XVI- D'un Autre à l'autre note
4 DECEMBRE 1968
(p92->) Mr LACAN.- Entrons dans le vif parce que nous sommes en retard et reprenons en rappelant sur quoi, en somme, se centrait le dernier propos : sur l’Autre en somme, sur ce que j’appelle « le grand autre » ; j’ai terminé en promouvant certains schémas, avertissant je pense assez qu’ils n’étaient pas à prendre uniquement sur leur aspect plus ou moins fascinant, mais à reporter à une articulation logique, celle proprement qui se compose de ce rapport d’un signifiant à un autre signifiant que j’ai essayé d’articuler pour en tirer les conséquences en partant de la fonction élaborée dans la théorie des ensembles de paires ordonnées.
Du moins est-ce sur le fondement logique que j’ai essayé la dernière fois de vous faire sentir ce quelque chose qui a une pointe, une pointe autour de quoi tourne l’intérêt, l’intérêt pour tous j’espère, qu’il y a à ce que ceci s’articule bien, que l’Autre, ce grand Autre dans sa fonction telle (p93->) que je l’ai déjà approchée, n’enferme nul savoir dont il se puis présumer, disons, qu’il soit un jour absolu.
Que l’Autre soit ici mis en question, voilà qui importe extrêmement à la suite de notre discours.
Il n’y a dans cet énoncé, disons-le d’abord, cet énoncé que l’Autre n’enferme nul savoir qui soit ni déjà là, ni à venir, dans un statut d’absolu, il n’y a dans cet énoncé rien de subversif.
J’ai lu quelque chose récemment quelque part, en un point idéal qui d’ailleurs restera dans son coin, si (p94->) je puis dire, le terme de « subversion du savoir ». Ce terme de « subversion du savoir » était là avant , mon Dieu, avancé plus ou moins sous mon patronage ; je le regrette car à la vérité, je n’ai absolument rien avancé de tel et de tels glissements ne pouvant être considérés que comme très regrettables et rentrer dans cette sorte d’usage de pacotille qu’on pourrait faire de morceaux même pas bien détachés de mon discours, de revissage de termes que mon discours précisément n’a jamais songé à rapprocher pour les faire fonctionner sur le marché qui ne serait pas du tout heureux s’il prenait la tournure de faire usage de colonisation universitaire.
Cette mise en relief au passage et bien sûr non notée de la conjonction du rire avec ce rapport, ce rapport qui est là un plaidoyer qui n’a l’aire de rien que du discours le plus honnête, ce rapport avec cette fonction radicalement éludée, dont déjà dans notre discours j’ai suffisamment indiqué le rapport propre avec cette élision caractéristique en tant qu’elle constitue proprement l’objet « a ».
Bref, je ne veux pas insister plus vers cette forme de bascule ou de déversement sur le bord de la route analytique, celle qui aboutit à un trou que je trouve déshonorant.
Reprenons.
L’Autre ne donne que l’étoffe du sujet, soit sa to-(p98->)pologie, ou ce par quoi le sujet introduit une subversion certes, et qui n’est pas seulement la sienne au sens ou je l’ai épinglé quand j’ai parlé de subversion du sujet par rapport à ce qu’en on énoncé jusqu’alors .
Telle est bien ce que veut dire cette articulation dans le titre où je l’ai mis, mais la subversion dont il s’agit c’est celle que le sujet certes introduit, mais dont se sert le réel, qui dans cette perspective, se définit comme l’impossible.
C’est pourquoi la vérité toujours s’insinue, mais peut s’inscrire aussi de façon parfaitement calculée là où seulement elle a sa place entre les lignes, sa substance, à la vérité est justement ce qui pâtit du signifiant. Cela va loin.
Longtemps on sembla accepter ce qu’on appelait « l’esprit ». C’est une idée qui a passé un tant soit peu, rien ne passe jamais tant qu’on le croit d’ailleurs, enfin elle a passé de ce qu’il s’avère qu’il ne s’agit sous ce nom d’ " esprit " jamais que du signifiant lui-même, ce qui évidemment met en porte-à-faux pas mal de la métaphysique sur les rapports de notre effort avec la métaphysique, sur ce qu’il en est d’un mise en question qui tend à n’en pas perdre tout bénéfice de son expérience à la métaphysique, que ce qui en reste quelque chose, savoir en ceci, qui est bien dans un certain nombre de points, de zones plus variées ou plus fournies qu’on ne le dirait au premier abord et de qualités fort diverses.
La question est soulevée dans un recueil qui vient de paraître, j’en ai eu les prémices, je ne sais s’il est encore en circulation : « Qu’est-ce que le structuralisme ? » par notre ami François Wahl. Je vous conseil de ne pas le manquer, il met un certain nombre de questions au point.
La désillusion de l’esprit n’est pas complet triomphe. Si elle soutient ailleurs, la superstition qui désignerait dans une idéalité de la matière cette substance même impossible qu’on mettrait d’abord dans l’esprit, nous l’appelons « superstition » parce qu’après tout on peut bien faire sa généalogie.
C’est là qu’on sent ce qui continue de s’abriter d’ontologie métaphysique, même dans les lieux les plus inattendus.
Ce qui nous importe est ceci : qui justifie la règle dont s’instaure la pratique psychanalytique, tout bêtement celle dite d’ « association libre » - « libre » ne veut rien dire d’autre que congédiant le sujet, congédier le sujet c’est une opération mais une opération qui n’est pas obligatoirement réussie, il ne suffit pas toujours de donner congé à qui-(p103->)conque pour qu’il s’en aille – ce qui justifie cette règle, c’est que la vérité précisément ne se dit pas par un sujet, mais se souffre, épinglons là quelque chose de ce que nous appellerons l’ « infatuation phénoménologique ».
J’ai déjà relevé un de ces menus monuments qui s’étalent dans un champ où les énoncés prennent volontiers patente de l’ignorance ; « Essence de la Manifestation », tel est le titre d’un livre combien bien accueilli dans le champ universitaire, dont après tout je n’ai point de raison de dire l’auteur puisque je suis en train de le qualifier de « fat », essence de sa manifestation à lui, en tout cas, à ce titre que la puissance avec laquelle à telle page est articulé que : quelque chose nous est donné comme certitude, c’est que la souffrance, elle, n’est rien d’autre que la souffrance, et en effet, cela vous fait quelque chose toujours quand on vous dit cela, il suffit d’avoir eu un mal de dent et de n’avoir jamais lu Freud pour trouver cela convaincant.
C’est un petit peu de trop de justification donnée à l’erreur et c’est bien pourquoi je signale au passage qu’à (p104->) dire ceci je n’y adhère pas entièrement. Mais pour cela, mon Dieu, il faudrait que je rétablisse ce dont il s’agit dans une apologie des sophistes et Dieu sait que cela nous entraînerait.
Quoi qu’il en soit la différence est ceci :
Si ce que nous faisons, nous analystes opère, c’est justement de ceci que la souffrance n’est pas la souffrance et que pour dire ce qu’il faut dire, il faut dire ; « la souffrance est un fait ». Ca à l’air de dire presque pareil, mais ce n’est pas du tout pareil, tout au moins si vous avez bien entendu ce que je vous ai dit tout à l’heure de ce que c’est un fait.
Plutôt
soyons plus modeste : il y a de la souffrance qui est fait, c’est-à-dire
qui recèle un dire ; c’est par cette ambiguité que se réfute qu’elle
soit indépassable en sa manifestation que la souffrance veut être un
symptôme, ce qui veut dire « vérité ».
Tâchons dans notre avance d’être plus rigoureux.
La souffrance a son langage et c’est bien malheureux que n’importe qui puisse le dire sans savoir ce qu’il dit, (p105->) mais enfin c’est précisément l’inconvénient de tout discours, c’est qu’à partir du moment où il s’énonce rigoureusement, comme le vrai discours est un discours sans paroles, comme je l’ai écrit cette année en frontispice, n’importe qui peu le répéter après que vous l’ayez tenu, cela n’a pas plus de conséquences.
Laissons donc de côté la souffrance et pour la vérité précisons ce que nous allons avoir dans la suite à focaliser.
La vérité, elle, parle essentiellement, elle parle « je » et vous voyez là définis deux champs limites : celui ou le sujet ne se repère que d’être effet du signifiant, celui ou il y a pathos du signifiant sans aucun arrimage encore fait dans notre discours au sujet, le champ du fait, et puis ce qui enfin nous intéresse et qui n’a même pas été effleuré ailleurs que sur le Sinaï, à savoir, ce qui parle « je ».
« Sur le Sinaï », je m’excuse, il vient de me sortir d’entre les jambes, je ne voulais pas me ruer sur le Sinaï mais puisqu’il vient de sortir il faut bien que je justifie pourquoi.
Il y a un bout de temps et tout autour de cette petite faille de mon discours qui s’appelait « le Nom du Père » et qui reste béante, j’avais commencé d’interroger la traduction d’un certain –je ne prononce pas bien l’hébreu- « ésé », je crois que cela (p106->) se prononce « ege archer ege » ( ?), ce que les métaphysiciens, les penseurs grecs ont traduit « je suis celui qui est », bien sûr, il leur fallait de l’être.
Seulement, cela ne veut pas dire cela.
Il y a des moyens termes, je parle des gens qui disent : « je suis celui qui suis, cela ne veut rien dire, cela a la bénédiction romaine »
J’ai fait observer je croyais qu’il fallait entendre « Je suis ce que je suis ». En effet, cela a tout au moins une valeur de coup de poing dans la figure, « vous me demandez mon nom, je réponds « je suis ce que je suis et allez vous faire foutre » ; c’est bien ce que fait le peuple juif depuis ce temps.
C’est pour cela que le Sinaï m’est ressorti comme cela, c’est pour vous illustrer ce que j’entends interroger autour de ce qu’il en est du « je », en tant que la vérité parle « je ».
Naturellement, le bruit se répandrait dans le Paris des petits cafés où se tiennent les « pia-pia-pia » comme Pascal j’ai fait le choix du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, que les (p107->) (âmes ?) de quelque côté qu’elles soient portées à accueilli cette nouvelle, remettent leurs mouvements dans le tiroir, la vérité parle « je », mais la réciproque n’est pas vraie, tout ce qui parle « je » n’est pas la vérité, ou irions-nous sans cela ?
Ceci ne veut pas dire que ces propos soient là complètement superflus parce qu’entendez-bien qu’en mettant en question la fonction de l’Autre et sur le principe de sa topologie même, ce que j’ébranle ce n’est pas une trop grande prétention, c’est vraiment la question à l’ordre du jour, c’est proprement ce que Pascal appelait « le Dieu des Philosophes »
(p109->) Alors, il nous reste un quart d’heure et le petit mot que j’ai reçu s’énonce ainsi :
« Mercredi dernier vous avez mis en rapport sans préciser « la paire ordonnée et un signifiant représente le sujet « pour un autre signifiant ».
C’est tout à fait vrai. C’est pour cela que sans doute mon correspondant à mis dessous une barre et au-dessous de la barre, « pourquoi ? » avec un point d’interrogation ? En dessous de « pourquoi ? » une autre barre, puis marqué par deux gros points ou plus exactement un petit cercle rempli de noir :
A ceci , je reconnais que la personne qui m’a envoyé ce papier sait ce qu’elle dit, c’est-à-dire qu’elle a au moins du nombre, qui est probablement plus encore, l’instruction mathématique. C’est tout à fait vrai, on commence par articuler la fonction de ce que c’est qu’un ensemble et si on n’y introduit pas en effet la fonction de la paire ordonnée par cette sorte de coup de force qu’on appelle en logique un « axiome », il n’y a rien de plus à en faire que ce que vous avez d’abord défini comme ensemble.
« Le résultat de ce coup de force est de créer un (p110->) signifiant qui remplace la coexistence de deux signifiants »
C’est tout à fait exact.
Deuxième remarque :
« La paire ordonnée détermine ces deux composants, « tandis que dans la formule un signifiant représente le sujet pour un autre signifiant, il serait étonnant qu’un sujet détermine deux signifiants. »
Je vais donc écrire au tableau :
A
aucun moment je n’ai subsumé dans un sujet la coexistence de deux signifiants.
Si j’introduis la paire ordonnées qui comme le sait sûrement mon interlocuteur,
s’écrit par exemple ainsi,,
(pour la démonstration se reporter à la page annexe) (1), ces
deux signes se trouvent par un bon hasard être
les deux morceaux de mon poinçon
quand ils se rejoignent, ces deux signes
ne servant dans l’occasion qu’à très précisément écrire que ceci est
une paire ordonnée.
La
traduction sous forme d’ensemble, je veux dire articulé dans le sens du
bénéfice
qu’on attend du coup de force, c’est de traduire ceci dans un ensemble dont
les deux éléments et les élé-(p111->)ments
dans un ensemble étant toujours eux-même ensemble, vous voyez se répéter
le signe de la parenthèse (2) : ,
deuxième élément
de cet ensemble
,
, une paire ordonnée est un ensemble qui a deux éléments,
un ensemble formé du premier élément de la paire et un second ensemble, ce
sont donc l’un et l’autre des sous-ensembles formés des deux éléments de
la paire ordonnée.
Loin
que le sujet ici d’aucune façon subsume les deux signifiants en question,
vous voyez, je suppose, combien il est aisé de dire que le ici
ne cesse de représenter le sujet comme ma
définition, « le signifiant représente un sujet pour un autre signifiant »
l’articule, cependant que le second sous-ensemble présentifie ce que mon correspondant
appelle « coexistence », c’est-à-dire dans sa forme la plus large,
cette forme de relation qu’on peut appeler « savoir ».
La question que je pose à ce propos est sous sa forme la plus radicale, si un savoir est concevable qui réunisse cette conjonction des deux sous-ensembles en un seul, d’une façon telle qu’elle puisse être sous le nom de « A » du grand Autre identique à la conjonction telle qu’elle est ici articulée en un savoir des deux signifiants en question.
C’est
pourquoi après avoir épinglé du signifiant « A » un ensemble fait
S que je n’ai plus besoin de mettre , puisque j’ai substitué S1 S2, A, j’ai interrogé ce qu’il
s’en suivait de la topologie de l’Autre et c’est à cette suite que je vous ai
montré d’une façon (p112->)
certes trop figurée pour être logiquement
pleinement satisfaisante, mais dont la nécessité de figure me permettait
de vous dire que cette suite de cercles s’involuant d’une façon dissymétrique,
c’est-à-dire maintenant toujours à la mesure de leur plus grande apparente intériorité
la subsistance de « A », mais en tant que cette figuration suggérée
d’une topologie qui est celle grâce à quoi le plus petit des cercles venait
se conjoindre au plus grand sur cette figure, est la topologie suggérée par
une figuration semblable en faire l’index de ceci, que le grand « A »,
si nous le définissons comme s’incluant possiblement, c’est-à-dire devenu savoir
absolu , a cette conséquence singulière que ce qui représente le sujet ne s’y
inscrit, ne s’y manifeste que sous la forme d’une répétition infinie, comme
vous l’avez vu s’inscrire sous le forme de ce grand « S » dans la
série de parois du cercle où ils s’inscrivent indéfiniment.
Le sujet ainsi de ne s’inscrire que comme répétition de soi-même infinie, s’y inscrit d’une façon telle qu’il est très précisément exclu et non pas d’un rapport qui soit d’intérieur ni d’extérieur, de ce qui est posé d’abord comme savoir absolu.
Je veux dire qu’il y a là quelque chose qui rend compte de la structure logique, de ce que la théorie freudienne implique de fondamental dans le fait qu’originellement le sujet, au regard de ce qui le rapporte à quelque chute de la jouissance, ne saurait se manifester que comme répétition (p113->) et répétition inconsciente.
Le
grand « A » ne contient que des
qui sont tous distincts de ce que grand « A »
représente comme signifiant.
Est-il possible que sous cette autre forme le sujet puisse se subsumer d’une façon, qui sans rejoindre l’ensemble ainsi défini comme univers du discours, pourrait être sûr d’y rester inclus ?
C’est le point sur lequel peut-être suis-je passé un peu vite et c’est pourquoi pour terminer aujourd’hui j’y reviens.
ni
ni
ne
sont signifiants semblables au grand « Autre »,
que ce grand « A » est leur Autre à tous ?
Ce
est-il élément de lui-même ?
S’il était un élément de lui-même il ne répondrait pas à la façon dont nous avons construit le sous-ensemble, des éléments en tant qu’ils ne sont pas éléments d’eux-mêmes.
n’est
pas élément de lui-même.
élément
de grand « A », qu’est-ce que cela veut dire ?
est élément
de
,
puisque tout ce qui n’est
pas élément de soi-même,
tout en étant élément de grand " A ", nous avons défini comme
faisant partis, comme constituant le sous-ensemble défini par « X » élément
de
.
Nous
devons donc inscrire que est élément
de
, ce que nous avons repoussé tout à l’heure, puisque sa définition à ce sous-ensemble,
c’est qu’il est composé d’éléments qui ne sont point éléments d’eux-mêmes, qu’en
résulte-t-il ?
n’étant (p117->)
pas élément de « A », ne peut-être figuré qu’ici, c’est-à-dire en
dehors, ce qui démontre que le sujet de quelque façon qu’il entend se subsumer,
soit d’une première position du grand Autre comme s’incluant lui-même, soit
dans le grand Autre à se limiter aux éléments qui ne sont point éléments d’eux-mêmes,
implique quelque chose qui quoi ?
?
note:
bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou
si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance
de m'adresser un émail. Haut
de Page
commentaire