J.LACAN                        gaogoa

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XVI- D'un Autre à l'autre     note

4 JUIN 1969

     (p587->) Il y a moins de personnes debout ; je ne peux pas le regretter pour elles, mais enfin si ça signifie que le public se raréfie, je le regrette puisque aussi bien c'est forcément - c'est mon style - dans les dernières rencontres que je dirai les choses les plus intéressantes !

    Ceci m'évoque que, l'année dernière, j'ai, de mon plein gré et pour des raisons que je ne renie pas, suspendu ce que j'avais à dire aux alentours d'un certain début du mois de Mai mémorable. Quelle que fût la légitimité de ces raisons, il rien reste pas moins que ce que j'ai dit de l'acte psychanalytique en reste tronqué.

    Etant donné ce dont il s'agissait, à savoir justement de l'acte psychanalytique, que personne n'avait même songé à nommer en tant que tel avant moi, ce qui est tout à fait un signe précis qu'on n'en avait même pas posé la question, puisque autrement c'était la façon la plus simple de le nommer, à partir du moment où on pensait que dans la (p588->) psychanalyse il y avait quelque part un acte, il faut croire que cette vérité était restée voilée ; je ne pense pas que ce soit par hasard que ce que j'avais à énoncer cette année-à sur l'acte se soit trouvé ainsi, comme je viens de le dire, tronqué.

    Il y a un rapport, un rapport naturellement qui n'est pas de causation, entre cette carence des psychanalystes sur le sujet de ce qu'il en est de l'acte - de l'acte psychanalytique nommément - et puis de ces événements ; mais il y a un rapport tout de même entre ce qui cause les événements et le champ dans lequel s'insère l'acte psychanalytique, de sorte que jusqu'à présent on peut dire que c'est sans doute en raison de quelque déficience de l'intérêt au niveau de cet acte que les psychanalystes ne se sont pas révélés très dispos ni disponibles pour même donner quelque touche de saisie, fût-elle superficielle, à ces événements.

    Bien sûr, ce n'est qu'accidentel si, dans l'autre sens, les événements ont interrompu ce que je pouvais avoir à dire de l'acte, mais tout de même ça n'est pas non plus sans représenter quelque chose que, quant à moi, je considère comme un certain rendez-vous. Un rendez-vous que je ne déplore pas parce que c'est ce qui m'a dispensé, sur ce sujet de (p589->) l'acte psychanalytique, en somme, d'en venir à dire ce qui n'était pas à - pas à dire.

    Voilà. Tout de même, nous nous trouvons, après ce que j'ai avancé la dernière fois, ramenés à quelque chose qui n'est pas loin de ce champ, puisque de dont il s'agit tel que je l'avais énoncé l'année dernière, c'est bien d'un acte en tant qu'il est en rapport avec ce que j'ai appelé, énoncé, proféré comme étant l'objet a.

    Qu'il soit bien clair que, comme c'est dans mon titre, cette année et, c'est ce qui est l'enjeu de mon discours, voilà qui doit trouver dans ces dernières rencontres sa plus formelle expression, et, au moins pour ceux qui sont au fait de ce sur quoi j'ai terminé la dernière fois, il me semble qu'il n'est pas vain ici de rappeler que - je l'ai poussé en avant dans le champ du pari de Pascal - que c'est tout au moins la voie que j'ai choisie cette année pour l'introduire, l'introduire comme étant au champ l'Autre, comme définissant un certain jeu, précisément l'enjeu, avec le jeu de mots que je fais autour de ce terme : en-je.

    Il peut paraître singulier qu'une position qui, à cet endroit, n'est pas ambiguë, qui n'est certes pas une position d'apologétique religieuse, j'aie (p590->) introduit cet élément du pari, et d'un pari qui se trouve formulé comme répondant à un certain partenaire, et un partenaire qui est pris, là, si l'on peut dire, au mot, au mot d'une parole qui lui est attribuée, à un titre, mon Dieu, qui est généralement reçu : la promesse de la vie éternelle, pour tout croyant qui suit les commandements de Dieu, étant tenue pour un point acquis, au moins dans le champ de ce qui constitue à son endroit, à ce Dieu, sa référence religieuse la plus vaste, à savoir celle de l'Eglise.

    Ce n'est pas hors de saison de partir de là, parce que ça a un rapport tout à fait vif avec ce dont il s'agit comme permanence dans nos structures, et dans des structures qui vont beaucoup plus loin que dans des structures qu'on pourrait qualifier de structures mentales, des structures en tant que définies par le discours commun, par le langage, vont évidemment beaucoup plus loin que ce qu'on peut réduire à la fonction de la mentalité.

    Comme j'y insiste très souvent, ça nous enserre de partout, et dans des choses qui, au premier abord n'ont pas l'air d'avoir un rapport évident, de sorte que cette structure qui est celle que je vise pour en partir aujourd'hui, qui est la structure originelle, celle que j'appelle d'un Autre, pour montrer où, par l'incidence de la psychanalyse, (p591->) il va, pour révéler à tout autre, à savoir le a, cet Autre, qu'il ne fasse, si je puis dire, pour nous, pas de doute à notre horizon, cet Autre qui est justement le Dieu des philosophes, n'est pas si facile à éliminer qu'on le croit, puisqu'en réalité il reste stable à l'horizon assurément en tout cas là de toutes nos pensées, n'est évidemment pas sans rapport avec le fait que soit là le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ( vous allez le voir, je vais y revenir ) et ce sera mon sujet aujourd'hui, sur la structure de cet Autre, parce qu'il est très nécessaire ici de bien établir ce qui là est à désigner ; il n'est pas moins opportun, à l'orée, d'indiquer que ce qui fait pour nous, dans un certain horizon de structure, en tant qu'elle est déterminée par le discours commun, il est clair qu'il n'est pas vain de rappeler que, si cette structure, celle du grand Autre, est pour nous dans un certain champ qui est celui-là même que Freud désigne comme la civilisation, c'est-à-dire la civilisation occidentale, la présence de l'autre Dieu, de celui qui parle, à savoir le Dieu des juifs, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, n'est pas là pour rien dans son maintien, à cet Autre.

    Ceci n'est pas seulement parce que le Dieu des philosophes, ce grand Autre, est Un. Ce qui (p592->) distingue le Dieu des Juifs, celui qu'on désigne comme à l'origine du monothéisme, ce n'est pas, quelque développement que le Un ait pu prendre par la suite, ce n'est pas qu'il se pose comme Un lui-même qui le caractérise.

    Le Dieu du buisson ardent, le Dieu du Sinaï n'a pas dit qu'il était le seul Dieu. Ceci mérite d'être rappelé. Il dit : " Je suis ce que je suis ". Ça a un tout autre sens. Ça ne veut pas dire qu'il est le seul. Ça veut dire qu'il n'y en a pas d'autre en même temps que lui là où il est. Et, à la vérité, si vous y regardez de près, dans le texte de la Bible, vous verrez que c'est de ça qu'il s'agit. Là où il est, dans son champ, à savoir dans la Terre Sainte, il n'est question d'obéir qu'à lui. Mais nulle part n'est niée la présence d'autres, là où il n'est pas, où ça n'est pas sa terre.

    Et, si vous y regardez de près, ça n'est jamais que quand il est fait empiètement d'honneurs rendus à d'autres et là où seul est censé régner celui qui a dit " Je suis ce que je suis " que les châtiments pleuvent.

    Ceci pourrait passer aux yeux de certains pour n'avoir qu'un intérêt historique. Mais j'éclaire ma lanterne : ce n'est que revenir à ce que j'ai énoncé d'abord : que ce Dieu dont il s'agit, se (p593->) désigne de ceci qu'il parle, c'est ce qui légitime que quelque distorsion qu'on lui ait fait subir par la suite, à cette parole, car il n'est pas sûr qu'ils disent tout à fait la même chose dans l'Eglise catholique, apostolique et romaine, c'est en tout cas le Dieu qui se définit par son rapport à la parole, c'est un Dieu qui parle. C'est bien pourquoi les prophètes, comme tels, sont prééminents dans la tradition juive.

    En d'autres termes, la dimension de la Révélation comme telle, à savoir de la parole comme porteuse de vérité, n'a jamais été mise dans un tel relief en dehors de cette tradition.

    Ailleurs, la place de la Vérité est remplie, il faut bien qu'elle soit couverte, elle l'est à l'occasion par des mythes par exemple ; elle ne l'est pas par la prophétie si ce n'est d'une façon tout à fait locale qu'on appelle oraculaire mais qui a un tout autre sens que celui du prophétisme.

    Un petit peu grosse introduction, mais tout de même nécessitée du rappel de certains reliefs tout à fait massifs à maintenir pour bien comprendre ce dont il s'agit quand nous avançons qu'au regard de ce champ de la vérité qui nous intéresse éminemment comme tel, même si nous ne l'identifions pas aux formules révélées, par rapport à ce champ de la vérité, (p594->) le savoir est ailleurs. C'est bien pourquoi, dès que s'introduit la dimension de la Révélation, s'introduit en même temps la dimension traditionnelle dans notre culture qu'il ne faudrait pas croire éteinte parce que nous sommes en notre temps, la dimension de ce qu'on appelle improprement la double vérité ; ça veut dire la distinction de la vérité et du savoir.

     Alors ce qui nous intéresse, parce que c'est ce que la psychanalyse a révélé, c'est si ce qui se produit dans le savoir, ce qui se produit dans le savoir, mais ce qu'on ne soupçonnait pas avant la psychanalyse, c'est l'objet a en tant que l'analyse l'articule pour ce qu'il est, à savoir cause du désir, c'est-à-dire de la division du sujet, de ce qui introduit dans le sujet comme tel ce que le cogito masque, à savoir qu'à côté de cet être / à-être dont il croit s'assurer, il est essentiellement et d'origine manque.

    C'est ici que je vous rappelle que je reprends le plan par lequel j'ai cru l'année dernière devoir introduire le paradoxe de l'acte psychanalytique, c'est que l'acte psychanalytique se présente comme incitation au savoir.

    Il implique, dans la règle qui est donnée au psychanalysant, il implique ceci : puisque vous (p595->) pouvez dire tout ce que vous voulez - et Dieu sait ce que de prime abord cela peut représenter d'insensé, si on nous prenait au mot, si l'on se mettait vraiment à dire, et que ça ait un sens pour ceux que nous introduisons à cette pratique, tout ce qui leur passe par la tête, que tout ce qui leur passe par la tête, ça veuille dire vraiment n'importe quoi, où irions-nous ; si nous pouvons faire foi dans cette entreprise à ceux que nous y introduisons, c'est très exactement à cause de ceci qui, même s'il n'est pas capable de le dire, celui-là que nous introduisons à cette pratique, est pourtant là, à savoir que ce qui est implicite, c'est que, quoi que vous disiez, il y a l'Autre, l'Autre qui sait ce que ça veut dire.

    Le Dieu des philosophes, de quelque façon qu'il ait été, au cours de l'histoire, raccroché au train du Dieu qui parle, ne lui est certes pas étranger, bien sûr ; il n'était pas illégitime, ce Dieu des philosophes, d'en faire l'assiette, le trône, le support, le siège de celui qui parlait. Que le siège reste, même quand l'autre s'est levé pour partir, au moins pour certains, le siège reste de cet Autre, de cet Autre en tant qu'il situe ce champ unifiant, unifié qui a un nom pour ceux qui pensent, appelons-le si vous voulez le principe de raison suffisante.

    (p596->) Que vous ne soupçonniez pas, je dirai une part au moins d'entre vous, une part que je suppose, après tout, je ne sais pas si elle existe, vous êtes peut-être tous capables de vous apercevoir que vous êtes soutenus par le principe de raison suffisante. Si vous ne vous en apercevez pas, c'est exactement la même chose. Vous êtes dans le champ où le principe de raison suffisante soutient tout. Et ce ne serait certes pas facile de vous faire concevoir ce qui se passe là où les choses sont autrement. Ce qui est parfaitement concevable à partir du moment où on vous le produit, où on l'énonce devant vous comme étant par exemple à l'horizon de ceci qui rend possible l'expérience psychanalytique, à savoir que, s'il n'y a pas de raison suffisante à quoi que ce soit que vous direz, en ne regardant pas plus loin qu'à dire ce qui vous passe par la tête, il y aura toujours à ça une raison suffisante, et ça suffit à mettre à l'horizon ce grand Autre, celui qui sait.

    La chose est en tout cas tout à fait claire au niveau des sujets privilégiés de cette expérience, à savoir des névrosés. Le névrosé cherche à savoir. Nous allons tâcher de voir de plus près pourquoi, mais il cherche à savoir. Et, au début de l'expérience analytique, nous n'avons aucune peine à l'inciter, en somme, à faire foi à cet Autre comme au lieu où (p597->) le savoir s'institue, au sujet supposé savoir.

    C'est donc comme intervention sur le sujet de ce qui, au plus ras de terre, si au ras de terre que ce soit, s'articule déjà comme savoir, que nous intervenons par une interprétation qui se distingue de ceci qui supporte le terme d'interprétation partout ailleurs , partout ailleurs une interprétation, celle par exemple d'un quelconque système logique, c'est de donner un système de moindre portée qui, comme on dit, l'illustre, l'illustre d'une façon plus accessible en ceci qu'il est de moindre portée. Nous restons dans la superposition des articulations du savoir ; l'interprétation analytique se distingue en ceci que, dans ce qui s'articule d'ores et déjà comme savoir, si primitif que ce soit, ce qu'elle vise, c'est un effet, un effet de savoir de s'y articuler et qu'elle rend sensible au titre de sa vérité.

    Sa vérité, nous l'avons dit, est du côté du désir, c'est-à-dire de la division du sujet. Et pour aller tout droit, parce que bien sûr nous ne pouvons pas refaire ici tout le chemin et que ce que j'ai à dire aujourd'hui est autre chose à parcourir, qui est la vérité dont il s'agit se résume en ceci, que la chose freudienne, c'est-à-dire cette vérité - la chose freudienne, cette vérité, c'est la même chose - (p598->) a pour propriété d'être asexuée, contrairement à ce qui se dit, à savoir que le freudisme, c'est le pansexualisme ; seulement que comme le vivant qui est cet être par où se véhicule une vérité, lui, a fonction et position sexuelle, il en résulte quelque chose, quelque chose que j'ai essayé de vous articuler il y a cette fois deux ans et non pas un seulement, à savoir qu'il n'y a pas, au sens précis du mot rapport, au sens où rapport (sexuel) serait une relation logiquement définissable, il n'y a justement pas, il manque ce qui pourrait s'appeler le rapport sexuel, à savoir une relation définissable comme telle entre le signe du mâle et celui de femelle.

    Le rapport sexuel, ce qu'on appelle couramment de ce nom, ne peut être fait que d'un acte. C'est ce qui m'a permis d'avancer ces deux termes qu'il n'y a pas d'acte sexuel au sens où cet acte serait celui d'un juste rapport, et qu'inversement, il n'y a que l'acte sexuel, au sens où il n'y a que l'acte, pour faire le rapport.

    Dans ce que la psychanalyse nous révèle, c'est que la dimension de l'acte, de l'acte sexuel en tout cas, mais du même coup de tous les actes, ce qui était depuis longtemps évident, sa dimension propre, c'est l'échec. C'est pour ça qu'au cœur du rapport sexuel, dans la psychanalyse, il y a ceci qui s'appelle (p599->) la castration.

    Je vous ai parlé tout à l'heure de ce qui se produit dans le savoir. Forcément, bien sûr, vous n'avez pas fait très attention. J'aurais dû dire : ce que le savoir produit. Je n'ai pas pu le dire pour ne pas aller trop vite, parce qu'à la vérité, pour que ça ait un sens, il faut y revenir de plus près et dénoter ici le relief de cette dimension qui s'articule comme proprement la production, cette dimension que seul un certain procès du progrès technique nous a permis de discerner, de distinguer comme étant le fruit du travail.

    Mais est-ce si simple ? Est-ce qu'il n'apparaît pas que pour comme tel ce qui est production se distingue de ce qui toujours fut poiesis, fabrication, travail, niveau du potier, il faut que se soit autonomisé comme tel ce qui se distingue fort bien dans le capitalisme, à savoir le moyen de production, puisque c'est autour de ça que tout tourne, à savoir de qui en dispose, de ces moyens.

    C'est par une telle homologie que va prendre son relief ce qui est fonction du savoir et ce qui est sa production. La production du savoir en tant que savoir se distingue d'être moyen de production et pas seulement travail, de la vérité. Ce que produit le (p600->) savoir, c'est cela que je désigne sous le nom de l'objet a. Et ce a, c'est cela qui vient se substituer à la béance qui se désigne dans l'impasse du rapport sexuel. C'est là ce qui vient redoubler la division du sujet en lui donnant ce qui jusque là n'était saisissable d'aucune façon, car le propre de la castration, c'est que rien ne peut à proprement parler l'énoncer, parce que sa cause est absente. A sa place vient l'objet a comme cause substituée à ce qu'il en est radicalement de la faille du sujet.

    Et ce que je vous ai dit l'année dernière, après que dans l'année précédente j'ai déjà défini ainsi la fonction de l'objet a, c'est que le psychanalyste est celui qui, de par cette incitation au savoir alors qu'il n'en sait pas lui-même tellement que ça, et simplement d'avoir cette voie, ce moyen, ce truc, cette règle analytique, se trouve prendre à sa charge ce qui est vraiment le support de ce sujet supposé savoir dont je vous ai dit sur tous les tons que le problème de notre époque, de la conjoncture dans la psychanalyse n'est à prendre elle-même que comme un des symptômes, c'est que ce sujet supposé savoir, cet Autre, ce lieu unique où le savoir se conjoindrait, il est sûr qu'il n'existe pas, que rien n'indique que l'Autre soit Un, qu'il ne soit pas comme le sujet (p601->) uniquement signifiable du signifiant, d'une topologie particulière qui se résume à ce qu'il en est de l'objet a.

    Le psychanalyste donc, et c'est là que j'accentuai l'énigme et le paradoxe de l'acte psychanalytique, le psychanalyste en tant qu'il induit, qu'il incite le sujet, le névrosé en l'occasion, sur ce chemin où il l'invite à la rencontre d'un sujet supposé savoir, le psychanalyste, s'il est vrai qu'il sait ce que c'est qu'une psychanalyse, comment peut-il, cet acte, y procéder sachant ce qu'il en est de ce que, au terme de l'opération et de son en-soi même, lui, l'analyste, il va représenter l'évacuation de l'objet a, de cette incitation au savoir qui doit mener à la vérité et qui en représente la béance, il choit à devenir lui-même la fiction rejetée.

    J'ai avancé ici le mot " fiction " ; vous le savez, c'est dès longtemps que j'articule que la vérité a structure de fiction. Que l'objet a est-il à prendre pour marquant seulement ce sujet de la vérité qui se présente comme division, ou devons-nous comme il semble lui décerner plus de substance, est-ce que vous ne sentez pas là où nous nous trouvons à ce point nœud qui est celui déjà proprement marqué dans la logique d'Aristote et qui motive l'ambiguïté de la substance et du sujet, de l'hypokeimenon pour autant qu'il n'est logiquement à proprement parler rien d'autre que ce que la logique mathématique par après (p602->) a pu isoler dans la fonction de la variable, c'est à savoir ce qui n'est rien que désignable par une proposition prédicative. L'ambiguïté tout au long du texte aristotélicien se maintient non pas sans être distingué à la façon d'une tresse entre cette fonction parfaitement isolée par lui de l'hypokeimenon et celle de l'ousia qu'honnêtement il vaudrait bien mieux traduire par être ou par " étance ", par le Wesen, à l'occasion, de Heidegger, que par ce mot lui-même qui ne fait que véhiculer cette dite ambiguïté de substantia, substance ; c'est bien là que nous nous trouvons portés quand nous essayons d'articuler ce qu'il en est de la fonction de l'objet a.

    C'est autour de l'énigme, de l'interrogation qui y reste d'un acte qui ne peut s'initier pour celui-là même qui l'inaugure que d'un voilage de ce qui sera pour lui, je dis celui qui inaugure cet acte et nommément le psychanalyste, son terme, et non pas seulement son terme mais à proprement parler sa fin, pour autant que c'est le terme qui détermine rétroactivement le sens de tout le processus, que c'en est proprement la cause finale, ce qui ne mérite aucune dérision car tout ce qui est du champ de la structure est impensable sans cause finale, que seul, ce qui mérite dérision dans les termes dits finalistes, c'est que la fin ait la moindre utilité.

    (p603->) L'analyste sait-il ou non ce qu'il fait dans l'acte psychanalytique ? C'est là le terme précis où s'est arrêté dans l'année précédente et par la rencontre événementielle par où j'ai introduit mes propos d'aujourd'hui, suspendu ? Comme je vous l'ai dit, c'est ce qui a pu me dispenser, à l'horizon de ce nœud si sévère, si rigoureusement interrogé d'une mise en question de ce qu'il en est de l'acte psychanalytique, me dispenser des résonances assurément embarrassantes qui sont celles pourtant autour desquelles peut être interrogé ce qu'il en est autant de la théorie que de l'institution psychanalytique.

    Avant d'en indiquer peut-être un peu plus, rappelons bien ce qui résulte de cette façon de poser entre savoir et vérité et dans le champ propre d'une production dont en somme ce que vous voyez, c'est que c'est le psychanalyste en tant que tel qui lui-même l'incarne, cette production, c'est dans ces termes que doit se situer la question, par exemple, de ce qu'il en est du transfert ; que tout ce que nous désignons comme transfert soit interprété dans l'analyse en termes de répétition, quel besoin si ce n'est pour ceux des analystes qui sont absolument égarés dans ce réseau tel que je l'articule, quel besoin de mettre en question ce qu'il peut y avoir d'objectif et de prétendre que le transfert serait un recul devant je ne sais quoi d'autre (p604->) qui serait ce qui, dans l'analyse, se joue réellement ; puisque c'est une situation qui ne prend son appui que de la structure, rien ne peut s'y énoncer à l'intérieur comme discours de l'analyste qui ne soit de l'ordre de ceci que la structure commande, et qui donc ne peut rien saisir que de l'ordre de la répétition. La question n'est pas de savoir ici si la répétition est une catégorie dominante ou non dans l'histoire. C'est que, dans une situation faite pour interroger ce qu'il en est de ce qui se présente à partir de la structure, rien de l'histoire ne s'ordonne que de la répétition. Il s'agit, je le répète, de ce qui peut se dire au niveau de cette mise à l'épreuve des effets du savoir. De sorte qu'il n'est pas juste de dire que le transfert s'isole en lui-même des effets de la répétition ; le transfert se définit du rapport au sujet supposé savoir en tant qu'il est structural et lié au lieu de l'Autre, comme lieu comme tel où le savoir s'articule illusoirement comme un, et qu'à interroger ainsi le fonctionnement de qui cherche à savoir, il est nécessaire que tout ce qui s'articule s'articule en termes de répétition.

    A qui sommes-nous redevables d'une telle expérience ? Il est clair qu'elle ne se serait même jamais instaurée s'il n'y avait le névrosé ; qui a besoin de savoir la vérité ? uniquement ceux que le savoir gêne.

    (p605->) C'est la définition du névrosé. Ceci, nous allons le serrer de plus près. Et là encore, avant de quitter ce champ, et pour cause, où je n'ai pas bouclé la boucle, je veux, dans quelque chose qui au regard de ce que j'ai à tracer aujourd'hui peut passer pour une parenthèse, tout de même pointer un dernier de ces repères dont j'essaie de ponctuer d'une façon correcte ce champ en tant que nous y opérons, si c'est ainsi, je viens de vous le rappeler, d'une façon acceptée comme partiale, nous devons admettre que n'est interprétable dans l'analyse que la répétition, et c'est ce qu'on prend pour le transfert.

     D'autre part, il est important de ponctuer que cette fin que je désigne comme la prise de l'analyste, de l'analyste en lui-même dans le forage du a, c'est très précisément cela qui constitue l'ininterprétable, que pour tout dire, dans l'analyse, l'ininterprétable, c'est la présence de l'analyste, et c'est pourquoi l'interpréter comme il s'est vu, comme il s'est même imprimé, c'est proprement ouvrir la porte à ce qu'appelle cette place, c'est-à-dire l'acting-out ; je l'ai rappelé dans mon séminaire sur l'acte, celui donc de l'année dernière et à propos du mythe de l'Oedipe, c'est à savoir la distinction à faire entre sa mise en scène héroïque qui sert de référence mythique à notre pratique analytique, et (p606->) ce qu'il y a d'articulé derrière, d'un nœud de la jouissance à l'origine de tout savoir.

    C'est le psychanalyste qui est à la place, certes, de ce qui se jouait sur la scène tragique, et c'est cela qui donne son sens à l'acte psychanalytique. Et d'autre part, il est frappant qu'il y renonce, qu'il ne fasse qu'être à la place de l'acteur, en tant qu'un acteur suffit à lui seul à tenir la scène de la tragédie.

    Cette division du spectateur et du chœur où se modèle et se module la division du sujet dans le spectacle traditionnel, je l'ai rappelé l'année dernière, pour désigner ce qu'il en est exactement de la place de l'analyste ; autre paradoxe de l'acte psychanalytique que cet acteur qui s'efface, rejoignant tout à l'heure ce que j'ai dit de ce que l'objet a, il l'évacue.

    Si le passage à l'acte est dans la règle de l'analyse ce qu'il est demandé à celui qui y entre d'éviter, c'est justement pour privilégier cette place de l'acting out dont l'analyste à lui tout seul prend et garde la charge.

    Se taire, ne rien voir, ne rien entendre, qui ne se souvient que ce sont là les termes où une sagesse qui n'est pas la nôtre indique la voie à ceux qui veulent la vérité. Est-ce qu'il n'y a pas quelque chose d'étrange (p607->) à condition qu'on reconnaisse le sens de ces commandements d'en voir l'analogue dans la position de l'analyste ? Mais avec ce singulier fruit que lui donne son contexte. Qu'il s'en isole, du se taire, la voix qui est le noyau de ce qui, du dire, fait parole ; du ne rien voir, qui n'est bien souvent que trop par l'analyste observé, l'isolement du regard qui est le nœud serré du sac de tout ce qui se voit au monde, et enfin ne rien entendre de ces deux demandes dans lesquelles a glissé le désir, de ces deux demandes qui le mandent, ces deux demandes qui le murent à la fonction du sein ou bien de l'excrément.

   Quelle réalité pour le pousser à remplir cette fonction ? Quel désir, quelle satisfaction l'analyste peut-il y rencontrer ? Ce n'est pas ce que j'ai l'intention de désigner d'emblée même si avant de vous quitter j'en dois dire plus ; il convient ici de mettre le relief sur la dimension de scapegoat comme ce fut le thème chéri d'un Frazer(?) . On sait que l'origine en est à proprement parler sémitique : le bouc émissaire, celui qui prend sur soi cet objet a, celui qui fait qu'à tout jamais, pour le sujet, il peut y être sursis, celui qui fait que le fruit d'une analyse terminée, j'ai pu l'année dernière le désigner comme une vérité dont le sujet est dès lors incurable, précisément de ce qu'en ait été évacué un des termes. Comment ne pas voir que (p608->) de là s'explique la position singulière que, dans le monde social, occupe cette communauté des psychanalystes, protégés par une association internationale pour la protection des scapegoats ! Le scapegoat se sauve par le groupement, et mieux encore, par les grades. C'est vrai qu'il est difficile de concevoir une société de scapegoats. Alors on fait des scapegoats adjudants-chefs ! Et des scapegoats qui font antichambre pour le devenir. C'est singulier.

    Cette dérision facile n'aurait pas d'autre raison d'être si, dans des textes que je viens de recevoir pour un prochain congrès qu'on aura le front de tenir à Rome, il n'y avait pas là déjà des textes, je veux dire déjà publiés, exemplaires car ça n'est pas parce qu'on ignore le discours de Lacan qu'on ne se trouve pas en face des difficultés que je viens ici d'articuler, et particulièrement concernant ce qu'il en est du transfert, quand on s'escrime à définir ce qu'il y a de non transférentiel dans la situation analytique, il faut bien qu'on sorte quelques énoncés qui sont l'aveu, à proprement parler, du fait qu'on n'y comprend rien. On n'y comprend rien parce qu'on n'a pas la clé. Et on n'a pas la clé parce qu'on ne va pas la chercher là où je l'énonce !

    De même, on invente un terme qui s'appelle le self, et dont je dois dire qu'il n'est pas du tout inutile à qui a quelque curiosité de voir comment cela (p609->) peut à la fois se motiver et se résoudre dans un discours tel que celui que je viens aujourd'hui d'articuler.

    Si j'ai le temps lors de nos prochaines rencontres, je pourrai, là, en dire plus.

    De même l'erreur et, à proprement parler, l'ineptie de ce qui est avancé sur le sujet de ce qu'il en est de la cure psychanalytique de la psychose, et l'échec radical qui s'y marque de situer justement la psychose dans une psychopathologie qui soit d'ordre analytique a les mêmes ressorts.

    Assurément, si j'ai indiqué que j'aurais pu articuler quelque chose d'autre, quelque chose dont je déclare avoir été heureusement dispensé, sur le sujet de l'acte psychanalytique, c'est dans l'horizon de ce qu'il en est du masochiste qu'il conviendrait de la poser, cette articulation. Et assurément, bien sûr, non pas pour les confondre, l'acte psychanalytique et la pratique masochiste, mais il serait instructif et, en quelque sorte, ouvert, indiqué déjà par ce que nous avons pu dire, par ce qui s'étale littéralement dans la pratique masochiste, à savoir la conjonction du sujet pervers avec à proprement parler l'objet a. D'une certaine façon, on peut dire qu'aussi loin qu'il le veut, le masochiste est le vrai maître ; il est le maître du vrai jeu. Il peut y échouer, bien sûr. Il y a même toutes les chances qu'il y échoue, parce qu'il lui faut (p610->) rien moins que le grand Autre. Quand le Père Eternel n'est plus là pour remplir ce rôle, il n'y a plus personne. Et si vous vous adressez à une femme, bien sûr, Wanda, il n'y a aucune chance, elle n'y comprend rien, la pauvre. Mais le masochiste a beau échouer, il en jouit tout de même. De sorte qu'on peut dire qu'il est le maître du vrai jeu.

     Il est bien évident que nous ne songeons pas un seul instant à imputer un tel succès au psychanalyste. Ça serait lui faire une confiance sur la recherche de sa jouissance que nous sommes loin de lui accorder. D'ailleurs ce serait peu convenable.

    Pour avancer une formule qui a son intérêt parce que j'aurai à la reprendre et il ne faut pas s'en étonner, à propos de l'obsessionnel, nous dirons que le psychanalyste fait le maître, dans les deux sens du mot faire.

    Faites un tout petit peu attention encore, cinq minutes, parce que c'est très en court-circuit et que c'est délicat.

    Vous sentez bien que la question autour de l'acte psychanalytique, c'est, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, celle de cet acte décisif qui fait du psychanalysant surgir, s'inaugurer, s'instaurer le psychanalyste.

    (p611->) Si, comme je vous l'ai tout à l'heure indiqué, le psychanalyste se confond avec la production du faire, du travail du psychanalysant, c'est là qu'on peut bien dire que le psychanalysant fait, au sens fort du terme, le psychanalyste. Mais on peut dire aussi qu'au moment précis où surgit le dit psychanalyste, s'il est si dur de saisir ce qui peut l'y pousser, c'est bien que l'acte se réduit à faire, au sens de la simagrée, à faire le psychanalyste, à faire celui qui garantit le sujet supposé savoir. Et qui, au début de sa carrière, n'a pas confié à quiconque veut bien l'aider en ses premiers pas qu'il a justement bien ce sentiment de faire le psychanalyste ? Pourquoi retirer sa valeur à ce témoignage ?

    Mais c'est ceci qui permet, à reprendre ces deux fonctions du mot " faire ", de dire qu'il est bien vrai qu'en menant quelqu'un au terme de sa psychanalyse, au terme de cette incurable vérité, au point de celui qui sait que s'il y a bien acte, il n'y a pas de rapport sexuel, est-ce que ça n'est pas là, même si ce n'est pas souvent que cela arrive, faire quelque part une vraie maîtrise ? Mais d'autre part, contrairement au masochiste, si le psychanalyste lui aussi peut être dit avoir quelque rapport avec le jeu, ce n'est certes pas qu'il en est maître, mais que tout de même, il en supporte, il en incarne l'atout maître, (p612->) pour autant que c'est lui qui vient à jouer le poids de ce qu'il en est de l'objet a.

    Qu'en est-il donc, après avoir poussé jusqu'ici seulement aujourd'hui ce discours, du point où peut se situer ce discours lui-même, à savoir d'où je l'énonce ? Est-ce de celui où se tient le sujet supposé savoir ? Est-ce que je puis être le savant, en parlant de l'acte psychanalytique ? Certainement pas. Rien n'est clos de ce que j'ouvre comme interrogation concernant ce qu'il en est de cet acte. Que j'en sois le logicien, et d'une façon que confirme que cette logique me rende odieux à tout un monde, pourquoi pas ? Cette logique s'articule des coordonnées même de sa pratique, et des points dont elle prend sa motivation.

    Le savoir, en tant qu'il est produit par la vérité, est-ce que ce n'est pas là ce qu'imagine une certaine version des rapports du savoir et de la jouissance ?

    Pour le névrosé, le savoir est la jouissance du sujet supposé savoir. C'est bien en quoi le névrosé est incapable de sublimation. La sublimation, elle, est le propre de ceci qui sait faire le tour de ce à quoi se réduit le sujet supposé savoir. Toute création de l'art se situe dans ce cernement de ce qui reste d'irréductible dans ce savoir en tant que distingué de la jouissance, quelque chose pourtant vient marquer son entreprise, en tant qu'à jamais, dans le sujet, elle (p613->) désigne ce qui est son inaptitude à sa pleine réalisation.

    Cette imputation que le travail de l'exploité est supposé dans la jouissance de l'exploiteur, est-ce qu'elle ne trouve pas quelque chose comme son analogue à l'entrée du savoir, en ceci que les moyens qu'il constitue feraient de ceux qui les possèdent, ces moyens, ceux qui profitent de ceux qui gagnent ce savoir à la sueur de leur vérité. Sans doute l'analogie tomberait à côté de se jouer dans des domaines si distincts, si depuis quelque temps, le savoir ne s'était montré tellement complice du certain mode d'exploitation dont, sous le nom de capitaliste, il se trouve que l'excès de l'exploitation est quelque chose qui déplaît. Je dis : qui déplaît, car il n'y a rien à dire de plus. Le principe de l'agitation révolutionnaire n'est rien d'autre qu'il y a un point où les choses déplaisent.

    Or, si vous vous en souvenez, est-ce que je n'ai pas marqué l'année dernière que la position de l'analyste, si elle devait rester conforme en toute rigueur à son acte, était que, dans le champ de ce qu'il inaugure à l'aide de cet acte comme faire, il n'y a pas place pour quoi que ce soit qui lui déplaise, et non plus lui plaise, et que s'il y fait place, il en sort.

    (p614->) Mais ce n'est pas dire pour autant qu'il n'aurait pas son mot à dire dans ce qui peut dériver, limiter ceux qui, dans un certain champ qui est le champ du savoir, en sont venus à s'insurger d'un certain dévoiement du savoir, sur la façon correcte, propice à permettre qu'à nouveau le savoir sorte d'un champ où il exploite.

    C'est sur ce dernier mot que je vous laisse, vous promettant pour la prochaine fois d'entrer dans le détail de ce dont il s'agit concernant, respectives, les positions de l'hystérique et de l'obsessionnel au regard du grand Autre.

 

note : bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance de m'adresser un émail.
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