J.LACAN                        gaogoa

< > 

XVI- D'un Autre à l'autre     note

5 MARS 1969

     (p341->) Je vous ai laissés la dernière fois sur une formule équilibrée selon la proportion - appelons-la harmonique - que j'ai développée devant vous sous ce terme que ce que j'ai pu traduire aisément, en raison des dictions antérieures, par ceci qui porte en soi un certain degré d'évidence apparente et de nature à satisfaire d'une formule a priori ce qui est le plus communément reconnu de ce qu'il en est de la conquête analytique, qui est ceci : que nous savons que quelque part - en cette part que nous appelons Inconscient - une vérité s'énonce qui a cette propriété que nous n'en pouvons rien savoir. Ceci, j'entends ce fait même, c'est là ce qui constitue un savoir.

    J'écrivais donc : savoir sur la fonction de vérité moins savoir, c'est cela qui doit nous donner la vérité sur le savoir.

    Là-dessus, pour faire annonce d'un épisode menu de mes rencontres, il m'est arrivé cette semaine (p342->) d'entendre une formule - je m'excuse auprès de son auteur si je la déforme un peu - il s'agissait d'une formule aux prémisses d'une recherche dans la ligne de mon enseignement, qui était de situer la fonction de la psychanalyse non pas à tout prix comme science mais comme indication " épistémologique " , ( puisque la recherche est à l'ordre du jour ) sur la fonction de la science, la formule est ceci : " la psychanalyse serait, dans les sciences, quelque chose qu'on pourrait formuler comme une science sans savoir ".

    Mon interlocuteur allait jusque là, et sans doute porté par ce qu'il en est d'un certain mouvement actuel, pour autant qu'à un niveau qui est bien aussi d'expérience, la mise en question se pose de ce qu'il en est d'une sorte de relativité qu'on accuserait d'être mode de domination sociale au niveau de la transmission du savoir.

    J'ai vivement repris mon interlocuteur au nom précisément de ceci qu'il est faux de dire que rien de l'expérience psychanalytique, dans un enseignement ne pourrait s'articuler à proprement parler, se doctriner comme savoir, et de ce fait ( puisqu'il s'agit de ce qui est mis en cause présentement ) être énoncé d'une façon magistrale dans les termes qui sont ceux précisément sous lesquels je l'énonce, ce savoir, ici.

    Et pourtant, sous un certain angle, d'une certaine façon, (p343->) c'est la vérité, ce qu'avançait mon interlocuteur.

    C'est la vérité au niveau de ce savoir analytique qu'il n'en est pas un, de savoir, par rapport à ce qu'il a l'air d'être, à ce pourquoi on le prendrait si, sous prétexte qu'il a énoncé le rapport originel radical, de la fonction du savoir à la sexualité, on se précipitait trop vite ( c'est un pléonasme ! ) à en déduire que c'est un savoir du sexuel.

    Qu'est-ce qui a appris dans la psychanalyse à savoir bien traiter sa femme ? Parce qu'enfin ça compte, une femme ! Il y a une certaine façon de l'attraper par le bon bout, ça se tient en mains d'une certaine façon à laquelle elle ne s'y trompe pas, elle ! Elle est capable de vous dire " Vous ne me tenez pas comme on tient une femme ".

    Que les voies dans une analyse puissent être éclaircies qui l'empêchaient, cet homme à qui cette femme s'adressait dans ce que je viens de dire, de le bien faire, on aime à croire que ça se produit à la fin d'une analyse, et pour ce qui est de la technique, si vous me permettez de m'exprimer ainsi, le résultat est livré à son savoir naturel, à l'adresse - si vous me permettez d'employer ce mot, avec toute l'ambiguïté qu'à l'ordinaire des ressources du langage il possède en français, la faculté épinglée de ce nom et aussi le sens d'à qui ça s'adresse, à l'adresse supposée donnée (p344->) au bout d'un déblayage.

    Il est clair qu'il n'y a rien de commun entre l'opération analytique et quoi que ce soit qui relève de ce registre que j'ai appelé à l'instant " technique " dont on sait l'ampleur quand on repère, comme l'a fait Mauss par exemple incidemment ce domaine, parlant des caractéristiques dans la culture de cette fonction très étendue, pour laquelle ce n'est pas raison que dans la nôtre, de civilisation, elle soit non pas à proprement parler éludée mais refoulée dans les coins, cette fonction qu'il appelle " les techniques du corps " ; je n'ai ici que de faire allusion à la dimension des techniques proprement érotiques pour autant qu'elles sont mises en avant dans telle culture qu'on ne saurait d'aucune façon qualifier de primitive, la culture hindoue par exemple, pour faire sentir que rien de ce qui s'énonce dans ce qui, pour vous, ne peut en aucun cas vous parvenir qu'au titre des amusettes, de la pornographie, dans la lecture d'un livre comme le Kama Soutra par exemple ; et pourtant, dans une autre dimension où ce texte peut être entendu, il peut aussi bien prendre une portée qui, au regard des confusions complètes qui sont faites sur ce mot, celui que je vais employer, sera repérée, non sans justesse mais approximative, comme métaphysique ; le biais donc par lequel est abordé dans (p345->) la psychanalyse ce qu'il en est du savoir sexuel, c'est pour cela qu'il prend son poids de la façon dont je l'écris - là encore, une fois de plus, ce dont il s'agit, c'est d'un recours à l'évidence du départ, et ceci, c'est bien celui de ce que d'interdit à proprement parler peut passer sur ce savoir, le savoir sexuel - le biais par où je ne dirai pas nous y rentrons mais nous y sommes confrontés, c'est ceci de nouveau en ce sens que ce biais n'avait jamais été pris, c'est de l'aborder par ce point où cet interdit pèse, et c'est pourquoi les premiers énoncés de Freud à l'endroit de l'inconscient mettent l'accent sur la fonction de la censure comme telle.

    Cet interdit s'exerce comme affectant un certain " là ", cet endroit-là, où ça parle, où ça avoue, où ça avoue que c'est préoccupé par la question de ce savoir et admirez, là, au passage, une fois de plus la richesse du langage. Est-ce que ce " préoccupé " pour traduire la Besetzung, le Besetz freudien, ne vaut pas mieux que cet " investissement ", ou cet " investi " dont les traductions nous rebattent les oreilles ? Il est pré-occupé, occupé à l'avance par ce quelque chose dont la position, dès lors, va devenir plus ambiguë. Que peut vouloir dire - et c'est bien là ce qui nécessite qu'on y revienne toujours, sur cette fonction de l'inconscient - que (p346->) peut vouloir dire ce savoir dont la marque à un certain niveau qui s'articule de vérité se définit en ceci que c'est ce qu'on sait le moins, ce savoir qui vous préoccupe. Et c'est ce qui permet peut-être d'énoncer pour éclaircir les choses qu'on pourrait dire d'un certain point de vue que, dans notre culture, notre civilisation, dans notre " sauce ", à cette poêle à frire ou en tout cas c'est bien le seul terme qui justifie votre rassemblement ici, on pourrait aller à soutenir que la psychanalyse a cette fonction d'entretenir cette sorte d'hypnose qui fait qu'après tout, c'est bien vrai, hein, le sexuel chez nous est maintenu dans une torpeur sans précédent.

    Tout ça n'est point une raison pour que la psychanalyse puisse servir d'aucune façon à contester, puisque c'est de cela qu'il s'agit, le bien fondé de la transmission d'un savoir quelconque, même pas du sien ; car, après tout, elle a découvert quelque chose, quelque mythique qu'en soit la formule, elle a découvert ce qu'on appelle dans d'autres registres des moyens de production, de quoi ? d'une satisfaction ; elle a découvert qu'il y avait quelque chose d'articulable et d'articulé, quelque chose que j'ai épinglé, que j'ai dénoncé comme étant des montages, et ne pouvant littéralement pas se concevoir autrement, qu'elle appelle (p347->) les pulsions ; et ça n'a de sens - ce qui veut dire qu'elle ne les présente comme telles - que pour autant qu'à l'occasion c'est satisfaisant, et que, quand on les voit fonctionner, ça implique que ça porte avec soi sa satisfaction. Quand, sous le biais d'une articulation théorique, elle dénonce dans un comportement le fonctionnement de la pulsion orale, de la pulsion anale, de l'autre encore, scoptophilique ou de la pulsion sadomasochiste, c'est bien pour dire que quelque chose s'en satisfait dont il va de soi qu'on ne peut le désigner autrement que comme ce qui est dessous, un sujet, un (upokeimenon) , quelque division qui doive nécessairement en résulter pour lui, au nom de ceci qu'il n'est là que le sujet d'un instrument en fonctionnement, d'un organon, le terme ici étant employé moins dans son accent anatomique - prolongement, appendice naturel plus ou moins animé d'un corps - que proprement dans son sens originel qui est celui où Aristote, au regard de la logique l'emploie, d'appareil, d'instrument.

    Bien sûr, le domaine n'est plus limitrophe et c'est bien de ce fait que quelques organes d'ailleurs diversement ambigus, malaisés à saisir du corps - puisqu'il est trop évident que certains n'en sont que les déchets - se trouvent placés en cette fonction de support instrumental.

    (p348->) Alors une question s'ouvre : comment pouvons-nous définir cette satisfaction ? Il faut bien croire qu'il doit y avoir là tout de même quelque chose qui cloche puisque ce à quoi nous nous employons, à l'endroit de ces montages, c'est de les démonter.

    Est-ce à dire que le pur et simple démontage implique en soi, comme tel, de premier plan, qu'il soit curatif ? S'il en était ainsi, il semble que ça irait un peu plus vite, et peut-être même qu'il y a une paye qu'on aurait fait le tour de la question !

    Si nous mettons en avant la fonction de la fixation comme essentielle, c'est bien que l'affaire n'est pas si aisée que cela et que ce qu'il nous faut retenir dans le champ psychanalytique, c'est peut-être en effet que quelque chose l'inscrit comme son horizon, et que ça, c'est le sexuel, et que c'est en fonction de cet horizon, en tant que maintenu comme tel, que les pulsions s'insèrent dans leur fonction d'appareil.

    Vous voyez donc avec quelle prudence ici j'apporte mes assertions. J'ai parlé d'horizon ; j'ai parlé de champ ; je n'ai pas parlé d'acte sexuel, puisque aussi bien, pour ceux qui étaient déjà ici il y a deux ans, j'ai posé à la question de l'acte assurément d'autres prémisses que celles de tenir pour donné qu'il y a un acte sexuel, et ils se souviendront que j'ai conclu, à prendre pour visée la (p349->) question de l'acte sexuel, que nous pouvons énoncer qu'à prendre " acte " dans l'accent structural où seul il subsiste, il n'y a pas d'acte sexuel.

    Nous y reviendrons ; et aussi bien vous vous doutez que c'est bien pour y revenir d'un autre biais, celui de cette année, celui qui va d'un Autre à l'autre, que nous nous retrouvons dans ce chemin où il mérite pourtant d'être rappelé ce que nous avons conclu d'un autre abord.

    Ce qui s'interroge de la satisfaction comme essentielle à la pulsion, là aussi nous sommes forcés de le laisser en suspens, ne serait-ce que pour choisir notre chemin pour arriver à le définir. Pour l'instant, nous pouvons faire le saut du vif qui se trouve quelque part au niveau du signe ( = ) de l'équation ici écrite. C'est bien là ce qui est le centre de notre interrogation d'aujourd'hui. A quelle satisfaction peut répondre le savoir lui-même, savoir que ce n'est pas en vain qu'en somme ici je le produis comme approchable notionnellement, comme le savoir qui serait identique à ce champ tel que je viens de le cerner, qui serait le " savoir y faire " dans ce champ. Est-ce même suffisant ? Ce " savoir y faire " est un peu trop proche encore du savoir-faire, sur lequel il a pu y avoir tout à l'heure un malentendu que j'ai favorisé d'ailleurs, histoire de vous attraper là où il faut, au ventre. C'est plutôt " savoir y être ", et ceci nous ramène au biais qui fait (p350->) ici notre question ; ceci nous ramène toujours aux bases, comme il convient, de notre enjeu, c'est que ce que la découverte freudienne avance, c'est qu'on peut y être sans savoir qu'on y est, et qu'à se croire le plus sûr de se garder de cet y être, qu'à se croire être ailleurs, dans un autre savoir, on y est en plein ; c'est ça qu'elle dit, la psychanalyse : on y est sans le savoir ; on y est dans tous les champs du savoir. Et c'est pour ça que c'est par ce biais que la psychanalyse se trouve intéresser la mise en question du savoir ; ce n'est nulle part d'aucune vérité et nommément pas d'aucune ontologie ; où qu'on soit, où qu'on fonctionne, par la fonction du savoir, on est dans l'horizon du sexuel.

    Avouez que ça vaut quand même la peine qu'on aille y regarder de plus près. On y est sans le savoir. Est-ce qu'on y perd ? Ça ne semble pas faire de doute, puisque c'est de là qu'on part. On y est couillonné jusqu'à la garde. La duperie de la conscience, c'est ceci qu'elle sert à quoi elle ne pense pas servir.

    J'ai dit " duperie ", pas " tromperie ". La psychanalyse ne s'interroge pas sur la vérité de la chose. De nulle part nous ne sortirons d'elle des discours sur le voile de Maya ou sur l'illusion fondamentale de la Wille (?) . " Duperie " implique quelque chose, mais ici moins court à résoudre qu'ailleurs. Une dupe, c'est quelqu'un que quelqu'un d'autre exploite. Qui exploite ici ? L'accent étant mis (p351->) sur la duperie, quand même la question fuse et c'est ce qui fait que dans une zone qui est celle des suites de la théorie marxiste, on frétille un peu ; est-ce que cette sacrée psychanalyse ne pourrait pas donner là - c'est le terme que j'ai entendu avancer comme ça, surgir dans ces paroles ( je préfère, je vous l'ai dit, un discours ( sans paroles ) mais quand je vais voir les gens, c'est pour qu'on parle, alors ils parlent, ils parlent plus que moi ) et alors ils disent quelque chose comme ça : " après tout, la psychanalyse pourrait bien être une caution de plus pour la théorie de l'exploitation sociale ".

    Ils n'ont pas tort ; l'exploiteur, simplement, est ici moins facile à saisir ; le mode de la révolution aussi ; c'est une duperie qui ne profite à personne, au moins en apparence.

    Alors est-ce que le savoir de l'expérience analytique, c'est seulement le savoir comme servant à n'être pas dupe à ce qu'il en est de la musique ? mais à quoi bon si ça ne s'accompagne pas d'un savoir en sortir ou même, plus précisément, d'un savoir introïtif, d'un savoir entrer dans ce qui est en question concernant cet éclair qui peut en résulter sur l'échec nécessaire de quelque chose qui n'est peut-être pas le privilège de l'acte sexuel.

    C'est cette question par rapport à laquelle la psychanalyse, en fait, est restée sur le seuil. Pourquoi est-elle (p352->) restée sur le seuil ? Qu'elle reste sur le seuil dans sa pratique, c'est ce qui ne peut être justifié que d'une façon théorique ; c'est à quoi nous nous efforçons. Mais qu'elle y soit restée aussi sur le plan théorique, je dirai que c'est son problème ; laissons-la s'en tirer toute seule ; ça ne nous empêche pas, tous tant que nous sommes ici, en tant que nous sommes dans la poêle à frire, d'essayer de faire, nous aussi, comme les autres, d'aller plus loin.

    Il est certain qu'ici, justement, nous nous trouvons au carrefour où, tout à l'inverse de ce que j'énonçais tout à l'heure, nous avons peut-être à recueillir des leçons de l'expérience d'autres dimensions au regard d'un certain texte dont il s'avère avec le temps qu'il n'est pas si différent du nôtre, puisque la fonction du signe et même du signifiant y a tout son prix, c'est à savoir de la critique marxiste.

    Il suffirait peut-être d'un petit peu moins de progressisme d'un côté et de l'autre pour qu'on arrive à des conjonctions - j'entends théoriques - fructueuses.

   Là-dessus, chacun sait que j'apporte quelque chose qui est aussi un organon, justement celui qui pourrait servir à passer cette frontière et que certains épinglent comme la logique du signifiant.

    C'est vrai, je suis arrivé là-dessus à faire (p353->) quelques énoncés, et qui se sont trouvés vivement stimuler des esprits, lesquels rien ne préparait venant de la psychanalyse, mais qui s'en sont trouvés stimulés, venant d'ailleurs ; d'ailleurs qu'il n'est pas si simple de préciser puisqu'il ne s'agit pas seulement de l'allégeance politique mais aussi bien d'un certain nombre de modes où dans le temps présent - c'est-à-dire bien après que j'aie commencé d'énoncer la dite logique - il se produit toutes sortes de questions sur le maniement de ce signifiant, sur ce que c'est qu'un discours, sur ce que c'est qu'un roman, sur ce que c'est même que le bon usage de la formalisation en mathématiques.

    Alors on est, là comme ailleurs, un peu pressé. La hâte a sa fonction, je l'ai déjà énoncé en logique. Encore ne l'ai-je énoncé que pour montrer les pièges mentaux ( j'irai jusqu'à les qualifier ainsi ) dans lesquels elle précipite.

    On finira bien, à vouloir accentuer combien ce que j'énonce comme logique du signifiant reste en marge, en quelque sorte, de ce qu'une certaine frénésie, adhésion à la formalisation pure, permettrait d'en écarter comme, dit-on, métaphysique, on finira bien par faire qu'on s'apercevra que, même dans le domaine du pur exercice mathématique, l'usage de la formalisation n'épuise rien mais laisse en marge quelque chose à propos de quoi vaut toujours la question de ce qu'il en est du désir de savoir. Et, qui sait, (p354->) quelqu'un autour de moi l'a suggéré il y a quelques jours, il y aura peut-être malgré moi un jour en mathématiques quelque chose qui s'appellera le théorème de Lacan ! Ce n'est certainement pas que je l'aurai cherché, car j'ai d'autres chats à fouetter ; mais c'est justement comme ça que les choses arrivent. A force de vouloir considérer comme clos - et c'est bien là une caractéristique de quelque chose qui normalement doit déboucher ailleurs - un discours non achevé, on produit des effets de déchet, comme cela.

    Ce théorème, on peut encore en laisser l'énoncé dans un obscur de l'avenir.
Pour l'instant, revenons au savoir et repartons de ce qui ici s'énonce. Ce n'est pas la même chose d'énoncer une formule en commençant par un bout ou par l'autre. Le savoir, peut-on dire, inversement de notre expérience, c'est ce qui manque à la vérité. C'est pour ça que la vérité - ce qui évidemment met en porte-à-faux le débat d'une certaine ( et seulement de celle-là ) logique, de la logique de Frege pour autant qu'elle part sur les béquilles de deux valeurs aussi bien notables, 1 ou 0, vérité ou erreur ; regardez bien quelle peine il a à trouver une proposition qu'il puisse qualifier de véridique . Il faut qu'il aille invoquer le nombre de satellites qu'a Jupiter ou telle autre planète ; autrement dit quelque chose de bien rond et de tout à fait isolable ; sans se rendre (p355->) compte que ce n'est que recourir au plus vieux prestige de ce par quoi d'abord le réel est apparu comme ce qui revient toujours à la même place ; du fait qu'il ne puisse pas avancer autre chose que le recours à ces entités astronomiques, que bien sûr il n'est même pas question qu'un mathématicien énonce comme formule portant inhérente en soi la vérité 2 et 2 font 4, car ce n'est pas vrai si par hasard dans chacun des 2 il y en avait un qui était le même, ils ne feraient que 3, il n'y a pas beaucoup d'autres formules qui puissent être énoncées comme vérité.

    Que la vérité soit désir de savoir et rien d'autre n'est évidemment fait que pour nous faire mettre en question précisément ceci : s'il y en avait une, vérité, avant ; chacun sait que c'est là le sens du laisser-être heideggerien ; est-ce qu'il y a quelque chose à laisser-être ?

    C'est en ce sens que la psychanalyse apporte quelque chose. Elle est pour dire qu'il y a quelque chose, en effet, qu'on pourrait laisser être. Seulement elle y intervient. Et elle y intervient d'une façon qui nous intéresse, au-delà du seuil derrière lequel elle reste, pour autant qu'elle nous fait nous interroger sur ce qu'il en est du désir de savoir.

    C'est pourquoi nous revenons à la pulsion. Elle est sans doute mythologique, comme Freud lui-même l'a écrit. Mais ce qui ne l'est pas, c'est la supposition qu'un sujet (p356->) en est satisfait. Or ce n'est pas pensable sans l'implication déjà, dans la pulsion, d'un certain savoir, de son caractère de tenant lieu sexuel.

    Seulement voilà, qu'est-ce que ça veut dire, que ce n'est pas pensable ? Parce que les choses peuvent aller aussi loin que d'interroger l'effet de pensée comme suspect. Nous ne savons peut-être absolument rien de ce que ça veut dire, tenir lieu du sexuel. L'idée de sexuel même peut être un effet du passage de ce qui est au cœur de la pulsion, à savoir l'objet a. Comme vous le savez, ça s'est fait il y a longtemps. Elle lui passe la pomme fatale, la chère Eve ! C'est quand même un mythe aussi. C'est à partir de là qu'il la voit comme femme. Il s'aperçoit de tous les trucs que je vous ai dits tout à l'heure. Avant, il ne s'était pas aperçu qu'elle était quelque chose d'extrait du côté de son gril costal ; il avait trouvé ça, comme ça, gentil, bien agréable ; on était au Paradis ! C'est probablement à ce moment-là - et à lire le texte ça ne fait aucun doute - que non seulement il découvre qu'elle est la femme, mais qu'il commence à penser, le cher petit ! C'est pour ça que dire le " ça n'est pas pensable ", que la pulsion déjà comporte, implique un certain savoir, ça ne nous mène pas loin. Et la preuve, d'ailleurs, c'est que c'est le joint, ici, de l'idéalisme.

    Il y a un nommé Simmel qui a parlé, en son temps, de (p357->) la sublimation, avant Freud. C'était pour partir de la fonction des valeurs. Et alors lui explique très bien comment l'objet féminin vient prendre, à l'intérieur de ça, une valeur privilégiée. C'est un choix comme un autre. Il y a les valeurs, on pense dans les valeurs ; et puis on pense selon les valeurs ; et puis on édifie des valeurs.

    Si je vous ai dit que la psychanalyse et Freud ne se préoccupent pas de l'illusion ni du voile de Maya, c'est justement que l'un et l'autre, la pratique et la théorie, sont réalistes. La jouissance, c'est ce qui ne s'aperçoit qu'à en voir la constance dans les énoncés de Freud. Mais c'est aussi ce qui s'aperçoit à l'expérience, j'entends psychanalytique ; la jouissance est ici un absolu, c'est le réel, et tel que je l'ai défini comme ce qui revient toujours à la même place. Et si on le sait, c'est à cause de la femme. Cette jouissance comme telle est telle qu'à l'origine seule l'hystérique la met en ordre logiquement, c'est elle en effet qui la pose comme un absolu, c'est en ceci qu'elle dévoile la structure logique de la fonction de la jouissance. Car si elle la pose ainsi, en quoi elle est juste théoricienne, c'est à ses dépens. C'est justement parce qu'elle la pose comme un absolu qu'elle est rejetée, à ne pouvoir y répondre que sous l'angle d'un désir insatisfait par rapport à elle-même.

    (p358->) Cette position dans le dévoilement logique part d'une expérience dont la corrélation est parfaitement sensible à tous les niveaux de l'expérience analytique, je veux dire que c'est toujours d'un au-delà de la jouissance comme un absolu que toutes les déterminations articulées de ce qu'il en est du désir trouvent logiquement leur juste place, c'est ce qui arrive à un degré de cohérence dans l'énoncé qui réfute toute caducité liée au hasard de l'origine ; ce n'est pas parce que les hystériques ont été là au début par un accident historique que toute l'affaire a pu prendre sa place ; c'est parce qu'elles étaient au juste point où l'incidence d'une parole pouvait mettre en évidence ce creux qui est la conséquence du fait que la jouissance joue ici fonction d'être hors des limites du jeu ( du je ? ) c'est parce que, comme le dit Freud, l'énigme est là de savoir que veut une femme, ce qui est une façon tout à fait déplacée d'épingler ce qu'il en est, dans l'occasion, de sa place, que prend valeur ce qu'il en est de savoir ce que veut l'homme.

    Que toute la théorie de l'analyse, dit-on quelquefois, se développe dans une filière androcentrique, ce n'est certes pas la faute des hommes, comme on le croit ; ce n'est pas parce qu'ils dominent, en particulier, c'est parce qu'ils ont perdu les pédales et qu'à partir de ce moment-là, (p359->) il n'y a plus que les femmes, et spécialement les femmes hystériques, qui y comprennent quelque chose.

    Dans l'énoncé de l'inconscient tel que je viens de l'écrire, s'il porte la marque du a au niveau où manque le savoir, c'est dans la mesure où on ne sait rien de cet absolu et que c'est même ce qui le constitue comme absolu ; c'est qu'il n'est pas lié dans l'énoncé mais que ce qu'on affirme - et c'est cela l'énonciation dans sa part inconsciente - c'est que c'est cela qui est le désir en tant que manque du 1. Or cela ne garantit pas que ce soit cela qui est le désir en tant que manque du 1 ; ça ne garantit pas que ce soit la vérité, le manque du 1 ; rien ne garantit que ce ne soit pas le mensonge, et c'est même pourquoi dans l'Entwurf, dans l'Esquisse pour une psychologie, Freud désigne ce qu'il en est de la concaténation inconsciente comme prenant toujours son départ dans un proton pseudos, ce qui ne peut se traduire correctement, quand on sait lire, que par le mensonge souverain. Si ça s'applique à l'hystérique, ça n'est que dans la mesure où elle prend la place de l'homme.

    Ce dont il s'agit, c'est de la fonction de ce 1 en tant qu'il domine tout ce qu'il en est du champ qu'à juste titre on épingle comme métaphysique. C'est lui qui est mis en cause bien plus que l'être par l'intrusion de la psychanalyse ; c'est lui qui nous force à déplacer (p360->) l'accent du signe au signifiant.

    S'il y avait un champ concevable où fonctionne l'union sexuelle, il ne s'agirait, là où ça a l'air d'aller, chez l'animal, que du signe. " Fais-moi cygne, comme disait Léda à l'un d'entre eux " ! Après ça, tout va bien. On s'est passé chacun une moitié du dessert, on est conjoint, ça fait un. Seulement, si l'analyse introduit quelque chose, c'est justement que ce un ne colle pas, et c'est pour ça qu'elle introduit quelque chose de nouveau, à la lumière de quoi d'ailleurs même ces exploits de l'érotisme auxquels je faisais allusion tout à l'heure, en tant qu'elle s'engage, seuls peuvent prendre leur sens, car si l'union sexuelle comportait en même temps que sa fin la satisfaction, il n'y aurait aucun procès subjectif à attendre d'aucune expérience, entendez non pas de celles qui, dans l'analyse, donnent les configurations du désir, mais de celles qui, bien au-delà, dans ce terrain déjà exploré, déjà pratiqué, sont considérées comme les voies d'une ascèse où quelque chose de l'ordre de l'être peut venir à se réaliser.

    La jouissance, cette jouissance qui n'est ici mise en valeur que de l'exclusion en quelque sorte de quelque chose qui représente la nature féminine, est-ce que nous ne savons pas que la nature, pour pourvoir dans ses mille et dix mille espèces aux nécessités de la conjonction, ne semble pas avoir toujours besoin d'y recourir ?

    (p361->) Il y a bien d'autres appareils que les appareils à tumescence qui sont en fonction au niveau de tels arthropodes ou arachnidés.

    Ce qu'il en est de la jouissance n'est ici en aucune façon réductible à un naturalisme. Ce qu'il y a de naturaliste dans la psychanalyse, c'est simplement ce nativisme des appareils qui s'appellent les pulsions, et ce nativisme est conditionné de ceci que l'homme naît dans un bain de signifiants ; il n'y a aucune raison de lui donner quelque suite que ce soit dans le sens du naturisme.

    La question que nous allons ouvrir et qui sera l'objet de notre prochain entretien sera, je pense, éclairée par ces prémisses que j'ai avancées aujourd'hui. Comment peut-il se faire - c'est de là qu'il faut prendre la question, non pas que la sublimation, qui est le point où Freud lui-même a marqué ce que j'ai appelé tout à l'heure l'arrêt de l'analyse sur un seuil, de la sublimation il ne nous a dit que deux choses : que ça avait un certain rapport am Objekt - am, an, vous connaissez déjà l'an Sich, ce n'est pas du tout pareil que le " en " français, quand on traduit l'an Sich par l'en Soi, ce n'est pas ça du tout, c'est bien pour ça que mon " en-Je " quand il s'agit du a, fait aussi ambiguïté, j'aimerais l'appeler " a-je ", en y mettant une apostrophe, 1'a-Je, et vous verriez tout de (p362->) suite ainsi où nous glissons ; c'est là le bon usage des langues en exercice - mais, pour reprendre ce dont il s'agit, quand Freud articule la sublimation, il nous souligne que si elle a rapport avec l'objet, c'est par l'intermédiaire de quelque chose qu'il exploite au niveau où il l'introduit et qu'elle (il ? ) appelle l'idéalisation, mais que, dans son essence, elle est mit dem Trieb, avec la pulsion, ceci est dans l'Einführung zur Narzissmus, mais pour vous reporter aux autres textes, il y en a un certain nombre, je pense que je n'ai pas besoin de vous les énumérer, depuis les Trois essais sur la Sexualité jusqu'à la Massenpsychologie, toujours l'accent est mis sur ceci qu'à l'inverse de l'interférence censurante qui caractérise la Verdrängung, et pour tout dire du principe qui fait obstacle à l'émergence du travail, la sublimation est à proprement parler et en tant que telle mode de satisfaction de la pulsion. Elle est avec la pulsion, une pulsion qu'il qualifie de Zielgehemmt, détournée, traduit-on, de son but.

    J'ai essayé déjà d'articuler ce qu'il en est de ce but, et que peut-être il faudrait dissocier au niveau du but ce qui est le chemin de ce qui est à proprement parler la cible pour y voir plus clair. Mais que besoin de telles arguties après ce qu'aujourd'hui j'ai produit devant vous. Comment ne pas voir qu'il n'est rien de plus aisé que de voir la pulsion se satisfaire hors de son but sexuel. De (p363->) quelque façon qu'il soit défini, il est hors du champ de ce qui est d'essence défini comme l'appareil de la pulsion.

   Pour tout dire, pour conclure, je ne vous prierai que d'une chose, de voir ce qu'il en est abouti partout où, non pas l'instinct, que nous aurions bien de la peine à partir d'aujourd'hui à situer quelque part, mais une structure sociale s'organise autour de la fonction sexuelle ; on peut s'étonner qu'aucun de ceux qui se sont appliqués à nous montrer les sociétés d'abeilles ou de fourmis n'aient pas mis l'accent sur ceci, alors qu'ils s'occupent de toutes autres choses, de leurs groupes, de leurs communications, de leurs ébats, de leur merveilleuse petite intelligence, de voir qu'une fourmilière comme une ruche est entièrement centrée autour de la réalisation de ce qu'il en est du rapport sexuel. C'est très précisément dans cette mesure que ces sociétés diffèrent des nôtres, qu'elles prennent la forme d'une fixité où s'avère la non présence du signifiant.

    C'est bien pour ça que Platon, qui croyait à l'éternité de tous les rapports idéiques, fait une Politeia idéale où tous les enfants sont en commun. A partir de ce moment-là, vous êtes sûr de ce dont il s'agit, il s'agit à proprement parler de centrer la société sur ce qu'il en est de la production sexuelle.

    L'horizon de Platon, tout idéaliste que vous (p364->) l'imaginiez, n'était rien d'autre, à part bien sûr une suite de conséquences logiques qu'il n'est pas question qu'elles portent leurs fruits, que d'annuler dans la société tous les effets de ses Dialogues.
     Je vous laisse là-dessus pour aujourd'hui et je vous donne rendez-vous la prochaine fois sur le sujet de la sublimation.

note : bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance de m'adresser un émail.
Haut de Page  
commentaire