J.LACAN gaogoa
Séminaire VI - Le désir et son interprétation
version rue CB note
12 novembre 1958 np
( du 12 novembre 1958 au 4 mars 1959 :
l'analyse
littéraire à propos
du désir et de son interprétation )
(p1->) Nous allons parler cette année du
désir
et de son interprétation.
Une analyse est une thérapeutique, dit-on ; disons un traitement, un traitement psychique qui porte à divers niveaux du psychisme sur, d'abord ça a été le premier objet scientifique de son expérience, ce que nous appellerons les phénomènes marginaux ou résiduels, le rêve, les lapsus, le trait d'esprit, j'y ai insisté l'année dernière, sur des symptômes .
D'autre part, si nous entrons dans cet aspect curatif du traitement, sur des symptômes au sens large, pour autant qu'ils se manifestent dans le sujet par des inhibitions, qu'elles sont constituées en symptômes et soutenues par ces symptômes, d'autre part, ce traitement modificateur de structures, de ces structures qui s'appellent névroses ou neuro-psychoses que Freud a d'abord en réalité structurées (p2->) et qualifiées comme neuro-psychoses de défense.
La psychanalyse, intervient pour traiter à divers niveaux avec ces diverses réalités phénoménales en tant qu'elles mettent en jeu le désir. C'est nommément sous cette rubrique du désir, comme significatifs du désir que les phénomènes que j'ai appelés tout à l'heure résiduels, marginaux, ont été d'abord appréhendés dans Freud, dans les symptômes que nous voyons décrits d'un bout à l'autre de la pensée de Freud, c'est l'intervention de l'angoisse, si nous en faisons le point clé de la détermination des symptômes, mais pour autant que telle ou telle activité qui va entrer dans le jeu des symptômes est érotisée, disons mieux : c'est-à-dire prise dans le mécanisme du désir.
Enfin que signifie même le terme de défense à propos
des neuro-psychoses, si ce n'est défense contre quoi ? Contre
quelque chose qui n'est pas encore autre chose que le désir.
Et pourtant cette théorie analytique au centre
de laquelle il est suffisant d'indiquer que la notion de libido se situe,
qui n'est point autre chose que l'énergie psychique du désir,
c'est quelque chose, s'il s'agit d'énergie, dans quoi, je l'ai déjà indiqué en
passant, rappelez-vous autrefois la métaphore de l'usine, certaines
conjonctions du symbolique et du réel sont nécessaires pour
que même
subsiste la notion d'énergie. Mais je ne veux pas ici, ni (p3->)
m'arrêter
ni m'appesantir.
Cette théorie analytique donc repose tout entière sur cette notion de libido, sur l'énergie du désir. Voici que depuis quelque temps, nous la voyons de plus en plus orientée vers quelque chose que ceux-là mêmes qui soutiennent cette nouvelle orientation, articulent eux-mêmes très consciemment, au moins pour les plus conscients d'entre eux ayant emprunté à Fairbairn , il l'écrit à plusieurs reprises, parce qu'il ne cesse d'articuler ni d'écrire, nommément dans le recueil qui s'appelle " Psychoanalytic Studies of the Personality " que la théorie moderne de l'analyse a changé quelque chose à l'axe que lui avait donné d'abord Freud en faisant ou en considérant que la libido n'est plus pour nous " pleasure-seeking ", comme s'exprime Fairbairn, qu'elle est " object-seeking ".
C'est dire
que Monsieur Fairbairn est le représentant le plus typique de cette
tendance moderne.
Ce que signifie cette tendance orientant
la fonction de la libido en fonction d'un objet qui lui serait en quelque sorte
prédestiné, c'est quelque
chose à quoi nous avions déjà fait allusion cent fois,
et dont je vous ai montré sous mille formes les incidences dans la technique
et dans la théorie analytique, avec ce que j'ai cru à plusieurs
reprises pouvoir vous y désigner comme entraînant des déviations
pratiques, quelques unes non sans incidences dangereuses.
(p4->) L'importance de ce que je veux vous signaler pour vous faire aborder aujourd'hui le problème, c'est en somme ce voilement du mot même désir qui apparaît dans toute la manipulation de l'expérience analytique, et en quelque sorte quelle impression, je ne dirais pas de renouvellement, je dirais de dépaysement, nous produisons à le réintroduire ; je veux dire qu' au lieu de parler de libido ou d'objet génital, nous parlons de désir génital, il nous apparaîtra peut-être tout de suite beaucoup plus difficile de considérer comme allant de soi que le désir génital et sa maturation impliquent par soi tout seul cette sorte de possibilité, ou d'ouverture, ou de plénitude de réalisation sur l'amour dont il semble que ce soit devenu ainsi doctrinal d'une certaine perspective de la maturation de la libido ; tendance, et réalisation, et implication quant à la maturation de la libido, qui paraissent tout de même d'autant plus surprenantes qu'elles se produisent au sein d'une doctrine qui a été précisément la première non seulement à mettre en relief, mais même à rendre compte de ceci que Freud a classé sous le titre du ravalement de la vie amoureuse, c 'est à savoir que si en effet le désir semble entraîner avec soi un certain quantum en effet d'amour, c'est justement et précisément, et très souvent d'un amour qui se présente à la personnalité comme conflictuel, d'un amour qui ne s'avoue pas, d'un amour qui se refuse même à s'avouer.
(p5->) D'autre part, si nous réintroduisons aussi ce mot désir là où nous déterminons comme affectivité, comme sentiment positif ou négatif, sont employés courammentdans une sorte d'approche honteuse, si l'on peut dire, des forces encore efficaces, et nommément par la relation analytique, par le transfert . Il me semble que du seul fait de l'emploi de ce mot, un clivage se produira qui aura par lui-même quelque chose d'éclairant.
Il s'agit de savoir si le transfert est constitué, non plus par une affectivité ou des sentiments positifs ou négatifs que ce terme comporte de vague et de voilé, mais il s'agit, et ici on nomme le désir éprouvé par un seul , désir sexuel, désir agressif à l'endroit de l'analyste, qui nous apparaîtra tout de suite et du premier coup d’œil. Ces désirs ne sont point tout dans le transfert, et de ce fait même le transfert nécessite d'être défini par autre chose que par des références plus ou moins confuses à la notion positive ou négative ( d'affectivité ) et enfin de sorte que si nous prononçons le mot désir, le dernier bénéfice de cet usage plein c'est que nous nous demanderons : qu'est-ce que c'est que le désir ?
Ce ne sera pas une question à laquelle nous aurons ou nous pourrons répondre. Simplement, si je n'étais ici lié par ce que je pourrais appeler le rendez-vous urgent que j'ai avec mes besoins pratiques expérientiels, je me serais (p6->) permis une interrogation sur le sujet du sens de ce mot désir, auprès de ceux qui ont été plus qualifiés pour en valoriser l'usage, c'est à savoir les poètes et les philosophes.
Je ne le ferai pas, d'abord parce que l'usage du mot désir, la transmission du terme et la fonction du désir dans la poésie, est quelque chose que, je dirais, nous retrouverons après coup si nous poursuivons assez loin notre investigation. S'il est vrai, comme c'est ce qui sera toute la suite de mon développement cette année, que la situation est profondément marquée, arrimée, rivée à une certaine fonction du langage, à un certain rapport du sujet au signifiant, l'expérience analytique nous portera, je l'espère tout au moins, assez loin dans cette exploration pour que nous trouvions tout le temps à nous aider peut-être de l'évocation proprement poétique qui peut en être faite, et aussi bien à comprendre plus profondément à la fin la nature de la création poétique dans ses rapports avec le désir.
Simplement, je ferai remarquer que les difficultés dans le fond même du jeu d'occultation que vous verrez être au fond de ce que nous découvrira notre expérience, apparait déjà en ceci par exemple que précisément on voit bien dans la poésie combien le rapport poétique au désir s'accommode mal, si l'on peut dire, de la peinture de son objet. Je dirais qu'à cet égard la poésie figurative - j'évoque presque les roses et les lys de la beauté - a toujours quelque chose (p7->) qui n'exprime le désir que dans le registre d'une singulière froideur ; que par contre la loi à proprement parler de ce problème de l'évocation du désir, c'est dans une poésie qui curieusement se présente comme la poésie que l'on appelle métaphysique, et pour ceux qui lisent l'anglais, je ne prendrai ici que la référence la plus éminente des poètes métaphysiques de la littérature anglaise, John Donne, pour que vous vous y reportiez pour constater combien c'est très précisément le problème de la structure des rapports du désir qui est là évoquée dans un poème célèbre, par exemple, " The Extasie " et dont le titre indique assez les amorces, dans quelle direction s'élabore poétiquement sur le plan lyrique tout au moins, l'apport ( l'abord ) poétique du désir quand il est recherché, visé lui-même à proprement parler.
Je laisse de côté ceci qui assurément va beaucoup plus loin pour présentifier le désir, le jeu du poète quand il s'arme de l'action dramatique. C'est très précisément la dimension sur laquelle nous aurons à revenir cette année. Je vous l'annonce déjà parce que nous nous en étions approchés l'année dernière, c'est la direction de la comédie.
Mais laissons là les poètes. Je ne les ai nommés là qu'à titre d'indication liminaire, et pour vous dire que nous les retrouverons plus tard, plus ou moins diffusément. Je veux plus ou moins m'arrêter à ce qui a été à cet endroit la position des philosophes, parce que le crois qu'elle a ( p8-> ) été très exemplaire du point où se situe pour nous le problème.
J'ai pris soin de vous écrire
là-haut ces trois termes : " pleasure-seeking " ,
" object-seeking " , en tant qu'elles recherchent le plaisir, en tant qu'elles
recherchent l'objet . C'est bien ainsi que depuis toujours s'est posée
la question
pour la réflexion et pour la morale - j'entends la morale théorique,
la morale qui s'énonce en préceptes et en règles, en
opérations
de philosophes, tout spécialement dit-on,
d'éthiciens. Je vous
l'ai déjà indiqué - remarquez
au passage en fin de compte la base de toute
morale que l'on pourrait appeler physicaliste,
comme on pourrait voir en quoi le terme a le
même
sens, en quoi dans la philosophie
médiévale,
on parle de théorie physique de l'amour,
au sens où précisément
elle est opposée à la
théorie extatique de l'amour. La
base de toute morale qui s'est exprimée
jusqu'à présent,
jusqu'à un certain point dans la tradition philosophique, revient
en somme à ce qu'on pourrait appeler la tradition
hédoniste
qui consiste
à faire établir une sorte d'équivalence entre ces deux
termes du plaisir et de l'objet, au sens où l'objet est l'objet naturel
de la libido, au sens où il est un bienfait, en fin de compte à
admettre le plaisir au rang des biens cherchés par le sujet, voire même
à s'y refuser dès lors qu'on en a le même critère,
au rang du souverain bien.
Cette tradition hédoniste de la morale est une chose (p9->) qui assurément n'est capable de cesser de surprendre qu'à partir du moment où l'on est en quelque sorte engagé dans le dialogue de l'école, qu'on ne s'aperçoit plus de ses paradoxes, car en fin de compte quoi de plus contraire à ce que nous appellerons l'expérience de la raison pratique, que cette prétendue convergence du plaisir et du bien ?
En fin de compte, si l'on y regarde
de près, si l'on regarde
par exemple ce que ces choses tiennent dans Aristote,
qu'est-ce que nous voyons s'élaborer
? Et c'est très clair, les choses
sont très pures dans Aristote.
C'est assurément quelque chose qui
n'arrive à réaliser
cette identification du plaisir et du bien
qu'à l'intérieur de
ce que j'appellerai une éthique
de maître, ou quelque chose
dont l'idéal flatteur, les termes
de la tempérance ou de l'intempérance,
c'est-à-dire de quelque chose qui
relève de la maîtrise
du sujet par rapport à ses propres
habitudes. Mais l'inconséquence
de cette théorification est tout à fait
frappante. Si vous relisez ces passages
célèbres qui concernent précisément
l'usage des plaisirs, vous y verrez que
rien n'entre dans cette optique moralisante
qui ne soit du registre de cette maîtrise
d'une morale de maître,
de ce que le maître peut discipliner,
peut discipliner beaucoup de choses, principalement
comportant relativement à ses
habitudes, c'est-à-dire au maniement
et à l'usage de son moi. Mais pour
ce qui est du désir, vous verrez à quel
point Aristote ( Éthique à Nicomaque ) lui-même
(p10->)
doit reconnaître , il
est fort lucide et fort conscient que ce
qui résulte
de cette théorisation morale pratique
et théorique , c'est que
les ( épithémia
), les désirs
se présentent très
rapidement au-delà d'une certaine limite qui est précisément
la limite de la maîtrise et du moi dans le domaine de ce qu'il appelle
nommément la bestialité.
Les désirs sont exilés du champ propre de l'homme, si tant est que l'homme s'identifie à la réalité du maître, à l'occasion c'est même quelque chose comme les perversions et d'ailleurs, il a une conception à cette égard singulièrement moderne du fait que quelque chose dans notre vocabulaire pourrait assez bien se traduire par le fait que le maître ne saurait être jugé là-dessus, ce qui reviendrait presque à dire que dans notre vocabulaire, il ne saurait être reconnu comme responsable.
Ces textes valent la peine d'être rappelés. Vous vous y éclairerez à vous y reporter.
A l'opposé de cette tradition philosophique, il est quelqu'un que le voudrais tout de même ici nommer, nommer comme à mes yeux le précurseur de ce quelque chose que je crois être nouveau, qu'il nous faut considérer comme nouveau dans, disons, le progrès, le sens de certains rapports de l'homme à lui-même, qui est celui de l'analyse que Freud constitue.
C'est Spinoza, car après tout je crois que c'est chez (p11->) lui, en tout cas avec un accent assez exceptionnel, que l'on peut lire une formule comme celle-ci : " Que le désir est l'essence même de l'hommes ". Pour ne pas isoler le commencement de la formule de sa suite, nous ajouterons : " Pour autant qu'elle est conçue à partir de quelqu'une de ses affections, conçue comme déterminée et dominée par l'une quelconque de ses affections à faire quelque chose ".
On pourrait déjà beaucoup
faire à partir
de là pour
articuler ce qui dans cette formule reste encore, si je puis dire,
irrévélé ;
je dis irrévélé parce que, bien entendu, on
ne peut pas traduire Spinoza à partir de Freud, il est
quand même très
singulier, je vous le donne comme témoignage très
singulier, sans doute personnellement j' ai peut-être plus
de propension qu'un autre et dans des temps très anciens
j'ai beaucoup pratiqué Spinoza.
Je ne crois pas pour autant que ce soit pour cela qu'à le
relire à
partir de mon expérience, il me semble que quelqu'un qui participe à
l'expérience freudienne peut se trouver aussi à l'aise dans les
textes de celui qui a écrit le " De Servitute humana " (SPINOZA,
L'Éthique
démontrée selon l'ordre géométrique et divisée
en cinq partie. 111 partie : De la nature et de l'origine des affects. Définition
des affects, I. - Texte original et trad. B. Pautrat - Paris, 1988, Seuil.
SPINOZA, op. cit., IV partie: « De la Servitude humaine, autrement dit,
des forces des affects.» ) , et pour qui
toute la réalité humaine se structure, s'organise en
fonction des attributs de la substance divine.
Mais laissons de côté aussi pour l'instant, quitte à y revenir, cette amorce. Je veux vous donner un exemple beaucoup plus accessible, et sur lequel je clorai cette référence philosophique concernant notre problème. Je l'ai pris là au niveau (p12->) le plus accessible, voire le plus vulgaire de l'accès que vous pouvez en avoir. Ouvrez le dictionnaire du charmant défunt Lalande, " Vocabulaire Philosophique ", qui est toujours, je dois dire, en toute espèce d'exercice de cette nature, celui de faire un vocabulaire, toujours une des choses les plus périlleuses et en même temps les plus fructueuses, tellement le langage est dominant en tout ce qui est des problèmes. On est sûr qu'à organiser un Vocabulaire, on fera toujours quelque chose de suggestif. Ici, nous trouvons ceci " Désir ( Begerang, Begehrung ) - il n'est pas inutile de rappeler ce qu'articule le désir dans le plan philosophique allemand - " tendance spontanée et consciente vers une fin que vous imaginéz " .
" Le désir repose donc sur la tendance dont il est un cas particulier et plus complexe. Il s'oppose d'autre part à la volonté ou à la volition en ce qu'elle superpose 1 ° la coordination, au moins momentanée, des tendances ; 2° l'opposition du sujet et de l'objet ; 3° la conscience de sa propre efficacité ; 4° la pensée des moyens par lesquels se réalisera la fin voulue. "
Ces rappels sont fort utiles seulement il est à remarquer que dans un article qui veut définir le désir, il y a deux lignes pour le situer par rapport à la tendance, et que tout ce développement se rapporte à la volonté. C'est effectivement à ceci que se réduit le discours sur le désir (p13->) dans ce Vocabulaire, à ceci près qu'on y ajoute encore :
" Enfin selon certains philosophes, il y a encore à la volonté un fiat . . d'une nature spéciale irréductible aux tendances, et qui constitue la liberté. "
Je ne sais quel air d'ironie dans ces dernières lignes, il est frappant de le voir surgir chez cet auteur philosophe. En note : " Le désir est la tendance à se procurer une émotion déjà éprouvée ou imaginée, c'est la volonté naturelle d'un plaisir " (citation de Roque ) (Rauh et Revault d'Allones.) . Ce terme de volonté naturelle ayant tout son intérêt de référence.
À quoi Lalande personnellement ajoute : " Cette définition apparaît trop étroite en ce qu'elle ne tient pas assez compte de l'antériorité de certaines tendances par rapport aux émotions correspondantes. Le désir semble être essentiellement le désir d'un acte ou d'un état, sans qu'il y soit nécessaire dans tous les cas de la représentation du caractère affectif de cette fin ".
Je pense que cela veut dire du plaisir, ou de quelque chose d'autre. Quoiqu'il en soit, ce n'est certainement pas sans poser le problème de savoir de quoi il s'agit, si c'est de la représentation du plaisir, ou si c'est du plaisir.
Certainement je ne pense pas que la tâche de ce qui s'opère par la voie du vocabulaire, pour essayer de serrer la signification du désir, soit une tâche simple, d'autant plus que peut-être la tâche vous ne l'aurez pas non plus par la (p14->) tradition à quoi elle se révèle absolument préparée. Après tout le désir est-il la réalité psychologique, rebelle à toute organisation, et en fin de compte serait-ce par la soustraction des caractères indiqués pour être ceux de la volonté que nous pourrons arriver à nous approcher de ce qu'est la réalité du désir ?
Nous aurons alors le contraire de ce qui nous a abandonné la non-coordination, même momentanée, des tendances, l'opposition du sujet et de l'objet, seraient vraiment retiré. De même nous serions là dans une présence, une tendance sans conscience de sa propre efficacité, sans penser les mots par lesquels elle réalisera la fin désirée. Bref, assurément nous sommes là dans un champ dans lequel en tout cas l'analyse a apporté certaines articulations plus précises, puisqu'à l'intérieur de ces déterminations négatives, l'analyse dessine très précisément au niveau, à ces différents niveaux, la pulsion, pour autant qu'elle est justement ceci : le mot (la non)-coordination, même momentanée, des tendances, le fantasme pour autant qu'il introduit une articulation essentielle, ou plus exactement une espèce tout à fait caractérisée à l'intérieur de cette vague détermination de la non opposition du sujet et de l'objet.
Ce sera précisément ici cette année notre but que d'essayer de définir ce qu'est le fantasme, peut-être même un peu plus précisément que la tradition analytique jusqu'ici (p15->) n'est arrivée à le définir.
Pour ce qui reste, derniers termes de l'idéalisme de la pragmati(q)ve qui sont ici impliqués, nous n'en retiendrons pour l'instant qu'une chose : très précisément combien il semble difficile de situer le désir et de l'analyser en fonction de références purement objectales.
Nous allons ici nous arrêter pour entrer à proprement parler dans les termes dans lesquels je pense pouvoir cette année articuler pour vous le problème de notre expérience, en tant qu'ils sont nommément ceux du désir, du désir et de son interprétation. Déjà le lien interne, le lien de cohérence dans l'expérience analytique du désir et de son interprétation, présente en soi-même quelque chose que seule l'habitude nous empêche de voir combien est subjective déjà à soi toute seule l'interprétation du désir, et quelque chose qui soit en quelque sorte lié de façon aussi interne, il semble bien, à la manifestation du désir.
Vous savez de quel point de vue, je ne dirais pas nous partons, nous cheminons, car ce n'est pas d'aujourd'hui que nous sommes ensemble - je veux dire qu'il y a déjà cinq ans que nous essayons de désigner les linéaments de la compréhension par certaines articulations de notre expérience. Vous savez que ces linéaments viennent cette année converger sur ce problème qui peut être le problème point de concours de tous ces points, certains éloignés les uns des autres, dont (p16->) je veux d'abord pouvoir préparer son abord.
La psychanalyse - et nous avons marché ensemble au cours de ces cinq ans - la psychanalyse nous montre essentiellement ceci que nous appellerons la prise de l'homme dans le constituant de la chaîne signifiante.
Que cette prise sans doute est liée au fait de l'homme, mais que cette prise n'est pas coextensive à ce fait dans ce sens que l'homme parle sans doute, mais pour parler il a à entrer dans le langage et dans son discours pré-existant. Je dirais que cette loi de la subjectivité que l'analyse met spécialement en relief, sa dépendance fondamentale de (du) langage est quelque chose de tellement essentiel que littéralement sur ceci glisse toute la psychologie en eux-mêmes .
Nous dirons qu'il y a une psychologie qui est servie, pour autant que nous pourrions la définir comme la somme des études concernant ce que nous pourrons appeler au sens large, une sensibilité en tant qu'elle est fonction du maintien d'une totalité ou d'une homéostase . Bref, les fonctions de la sensibilité par rapport à un organisme. Vous voyez que là tout est impliqué, non seulement toutes les données expérimentales de la psycho-physique, mais aussi bien tout ce que peut apporter, dans l'ordre le plus général, la mise en jeu de notion de forme quant à l'appréhension des moyens du maintien de la constance de l'organisme. Tout un champ de la psychologie est ici inscrit, et l'expérience (p17->) propre soutient ce champ dans lequel la recherche se poursuit.
Mais la subjectivité dont il s'agit, en tant que l'homme est pris dans le langage, en tant qu'il est pris, qu'il le veuille ou pas, et qu'il y est pris bien au-delà du savoir qu'il en a, c'est une subjectivité qui n'est pas immanente à une sensibilité, en tant qu'ici le terme sensibilité veut dire le couple stimulus-réponse, pour la raison suivante : c'est que le stimulus y est donné en fonction d'un code qui impose son ordre, au besoin qui doit s'y traduire.
J'articule ici l'émission, et non pas d'un signe comme on peut à la rigueur le dire, au moins dans la perspective expérimentale, dans l'épreuve expérimentale de ce que j'appelle le cycle stimulus réponse. On peut dire que c'est un signe que le milieu extérieur donne à l'organisme d'avoir à répondre, d'avoir à se défendre. Si vous chatouillez la plante des pieds d'une grenouille, elle assure un signe, elle y répond en faisant une certaine détente musculaire .
Mais pour autant que la subjectivité est prise par le langage, il y a émission, non pas d'un signe, mais d'un signifiant, c'est-à-dire, retenez bien ceci qui paraît simple : que quelque chose, le signifiant qui vaut non pas comme on le dit quand on parle dans la théorie de la communication de quelque chose qui vaut par rapport à une troisième chose, que ce signe représente encore tout récemment, on peut lire ceci avec trois termes, ce sont les termes minimum, il (p18->) faut qu'il y ait un . . . [ récepteur, code ? ] celui qui entend, il suffit ensuite d'un signifiant, il n'y a même pas besoin de parler d'émetteur, il suffit d'un signe et de dire que ce signe signifie une troisième chose, qu'elle représente simplement. On la construit fausse, parce que le signe ne vaut pas par rapport à une troisième chose qu'il représente, mais il vaut par rapport à un autre signifiant qu'il n'est pas.
Quant à ces trois schémas ? que je viens de mettre sur le tableau :
je veux vous en montrer, je dirais non pas la genèse car ne vous imaginez pas qu'il s'agit là d'étapes, encore que quelque chose puisse s'y retrouver à l'occasion d'étapes effectivement réalisées par le sujet, il faut bien que le sujet y prenne sa place, mais n'y voyez pas [ d'étapes au sens où ] il s'agirait d'étapes typiques, d'étapes [ d'évolution ], s'agit plutôt d'une génération, [ et pour marquer l' ) antériorité logique de chacun de ces ( schémas sur ] (p19->) celui qui le suit.
Qu'est-ce que représente ceci que nous appellerons D , pour partir d'un D ? Ceci représente la chaîne signifiante. Qu'est-ce à dire ? Cette structure basale, fondamentale, soumet toute manifestation de langage à cette condition d'être réglée par une succession, autrement dit par une diachronie, par quelque chose qui se déroule dans le temps. Nous laissons de côté les propriétés temporelles intéressées? Nous aurons peut-être à y revenir en leur temps. Disons qu'assurément toute la plénitude de l'étoffe temporelle, comme on dit, n'y est point appliquée. Ici les choses se résument à la notion de la succession, avec ce qu'elle peut déjà amener et impliquer de notion de scansion. Mais nous n'en sommes même pas encore là. Le seul élément discret , c'est-à-dire différentiel, est la base sur laquelle va s'instaurer notre problème de l'implication du sujet dans le signifiant.
Ceci implique, étant donné ce que je viens de vous faire remarquer, à savoir que le signifiant se définit par son rapport, . . son sens, et prend sa valeur du rapport à un autre signifiant d'un système d'opposition signifiante, ceci se développe dans une dimension qui implique du même coup et en même temps une certaine synchronie des signifiants.
C'est cette synchronie des signifiants, à savoir l'existence d'une certaine batterie signifiante dont on peut poser (p20->) le problème de savoir quelle est la batterie minimale. J'ai essayé de m'exercer à ce petit problème. Cela ne vous entraînerait pas trop loin de votre expérience de savoir si après tout on peut faire un langage avec une batterie qui semble être la batterie minimale, une batterie de quatre. Je ne crois pas que ce soit impensable, mais laissons cela de côté.
Il est clair que, dans l'état actuel des choses, nous sommes loin d'en être réduits à ce minimum. L'important est ceci qui est indiqué par la ligne pointillée qui vient recouper d'avant en arrière en la coupant en deux points, la ligne représentative de la chaîne signifiante, c'est à savoir la façon dont le sujet a à entrer dans le jeu de la chaîne signifiante . Ceci qui est représenté par la ligne pointillée représente la première rencontre au niveau synchronique, au niveau de la simultanéité des signifiants. Ici, C c'est là ce que j'appelle le point de rencontre du code. En d'autres termes, c'est pour autant que l'enfant s'adresse à un sujet qu'il sait parlant, qu'il a vu parlant, qui l'a pénétré de rapports depuis le début de son éveil à la lumière du jour ; c'est pour autant qu'il y a quelque chose qui joue comme jeu du signifiant, comme moulin à paroles, que le sujet a à apprendre très tôt que c'est là une voie, un défilé par où essentiellement doivent s'abaisser les manifestations de ses besoins pour être satisfaits.
(p21->) Ici, le deuxième point de recoupement M est le point où se produit le message, et est constitué par ceci : c'est que c'est toujours par un jeu rétroactif de la suite des signifiants que la signification s'affirme et se précise, c'est-à-dire que c'est après coup que le message prend forme à partir du signifiant qui est là en avant de lui ; du code qui est en avant de lui et sur lequel inversement lui, le mes-sage, pendant qu'il se formule à tout instant, anticipe, tire une traite.
Je vous ai déjà indiqué ce qui résulte de ce processus. En tout cas ce qui en résulte et qui est marquable sur ce schéma, c'est ceci : c'est que ce qui est à l'origine sous la forme d'éclosion du besoin, de la tendance comme disent les psychologues, qui est là représenté sur mon schéma, là au niveau de ce Ça qui ne sait pas ce qu'il est, qui étant pris dans le langage, ne se réfléchit pas de cet apport innocent du langage dans lequel le sujet se fait d'abord discours . Il en résulte que même réduit à ses formes les plus primitives d'appréhension de ceci par le sujet, qu' i1 est en-rapport avec d'autres sujets parlants, se produit ce quelque chose au bout de la chaîne intentionnelle que je vous ai appelé ici la première identification primaire I, la première réalisation d'un idéal dont on ne peut même pas dire à ce moment du schéma qu'il s'agisse d'un idéal du moi, mais qu'assurément le sujet y a reçu le premier seing, si-(p22->)gnum, de sa relation avec l'autre ( Autre ).
La deuxième étape du schéma peut recouvrir d'une certaine façon une certaine étape évolutive, à cette simple condition que vous ne les considériez pas comme tranchées. Il y a des choses tranchées dans l'évolution, ce n'est pas au niveau de ces étapes du schéma que ces césures se trouvent là. Ces césures, comme quelque part Freud l'a remarqué, se marquent au niveau du jugement d'attribution par rapport à la nomination simple. Ce n'est pas de cela que je vous parle maintenant, j'y viendrai dans la suite.
Dans la première partie du schéma et dans la seconde, il s'agit de la différence d'un niveau infans du discours, car il n'est peut-être même pas nécessaire que l'enfant parle encore pour que déjà cette marque, cette empreinte mise sur le besoin par la demande, s'exerce au niveau déjà des vagissements alternants. Cela peut suffire.
La deuxième partie du schéma implique, que même si l'enfant ne sait pas encore tenir un discours, tout de même déjà il sait parler et ceci vient très tôt. Quand le dis sait parler, je veux dire qu'il s'agit, au niveau de la deuxième étape du schéma, de quelque chose qui va au-delà de la prise dans le langage. Il y a à proprement parler rapport pour autant qu'il y a appel de l'autre ( Autre ) comme présence, cet appel de l'autre ( Autre ) comme présence, comme présence sur fond d'absence ; à ce moment signalé du fort-da qui a si vivement impressionné (p23->) Freud à la date que nous pouvons fixer à 1915, ayant été appelé auprès d'un de ses petits-fils ( devenu lui-même un psychanalyste - ) je parle de l'enfant qui a été l'objet de l'observation de Freud.
Voilà qui nous fait passer
au niveau de cette seconde étape de
réalisation
du schéma,
dans ce sens
qu'ici, au-delà de
ce qu'articule
la chaîne
de discours
comme existante
au-delà du
sujet et
lui imposant,
qu'il le
veuille ou
non, sa forme,
au-delà de
cette appréhension,
si l'on peut
dire, innocente
de la forme
langagière
par le
sujet, quelque
chose d'autre
va se produire
qui est lié au
fait que
c'est dans
cette expérience
du langage
que se fonde
son appréhension
de l'autre comme tel, de cet autre qui peut lui donner la réponse,
la réponse à son appel, cet autre auquel fondamentalement il
pose la question que nous voyons, dans Le
Diable amoureux de Cazotte, comme étant
le mugissement de la forme terrifique qui représente l'apparition du
surmoi, en réponse à celui qui l'a évoqué dans
une caverne napolitaine : Che vuoi ? Que veux-tu ? La question posée à l'autre
de ce qu'il veut, autrement dit, de là où le sujet fait la
première
rencontre
avec le désir, le désir comme étant d'abord le
désir
de l'autre,
le désir, grâce à quoi il s'aperçoit qu'il
réalise
comme étant
cet au-delà autour
de quoi tourne
ceci, que
l'autre fera
qu'un signifiant
ou l'autre
sera, ou
non, dans
la présence
de la parole,
que l'autre
lui donne
(p24->)
l'expérience
de son désir
en même
temps qu'une
expérience
essentielle,
car jusqu'à
présent c'était en soi que la batterie était là des
signifiants , dans laquelle un choix pouvait être fait, mais maintenant
c'est dans l'expérience que ce choix s'avère comme commutatif,
qu'il est à la portée de l'autre de faire que l'un ou l'autre
des signifiants soit là, que s'introduisent dans l'expérience,
et à ce
niveau de
l'expérience, les deux nouveaux principes qui viennent s'additionner
à ce qui était d'abord pur et simple principe de succession impliquant
ce principe de choix. Nous avons maintenant un principe de substitution, car
- et ceci est essentiel - c'est cette commutativité à partir
de laquelle s'établit pour le sujet ce que j'appelle, entre le signifiant
et le signifié, la barre ; à savoir qu'il y a entre le signifiant
et le signifié cette coexistence, cette simultanéité qui
est en même temps marquée
d'une
certaine
impénétrabilité, je veux dire le maintien de la
différence,
de la distance
entre le
signifiant
et le signifié :
Chose curieuse, la théorie des groupes telle qu'on l'apprend dans l'étude abstraite des ensembles, nous montre le lien absolument essentiel de toute commutativité avec la possibilité même d'user de ce que j'appelle ici le signe de la barre, dont on se sert pour la représentation des fractions.
(p25->) Laissons cela pour l'instant de côté. C 'est une indication latérale sur ce dont il s'agit.
La structure de la chaîne signifiante à partir du moment où elle a réalisé l'appel de l'autre, c'est-à-dire où l'énonciation, le procès de l'énonciation se superpose, se distingue de la formule de l'énoncé, en exigeant comme tel, quelque chose qui est justement la prise du sujet, prise du sujet qui était d'abord innocente, mais qui ici - la nuance est là pourtant, c'est essentiel - est inconsciente dans l'articulation de la parole .
A partir du moment où la commutativité du signifiant y devient une dimension essentielle pour la production du signifié, c 'est à savoir que c'est d'une façon effective, et retentissant dans la conscience du sujet, que la substitution d'un signifiant à un autre signifiant sera comme telle l'origine de la multiplication de ces significations qui caractérisent l'enrichissement du monde humain.
Un autre terme également se dessine, ou un autre principe qui est le principe de similitude, autrement dit qui fait qu'à l'intérieur de la chaîne, c'est par rapport au fait que dans la suite de la chaîne signifiante, un des termes signifiants sera ou non semblable à un autre, que s'exerce également une certaine dimension des faits ( - d'effets - dans une autre version ) qui est à proprement parler la dimension métonymique.
(p26->) Je vous montrerai dans la suite que c'est dans cette dimension, essentiellement dans cette dimension que se produisent les effets qui sont caractéristiques et fondamentaux de ce qu'on peut appeler le discours poétique, les effets de la poésie.
C'est donc au niveau de la deuxième étape du schéma que se produit ceci qui nous permet de placer au même niveau que le message, c'est-à-dire dans la partie gauche du schéma, ce que le message dans le premier schéma, l'apparition de ce qui est signifié de l'autre s (A) par opposition au signifiant donné par l'autre S (A) qui, lui, est produit sur la chaîne, elle pointillée puisque c'est une chaîne qui n'est articulée qu'en partie, qui n'est qu'implicite, qui ne représente ici que le sujet en tant qu'il est le support de la parole.
Je vous l'ai dit, c'est dans l'expérience de l'Autre, en tant qu'Autre ayant un désir, que se produit cette deuxième étape de l'expérience. Le désir [d], dès son apparition, son origine, se manifeste dans cet intervalle, cette béance qui sépare l'articulation pure et simple, langagière de la parole, de ceci qui marque que le sujet y réalise quelque chose de lui-même qui n'a de portée, de sens, que par rapport à cette édition ( émission ) de la parole et qui est à proprement parler ce que le langage appelle son être.
C'est entre les avatars de sa demande et ce que ces avatars l'ont fait devenir, et d'autre part cette exigence (p27->) de reconnaissance par l'autre, qu'on peut appeler exigence d'amour à l'occasion, où se situe un horizon d'être pour le sujet, dont il s'agit de savoir si le sujet, oui ou non, peut l'atteindre. C'est dans cet intervalle, dans cette béance, que se situe une expérience qui est celle du désir, qui est appréhendée d'abord comme étant celle du désir de l'autre et à l'intérieur de laquelle le sujet a à situer son propre désir. Son propre désir comme tel ne peut pas se situer ailleurs que dans cet espace.
Ceci représente la troisième étape, la troisième forme, la troisième phase du schéma. Elle est constituée par ceci : c'est que dans la présence primitive du désir de l'autre comme opaque, comme obscure, le sujet est sans recours. Il est " hilflos . . . " , " Hilflosigkeit . . . " . J'emploie le terme de Freud, en français, cela s'appelle la détresse du sujet. C'est là ici le fondement de ce qui, dans l'analyse, a été exploré, expérimenté, situé comme l'expérience traumatique.
Ce que Freud nous a appris
après le cheminement qui lui a permis de situer
enfin à sa vraie place l'expérience de l'angoisse, c'est quelque
chose qui n'a rien de ce caractère, à mon avis par certains côtés
diffus, de ce
qu'on appelle
l'expérience existentielle de l'angoisse. Que si l'on a pu dire dans
une référence philosophique que l'angoisse est quelque chose
qui nous confronte avec le néant, assurément ces formules sont
justifiables dans une certaine pers-(p28->)pective
de la réflexion.
Sachez que, sur ce sujet, Freud a un enseignement articulé, positif,
il fait de l'angoisse quelque chose de tout à fait situé dans
une théorie
de la communication . L'angoisse est un signal. Ce n'est
pas au niveau du désir, si tant est
que le désir doive se produire à la même place où
d'abord s'origine, s'expérimente la détresse; ce n'est pas au
niveau du désir que se produit l'angoisse. Nous reprendrons cette année
attentivement, ligne par ligne, l'étude
de Inhibition, Symptôme, Angoisse de Freud. Aujourd'hui,
dans cette première
leçon,
je ne peux faire autrement que déjà vous amorcer quelques points
majeurs pour savoir retrouver ensuite, et nommément celui-là .
Freud nous dit que l'angoisse se produit comme un signal dans le moi, sur
le fondement de l' [ hilflosigkeit ] à laquelle
elle est appelée
comme signal à remédier.
Je sais que je vais trop vite, que cela méritera tout un séminaire que je vous parle de cela, mais je ne peux vous parler de rien si je ne commence pas par vous montrer le dessein du chemin que nous avons à parcourir.
C'est en tant donc qu'au niveau de cette troisième étape intervient l'expérience spéculaire, l'expérience du rapport à l'image de l'autre en tant qu'elle est fondatrice de l'Urbild du moi, que nous allons en d'autres termes retrouver cette année à utiliser dans un contexte qui lui donnera une résonance toute différente, ce que nous avons articulé à la (p29->) fin de notre première année concernant les rapports du moi idéal et de l'idéal du moi, c 'est en tant que nous allons être amenés à repenser tout cela dans ce contexte-là, qu'est l'action symbolique que je vous montre ici comme essentielle.
Vous allez voir quelle utilisation elle pourra enfin avoir. Je ne fais pas allusion ici uniquement à ce que j'ai dit et articulé sur la relation spéculaire, à savoir la confrontation dans le miroir du sujet avec sa propre image ; je fais allusion au schéma dit O -------- O', c'est-à-dire à l'usage du miroir concave qui nous permet de penser la fonction d'une image réelle elle-même réfléchie, et qui ne peut être vue comme réfléchie qu'à partir d'une certaine position, d'une position symbolique qui est celle de l'Idéal du moi.
Ce dont il s'agit est ceci : dans la troisième étape du schéma nous avons l'intervention comme tel de l'élément imaginaire de la relation du moi [m] à l'autre i (a) comme étant ce qui va permettre au sujet de parer à cette détresse dans la relation au désir de l'autre, par quoi ? Par quelque chose qui est emprunté au jeu de maîtrise que l'enfantà un âge électif, a appris à manier dans une certaine référence à son semblable comme tel .
L'expérience
du semblable au sens où
il est regard, où il est l'autre qui vous regarde, où il fait
jouer un certain nombre de relations imaginaires parmi lesquelles (p30->)
au premier plan les relations de prestance, les relations aussi de soumission
et de défaite.
C'est au moyen de cela, en d'autres termes, comme Aristote dit que l'homme
pense, il faut dire que l'homme pense, il ne faut pas dire l'âme
pense, mais l'homme pense avec son âme . Il faut dire que le sujet
se défend. C'est cela que notre expérience nous montre . Avec
son moi, il se défend
contre cette détresse,
et avec ce moyen
que l'expérience imaginaire de la relation à l'autre
lui donne, il construit
quelque chose
qui est la différence de l'expérience spéculaire
flexible avec l'autre, parce que ce que le sujet réfléchit, ce
ne sont pas simplement des jeux de prestance, ce n'est pas son opposition à
l'autre dans le prestige et dans la feinte, c'est lui-même comme sujet
parlant, et c'est pourquoi ce que je vous désigne ici
comme étant
ce lieu d'issue, ce lieu de référence par où le désir
va apprendre à se situer, c'est le fantasme. C'est
pourquoi le fantasme, je vous le symbolise, je vous le formule par ces symboles.
Le
ici
. Je vous dirai tout à l'heure pourquoi il est barré , le
S , c'est-à-dire
le sujet en tant que parlant, en tant qu'il se réfère à
l'autre comme regard, à l'autre imaginaire.
Chaque
fois que vous aurez affaire à quelque chose qui est à proprement
parler un fantasme, vous verrez qu'il est articulable dans ces termes de
référence
du sujet comme parlant à l'autre imaginaire. C'est cela
qui définit
le fantasme, (p31->)
(suit
une page manuscrite ci-dessous, assez sommaire ! , je propose le texte d'une
autre version en " sienne " .)
et la fonction
du fantasme comme fonction de niveau d'accommodation, de situation du
désir du sujet comme tel, et c'est
bien pourquoi le désir
humain a cette propriété d'être fixé, d'être
adapté, d'être coapté, non pas à un objet,
mais toujours essentiellement à un
fantasme.
Ceci
est un
fait
d'expérience qui a pu longtemps demeurer mystérieux,
c'est tout de même le fait d'expérience, n'oublions pas, que l'analyse
a introduit dans le courant de la connaissance. Ce n'est qu'à partir
de l'analyse que ceci n'est pas une anomalie, quelque chose d'opaque, quelque
chose de l'ordre de la déviation, du dévoiement, de la perversion
du désir, c'est à partir de l'analyse que même tout
ceci qui peut à l'occasion s'appeler dévoiement, perversion,
déviation,
voire même délire, est conçu et articulé dans
une dialectique qui est celle qui peut, comme je viens de vous le montrer,
concilier l'imaginaire avec le symbolique. je sais que je ne vous mène
pas, pour commencer, par un sentier facile, mais si je ne commence pas
tout de suite par poser nos termes de références, que
vais-je arriver à faire
? À y aller lentement, pas à pas, pour vous suggérer
la nécessité d'une référence, et si je
ne vous apporte pas ceci que j'appelle le graphe tout de suite, il faudra
tout de même
que je vous l'amène comme je l'ai fait l'année dernière,
peu à peu, c'est-à-dire d'une façon qui sera
d'autant (p32->) plus
obscure. Voilà donc pourquoi j'ai commencé par
là, je ne
vous dis pas que je vous ai rendu pour autant l'expérience
plus facile, c'est
pour
cela
que maintenant
pour la détendre, cette expérience,
je voudrais vous en donner tout de suite de petites illustrations. Ces illustrations,
j'en prendrai une d'abord et vraiment au niveau le plus simple puisqu'il s'agit
des rapports du sujet au signifiant, la moindre et la première chose
qu'on puisse exiger d'un schéma, c'est de voir à quoi il peut
servir à propos
du fait de commutations.
Je
me
suis
souvenu de
quelque chose
que j'avais
lu autrefois
dans le livre de Darwin (DARWIN Ch., L'Expression
des émotions
chez l'homme et les animaux, (trad. S. Pozzi et R. Benoît) Paris, 1874,
C. Reinwald et Cie Libraires-éditeurs. Le passage qui est cité ici
se réfère à l'autobiographie de Ch. Darwin (trad. J.M. Goux)
Paris, 1985, Belin. ) sur l'expression chez
l'homme et chez l'animal,
et qui je dois dire,
m'avait bien amusé. Darwin raconte qu'un nommé Sidney Smith qui,
je suppose devait être un homme de la société anglaise de
son temps, et dont il dit ceci : il pose une question, Darwin , il dit :
j'ai entendu Sidney Smith dans une soirée, dire tout à fait
tranquillement la phrase suivante : " il m'est revenu aux oreilles que la
chère
vieille Lady Cock y a coupé ". En réalité " overlook
" veut dire que le surveillant ne l'a pas repérée, sens étymologique.
" Over look " est d'un usage courant dans la langue anglaise. Il n'y a rien
de correspondant dans notre usage courant. C'est pour cela que l'usage des
langues est à
la fois si utile et si nuisible, parce qu'il nous évite de faire des
efforts, de faire cette subs-(p33->)titution
de signifiants dans notre propre langue, grâce à laquelle nous
pouvons arriver à viser un
certain signifié, car il s'agit de changer tout le contexte pour obtenir
le même
effet dans une société analogue. Cela pourrait vouloir dire
: 1'œi1
lui est passé au-dessus, et Darwin s'émerveille que
ce fut absolument parfaitement clair pour chacun, mais sans aucun doute
que cela voulait dire que le diable l'avait oubliée, je veux dire
qu'il avait oublié
de l'emporter dans la tombe , ce qui semble avoir été à
ce moment dans l'esprit de l'auditeur sa place naturelle, voire souhaitée.
Et Darwin laisse vraiment le point d'interrogation ouvert : Comment
fit-il pour obtenir cet effet , dit Darwin ? Voilà, je suis vraiment
incapable de le dire .
Remarquez que nous pouvons lui être reconnaissants à lui-même de marquer l'expérience qu'il fait là d'une façon spécialement significative et exemplaire de sa propre limite dans l'abord de ce problème. Qu'il ait pris d'une certaine façon le problème des émotions, dire que l'expression des émotions y est tout de même intéressée justement à cause du fait que le sujet n'en manifeste strictement aucune, qu'il dise cela " placidely " c'est peut-être porter les choses un peu loin. En tout cas Darwin ne le fait pas, il est vraiment très étonné de ce quelque chose qu'il faut prendre au pied de la lettre, parce que comme toujours quand nous étudions un cas, il ne faut pas le réduire en le rendant (p34->) vague. Darwin dit : tout le monde a compris que l'autre parlait du diable, alors que le diable n'est nulle part, et c'est cela qui est intéressant, c'est que Darwin nous dise que le frisson du diable est passé sur l'assemblée.
Essayons maintenant un peu de comprendre.
Nous n'allons pas nous attarder sur les limitations mentales propres à Darwin, nous y viendrons forcément tout de même bien, mais pas tout de suite. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il y a dès le premier abord quelque chose qui participe d'une connaissance frappante, parce qu'enfin il n'y a pas besoin d'avoir posé les principes de l'effet métaphorique, c'est-à-dire de la substitution d'un signifiant à un signifiant, autrement dit, il n'y a pas besoin d'exiger de Darwin qu'il en ait le pressentiment pour qu'il s'aperçoive tout de suite que l'effet en tous cas tient d'abord à ce qu'il n'articule même pas dans le fait qu'une phrase qui commence quand on dit " Lady Cock ", se termine normalement par " ill " , malade : j'ai entendu dire quand même qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, donc la substitution, quelque chose qui paraît que l'on attend une nouvelle concernant la santé de la vieille dame, car c'est toujours de leur santé que l'on s'occupe d'abord quand il s'agit de vieilles dames, est remplacé par quelque chose d'autre, voire même d'irrévérencieux par certains côtés.
Il ne dit pas, ni qu'elle est à la
mort, ni non plus (p35->) qu'elle se porte
fort bien . Il dit qu'elle a été oubliée.
Alors ici qu'est-ce qui intervient pour que cet effet
métaphorique, à
savoir en tous cas quelque chose d'autre que ce que cela voudrait dire si "
overlook " pouvait être attendu ? C'est en tant qu'il n'est pas
attendu, qu'il est substitué à un autre signifiant, qu'un effet
de signifié
se produit qui est nouveau, qui n'est ni dans la ligne de ce qu'on attendait,
ni dans la ligne de l'inattendu. Si cet inattendu n'avait pas justement été
caractérisé comme inattendu, c'est quelque chose d'original qui
d'une certaine façon a à être réalisé dans
l'esprit de chacun selon ses angles de réfraction propres. Dans tous
les cas il y a cela qu'il y a ouverture d'un nouveau signifié à
ce quelque chose qui fait par exemple que Sidney Smith passe dans l'ensemble
pour un homme d'esprit, c'est-à-dire ne s'exprime pas par clichés.
Mais pourquoi diable ?
Si nous nous reportons à notre
petit schéma,
cela nous aidera tout de même beaucoup. C'est à cela que ça
sert, si l'on fait des schémas, c'est pour s'en servir. On
peut d'ailleurs arriver au même résultat en s'en passant,
mais le schéma
en quelque sorte nous guide, nous montre très évidemment
ce qui se passe là dans le réel, ceci qui se présentifie,
c'est un fantasme à proprement parler, et par quels mécanismes
? C'est ici que le schéma aussi peut aller plus loin que ce
que permet, je dirais, une espèce de notion (p36->)
naïve
que les choses sont faites pour exprimer quelque chose qui en somme
se communiquerait une émotion comme on dit,
comme si les émotions en elles-mêmes ne posaient pas à soi
toutes seules tellement d'autres problèmes, à savoir
ce qu'elles sont, à savoir si elles n'ont pas besoin déjà
elles de communication.
Notre sujet, nous dit-on, est là parfaitement
tranquille, c'est-à-dire
qu'il se présente en quelque sorte à l'état pur,
la présence
de sa parole étant son pur effet métonymique ; je veux
dire sa parole en tant que parole dans sa continuité de parole
et dans cette continuité de parole précisément
il fait intervenir ceci : la présence de la mort en tant que
le sujet peut ou non lui échapper,
c'est-à-dire pour autant qu'il évoque cette présence
de quelque chose qui a la plus brande parenté avec la venue
au monde du signifiant lui-même , je veux dire que s'il y a
une dimension où
la mort ou le fait qu'il n'y en a plus, peut être à la fois
directement
évoquée, et en même temps voilée, mais en tout cas
incarnée, devenir immanente à un acte, c'est bien l'articulation
signifiante. C'est donc pour autant que ce sujet qui parle si aisément
de la mort, il est bien clair qu'il ne lui veut pas spécialement
du bien
à cette dame, mais que d'un autre côté la parfaite placidité
avec laquelle il en parle, implique justement qu'à cet égard
il a dominé son désir, en tant que ce désir comme dans
" Volpone " ( JONSON
B. (1605), Volpone ou le Renard. (trad. Maurice Castelain) Paris, 1990, Les
Belles Lettres. ), pourrait s'expri-(p37->)mer
par l'aimable formule : " Pue
et crève ! "
Il ne dit pas cela, il articule simplement sereinement que ce qui est le niveau qui nous vaut ce [ destin ] chacun à notre tour, là pour un instant oublié, mais cela, si je puis m'exprimer ainsi, ce n'est pas le diable - et l' ( la mort ], ça viendra un jour ou l'autre, et du même coup ce personnage, lui, se pose comme quelqu'un qui ne redoute pas de s'égaliser avec celle dont il parle, de se mettre au même niveau, sous le coup de la même faute, de la même légalisation terminale par le maître absolu ici présentifié.
En d'autres termes, ici le sujet se révèle à l'endroit de ce qui est voilé du langage comme y ayant cette sorte de familiarité, de complétude, de plénitude du maniement du langage qui suggère quoi ? Justement quelque chose sur quoi je veux terminer, parce que c'est ce qui manquait à tout ce que j'ai dit dans mon développement en trois étapes, pour qu'ici le ressort, le relief de ce que je voulais vous articuler soit complet.
Au niveau du premier schéma nous avons l'image innocente. Il est inconscient bien sûr, mais c'est une inconscience qui ne demande qu'à passer au savoir. N'oublions pas que dans l'inconscience cette dimension de avoir conscience, même en français implique cette notion.
Au niveau de la deuxième et de la troisième étape du schéma, je vous ai dit que nous avions un usage beaucoup (p38->) plus conscient du savoir, je veux dire que le sujet sait parler et qu'il parle. C'est ce qu'il fait quand il appelle l'autre et pourtant c'est là à proprement parler que se trouve l'originalité du champ que Freud a découvert et qu'il appelle l'inconscient, c'est-à-dire ce quelque chose qui met toujours le sujet à une certaine distance de son être et qui fait que précisément cet être ne le rejoint jamais, et que c'est pour cela qu'il est nécessaire qu'il ne peut faire autrement que d'atteindre son être dans cette métonymie de l'être dans le sujet qu'est le désir.
Et pourquoi ? Parce qu'au niveau où le sujet est engagé, entré lui-même dans la parole et par là dans la relation à l'autre comme tel, comme lieu de la parole, il y a un signifiant qui manque toujours. Pourquoi ? Parce que c'est un signifiant, et le signifiant est spécialement délégué au rapport du sujet avec le signifiant. Ce signifiant a un nom, c'est le phallus.
Le désir est la métonymie de l'être dans le sujet ; le phallus est la métonymie du sujet dans l'être. Nous y reviendrons. Le phallus, pour autant qu'il est élément signifiant soustrait à la chaîne de la parole, en tant qu'elle engage tout rapport avec l'autre, c'est là le principe limite qui fait que le sujet dans toute ( sans doute ), et pour autant qu'il est impliqué dans la parole, tombe sous le coup de ce qui se développe dans toutes ses conséquences cliniques, sous le terme (p39->) de complexe de castration.
Ce que suggère toute espèce d'usage, je ne dirais pas pur, mais peut-être plus impur des mots de la tribu ( MALLARMÉ S., « Le Tombeau d'Edgar Poe » in OEuvres complètes, Poésies (édition critique présentée par Carl Paul Barbier et Charles Gordon Millon), Paris, 1983, Flammarion, p. 272 ), toute espèce d'inauguration métaphorique, pour peu qu'elle se fasse audacieuse et au défi de ce que le langage voile toujours, et ce qu’il voile toujours au dernier terme, c'est la mort. Ceci tend toujours à faire surgir, à faire sortir cette figure énigmatique du signifiant manquant, du phallus qui ici apparaît, et comme toujours bien entendu sous la forme qu'on appelle diabolique, oreille, peau, voire phallus lui-même, et si dans cet usage ( du gage ) bien entendu la tradition du jeu d'esprit anglais, de ce quelque chose de contenu qui n'en dissimule pas moins le désir le plus violent, mais cet usage suffit à soi tout seul à faire apparaître dans l'imaginaire, dans l'autre qui est là comme spectateur, dans le petit ( a ) , cette image du sujet en tant qu'il est marqué par ce rapport au signifiant qui s'appelle l'interdit, ici en l'occasion en tant qu'il viole un interdit, en tant qu'il montre qu'au-delà des interdits qui font la loi des langages, on ne parle pas comme cela des vielles dames.
Il y a quand même
un monsieur qui entend parler le plus placidement du monde et qui fait
apparaître
le diable, et c'est au point que le cher Darwin se demande : comment, diable,
a-t-il fait cela ?
(p40->) Je vous laisserai là-dessus aujourd'hui.
Nous reprendrons la prochaine fois un rêve dans Freud, et nous essayerons
d'y appliquer nos méthodes
d'analyse, ce qui en même temps nous permettra de situer les différents
modes d'interprétation.
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