous sommes
arrivés l'année dernière dans le champ de notre expérience à repérer dans
le texte même de Freud comme "l'Einziger Zug", ce par quoi chacun des
étants est dit être un Un, avec ce qu'apporte d'ambiguïté cet neutre
de
qui veut dire Un en grec, étant précisément
ce qui peut s'employer en grec comme en français pour désigner la fonction de
l'unité en tant qu'elle est ce facteur de cohérence par quoi quelque chose se
distingue de ce qui l'entoure, fait un tout, un Un au sens unitaire de la
fonction ; donc c'est par l'intermédiaire de l'unité que chacun de ces êtres
vient à être dit Un. L'avènement dans le dire de cette unité comme caractéristique
de chacun des étants est ici désigné : elle vient de l'usage de la
qui n'est rien d'autre que le trait
unique.
Cette
chose valait d'être relevée justement sous la plume d'un géomètre c'est-à-dire
de quelqu'un qui se situe dans les mathématiques d'une façon telle apparemment
que pour lui au minimum, devons-nous dire que l'intuition conservera toute sa
valeur originelle. I1 est vrai que ce n'est pas n'importe lequel des géomètres,
puisqu'en somme nous pouvons le distin-(p85->)
(V-3)guer dans
l'histoire de la géométrie comme celui qui le premier introduit, comme devant
absolument la dominer, l'exigence de la démonstration sur ce qu'on peut appeler
l'expérience, la familiarité de l'espace.
Je
termine la traduction de la citation : "que le nombre lui n'est rien d'autre
que cette sorte de multiplicité qui surgit précisément de l'introduction des unités", des monades dans le sens où l'on entend dans le texte d'Euclide.
Si
j'identifie cette fonction du trait unaire, si j'en fais la figure dévoilée de
cet Einziger Zug de l'identification, où nous avons été menés par notre
chemin l'année dernière, pointons ici, avant de nous avancer plus loin et pour
que vous sachiez que le contact n'est jamais perdu avec ce qui est le champ le
plus direct de notre référence technique et théorique à Freud, pointons
qu'il s'agit de l'identification de la deuxième espèce, p. 117 volume 13 des
Gesammelte Werke de Freud. C'est bien en conclusion de la définition de la deuxième
espèce d'identification qu'il appelé régressive, pour autant que c'
est lié à quelque abandon de l'objet qu'il définit comme l'objet aimé. Cet
objet aimé va de la femme aux livres rares.
C'est
toujours en quelque mesure lie à l'abandon ou à la perte de cet objet que se
produit, nous dit Freud, cette sorte d'état régressif d'où surgit cette
identification qu'il souligne (avec quelque chose qui est pour nous source
d'admiration, comme chaque fois que le découvreur désigne
un trait assuré de son expérience dont il semblerait au premier abord que
rien ne le nécessite, que c'est là un caractère contingent, (p86->)
(V-4) aussi bien ne
le justifie-t-il pas, sinon par son expérience ) que dans cette
sorte d'identification où le moi copie tantôt la situation de
l'objet non aimé, tantôt de l'objet aimé, mais que dans les deux cas cette
identification est partielle : "höchst bechränkt" hautement limitée
-mais qui est accentué au sens d'étroit, de rétréci que c'est "nur
ein einziger Zug", seulement un trait unique de la personne objectalisée,
qui est comme la place empruntée- du mot allemand.
Il
peut donc vous sembler qu'aborder cette identification par la deuxième
espèce,
c'est moi aussi me "bechränken", me limiter, rétrécir la portée de
mon abord ; car il y a l' autre, l'identification de la première espèce, celle
singulièrement ambivalente qui se fait sur le fond de l'image de la dévoration
assimilante ; et quel rapport a-t-elle avec la troisième, celle qui commence tout de suite après ce point que je vous désigne dans le
paragraphe freudien : l'identification à l'autre par l'intermédiaire du désir,
l'identification que nous connaissons bien, qui est hystérique, mais justement
que je vous ai appris qu'on ne pouvait bien distinguer - je pense que
vous devez suffisamment vous en rendre compte - qu'à partir du moment où
on a structuré - et je ne vois pas quiconque l'
ait fait ailleurs qu'ici et avant que cela se fit ici - le désir comme
supposant dans sa sous-jacence exactement au minimum toute l'articulation
que nous avons donnée des rapports du sujet nommément à la chaîne
signifiante, pour autant que cette relation modifie profondément la structure
de tout rapport du sujet avec chacun de ses besoins
(->p87)
(V/5) Cette
partialité de l'abord, cette entrée, si je puis dire, en coin dans
le problème, j'ai le sentiment que, tout en vous la désignant, il convient que
je la légitime aujourd'hui, et j'espère pouvoir le faire assez vite pour me
faire entendre sans trop de détours en vous rappelant un principe de méthode
pour nous : que, vu notre place, notre fonction, ce que nous avons à faire dans
notre défrichement, nous devons nous méfier, disons - et ceci
poussez-le aussi loin que vous voudrez - du genre et même de la
classe.
Cela
peut vous paraître singulier que quelqu'un qui pour vous accentue la prégnance,
dans notre articulation des phénomènes auxquels nous avons à faire, de la
fonction du langage, se distingue ici d'un mode de relation qui est vraiment
fondamental dans le champ de la logique. Comment indiquer, parler dune logique
qui doit, au premier temps de son départ, marquer la méfiance que
j'entends poser tout à fait originelle, de la notion de la classe ? C'est bien
justement en quoi s'originalise, se distingue le champ que nous essayons ici
d'articuler,
ce n'est aucun préjugé de principe qui me mène là ; c'est la nécessité même
de notre objet à nous qui nous pousse à ce qui se développe au cours des années,
segment par segment, une articulation logique qui fait plus que de suggérer,
qui va de plus en plus près, nommément cette année, je l'espère, à dégager
des algorithmes qui me permettent d'appeler logique ce chapitre que nous aurons
à adjoindre aux fonctions exercées par le langage
dans un certain champ du réel, celui dont nous autres, êtres parlants,
sommes les conducteurs.
(->p88)
(V/6)
Méfions-nous donc au maximum de toute pour
employer une terme platonicien, de tout ce qui est la
figure de communauté dans aucun genre et tout spécialement dans
ceux qui sont pour nous les plus originels. Les trois
identifications
ne forment probablement pas une classe, si
elles
peuvent néanmoins porter le même nom qui y apporte une
ombre
de concept ; ce sera aussi sans doute à nous d'en rendre
compte
; si nous opérons avec exactitude, cela ne semble pas
être une tâche au-dessus de nos forces. En fait, nous savons
d'ores
et déjà que c'est au niveau du particulier que toujours
surgit
ce qui pour nous est fonction universelle, et nous n'avons
pas trop à nous en étonner au niveau du champ où nous nous
plaçons
puisque, concernant la fonction de l'identification,
déjà
nous savons - nous avons assez travaillé ensemble pour le
savoir - le sens de cette formule : que ce qui se passe, se
passe
essentiellement au niveau de la structure ; et la structure,
faut-il le rappeler, et justement je crois qu'aujourd'hui,
avant
de faire un pas plus loin il faut que je le rappelle - c'est
ce que nous avons introduit nommément comme spécification
registre
du symbolique. Si nous le distinguons de l'imaginaire
du réel, ce registre du symbolique - je crois aussi devoir
pointer
tout ce qu'il pourrait y avoir là-dessus d'hésitation
à laisser
en marge ce dont je n'ai vu personne s'inquiéter ouvertement,
raison de plus pour dissiper là-dessus toute ambiguïté -
il ne
s'agit pas d'une définition ontologique, ce ne sont pas
ici
des champs de l'être que je sépare. Si à partir d'un certain
moment, et justement celui de la naissance de ces séminaires,
j'ai cru devoir faire entrer en jeu cette triade du
symbolique, de l'imaginaire et du réel,
(->p89)
(V/7) c'est pour
autant que ce tiers élément qui n'était point jusque là dans notre expérience
suffisamment discerné comme tel, est exactement à mes yeux ce qui est constitué
exactement par ce fait de la révélation d'un champ d'expérience. Et, pour ôter
toute ambiguïté à ce terme, il s'agit de l'expérience freudienne, je dirai
d'un champ d'expériment. Je veux dire qu'il ne s' agit pas d "'Erlebnis",
il s'agit d'un champ constitué d'une certaine façon jusqu'à un certain degré
par quelque artifice, celui qui inaugure la technique psychanalytique comme
telle, la face complémentaire de la découverte freudienne, complémentaire
comme l'endroit l'est à l'envers, réellement accolé.
Ce
qui s'est révélé d'abord dans ce champ, vous le savez bien sûr que ce soit
la fonction du symbole et du même coup le symbolique. Dès le départ ces
termes ont eu l'effet fascinant, séduisant, captivant, que vous savez, dans
l'ensemble du champ de la culture, cet effet de choc dont vous savez que
presqu'aucun penseur, et même parmi les plus hostiles ; n'a pu s'y soustraire.
Il faut dire que c'est aussi un fait d'expérience que nous avons perdu de ce
temps de la révélation, et de sa corrélation avec la fonction du symbole,
nous en avons perdu la fraîcheur, si l'on peut dire, cette fraîcheur corrélative
de ce que j'ai appelé l'effet de choc, de surprise, comme proprement la définit
Freud, lui-même comme caractéristique de cette émergence des relations
de l'inconscient, ces sortes de flash sur l'image caractéristique de cette époque
par quoi, si l'on peut dire, nous apparaissaient de nouveaux mode d'inclusion,
des êtres imaginaires, par où soudain quelque chose guidait, leur sens à
proprement parler s'éclairait d'une prise que nous ne pourrions mieux faire
pour les qualifier que de (->p90)
(V/8) les désigner du terme de Begriff, prise gluante, là où les plans
collent, fonction de la fixation, je ne sais quelle Haftung si caractéristique
de notre rapport dans ce champ imaginaire du même coup évoquant une dimension
de la genèse où les choses s'étirent plutôt qu'elles n'évoluent : ambiguïté
certaine qui permettrait de laisser le schéma évolution comme présent :
comme
impliqué je dirai naturellement dans le champ de
nos découvertes.
Comment dans tout cela pouvons-nous dire qu'en fin de compte ce qui caractérise
ce temps mort pointé par toutes sortes de théoriciens et de praticiens
dans l'évolution de la doctrine sous des chefs et des rubriques diverses, se
soit produit ? Comment cette espèce de long feu a-t-il
surgi qui nous impose, ce qui est proprement notre objet ici, celui où j'essaie
de vous guider, de reprendre toute notre dialectique sur des principes plus sûrs
? C'est bien que quelque part nous devons désigner la source de fourvoiement
qui fait qu'en somme nous pouvons dire qu'au bout d'un certain temps ces aperçus
ne restaient vifs pour nous qu'à nous reporter au temps de leur surgissement,
et ceci plus encore sur le plan de l'efficacité dans notre technique, dans
l'effet de nos interprétations ; dans leur partie efficace. Pourquoi les imagos par
nous découvertes se sont-elles en quelque sorte banalisées
?
Est-ce
que c'est seulement par une sorte d'effet de familiarité ? Nous avons appris à
vivre avec ces fantômes, nous coudoyons le vampire, la pieuvre, nous respirons
dans l' espace du ventre maternel au moins par métaphore. Les
"comics"
(->p91)
(V/9) eux
aussi avec un certain style, le dessin humoristique, font pour nous vivre
ces images comme on n'en a jamais vu dans un autre âge, véhiculant les images
même primordiales de la révélation analytique en en faisant un objet
d'amusement courant à l'horizon la montre molle et la fonction du Grand
Masturbateur gardées dans les images de Dali.
Est-ce
là seulement ce par quoi notre maîtrise semble fléchir l'usage instrumental de
ces images comme révélatrices ? Sûrement pas seulement, car projetées - si je puis dire- ici dans les créations de l'art, elles gardent encore
leur force que j'appellerai pas seulement percutante mais critique, elles
gardent quelque chose de leur caractère de dérision ou d'alarme, mais c'est
que ce n'est pas de çà qu'il s'agit dans notre rapport à celui qui pour nous
vient à les désigner dans l'actualité de la cure.
Ici
il ne nous reste plus comme dessein de notre action que le devoir de bien faire,
faire rire n'en étant qu'une voie très occasionnelle et limitée dans son
emploi. Et là ce que nous avons vu se passer, ce n'est rien d'autre qu'un effet
qu'on peut appeler de rechute ou de dégradation, c'est à savoir que ces images
nous les avons vues tout simplement retourner à ce qui s'est fort bien désigné
soi-même sous le type d' archétype, c'est-à-dire de vieille
ficelle du magasin des
accessoires en usage. C'est une tradition qui s'est fort bien reconnue sous le titre
d'alchimie ou de gnose, mais qui était liée justement à une confusion fort
ancienne et qui était celle où était resté empêtré le champ de la pensée
humaine pendant des siècles.
(->p92)
(V/10) I1
peut sembler que je me distingue ou que je vous mette en garde contre un mode de
compréhension de notre référence qui soit celui de la Gestalt. Ce n'est pas
exact. Je suis loin de sous-estimer ce qu'a apporté, à un moment de
l'histoire de la pensée, la fonction de la
Gestalt ; mais pour m'exprimer vite et parce que là
je fais cette espèce de balayage a notre horizon qu'il faut que je refasse de
temps en temps pour éviter justement que renaissent toujours les mêmes
confusions, j'introduirai pour me faire entendre cette distinction : ce qui fait
le nerf de certaines des productions de ce mode d' explorer le champ de la
Gestalt, ce que j'appellerai la Gestalt cristallographique, celle qui met
l'accent sur ces points de jonction, de parenté, entre les formations naturelles
et les organisations structurales, pour autant qu'elles surgissent et
sont définissables seulement à partir de la combinatoire signifiante, c'est
cela qui en fait la force subjective, l'efficace de ce point, lui, ontologique où
nous est livré quelque chose dont nous avons en effet bien besoin, qui est à
savoir s'il y a quelque rapport qui justifie cette introduction en matière de
soc de l'effet du signifiant dans le réel.
Mais
ceci ne nous concerne pas. Car ça n'est pas le champ auquel nous avons affaire ;
nous ne sommes pas ici pour juger du degré de naturel de la physique moderne, encore qu'il
puisse nous intéresser, - c'est ce que je fais de temps en temps devant
vous quelquefois - de montrer qu'historiquement c'est justement dans la
mesure où elle a tout à fait négligé le naturel des choses que la physique a
commencé à entrer dans le réel.
(->p93)
(V/11) La
Gestalt contre laquelle je vous mets en garde, c'est une Gestalt qui, vous
l'observerez, à l'opposé de ce à quoi se sont attachés les initiateurs de
la Gestalt théorique, donne une référence purement confusionnelle à la
fonction de 1a Gestalt qui est celle que j'appelle la Gestalt anthropomorphique,
celle qui par quelque voie que ce soit confond ce qu'apporte notre expérience
avec la vieille référence analogique du macrocosme et du microcosme, de
l'homme universel, registres assez courts au bout du compte, et dont l'analyse
pour autant qu'elle a cru s'y retrouver ne fait que montrer une fois de plus la
relative infécondité. Ceci ne veut pas dire que les images, que j'ai tout à
l'heure humoristiquement évoquées, n'aient pas leur poids, ni qu'elles ne
soient pas là pour que nous nous en servions encore. A nous-mêmes doit être indicative la façon dont depuis quelque temps nous préférons les
laisser tapies, dans l'ombre ; on n'en parle plus guère, si ce n'est à une
certaine distance ; elles sont là, pour employer une métaphore freudienne,
comme une de ces ombres qui dans le champ des enfers sont prêtes à surgir.
Nous n'avons pas su vraiment les réanimer, nous ne leur avons sans doute pas
donné assez de sang à boire. Mais après tout tant mieux, nous ne sommes pas
des nécromants.
C'est
justement ici que s'insère ce rappel caractéristique de ce que je vous
enseigne, qui est là pour changer tout
à fait la face des choses, à savoir de montrer que le vif de ce
qu'apportait la découverte freudienne ne consistait pas dans ce retour des
vieux fantômes, mais dans une relation autre.
(->p94)
(V/12) Subitement ce matin, j'ai retrouvé, de l'année 1946, un
de ces petits "Propos sur la causalité psychique" par lesquels je
faisais ma rentrée dans le cercle psychiatrique tout de suite après la guerre
; et il apparaît dans ce petit texte que voici (texte paru dans les entretiens
de Bonneval), dans une sorte d'apposition ou d'incidence au début d'un même
paragraphe conclusif, cinq lignes avant de terminer ce que j'avais à dire sur
l'imago : "plus inaccessible à nos yeux faits pour les signes du
changeur" qu'importe la suite : "que ce dont le chasseur du désert",
dis-je-que je n'évoque que parce que nous l'avons retrouvé la
dernière fois, si je me souviens bien - "sait voir la trace imperceptible :
le pas de la gazelle sur le rocher, un jour se révèleront les aspects de
l'imago".
L'accent est à mettre pour l'instant au début du
paragraphe "plus inaccessible à nos yeux ..." Qu'est-ce que ces signes
du changeur ? Quels signes et quel changement ou quel changeur ?
Ces signes, ce sont précisément ce que je vous ai appelé à articuler comme les signifiants, c'est-à-dire ces signes en
tant qu'ils opèrent proprement par la vertu de leur associativité dans
la chaîne, de leur commutativité, de la fonction de permutation prise comme
telle. Et voilà où est la fonction du changeur : l'introduction dans le réel
d'un changement qui n'est point de mouvement ni de naissance ni de corruption
et de toutes les catégories du changement que dessine une tradition que nous
pouvons appeler aristotélicienne, celle de la connaissance comme telle, mais
d'une autre dimension où le changement dont il s'agit est défini comme tel
dans la combinatoire topologique qu'elle nous permet de définir comme émergence
de
(->p95)
(V/13) ce fait, du fait
de structure, comme dégradation à l'occasion, à savoir chute dans ce champ de
la structure et retour à la capture de l'image naturelle.
Bref,
se dessine comme tel ce qui n'est après tout que le cadre fonctionnant de la
pensée, allez-vous dire. Et pourquoi pas ? N'oublions pas que ce mot de
pensée est présent, accentué dès l'origine par Freud, comme sans doute ne
pouvant pas être autre qu'il n'est, pour désigner ce qui se passe dans
l'inconscient. Car ce n'était certainement pas le besoin de conserver le privilège
de la pensée comme tel, je ne sais quelle primauté de l'esprit qui pouvait ici
guider Freud. Bien loin de là : s'il avait pu, ce terme, l'éviter, il l'aurait
fait. Et qu'est-ce que çà veut dire à ce niveau ? Et pourquoi
est-ce que cette année j'ai cru devoir partir, non pas de Platon même
pour ne point parler des autres, mais aussi bien pas de Kant, pas de Hegel, mais
de Descartes ? C'est justement pour désigner que ce dont il s'agit, là où est
le problème de l'inconscient pour nous, c'est de l'autonomie du sujet pour
autant qu'elle n'est pas seulement préservée, qu'elle est accentuée comme
jamais elle ne le fut dans notre champ, et précisément de ce paradoxe que
ces cheminements que nous y découvrons ne sont point concevables si à
proprement parler ce n'est le sujet qui en est le guide et de façon d'autant
plus sûre que c'est sans le savoir, sans en être complice, si je puis dire : "conscius", parce qu' il ne peut progresser vers rien ni en rien qu'à
ne le repérer qu'après coup, car rien qui ne soit par lui engendré justement
qu'à mesure de le méconnaître d'abord.
(->p96)
(V/14) C'est
ceci qui distingue 1e champ de l'inconscient,
tel
qu'il nous est révélé par Freud. I1 est lui-même impossible
à formaliser, à formuler si nous ne voyons pas qu'à tout
instant
il n'est concevable qu'à y voir, et de la façon la
plus
évidente et sensible, préservée cette autonomie du sujet,
je
veux dire ce par quoi le sujet en aucun cas ne saurait être
réduit
à un rêve du monde. De cette permanence du sujet, je
vous
montre la référence et non pas la présence. Car cette
présence
ne pourra être cernée qu'en fonction de cette référence
: je vous l'ai démontrée, désignée la dernière fois dans
ce
trait unaire, dans cette fonction du bâton comme figure de
l'un
en tant qu'il n'est que trait distinctif, trait justement
d'autant plus distinctif qu'en est effacé presque tout ce
qui
le distingue, sauf d'être un trait en accentuant ce fait
que
plus il est semblable, plus il fonctionne, je ne dis point
comme
signe, mais comme support de la différence, et ceci n'étant qu'une introduction au relief de cette dimension que j'essaie de ponctuer devant vous. Car à 1a vérité il n'y a pas de
"plis",
plus : il n'y pas d'idéal de la similitude, d'idéal de l'effacement
des traits. Cet effacement des distinctions qualitatives
n'est là que pour nous permettre de saisir le paradoxe
de l'altérité radicale désignée par le trait, et il est après
tout
peu important que chacun des traits
ressemble à l'autre.
C'est ailleurs que réside ce que j'ai appelé à l'instant cette
fonction
d'altérité. Et terminant la dernière fois mon discours
j'ai pointé quelle était sa fonction, celle qui assure à la
répétition
justement ceci que par cette fonction, seulement par
elle,
cette répétition échappe à l'identité de son éternel retour sous la figure
du chasseur cochant le nombre de quoi?
(->p97)
(V/15) De traits par où il
a atteint sa proie, ou du divin Marquis qui nous montre que, même au sommet de
son désir, ces coups il prend bien soin de les compter, et que c'est là une
dimension essentielle, en tant que jamais elle n'abandonne la nécessité
qu'elle implique dans presqu'aucune de nos fonctions.
Compter
les coups, le trait qui compte, qu'est-ceci ? Est-ce qu'ici encore
vous suivez bien ?
Saisissez
bien ce que j'entends désigner, c'est ceci qui est facilement oublié dans son
ressort : c'est que ce à quoi nous avons affaire dans l'automatisme de répétition
c'est ceci : un cycle de quelque façon si amputé, si déformé, si abrasé que
nous le définissions : dès lors qu'il est cycle et qu'il comporte retour à un
point terme, nous pouvons le concevoir sur le modèle du besoin, de la
satisfaction. Ce cycle se répète ; qu'importe qu'il soit tout à fait le même
ou qu'il présente de menues différences, ces menues différences ne seront
manifestement faites que pour le conserver dans sa fonction de cycle comme se
rapportant à quelque chose de définissable comme à un certain type, par quoi
justement tous les cycles qui font précédé s'identifient dans l'instant comme
étant, en tant qu'ils se reproduisent, à proprement parler les mêmes. Prenons
pour imager ce que je suis en train de dire le cycle de la digestion : chaque
fois que nous en faisons une, nous répétons la digestion. Est-ce à cela
que nous nous référons quand nous parlons, dans l'analyse, d'automatisme de répétition
? Est-ce que c'est en vertu d'un automatisme de répétition que nous
faisons des digestions qui sont sensiblement
(->p98)
(V/16) toujours
1a même digestion
?
Je
ne vous laisserai pas d'ouverture à dire que jusque là c'est un sophisme. Il
peut y avoir bien entendu des incidents dans cette digestion qui soient dus à
des rappels d'anciennes digestions qui furent troublées : des effets de dégoût,
de nausée, liés à telle ou telle liaison contingente de tel aliment avec telle circonstance.
Ceci
ne nous fera pas franchir pour autant d'un pas de plus la distance à couvrir
entre ce retour du cycle et la fonction de l'automatisme dé répétition. Car
ce que veut dire 1'automatisme de répétition en tant que nous avons à
lui affaire, c'est ceci : c'est que si un cycle déterminé qui ne fut que
celui-là - c'est ici que se profile l'ombre du "trauma"
que je ne mets ici qu'entre guillemets, car çà n'est pas son effet
traumatique que je retiens, mais seulement son unicité - celui-là donc qui
se désigne par un certain signifiant que seul peut supporter ce que nous
apprendrons dans la suite à définir comme une lettre, instance de la lettre
dans l'inconscient ce grand A, l'A initial en tant qu'il est numérotable, que
ce cycle là - et pas un autre - équivaut à un certain signifiant,
c'est à ce titre que le comportement se répète pour faire ressurgir ce
signifiant qu'il est comme tel, ce numéro qu'il fonde.
Si
pour nous la répétition symptomatique a un sens vers quoi je vous redirige, réfléchissez sur la portée de votre propre
pensée. Quand vous parlez de l'incidence répétitive dans la formation
symptomatique, c'est pour autant que ce qui se répète est là, non pas même
seulement pour remplir la fonction
(->p99)
(V/17) naturelle
du signe qui est de représenter une chose qui
serait
ici actualisée, mais pour présentifier comme tel le signifiant
que cette action est devenue.
Je
dis que c'est en tant que ce qui est refoulé est un signifiant que ce cycle de
comportement réel se présente à sa place. C'est ici, puisque je me suis imposé
de donner une limite d'heure précise et commode pour un certain nombre
d'entre vous à ce que je dois exposer devant vous, que je m'
arrêterai.
Ce qui s'impose à tout ceci de confirmation et de commentaires, comptez sur moi
pour vous le donner dans la suite de la façon la plus convenablement
articulée, si étonnant qu'ait pu vous en apparaître l'abrupt, au moment où
je l'ai exposé à l'instant.
note: bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire,
ou si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par
avance de m'adresser un émail.
Haut de
Page
commentaire
relu et corrigé en août 2002