Bonjour
Safouan. Venez, venez près de moi tout de suite, la dernière fois il s'est passé
ce que vous avez vu, je me suis laissé encore entraîner, j'étais sur... mon
élan, j'avais un certain nombre de points en somme à préciser dans ce qui avait
été ma dernière leçon de ce qu'on appelle séminaire ouvert. Il y avait là un
hôte inattendu, que nous avons invité à venir me voir parce qu'il dirige en
Italie une revue ma foi fort intéressante. Il faudra que je parle avec Milner;
Milner où est-il ? Milner. Il est sorti. Ah oui, parce que je l'ai vu rentrer
tout à l'heure. Et alors j'ai voulu quand même qu'il ait un petit échantillon du
style. Ceci dit, il n'en reste pas moins que l'appel que j'avais fait au début
de la séance, espérant avoir des interventions, disons non prévues, donc se
renouvelle aujourd'hui et si quelqu'un voulait bien après Melman, qui a quelque
chose à nous dire, qu'il avait d'ailleurs déjà prêt la dernière fois et pour
lequel je tiens beaucoup à ce qu'il parle tout de suite, et le premier. Si
pendant ce temps quelqu'un mijotait une petite question, quelqu'un ou plusieurs,
eh bien je n'en serais pas mécontent. Voulez-vous bien venir me parler mon
cher Safouan ?
Mettez-vous
là, je vais me mettre là. Cela ne vous gène pas ? Vous ne préférez pas. Si
vous avez une préférence, dites le. Qui est-ce qui me donne du papier ? Il se
trouve que je n'en ai pas.
Ch.
Melman
- ... Des
structures comme celles qui ont été abordées au cours du séminaire, abordées et
mises en place au cours du séminaire de cette année, en particulier celles
concernant la relation de l'objet a avec le champ du scopique, la fonction
de l'écran. De telles structures peuvent difficilement ne pas être rencontrées
en cours du travail psychanalytique et ceci, par exemple, chez Freud lui-même et
dans un moment tout à fait culminant justement de son travail
psychanalytique, puisqu'il s'agissait de sa propre analyse. C'est ainsi que
j'offre à votre attention trois petits textes de Freud choisis pour leur
rencontre -391-
L'objet
de la psychanalyse
qui
m'a semblée particulièrement heureuse avec les structures donc qui ont été mises
en place cette année au cours du séminaire. Le texte central sur lequel
j'attire votre attention est celui qui porte le nom tout à fait
sympathiquement prénommé de: Deckerinnerungen,
autrement
dit de souvenirs-écrans.
Deck en
allemand, ayant bien entendu tout à fait le sens analogue à écran chez
nous, c'est-à-dire non plus ce sens de couvercle, de ce qui obstrue, de ce
qui peut cacher et en même temps le sens de ce plan, de ce plafond, sur lequel
l'image peut venir s'inscrire. Deckerinnerungen
:
souvenirs-écrans,
je
me permets de vous le rappeler, c'est un texte qui date de 1899,
donc
du moment de ce foisonnement, de ce jaillissement, pour Freud de son travail
psychanalytique. Il est en plein dans la
Science des rêves, il est
encore manifestement dans son auto-analyse, sa correspondance avec
Fliess
est
encore tout à fait active. C'est l'époque où il s'intéresse aux troubles de
la mémoire et c'est ainsi qu'un peu plus tôt que Deckerinnerungen,
en
1898,
il
a publié cet article tout à fait inaugural et tout à fait stupéfiant
c'est-à-dire cet article sur le «Mécanisme psychique de l'oubli», où, je vous le
rappelle, il aborde cet oubli pour lui, Freud, du nom Signorelli, épinglant à ce
propos les processus inconscients de la mémoire, du fonctionnement mental
dans une organisation qui est bien exclusivement dans ce texte, sur l'oubli
psychique, sur le mécanisme psychique de l'oubli, dans une organisation qui est
bien exclusivement celle du signifiant dont vous vous souvenez de ce schéma où
l'on voit des phonèmes en train de se balader entre Signorelli, Botticelli,
Boltraffio,
Trafoï, Bosnie, Herzégovine, etc. et ce mouvement de ce processus dans un bain
en quelque sorte naturel qui est nommément situé dans le texte comme étant celui
de la sexualité et de la mort. Le terme y étant tout à fait
nommé.
Dans
«Souvenirs-écrans» les deux pôles seront bien davantage, également nommés par
Freud, ceux de la faim et de l'amour. Dans ce texte «Souvenirs-écrans» qui
date donc de 1899,
d'un
an plus tard, il s'agit pour Freud de montrer que les premiers souvenirs de
l'enfance, les tous premiers, même banals ou indifférents en apparence,
constituent en fait un écran à la fois dissimulateur et révélateur de souvenirs
ou d'événements qui sont tout à fait fondateurs du sujet et qui sont
retrouvables par l'analyse. Un autre point discuté par Freud dans ce texte est
de savoir si ces souvenirs mettent en scène une histoire réelle, soit au moment
où elle est vécue, soit qu'elle a été ultérieurement rencontrée ou bien s'il
s'agit d'un fantasme. Et c'est ainsi que Freud va nous raconter ce
souvenir-écran qu'un patient âgé, dit-il, de trente huit ans, plutôt
sympathique et plutôt intelligent, lui aurait à lui Freud raconté et les
commentateurs ont très facilement reconnu ce patient de trente huit ans,
Freud lui-même, il s'agit donc d'un souvenir appartenant à Freud.
- 392-
Leçon
du 22 juin 1966
Et
voici donc ce qui est dit, je l'ai traduit à votre attention puisque, je crois,
il me semble que ce texte n'est pas en français. Donc voici ce que dit ce
patient Freud
« Je
dispose d'un assez grand nombre de souvenirs de ma première enfance qui peuvent
être datés avec la plus grande sûreté. En effet, à l'âge de trois ans, j'ai
quitté le modeste lieu de ma naissance pour aller à la ville et comme mes
souvenirs concernent seulement ce lieu où je suis né, ils se rapportent ainsi à
mes deuxième et troisième années. Ce sont surtout de courtes scènes, mais
parfaitement conservées et très vives dans tous leurs détails, dans tous les
détails de leur perception, en opposition complète avec mes souvenirs de l'âge
adulte qui manquent totalement de cet élément visuel. A partir de ma troisième
année, mes souvenirs deviennent plus rares et plus obscurs; il y a des lacunes
qui peuvent dépasser plus d'un an et ce n'est pas avant six ou sept ans que le
courant de mes souvenirs devient continu. Je divise mes souvenirs d'enfance
jusqu'au départ de cette première résidence en trois groupes; un premier
groupe est constitué de scènes que mes parents m'ont racontées et répétées
et dont je ne sais si ces tableaux souvenirs, - Erinnerungsbild
- sont
originels ou reconstruits d'après le récit mais je remarque qu'il y a aussi des
cas où malgré les nombreuses descriptions de mes parents ne se forme aucun
souvenir tableau. J'attache plus d'importance au second groupe. Ce sont des
scènes dont on n'a pas pu me parler puisque je n'en ai pas revu les participants
: nurse ou camarades de jeux. Du troisième groupe, je parlerai plus loin. Pour
ce qui est du contenu de ces scènes et de leur habilitation au souvenir, je dois
dire que sur ce point je ne suis pas sans orientations. Je ne peux certes pas
dire que ces souvenirs concernent les événements les plus importants de
cette époque que je jugerais tels aujourd'hui. Je ne sais rien par exemple de la
naissance d'une sœur, ma cadette de deux ans et demi, mon départ, la vue du
train, le long parcours en voiture qui y conduisait ne m'ont laissé aucune trace
dans ma mémoire. J'ai noté par contre deux incidents mineurs de voyage dont vous
vous souvenez qu'ils sont intervenus dans l'analyse de ma phobie mais ce qui dût
me faire la plus vive impression fut une blessure au visage où je perdis
beaucoup de sang et qu'un chirurgien dut me recoudre. Je peux encore en toucher
la cicatrice mais je n'ai pas d'autres souvenirs directs ou indirects concernant
cet incident. Il est vrai peut-être que je n'avais seulement que deux
ans.
- A titre de curiosité, comme ça, on
pourrait signaler que les souvenirs de Casanova débutent sur une scène qui se
trouve très voisine, je veux dire sur un
épanche-393-
L'objet
de la psychanalyse
ment
de sang intarissable et qui dut être traité, un épanchement de substance,
un épanchement de substance vitale. -Aussi je
ne m'étonne pas des tableaux et des scènes de ces deux premiers groupes. Ce sont
certainement des souvenirs marqués par le déplacement où l'essentiel a été
omis. Mais dans certains, ce qui a été omis est repérable, et dans d'autres, il
m'est facile d'après certains indices de le retrouver, rétablissant ainsi la
continuité dans ce puzzle de souvenirs et je vois clairement quels intérêts
infantiles ont favorisé la conservation de ces souvenirs dans ma mémoire. Mais
ceci pourtant, ne s'applique pas au troisième groupe de souvenirs, ici il s'agit
d'un matériel, une longue scène et plusieurs petits tableaux que je ne sais pas
par quel bout prendre. La scène me paraît plutôt indifférente et sa fixation
incompréhensible. Permettez-moi de vous la raconter. Je vois un pré à quatre
coins, un peu en pente, vert et d'une verdure bien fournie, dans ce vert de très
nombreuses fleurs jaunes, manifestement le vulgaire pissenlit.
- En allemand Löwenzahn,
autrement
dit, "dents de lion" qui en est d'ailleurs la traduction anglaise. -
En
haut du pré, une maison de paysan et devant sa porte se tiennent deux
femmes papotant avec animation, la paysanne couverte d'une coiffe et une
nurse,
- Kinderfrau
-
sur
le pré jouent trois enfants, je suis l'un d'eux, j'ai entre deux et trois ans,
les deux autres sont mon cousin, mon aîné d'un an, et ma cousine, sa sœur,
du même âge que moi, nous arrachons les fleurs jaunes et déjà en tenons chacun
un bouquet dans les mains, la petite fille a la plus jolie gerbe, nous les gars
nous lui tombons dessus comme d'un
commun accord et lui arrachons ses fleurs. Elle remonte le pré en courant
et obtient de la paysanne pour se consoler un gros morceau de pain
noir. A peine voyons-nous cela que
nous jetons les fleurs, nous nous hâtons vers la maison et exigeons également du
pain. Nous en obtenons aussi, la paysanne coupant son pain avec un grand
couteau, ce pain me paraît dans le souvenir d'un goût si
délicieux
- köstlich
-
et
la scène s'arrête là.
»
Un
peu plus loin, Freud ajoute
« J'ai
l'impression générale qu'il y a dans cette scène quelque chose qui ne va pas. Le
jaune des fleurs ressort avec une vividité particulière dans cet ensemble et le
goût délicieux du pain, me semble également exagéré presque hallucinatoire, et
je me souviens à ce propos, dit-il,
de tableaux vus dans une exposition humoristique où certaines parties et
naturellement les moins convenables, comme les rondeurs des dames, au lieu
d'être peintes se trouvaient en relief. »
- 394-
Leçon
du 22 juin 1966
Voilà,
donc, le passage crucial, enfin que j'ai détaché dans ce texte de Freud sur deux
souvenirs écrans. Dans l'analyse à laquelle Freud va se livrer, il construit
quelque chose qui pourrait paraître de l'ordre du roman familial. Pauvreté du
père qui l'a obligé à quitter le vert paradis de son enfance. Ce qui s'est passé
pour lui à seize ans quand étudiant il est revenu sur ce lieu de sa
naissance et qu'il a rencontré là vêtue d'une robe jaune, la fille de
voisins qui s'appelait Gisela
[Flower?]
et le coup de foudre immédiat qu'il en eut, coup de foudre bien entendu sans
aucun lendemain, évocation du bonheur et de la fortune pour lui Freud s'il
était resté dans ce nid de sa province, il l'appelle ainsi, (Provinznest)
mais
aussi et tout une autre série de pensées qu'il oriente vers ce que..., vers les
conseils que son père lui a donnés, c'est-à-dire il aurait du écouter
l'appel de son père, épouser sa petite cousine qui figure dans le rêve: Pauline,
abandonner ses abstraites études pour de solides affaires économiques,
financières; en conclusion dit Freud : faim et amour, Hunger
und
Liebe,
voilà
les courants pulsionnels qui sont alors, dit-il, dans ce souvenir
écran.
Bien sûr, nous ne pourrons
pas nous engager ici, maintenant, dans l'analyse tout à fait détaillée
qu'exigerait ce texte mais je me contenterai d'en fixer certains repères, en
premier lieu la présence, aussi manifeste, aussi saillante, aussi éclatante
de l'écran. Présence de l'écran, si clairement figurée dans cette surface, dans
ce pré, ainsi comme une surface à quatre coins, légèrement inclinée en pente.
Cet écran sur lequel va se construire toute la scène. Je pense qu'on peut
également y situer, d'une manière qui ne me paraît nullement abusive,
l'évocation à propos de ce souvenir d'une dimension particulière, celle de
la perspective. Je ne veux pas dire seulement le fait qu'il s'agit par
exemple d'un parallélogramme, je veux dire enfin d'une surface donc
inclinée, le fait de cette distribution, de cette maison qui est là située
en haut, au loin des enfants qui sont là en bas et ensuite du mouvement qui va
porter les enfants vers cette maison de paysan, mais également le fait par
exemple, si saillant lui-même, si surprenant lui-même que dans ces associations,
eh bien, ces associations vont conduire Freud à évoquer cette exposition de
tableaux humoristiques du Pop'Art déjà à cette époque, où certaines parties, au
lieu d'être peintes, se trouvaient là rapportées en relief, en trois
dimensions.
Je
pense également qu'il est nécessaire dans ce texte si suggestif d'évoquer la
place de l'objet a. Freud nous y conduit quasiment, je dirais par la main, en
situant lui-même, cet aspect anormal de cette représentation, il y a quelques
chose qui ne va pas, il y a là quelque chose qui cloche, c'est quand même
bizarre et à ce propos là qu'est-ce qu'il situe ? Eh bien, il situe les
fleurs, les pissenlits et le goût, köstlich,
délicieux
de ce pain, à la saveur presque hallucinatoire. Pour ma part, j'aurais tendance
à voir dans la vividité de ces fleurs jaunes se détachant
-395-
L'objet
de la psychanalyse
sur
ce pré vert, trou lumineux, rassemblées en ce bouquet que porte, nous en
revenons toujours à des gerbes de fleurs, ou à des bouquets de fleurs, mais que
porte cette petite fille, bouquet qui va s'évanouir d'ailleurs, dont la valeur
va disparaître, va s'évanouir, au moment même où les enfants, où les
garçons l'atteignent puisqu'à ce moment-là, la petite fille s'intéresse à
autre chose, en tout cas, c'est le moment même où l'objet, au moment où il est
saisi, vient à voir sa valeur sollicitée. Il faut bien sûr remarquer que les
Löwenzahn
ne
peuvent pas être quelque chose de tout à fait indifférent dans l'analyse de ce
texte. je veux dire que l'évocation ici du lion denté, pour Freud, en tant que
ce texte concerne, tourne autour de problèmes concernant la terre natale, le
lieu, ce qui serait le lieu de la naissance ne peuvent manquer de nous paraître
ici, en tout cas hautement significatifs et revenir en tout cas en quelque
sorte appuyer notre supposition, notre proposition, quant à leur fonction,
quant à leur place éventuelle d'objet a.
Le
pain que coupe la paysanne avec son grand couteau s'appelle en allemand
Laib,
c'est
une miche de pain, un terme qui, je ne sais pas, ne m'a pas paru tellement
usuel. Laib
ça
s'écrit 1-a-i-b alors que Leib
le
corps s'écrit 1-e-i-b, c'est donc en tout cas dans du Laib
qu'avec
un grand couteau cette paysanne tranche ce pain au goût si köstlich,
köstlich -
cela
veut dire, cela vient de kosten,
coûter,
payer, ça a un goût coûteux. Et ce pain, un peu plus loin portera également le
nom de Landbrot,
autrement
dit, ce que je crois nous pouvons très bien traduire, ici, par pain de
pays, par exemple. En tout cas, dans cet écran, ce que nous pouvons voir
figurer, c'est bien une sorte de terre natale, représentant de sa
représentation, à lui Freud, figurée dans le tableau comme il le souligne
expressément. Et à la fin du texte Freud va faire cette remarque qui m'a
parue tout aussi stupéfiante, c'est que pour qu'on puisse vraiment parler de
souvenir-écran, comme ça, il faut que le sujet figure dans le tableau, ainsi, il
en fait la condition tout à fait expresse, tout à fait nécessaire pour que cela
puisse être envisagé comme tel. Freud y voit le témoignage d'une Überarbeitung,
une
sorte de reélaboration, re-travail où pour notre part nous serions tenté de
lire celui-là même du fantasme. je crois en tout cas que ce qu'on ne peut
manquer d'évoquer, presque [...] qui se trouve tellement conduire à évoquer
à propos de ce texte, c'est bien le problème de ce que peut être pour un sujet,
le lieu de sa naissance, lieu de sa naissance en tant bien sûr qu'à la fois
et irrémédiablement perdu, chu et en même temps constitué, figuré mais lui-même
avec cet écran représentant de sa représentation où il va venir, ainsi lui petit
Freud, se trouver livré à ses pulsions qui sont la faim et
l'amour.
Dans
l'article que j'avais signalé précédemment sur le «Mécanisme psychique de
l'oubli» et concernant donc l'oubli du nom de Signorelli, cet article
-396-
LeÇon
du 22 juin 1966
orienté,
lui, sur la sexualité et la mort, quand ce phénomène se produit pour Freud, il
voyage avec cet avocat berlinois, un compagnon, comme cela, de rencontre,
de voyage. Et puis il veut évoquer ce nom, l'auteur des fresques d'Orvieto,
des
choses dernières. Cela ne vient pas, mais il se produit à ce moment-là quelque
chose de très curieux et quelque chose qui d'ailleurs assez bizarrement a été
laissé tomber dans la Psychopathologie
de la vie quotidienne,
lorsque
Freud y reprend ce même souvenir, il se produit pour Freud quelque chose de très
curieux, c'est qu'il ne se souvient pas du nom de Signorelli, mais il voit des
fresques et avec une vivacité particulière, de manière tout à fait über...
Il voit
le peintre tel qu'il s'est figuré lui-même dans un coin du tableau avec des
détails, avec son visage particulièrement sérieux, ses mains croisées, et à côté
du peintre, à côté de Signorelli, il voit là également, la représentation de
celui qui était son prédécesseur dans la réalisation de ces fresques,
c'est-à-dire Fra
Angelico
de
Fiesole
dont
le nom ne semble en rien à ce moment-là lui échapper.
C'est
là un phénomène qui, je crois, mérite d'être signalé et que je voudrais, pour
terminer, rapprocher d'un court texte qui, lui, date de quarante années plus
tard. C'est en 1936, lorsque Freud écrit pour le soixante dixième anniversaire
de Romain Rolland
ce
texte, qui s'appelle «Un trouble de mémoire sur l'Acropole», il en a alors
lui-même quatre-vingt et il raconte à Romain Rolland
dans
ce texte, enfin sa contribution à l'anniversaire de Romain Rolland,
et
donc de lui raconter combien au cours d'un voyage sur l'Acropole avec son frère,
il a eu un sentiment très curieux, Entfremdungsgefühl,
sentiment
d'étrangeté que tout cela ce n'était pas réel, que ce qu'il voyait n'était pas
réel, que c'était bizarre, c'était curieux, qu'il n'en croyait pas ses
yeux, qu'il en arrivait même à se poser la question de l'existence de l'Acropole
et tout ceci l'engage sur l'évocation du problème de la fausse
reconnaissance, du déjà vu, du déjà raconté, c'est-à-dire mêlant tout à
fait directement le sentiment de la reconnaissance la plus immédiate et la plus
intime et la plus sûre. Bref, on pourrait dire, lui et son frère, au sommet de
l'Acropole, Freud ne se voit pas dans le tableau et ce qui peut nous paraître
éventuellement tout aussi significatif c'est que tout aussitôt, tout aussi
directement se trouve invoqué la présence et le regard du père, ceci sous la
forme d'un sentiment de piété filiale, sentiment de culpabilité, sentiment de
faute chez Freud et puis enfin cette évocation mi-humoristique, mais peut-être
aussi mi-tragique qui est celle de cette parole de Napoléon qui dit à son frère
joseph, bien sûr au moment de son couronnement, à son frère joseph: «
Qu'est-ce qu'aurait dit Monsieur notre père, s'il avait pu être là
aujourd'hui ? »
Voilà.
je m'arrêterai là-dessus.
-397-
L'objet
de la psychanalyse
Docteur
J. Lacan
-J'ai
trouvé que ceci, pour n'être pas de l'inédit, illustrait assez bien comme ça
rétroactivement - parce que ce sont des choses dont j'ai parlé il y a longtemps,
nommément sur le texte concernant Signorelli, j'ai fait une communication à la
Société de philosophie, - au temps où je l'ai faite,) e ne pouvais pas mettre en
valeur évidemment ces éléments structuraux à ce moment-là, puisque la théorie
n'en était point encore faite. Le fait que Melman ait bien voulu se donner la
peine de s'apercevoir que cela y est et de la façon la plus articulée est tout à
fait de nature à confirmer ce que j'ai pu, soit la dernière, soit l'avant
dernière fois, faire remarquer de ce que veut dire ma reprise de Freud dans un
cercle redoublé, enfin dans une espèce de deuxième tour qui a ses raisons
structurales et vous voyez à chaque point du texte de Freud, nous y trouvons la
possibilité, une espèce de commentaire second qui reprend les mêmes éléments
dans un autre ordre, dans un autre ordre qui n'est en réalité que la
reproduction du premier mis à l'envers. Ce que je vous ai dit par exemple la
dernière fois de la correspondance au drame de l'Œdipe, de ce drame de
l'aveuglement d'Œdipe et de l'aveuglement pourquoi? Pour avoir voulu trop
voir, en est une autre illustration.
Enfin, je ne peux
ré-indiquer ou plutôt ré-évoquer ces choses que d'une façon allusive, je ne vais
pas aujourd'hui reprendre une fois de plus ces mêmes thèmes. Il m'a semblé que
ce que Melman a là repris d'une façon très sensible, parce que cela lui était
très actuel et qu'il n'a eu aucune peine à en retrouver les repères principaux,
valait de vous être présenté à cette occasion. Est-ce que quelqu'un peut avoir
justement une remarque complémentaire sur...
J.
P. Valabrega
-je
vais faire deux petites remarques à propos de ce que vient de nous rappeler
Charles Melman. La première, je prends les choses par la fin. La première est à
propos de l'article... qu'il nous rappelle du souvenir sur l'Acropole, c'est une
remarque terminologique, le mot Entfremdung
ne
peut pas être traduit, enfin n'a pas intérêt à être traduit par étrangeté parce
qu'il s'agit là de quelque chose de très intéressant dans ce texte; c'est
unheimlich,
qui
correspond plutôt à l'étrangeté.
Docteur
J. Lacan
- C'est
incontestable que c'est unheimlich
qui
correspond à étrangeté.
J.
P. Valabrega
- Mais
ce qui est intéressant, c'est que Entfremdung
c'est...
Docteur
J. Lacan
- Commentez,
commentez, cela vaut la peine, commentez, comment dans ce texte vous l'entendez
comme traduisible par aliénation.
J.
P. Valabrega
- C'est-à-dire
que dans ce texte cela introduit quelque chose qui est tout à fait autre que ce
qui a été apporté par Melman, et on pourrait dire que du point de vue
diagnostic, on a l'impression que c'est tout à fait autre chose, dans le
souvenir de l'Acropole que...
-398-
Leçon
du 22 juin 1966
Docteur
J. Lacan
- Parlez
plus fort Bon Dieu, parce que c'est tout de même... c'est très intéressant ce
que vous dites et tout le monde... personne n'entend.
J.
P. Valabrega-
Ce
qui n'est pas le cas dans le texte de 1886/1889, c'est encore quelque chose
d'autre, ça c'est une chose à discuter...
Docteur
J. Lacan
- Mais
discutez-le, comment pouvez-vous soutenir que le terme d'aliénation est présent
à propos de ce souvenir de l'Acropole et nommément pour traduire
Entfremdung.
Je
veux bien que vous le souteniez mais expliquez pourquoi
?
J.
P. Valabrega
- C'est
un concept hégélien, l'aliénation.
Docteur
J. Lacan
- Un
instant, je vous en prie, comment concevez-vous le concept hégélien dans quelque
chose qui connote un trait vécu, que cet Entfremdung.
J.
P. Valabrega
-je
ne sais comment, il faudrait même...
Docteur
J. Lacan
- Que
Entfremdung
puisse
correspondre à quelque chose comme la dépersonnalisation, passe encore, ou le
sentiment du sosie ou quelque chose, que nous... c'est noté dans le texte comme
une impression, enfin c'est une notation phénoménologique, l'aliénation n'est
pas... n'a rien à faire avec ça dans Hegel
puisque
vous invoquez, vous, pas moi, Hegel.
J.
P. Valabrega
- Je
trouve quand même qu'il n'utilise pas là un autre mot qui pourrait, je ne sais
pas quel mot allemand pourrait être là pour désigner la dépersonnalisation,
quelque chose comme ça, il se trouve tout de même que ce n'est pas
ça.
Docteur
J. Lacan
- Comment
pouvez-vous soutenir que l'aliénation qui est vraiment la structure, enfin la
plus immanente et en même temps la plus cachée, à tout ce qui est du vécu du
sujet soit là tout d'un coup mise saillante dans l'apparence ou bien alors
montrant sa pointe d'une façon quelconque qui puisse permettre de l'épingler
avec ce terme d'Entfremdung
et
justement à propos de
ce que Freud
ressent sur l'Acropole ?
J.
P. Valabrega
- Oui, attendez,
ce n'est pas une raison. Je me demande pourquoi
il
emploie ce mot simplement, ce n'est pas un mot, pas un mot du vocabulaire
psychiatrique, absolument pas.
Docteur
J. Lacan
- Mais
pourquoi le traduisez-vous par aliénation alors ?
Castoriadis.
Castoriadis
- Du
point de vue étymologique, je crois que Valabrega a raison par rapport à
Hegel;
je
ne crois pas que dans le texte de Freud il s'agit de l'aliénation dans ce
sens. On dira en allemand sich
fremden
de
quelqu'un qui serait plutôt en zizanie, que la vie a éloigné du ménage. C'est le
Fremd
dans
ce texte, alors il ne faut pas le rapprocher du groupe qui a un autre caractère;
je crois que -399-
L'objet
de la psychanalyse
ce
que Freud veut dire dans le texte c'est qu'il se sent étranger à ce pays, et
étranger radicalement. Il ne faut pas lui donner, je crois, la charge
philosophique hégélienne de l'aliénation qui est autre
chose.
Docteur
J. Lacan
- Écoutez,
cela a une note extraordinairement nette, n'estce pas, il s'agit d'un
sentiment que nous appelons dans la clinique psychiatrique : la
déréalisation.
J.
P. Valabrega
- Pourquoi
l'utilise-t-il? C'est ça le problème, c'est un problème terminologique, moi
je ne sais pas, je n'ai pas recherché...
Docteur
J. Lacan
- Ce
n'est pas parce que nous nous trouvons devant un emploi d'Entfremdung
qu'on
trouve également dans Hegel
que
nous allons nous mettre, comme ça, à sauter à pieds joints et à dire que la
signification que Freud implique dans ce terme d'Entfremdung
est
une signification hégélienne justement là. Et puis écoutez, dès qu'on parle
d'aliénation, tout de même, on sait où on en est, on sait ce qu'on évoque, on
sait ce que ça intéresse. Alors si c'est là simplement pour ouvrir une question
sans le moindre centimètre qui aille plus loin, je ne demande pas mieux que cela
rebondisse mais je veux que vous vous en expliquiez.
C.
Stein
- Alors,
je pense quand même que le point soulevé par Valabrega mérite d'être
fouillé.
Docteur
J. Lacan
- Tout
à fait d'accord.
C
Stein
- je
n'ai pas le texte sous les yeux, mais on peut remarquer qu'en français à propos
du terme d'aliénation il y a cette même difficulté, c'est que l'aliénation
n'évoque pas seulement Hegel
et
Marx. Elle évoque aussi la folie. Or ce sentiment étrange, appelons-le, si vous
le voulez, d'étrangeté, trouvé sur l'Acropole, a quand même quelque chose à voir
avec le sentiment d'être fou.
Docteur
J. Lacan
-je
vais vous donner la parole, je vous demande pardon de...
A.
Green
- Deux
choses. Une concernant la remarque de Valabrega, l'autre l'exposé de Melman. La
première, je pense que sans introduire le contexte d'aliénation, on est quand
même obligé ici à partir de ce terme, de penser que Freud veut dire et en dehors
du mot dont il est question par rapport au contexte qu'il vit : « ce n'est
pas moi qui suis ici, c'est un autre, ce n'est pas moi »; ça, c'est dit en
toutes lettres dans le texte. Alors voici concernant le point soulevé par
Valabrega. Par rapport à ce qu'a dit Melman, je voudrais apporter une
petite précision lorsque tu as dit que le sujet a bien... et est constitué
par le fait qu'il va se trouver là devant ce que tu appelais ses pulsions, la
faim et l'amour; eh bien, je crois que toute l'ambiguïté de ce texte c'est de
montrer que Freud a choisi dans cette alternative et que justement tout le texte
parle de la faim en tant qu'il va s'agir du désir et non plus de la faim et que
ceci se rattache directement -400-
Leçon
du 22 juin 1966
à
la parole du père, en tant, que le père lui a dit : cessons avec ces
billevesées, il faut manger. Voilà la voie des affaires. C'est pourquoi, j'y
verrai donc quelque chose de beaucoup plus nettement marqué par rapport au désir
et par rapport justement à ce qui est en jeu dans ce personnage nourricier avec
son grand couteau qui n'intéresse plus du tout la faim et qu'il exclut
complètement du champ du problème.
Docteur
J. Lacan
- Comment
s'appelle-t-il?
Monsieur
Caben
- La
traduction des textes... le mot Entfremdung
est
un mot plus simple en allemand, il se traduit très bien par le mot dépaysement,
tout le reste n'est que folle interprétation.
Docteur
J. Lacan
- Bien
sûr, dépaysement ou déréalisation, c'est exactement de quoi il s'agit, ce n'est
pas du réel.
Monsieur
Caben
- Vous avez
déjà employé la semaine dernière et le mot Entfremdung,
c'est
être dépaysé et étymologiquement aussi.
Docteur
J. Lacan
- Qu'est-ce
que j'ai employé la semaine dernière?
Monsieur
Caben
- Entfremden.
Docteur
J. Lacan
- Sûrement
pas.
Monsieur
Caben
- Dans
le sens où vous l'avez traduit par aliénation.
Docteur
J. Lacan
- C'est
une traduction classique.
Monsieur
Caben
- Oui, mais
à mon avis, c'est déjà une interprétation.
Docteur
J. Lacan
- N'exagérons
pas, là non plus, c'est comme si vous disiez que Aufhebung
est
déjà une interprétation parce que, dans Hegel,
cela
a le sens de plus qualitativement élevé et que cela peut aussi bien vouloir
dire, je ne sais pas quoi... abonnement. Le caractère simplet et cru d'un usage
d'un terme n'a pour autant aucune préséance sur les autres usages, n'est-ce pas.
J'ai souvent fait remarquer qu'il n'y a pas de préséance de l'usage propre sur
l'usage figuré, pour une simple raison d'abord que cela ne veut rien dire, cette
différence, mais le côté usuel, disons, de Entfremdung
ne
suffit pas à donner une prévalence à dépaysement sur son usage philosophique.
Bon, à vous. Oui, à vous, bien sûr, naturellement, si vous voulez reprendre la
parole.
J.
P. Valabrega
- Autre
chose, moi je ne suis pas d'accord avec ce que vient de dire M.
Caben.
Docteur
J. Lacan
- Moi
non plus.
J.
P. Valabrega
- On
peut toujours ramener le sens de n'importe quel mot à un sens non habituel, et
qu'il faut prendre dans le sens-là, surtout pas dans Freud. Ce qui ne veut pas
dire qu'il y a une signification indirecte, je n'en sais rien. Je pose la
question à propos de l'Unheimlich
d'une
part, dont on a beaucoup glosé, et de l'Entfremdung.
Docteur
J. Lacan
- Ecoutez,
ne cherchons pas, nous n'allons pas nous éter- 401
-
L'objet
de la psychanalyse
niser
là-dessus. Il est tout à fait clair qu'une référence structurale comme
l'aliénation est..., jamais personne n'a prétendu voir l'aliénation
affleurant sur le plan phénoménologique. Le sentiment d'aliénation, si cela
concerne justement l'aliénation, il n'y a pas de sentiment d'aliénation,
sans cela ça ne serait pas l'aliénation. Vous êtes d'accord? Allons
Leclaire, que vouliez-vous dire?
J.
P. Valabrega
- Au sujet du mécanisme de l'oubli et de la substitution, puisque tout cela
tourne autour du mot substitutif et plus généralement de la substitution, alors
là le rapprochement avec le souvenir-écran est très important. Parce que
l'analyse, - j'ai pu faire une analyse poussée une fois que quelque chose du
mécanisme de l'oubli qui pouvait, qui jouait un rôle très important dans une
analyse et qui en particulier englobait et se situait précisément aussi là sur
les fleurs, parmi toutes ces choses - alors cette analyse a montré qu'en dehors
de la substitution définie par Freud, en 98-99, il existe, ceci renvoie à des
substitutions qu'on pourrait dire formelles et il apparaît nettement que cela
renvoie à des substitutions intrinsèques, c'est-à-dire qu'il y a d'autres
mots derrière les mots ou les noms particulièrement oubliés et retrouvés,
ou non, par les mécanismes de substitution. Il y a une substitution intrinsèque
qui a substitué ces mots-là, par exemple les noms des fleurs à d'autres. Par
conséquent, la substitution ici est vraiment un
écran.
Docteur
J. Lacan
- Est vraiment?
J.
P. Valabrega
- Un écran; le rapprochement est ici tout à fait à creuser... le souvenir-écran
est le mécanisme de l'oubli. C'est simplement une remarque que j'émettrais dans
le sens de ce que nous avons dit. Voilà.
Docteur
J. Lacan
- Ce sont néanmoins des choses différentes, n'est-ce pas, nous sommes bien
d'accord.
J.
P. Valabrega
- Certes, mais ça joue le rôle d'écran, c'est fonctionnellement un écran dans
l'exemple auquel je pense. Cela veut dire que les noms de substitution
renvoient à d'autres noms c'est-à-dire qu'en substitution au niveau même du nom,
derrière les noms substitués.
Docteur
J. Lacan
- Répondez Melman, ce que vous pensez à cela.
Ch.
Melman
- Non, ce serait s'engager là également dans une grande chose. je pense qu'en
tout cas, c'est radicalement différent de ce qui se passe au moment où il oublie
le nom de Signorelli, où se présente à lui dans le tableau la figure même du
peintre, de façon si précise, avec cette vividité particulière, je crois que
c'est tout à fait autre chose.
Docteur
J. Lacan
- Mais oui bien sûr. Leclaire, non Leclaire, je l'avais dit, il y a un moment
qu'il doit parler.
S.
Leclaire
- C'est un complément à l'analyse du souvenir-écran, un élément pour compléter
l'analyse dans la même ligne, à propos de pissenlits, qui jouent
-402-
Leçon
du 22 juin 1966
un
rôle central dans ce souvenir-écran. Vers la même époque, il s'occupe de
l'analyse du rêve du [...] et par erreur il évoque le pissenlit, à propos d'une
autre fleur qui est un mucilage ordinaire. Il ne se trompe pas, le pissenlit
désigne bien là pour lui le problème de son énurésie car si ce mot lui est venu,
de pissenlit, pour désigner une autre fleur qui était le mucilage, c'est en
français qu'elle évoque tous les problèmes de ces incontinences et
principalement de ces incontinences d'urine. Sur le jaune et sur la tache
jaune qui est au centre et que tu as bien située comme étant au centre du
souvenir-écran, je voudrais faire encore cette remarque qui se rapportait aussi
à l'auto-analyse de Freud ou à l'analyse de Freud.
C'est
un autre passage de la
Science des rêves, j'ai
déjà eu l'occasion de le signaler, nous trouvons quelque chose de plus
singulier, qui fait qu'à la fois le nom allemand de «
Löwenzahn
»
pour
le pissenlit et la couleur jaune se trouvent rassemblés en un seul terme.
C'est comme l'histoire d'un patient d'un collègue qui a longtemps été
occupé dans ses rêves par la figure d'un petit lion jaune; or, ce lion jaune, il
ne voit absolument pas ce qu'il vient faire dans ses rêves. Ce collègue en parle
à Freud et ce n'est qu'au moment où il retrouve, ditil, ce lion jaune comme
ayant été un de ses jouets favoris, un bibelot de sa mère, qui avait été depuis
rangé, que le souvenir du lion jaune ou la présence du lion jaune inexplicable
dans les rêves disparaît. je pense pour une autre raison que ce collègue, au
lion jaune, il en est comme de ce sympathique collègue, ou de ce sympathique
patient dont parle Freud, je pense que c'est lui-même, c'est une hypothèse qui
n'a pas encore été vraiment soutenue, simplement que j'avance pour l'instant
pour la raison suivante. C'est là-dessus que je m'arrêterai. C'est
qu'immédiatement après avoir parlé de ce collègue au lion jaune et de cette
petite histoire du lion jaune, il évoque une autre aventure du même collègue,
qui est un souvenir d'enfance, ce collègue qui avait été très impressionné du
récit qu'on lui faisait de l'exploration de... au pôle et qu'il avait eu cette
question curieuse qui avait fait rire son entourage et ses frères parce
qu'il est normal à savoir que cette exploration, ce voyage, Reise,
était
douloureux, ça faisait mal. Car ce collègue avait confondu, étant enfant, avait
confondu Reise
et
reissen,
déchirer.
C'est à partir de là, et c'est sur ce point que je me fonde pour avancer
l'hypothèse que le collègue au lion jaune, c'est Freud lui-même. Car il semble
que si nous nous interrogeons là aussi sur la phobie des voyages, quelque chose
peut nous apparaître concernant la confusion des voyages et de reissen,
déchirer,
d'autant que dans l'œuvre freudienne nous trouverons constamment à l'arrière
plan ce fantasme fondamental d'avoir à déchirer un voile, d'avoir à dévoiler
quelque chose et c'est là-dessus que je veux terminer, car il me semble que
cette considération n'est pas étrangère à l'analyse possible
-403-
L'objet
de la psychanalyse
de
ce souvenir-écran. Car là encore il montre au pied de la lettre cette
dimension de l'écran, comme surface, nous avons aussi à prendre en
considération ce que tu as fait, ce qui peut être de l'ordre de la déchirure, ou
de la traversée de l'écran.
Docteur
J. Lacan
-je voudrais que vous précisiez votre pensée. Vous pensez que ce que vous venez
de dire, Freud le savait, que le sachant il donne tout le texte concernant le
rêve où est situé ce lion jaune? Est-ce que lui-même en quelque sorte s'était
repéré, si je puis dire, dans cette fonction du lion
jaune?
S.
Leclaire
- Non.
Docteur
J. Lacan
- Vous ne le pensez pas. C'est important.
S.
Leclaire
- Je pense qu'il s'est repéré explicitement dans la fonction du déchiré
lorsqu'il a soutenu son fantasme de l'inauguration de la plaque commémorant
la découverte inaugurale de la Science des rêves où il imagine le jour où cette
plaque sera inaugurée et où sur cette plaque est écrit que se dévoila à Freud le
secret des rêves. Nous pensons que le terme de dévoilement, de déchirement,
d'ouverture est fondamental chez Freud. Mais ce que je veux dire, c'est que dans
ce souvenir-écran, du fait même que l'on voit comme transperçant la surface, la
couleur jaune et liant cette couleur jaune exactement à ce qui vient après dans
l'analyse du souvenir du lion jaune, c'est-à-dire le problème du Reisen-
reissen. Je
pense qu'est lié à l'évocation de la couleur jaune et à cette prégnance de la
couleur jaune, pour Freud disons très consciemment le problème de..., enfin
au moment où il décrit ce souvenir étrange, je ne pense pas du tout que la
dimension de la déchirure en tant que telle ou de la rupture chez Freud soit
explicite, et je pense qu'au jaune est nécessairement liée cette dimension
de passage à travers ou de transgression, bref ce qui évoque à propos de la
transparence de...
Docteur
J. Lacan
- Je souhaiterais simplement que ceci fut écrit par vous, cher Serge. Déjà ? ça
veut dire quoi ?
S.
Leclaire
- Dans les
Cahiers n°
1 ou 2.
Docteur
J. Lacan
- Parfait, oui parce que j'aurais eu certainement l'occasion d'y revenir, je ne
peux pas aujourd'hui, étant donné le temps qui nous reste, nous engager plus
loin dans ce débat. Allez.
C.
Stein
- Mais, je voudrais faire une petite remarque à Leclaire sur le problème de
Reisen
et
reissen.
C'est
que le dévoilement est de l'autre [?] et que la déchirure reissen,
Riss,
soit
équivalente pour Freud, c'est une chose qu'il faudrait que tu établisses
quand même, je ne dis pas qu'il n'en est pas ainsi. Cela demande à être établi;
le dévoilement n'évoque pas forcément la déchirure, peut-être aussi pour Freud
des éléments pour abonder dans ton sens à moins qu'il...
-404-
Leçon
du 22 juin 1966
Il
y a une autre détermination de reissen
qui
est intéressante et qui est impliquée dans ce que tu as dit, c'est de se
rappeler que Freud avait demandé si ce voyage «
Reise
»
faisait mal; or « reissen
»
pas seulement la déchirure,
reissen
est
au sens figuré et employé en allemand, non d'une manière très courante. Et la
manière de désigner une certaine douleur qu'on éprouve, donc « reissen
»
est quelque chose dont il a pu entendre parler autour de lui à propos des
douleurs rhumatismales éprouvées par l'un de ses parents ou dans une
circonstance analogue et ceci nous donnerait le lien entre le voyage et le
danger pour la santé impliqué dans le voyage, la phobie des voyages et
l'association avec une déchirure dans le corps.
Docteur
J. Lacan
- Eh bien! écoutez mes bons amis, ces choses
ne seront pas résolues, j'ai vu un vif intérêt à la remarque de Serge parce que
nous aurons probablement l'occasion de la réutiliser plus tard, concernant
en effet la position de Freud en tant qu'analyste. Voilà il nous reste une
demi-heure, je n'aurais pas voulu, c'était du moins mon intention, terminer
l'année sans faire quelque chose qui participe de deux registres : d'une part de
faire un sort à ce qui a occupé une part importante des séminaires fermés, à
savoir la discussion des articles de Stein.
Je
ne prétends pas la reprendre. Elle a été faite sur le pied très légitime d'une
critique de ce qui pour chacun de ces interlocuteurs leur semblait discordant,
quant à leurs sentiments de ce qui se faisait dans la séance, de ce qui se
passait, de ce qui venait en premier plan et de ce que Stein, lui, entendait y
mettre, à ce même premier plan. Je ne reprendrai pas ces choses qui ont une
valeur de dialogue toujours utile entre psychanalystes. Néanmoins, il me
paraît qu'il y a quelque chose que je suis le seul, en somme, autorisé tout au
moins, à pouvoir faire dans les formes qui ne soient pas de censure. Je ne
voudrais pas qu'il y ait là d'erreur assurément. Ceux de mes élèves qui sont
intervenus, ont justement évité ce point de vue, à savoir: c'est pas conforme à
ce que dit Lacan. Et ce n'est également pas dans ce sens, au sens d'une certaine
légalité de la démarche que) e me placerai pour intervenir de nouveau auprès de
Stein. Je voudrais à ce sujet toucher à quelque chose qui paraît important parce
qu'évident, parce que très, très gros, et en quelque sorte ouvrant un problème
devant tout le monde et auquel est suspendue toute la portée de mon
enseignement.
D'abord
le fait de ce qu'on pourrait appeler l'influence de mes formulations, autrement
dit ce qu'on pourrait appeler encore à proprement parler le langage de Lacan. Il
est bien évident que par exemple on ne se sert de l'Autre, et surtout quand
on y met pour plus de sûreté un grand A, que depuis que je lui ai fait jouer un
certain rôle. Cela date un texte. Avant que j'en parle, il n'y avait jamais de
ce grand Autre nulle part, et même en dehors de la psychanalyse.
-405-
L'objet
de la psychanalyse
Maintenant,
il y en a un peu beaucoup. Et Dieu sait le rôle qu'on lui fait jouer. C'est
là-dessus certainement que j'ai les remarques, de ce qui est arrivé à Sartre,
les remarques les plus importantes à faire à Stein; et puis il y a autre chose,
le problème des rapports entre ce que je dis et ce que je ne dis pas. Là c'est
plus complexe. Il est certain que je ne peux pas, quand j'ai commencé à faire
mon enseignement, quelles que soient les raisons pour lesquelles j'ai été amené
à cette position difficile, il y avait un fort travail à faire pour obtenir un
changement radical de tout: de point de vue, de langage, de point de vue
sur le langage, de langage sur le point de vue, ce n'était pas très, très
commode. J'ai pris les choses comme elles me semblaient devoir être prises bille
en tête, si je puis dire, en abordant la fonction du langage, ou plus exactement
le champ du langage et la fonction de la parole. Il a fallu que je martèle cela
un certain temps, pour pouvoir donner à mes auditeurs enfin le temps de changer
les portants de place, de se repérer par rapport à ça. En d'autres termes, il y
a un ordre et il y a des temps.
Je
ne suis pas entrain de faire le recueil de mes écrits, comme on le dit. J'écris
peu, j'écris peu, il n'en paraîtra pas, environ, je ne sais pas, probablement,
le quart restera de côté, alors on a fait comme ça le calibrage chez l'éditeur
avec le peu qui reste. Il y en aura dans les six cent cinquante pages. Ce qui
nous pose un petit problème de librairie. A cette occasion, je me relis, ce que
je ne fais pas souvent, et à la vérité, il m'est apparu que même dans mes
premiers textes, il ne peut y avoir aucune ambiguïté concernant l'usage des
notions que j'ai introduites au moment où je les ai introduites. C'est ce
que les gens qui sont, il y en a quelques uns parmi mes élèves qui me disent
quelquefois, c'est ce que les gens désignent en disant : cela y était déjà à
telle époque. Ah! comme c'est admirable! Eh bien non, cela n'y était pas,
ça n'y était pas. Mais ça prouve simplement une certaine rigueur dans
l'énonciation et dans l'énoncé qui fait qu'on ne pouvait guère trouver quelque
chose dans le passé sur lesquels, dans la suite, j'ai été obligé de carrément
revenir. Les termes ne sont pas toujours les meilleurs. Je veux dire que par
exemple, l'usage dans les premiers textes que je fais du mot intersubjectivité
est bien celui qui, le seul que je pouvais mettre en usage à l'époque pour la
simple raison que je n'avais pas encore établi le jeu à quatre termes qui sont
comme je pense que vous vous en êtes aperçus, le grand A, le petit a et les deux
S d'une part, chacun la moitié d'un S, des deux S barrés. Parler à ce moment-là
de l'intersubjectivité en... ne pas faire fonctionner ça avant que ça ne
fonctionne. Il n'en reste pas moins que dès un article qui est à peu près de la
même date, puisqu'il a été écrit huit mois après le discours de Rome: l'article
sur «Les variantes de la cure-type» que j'ai donné à la demande de H. Ey et
d'une équipe de psychanalystes à une Encyclopédie médico-chirurgicale, - il y
-406-
Leçon
du 22 juin 1966
a
un certain nombre d'énoncés, tout à fait clairs, qui font intervenir cette
fonction, cette fonction complexe d'une façon suffisante pour rendre tout à
fait impossible... je prierai notre cher ami Stein de s'y reporter, c'est dans
le début du second chapitre : «de la voie du psychanalyste à son maintien :
considéré dans sa déviation».
Je
n'aurai pas le temps aujourd'hui de faire la lecture de ce passage, mais je veux
simplement le prier de s'y reporter lui-même pour me permettre aujourd'hui
de lui dire, à lui, - pendant qu'il est là et d'une façon dont je ne pense pas
qu'il puisse un seul instant prendre ombrage - que dans son texte sur la
situation analytique, ce langage, ce discours concernant l'Autre avec un
grand A est à proprement parler ce qu'il utilise de la façon la plus
méconnaissable avec le grand A et l'autre. Eh bien, l'Autre dont je vous parle,
l'Autre au sens où c'est le lieu de l'Autre, c'est là où vient s'inscrire la
fonction de vérité de la parole et que la relation de « ça parle » au « ça
écoute » dont il fait état dans son premier écrit sur la situation analytique
mais directement enfin extraite, articulée, n'est-ce pas, de ce qu'il peut sous
un certain angle entendre de mon discours. D'ailleurs, en plus, il y a une note
qui le reconnaît, il y a une note qui est intercalée entre deux autres,
l'une où il fait état de l'impulsion qu'il a reçue de spéculations de
Grünberger sur le narcissisme, n'est-ce pas, et l'autre où il cite très
abondamment Nacht
à
propos de la présence psychanalytique. Il n'est pas question que je vienne
ici prendre un poids prévalant. Ce que tout le monde peut bien penser et sait
que je pense c'est que les positions de Grünberger sur le narcissisme sont
partiales et erronées. Ce dont d'ailleurs vous prenez vos distances, et que ce
qu'a écrit Nacht
sur
la présence psychanalytique est simplement impudent. J'en ai fait état assez
abondamment dans mon rapport sur «La direction de la cure», pour qu'il ne
soit pas nécessaire d'y revenir. L'important n'est pas là.
L'important
est ceci, comment peut-il se faire que ce qui, en somme, est extrait des
formules qui peuvent être épinglées, mises entre guillemets dans mon discours
sur le « ça parle » sur le « ça écoute », comment peut-il venir
s'adjoindre, fonctionner, servir à peindre d'une certaine façon de couleurs
qui peuvent de ce seul fait faire passer pour être les miennes, quel usage
peut-on faire de ce discours pour en somme le faire rentrer dans une certaine
façon de concevoir la situation analytique qui est absolument étrangère à
ce discours ? Je ne suis pas entrain de débattre, si elle est fondée, si elle
est légitime, ce qui la justifie ou ce qui l'infirme.
Je
mets simplement en question ce problème de l'utilisation possible de mon
langage pour servir à la conception de la situation analytique qui lui est
radicalement contraire. En effet, cela va loin, n'est-ce pas, et vous y allez
vite, partir du « ça parle » qui est le sujet du « ça écoute » qui est
-407-
L'objet
de la psychanalyse
représenté
ici par l'analyste : « ça parle et ça écoute, écriviez-vous page 239, en la
séance » et puis ça a l'air de tenir comme ça. Sous prétexte qu'on dit en
séance, le « en la séance » à l'air d'être un lieu suffisant. Il est bien
clair d'ailleurs que vous ne vous en tenez pas là et que vous expliquez pourquoi
à ce moment-là la séance est quelque chose qui se gonfle aux limites du monde, à
proprement parler, comme vous ne manquez pas de l'écrire en y mettant les
points sur les i. La page 240, par exemple, je lis ceci, après un bref rappel de
certaines similarités que ferait Freud de la séance allant vers... ce qui, entre
nous, ne permet pas du tout pour autant d'aller jusqu'au point où vos collègues
Fain et David vont de faire du discours du sujet dans la séance quelque chose
d'analogue au rêve. Car le rêve, l'endormissement et le sommeil ne sont pas des
états analogues. Mais passons ce n'est pas sur le fond que je place la
chose.
Je
veux simplement vous faire remarquer que cet appareil psychique qui abolit
les limites entre le monde intérieur et le monde extérieur, aussi bien du côté
du patient que du côté de l'analyste, qui de ce fait, tendent à être fondus tous
deux en un. En terme plus précis, écrivez-vous toujours, leurs images tendent à
l'association par contiguïté qui caractérise le processus primaire. Donc vous
posez d'abord que les deux sujets tendent à être fondus tous deux en un, et à
partir de là, la contiguïté qui est en effet une relation essentielle de
signifiant à signifiant devient la contiguïté entre les signifiants de l'un et
les signifiants chez l'autre. N'est-ce pas de même que dans le rêve, le monde
entier est à l'intérieur du rêveur, en c'est un?
Le
monde entier est contenu et voici votre raison
«
Car on ne saurait concevoir la fusion de deux êtres finis en un seul être
fini ».
Je
répète cette phrase
«
On ne saurait concevoir la fusion de deux êtres finis en un seul être
fini ».
D'une
certaine façon, une phrase comme celle-ci est bien de nature à nous faire dire
cette chose qui est aussi importante à souligner de l'usage du « ça parle » que
je n'ai jamais employé en ce sens. Je veux dire que « ça parle », c'est un
moment d'interrogation chez moi « ça parle », c'est comme ça que ça à l'air de
se présenter, mais c'est tout de même la question, non pas « ça parle à qui ? »
qui est la question qui vous importe, mais la question « qui parle? » pour moi
est toujours la question que j'ai accentuée. En fait, dans l'analyse,
c'est-à-dire, dans la théorie analytique, la formule qui viendrait très
heureusement se substituer au « ça parle » c'est le « ça dit n'importe
quoi ». Je parle dans ce qui est écrit,
-408-
Leçon
du 22 juin 1966
et
ça dit n'importe quoi pour une simple raison, c'est que ça se lit en diagonale.
Si ça ne se lisait pas en diagonale, enfin je crois que quelqu'un serait arrêté,
à ce
«
Car on ne saurait concevoir la fusion de deux êtres finis en un seul être
fini».
Car
rien n'est plus concevable. Je vais vous dire pourquoi, vous, vous ne le
concevez pas à ce moment-là, c'est parce c'est très légitime pour vous. En
effet, vous avez commencé par poser ce processus, cet appareil psychique, qui
abolit les limites entre le monde intérieur et le monde extérieur, aussi bien du
côté du patient que du côté de l'analyste. Qu'est-ce que ça veut dire? Ça veut
dire que ce problème de l'intérieur et de l'extérieur est en effet quelque chose
qui est tout à fait au premier plan de votre
préoccupation.
Et tout ce que j'ai fait
cette année comme effort pour vous apporter une topologie, c'est pour vous
rendre compte disons d'une « forme » qui permet de concevoir justement ces
sortes, si on peut dire, d'anomalies appréhensibles qui sont les nôtres à propos
de ces problèmes de l'intérieur et de l'extérieur. Seulement, comme c'est la
seule chose qui justifie votre texte à cette date, disons comme pour vous,
remarquez qu'il y a à un moment quelconque que vous supposez n'être pas
basalement celui de la situation analytique, il y a quelque façon équivalente
entre cet intérieur et cet extérieur, il en résulte que vous pensez et là, au
nom même de cette espèce d'usage propédeutique, on demande de faire des
choses..., vous pensez sphère et c'est vrai qu'en un certain sens, comme je
vous l'ai fait remarquer, simplement à propos du cercle, on peut penser
topologiquement la sphère comme enveloppant ce qui est à l'extérieur de
même qu'on peut dire, puisqu'il suffit simplement de placer cette sphère quelque
part, dans un quatrième plan, même si vous placez un cercle sur la sphère, en
fait vous délimitez deux zones de la sphère qui sont également à l'intérieur du
cercle. Prenez le globe terrestre, faites une large X [?], si vous la faites à
l'équateur où est l'extérieur, où est l'intérieur? Ils sont équivalents, vous
avez compris.
C.
Stein
- ...
Docteur
J. Lacan
-Justement,
mon cher, c'est de ça qu'il s'agit. A partir du moment où vous pensez les choses
ainsi, il n'y a pas du tout passage, mais équivalence. Vous posez
l'équivalence de ce qui est à l'intérieur et de ce qui est à l'extérieur,
et c'est pourquoi à partir de là s'il y en a un autre qui est ici, la même
équivalence étant posée, ces deux êtres finis, en effet, eux ne peuvent se
fondre, premièrement que dans une indifférenciation totale et deuxièmement qui
implique la finitude, c'est-à-dire l'extension au monde de leur confusion entre
eux.
C'est
tout au moins ce que vous écrivez.
-409-
L'objet
de la psychanalyse
C
Stein
-je vous en supplie, non, je pense que ce dont il est question là dans mon
esprit ce n'est pas de l'équivalence entre l'intérieur et l'extérieur mais
l'unité qui résulte de l'abolition de la limite, par conséquent, si on
voulait faire une figuration de sphère...
Docteur
J. Lacan
- En d'autres termes ce que nous avons dit, c'est qu'il ne subsiste aucune
limite. je ne vais pas..., c'est à vous en effet d'en décider. Cette absence de
toute référence par conséquent, je ne vois pas comment vous pouvez la faire
subsister avec quoi que ce soit, enfin, qui soit compatible par exemple avec la
poursuite d'un discours. A l'intérieur d'un tout, cette absence totale de
référence, n'est-ce pas, c'est un crédit que je vous fais, de penser qu'il reste
encore quelque part une structure, un appareil.
C.
Stein
- je le vois bien comme une situation limite qui ne saurait être accomplie
autrement que dans la mort.
Docteur
J. Lacan
- Mais, écoutez, la science de la situation analytique telle que vous
l'établissez, n'est-ce pas une situation que je ne dirais même pas
préagonique - car préagonique elle signifierait quelque chose -
postagonique, postagonique, enfin, une situation d'après le trépas ? Vous ne
pouvez pas soutenir une chose pareille. Nous ne sommes pas entrain ici de
chercher à faire railler. Ce que je voudrais, c'est simplement faire remarquer
que l'accent que j'ai mis dès les premiers temps de mes énoncés sur le caractère
absolument déterminant de l'écoute de l'analyste - que je n'ai d'ailleurs pour
autant nullement identifié à l'autre dans cette occasion - ça devrait quand même
vous inspirer une certaine prudence pour utiliser ce registre des rapports
du « ça parle » au « ça écoute » dans une voie qui est très particulière et que
je veux essayer de définir.
De
quelque façon que vous défendiez ce que vous venez de dire, je vais voir si vous
admettez ou non ce que je vais vous donner comme ce qui me semble être le repère
où se différencie essentiellement une certaine façon de théoriser la situation
analytique qui est la mienne. Il s'agit en fait d'une question très importante
puisque c'est toute la question du narcissisme primaire. Qu'est-ce que le
narcissisme primaire? je n'irai pas par quatre chemins; le narcissisme primaire
au sens où il est usité chez presque tous les auteurs dans l'analyse est quelque
chose devant quoi je m'arrête et que je ne peux aucunement admettre sous la
forme où c'est articulé. Et maintenant, nous allons essayer de bien
préciser de quoi il s'agit. L'idée que sous un biais quelconque, à quelque
moment que ce soit, le sujet, comme vous venez de le dire, vous m'en donnez plus
alors que je n'en avais même sous la main, n'est-ce pas perdre ses limites ? Et
que vous le souteniez ou non avec la terminologie empruntée à mon abord de ce
qui se passe dans le discours, le langage, dans l'intervention de la parole,
ceci n'y change rien. -410-
Leçon
du 22 juin 1966
Le
seul fait que vous admettiez que c'est concevable, que c'est possible, je veux
dire que c'est possible d'une façon qui nous intéresse, c'est-à-dire dans ce qui
est accessible, il ne s'agit pas de savoir si c'est possible théoriquement, si
ça nous intéresse en tant qu'analystes, à savoir, si en tant qu'analystes nous
avons à tenir compte de ça, en d'autres termes, si l'action, si le champ
analytique, si la situation analytique, comme vous dites, est dans une dimension
compatible avec ça. je dis elle est incompatible car la situation analytique
comme telle entre le sujet parlant et écoutant fait intervenir et maintient une
structure qui est tout à fait étrangère à la possibilité de quelque façon que
vous vouliez la concevoir de cette perte de toute limite.
La
situation analytique est une situation extrêmement structurée, tout ce que vous
pouvez amener comme témoignages de ce qui ressemble chez le sujet, à ce que vous
appelez expansion narcissique, ce sont des notations phénoménologiques et
qui ne sont nullement fondées dans quelque rapport que ce soit,
articulables dans le réel, dans ce qui est là dans la situation. Je vais
bien appuyer les choses pour bien voir les choses, que vous conceviez ce dont il
s'agit parce qu'en fin de compte, c'est du sens même de mon enseignement là
qu'il s'agit. Il faut tout de même (dans quel registre?) cet espèce de retour (à
quoi ?) non pas bien sûr à ce stade antérieur au sujet, nous ne voyons jamais
personne régresser comme ça à l'état petit enfant même d'une façon métaphorique.
Ce qui permet de s'exprimer ainsi, c'est qu'il existe des techniques, des
ascèses dans lesquelles le sujet essaie. Et effectivement de repérer une
remontée qui n'est pas une remontée dans le champ temporel du monde qu'il a
parcouru de son passé, mais une remontée, si l'on peut dire, à ce que
j'appellerai un état indifférencié de l'être, et qu'il y a pour ça des
techniques, il y a une sorte, une façon d'articuler, de manipuler le rapport du
sujet à sa propre conscience pour qu'il ait le sentiment d'arriver ainsi à
dépasser quelque chose des limites du monde. C'est une régression qui est, - je
ne veux pas bien sûr, je ne prétends pas en faire dans ces quelques mots la
théorie - c'est une régression qui est une régression de l'ordre de l'être et
qui peut espérer ainsi, si tant est que c'est visé, [être un mouvement] pour [?]
arriver à une position dans l'être qui soit plus radicale. C'est la seule chose
qui justifie les énormités que nous trouvons dans nos textes sur ce sujet c'est
cette espèce d'existence en écho, de cette technique de remonter vers, c'est ce
qu'on appelle les états multiples ou les états radicaux de
l'être.
Mais
ce que nous cherchons, mon cher, quand même, il ne faut tout de même pas oublier
que cela n'a absolument rien à foutre avec ça. je l'ai souligné [c'est
caractérisé par] des traits tout à fait manifestes, nécessitant premièrement
d'abord des choses pour se lancer dans cette sorte d'ascèse. Le premier pas
exigé en quelque sorte au seuil, c'est une purification du désir et qu'ensuite
ça procè- 411 -
L'objet
de la psychanalyse
de
par quoi ? Par la voie d'une recherche que j'ai après tout articulée en son
temps, même si vous n'avez jamais eu à rapprocher ces deux registres. Je l'ai
fait quelque part dans cette «causalité psychique» sur laquelle j'ai jaspiné
devant un auditoire, en ce moment-là, autrement opaque, qui peut l'être resté
depuis.
«
Quand l'homme cherchant le vide de la pensée s'avance dans la lueur sans
ombres de l'espace imaginaire en s'abstenant même d'attendre ce qui va en
surgir, un miroir sans éclat lui montre une surface où ne se reflète rien
».
C'est
moi qui ait écrit cela. Comme illustration de quelque chose qui concernait
à proprement parler la limite du stade du miroir. Certainement pas comme un
chemin, comme un sentier qui fut celui qui appartient à notre expérience de
psychanalyste. Il n'a rien à faire avec la situation analytique, c'est
l'indication par ici la sortie vers d'autres techniques. Et il y a beaucoup de
choses dans cette phrase. C'est une de celle, quand je me relis, dont je me
félicite de la rigueur que j'ai su y mettre, car il n'y a pas un seul de ces
mots qui ne soit utilisable, y compris ce que je n'aurai pas le temps de
faire aujourd'hui : l'idée que vous vous faites de ce qu'il y a derrière le mot
« attendre »... Mais laissons!
Nous,
ce qui nous intéresse c'est très précisément le désir et nous restons attachés à
ce point où ce qui est mis en question, c'est ce qui résulte du
fonctionnement de la présence de l'enracinement du sujet dans le désir et
de ce qui en résulte. Nous pouvons le faire car articuler une structure qui en
rend compte et dont toute difficulté quant à sa recherche consiste
précisément en ceci, que cette structure qu'on peut articuler théoriquement
n'est à proprement parler pas articulable en tant que cela serait le désir qui
s'avouerait, qui se dirait. S'il n'y avait que cette différence, il y aurait
aucune espèce de problème analytique. Il y a donc une confusion tout à fait
radicale à faire intervenir comme élément constituant cette situation qui est
toujours et de plus en plus armaturée de la découverte que vous alliez faire de
façon dont l'incidence chez un sujet qui est en proie à ces conséquences de sa
position de désir que sont pour nous les symptômes des différentes formes de
structures subjectives auxquelles nous avons affaire et qui sont des structures
que nous objectivons.
Ce
qui nous différencie de n'importe quelle autre objectivation scientifique, c'est
que pour l'objectiver, nous sommes forcés, nous et notre désir, de nous mettre
dedans. Cela n'en est pas pour autant une visée inatteignable de pouvoir
objectiver ce qu'il en est du désir humain en tant que psychanalyste,
c'est-à-dire en tant que quelqu'un ayant lui-même cette expérience du désir la
fait intervenir dans le jeu même de l'investigation. Vous voyez à quel
point nous sommes loin de quoique ce soit qui se place dans ce champ, que vous
l'appeliez de -412-
Leçon
du 22 juin 1966
régression
ou de n'importe quoi d'autre, d'expansion, qui noie toutes les
articulations, qui à proprement parler nous fait passer dans une visée,
dans un champ ouvert qui est absolument étranger à celui que nous avons à
parcourir.
C'est
cette manipulation, c'est dans la mise en jeu de ces ressorts du désir, en tant
que nous les connaissons, que nous obtenons les résultats thérapeutiques et pour
ce faire nous n'avons pas absolument besoin de savoir ce que j'en dis. En
d'autres termes, on peut faire des cures valables d'ailleurs avec les idées les
plus aberrantes sur ce dont il s'agit dans l'analyse. Mais il y a un autre temps
qui est celui-ci: c'est que pour être psychanalyste, c'est une autre question,
être un psychanalyste c'est faire une psychanalyse en sachant ce qu'on
fait. Il y a en tout cas un temps où il devient absolument alors indispensable
que ce repérage soit strict, c'est pour faire un psychanalyste. Vous voyez les
temps : faire une psychanalyse, être un psychanalyste ou faire un
psychanalyste ce n'est pas la même chose. Ça a des exigences théoriques qui sont
de niveaux différents. Il n'en reste pas moins que cela ne veut pas dire que les
théories sont plus ou moins vraies, selon le niveau; il y a un niveau où la
référence théorique est valable et un autre où elle n'a aucune importance. Mais
faire état par exemple de ces sentiments d'expansion narcissique comme de
quelque chose qui aurait un statut quelconque de référence possible, c'est
aller tout à fait à l'encontre de ce qui doit pour nous, dans l'opération
pratico-théorique, être notre visée. Ces sentiments de fusion, d'union et de
deux en un, avec pour conséquence que c'est l'espace entier qui s'y englobe et
que dieu sait pourquoi devient à ce moment-là, ou reste encore être la séance,
c'est quelque chose dont nous connaissons bien sous la plume de Freud la
connotation dans la lettre à Romain Rolland,
il
parle du sentiment océanique. Dieu sait que s'il y a quelque chose qui
répugne à la pensée de Freud, c'est bien toutes références qui donneraient un
accent de valeur quelconque à quoique ce soit qui soit éprouvé dans cet
ordre.
Vous
me direz, il se réfère à une certaine expérience organique, c'est
précisément là toute la question, c'est que cette référence organique, elle
est hypothétique, elle n'a nullement à rentrer en ligne de compte dans ce
qui est à proprement parler la structure de l'expérience. Elle est un
pense-bête, elle est quelque chose qui est là, on peut s'imaginer qu'il doit y
avoir une... ancestralité de ce quelque chose dont nous nous servons maintenant.
Cela n'a strictement du point de vue qui est le nôtre, à savoir de ce qui
fonctionne, aucun intérêt. Les sentiments d'expansion narcissique et ce qui s'en
suit et tout ce que vous citez comme étant quelquefois, très souvent d'ailleurs,
le mouvement, va, ceci est très remarquable mais rare, ajoutez-vous, n'est-ce
pas, ou bien c'est rare mais exemplaire, vous sentez combien les références
que vous donnez pour donner cette subsistance à la situation analytique comme
étant cette place, cette situation, - 413-
L'objet
de la psychanalyse
indifférenciation,
qui vous le dites bien n'est qu'un des pôles de la situation analytique.
C'est vrai, c'est vrai, mais même à la placer comme pôle, vous faussez tout ce
que vous pouvez ensuite en déduire. Je veux dire que vous ne pouvez rien en
tirer qui soit valable, considérant, concernant la fin et le progrès de la
situation analytique.
Je
regrette d'avoir aujourd'hui trop peu de temps de parler, puisque cela s'est
étendu selon mon vœu d'ailleurs. Je reviendrai dans la suite sur ce que, par
exemple, peut consister votre usage absolument abusif du terme de
masochisme, abusif après ce que j'en ai articulé après le Kant avec
Sade.
Vous
devez tout de même savoir que le masochiste ne peut aucunement être défini, ni
souffrir, à avoir du plaisir dans la souffrance, ni souffrir pour le plaisir. On
ne peut articuler le masochiste qu'à faire entrer en jeu les quatre termes
que j'ai apportés et que la fonction de l'objet a en particulier y est
absolument essentielle. Je crois que l'important de ce que je vous ai apporté
cette année concernant l'objet a, permet parfaitement de vous faire concevoir ce
qu'il peut être repéré à la place anciennement réservée au narcissisme primaire.
C'est de voir ce qu'il y a sous le narcissisme, le narcissisme du stade du
miroir, voilà le seul narcissisme primaire; le narcissisme secondaire dans
mon vocabulaire, pour repérer les choses, c'est celui qui survient autour de la
crise du surmoi. Quant à ce narcissisme primaire il a en effet quelque
chose que nous pouvons trouver dessous, c'est ce que j'appellerai, si vous
voulez, juste pour aujourd'hui, ça m'est venu comme ça, en prenant mes notes ce
matin, le narcissisme dévoilé. Je peux dire en effet que sous le narcissisme
primaire, il y a à dévoiler la fonction de l'objet a. Mais rien d'autre qui
permette de conjuguer d'aucune façon le narcissisme primaire au sens où s'est
usité couramment dans la théorie analytique l'autoérotisme du narcissisme
primaire. De même que ce sentiment océanique auquel je me référais tout à
l'heure, tel qu'il est en usage chez la plupart des auteurs, n'est rien que ce
quelque chose qui reste confus parce qu'il n'y a rien à en tirer et qu'il ne
peut s'articuler que de la façon dont j'ai posé la question à la fin de mon
discours de cette année.
A
savoir, ce que je vous ai situé du rapport du sujet à la jouissance en tant que
c'est nécessairement le rapport à une question posée au lieu de l'Autre qu'elle
peut par lui être abordée. Qu'il construise, qu'il fantasme à proprement
parler quelque chose à la place de cette jouissance qui sur le schéma que je
vous ai donné est à proprement parler à situer en arrière du sujet par
rapport à ce qu'il vise, c'est-à-dire sa réalisation en ce lieu de l'Autre
en tant qu'elle passe par la chute de cet objet a, de ce point de jonction qui
est le sien avec l'Autre. Cette année tous les éléments ont été préparés pour
donner topologiquement le sens le plus précis à ce rapport de $, de petit a et
de grand -414-
Leçon
du 22 juin 1966
A.
Que tout ceci soit en quelque sorte commandé par ce rapport d'aversion du sujet
par rapport à la jouissance qu'il a littéralement à conquérir par
l'exploitation de tout ce qui l'en défend, de tout ce qui l'en sépare.
C'est ce que vous faites surgir, en effet, à un moment quand vous parlez de
cette angoisse tout d'un coup intolérable qui l'agite devant l'imminence de ce
qui pourrait, dans ce que vous dites, être à la place de ce que j'exprime
concernant la jouissance. Mais vous ne justifiez en rien, pourquoi le
surgissement de cette angoisse, s'il l'a comme ça déjà, baignant dans
l'union universelle, pourquoi l'angoisse surgirait-elle, Bon Dieu ?
L'angoisse surgit précisément de ceci, c'est que la question sur la jouissance
ne lui vient que du désir de l'Autre et que ce désir de l'Autre dans certains
tournants est absolument énigmatique parce qu'il laisse transparaître toute
l'énigme de la jouissance dont il s'agit. J'ai assez articulé de choses
là-dessus pour ne même pas pouvoir aujourd'hui en faire, si brièvement que ce
soit, état.
Vous
devez concevoir qu'il y a quelque chose, si nous voulons arriver à un parler
efficace, à un discours rigoureux qui doit absolument mettre entre
parenthèse ce mythe de la fusion primitive qui était le véritable point
d'attraction, centre de polarisation pour tout ce qui dans la pratique
analytique se présente comme ayant une valeur réductive, une valeur de la
régression. La cristallisation de l'analyse dans le rapport seulement
enfant-mère, dans la thématique de la frustration, dans le registre de la
demande à son origine, dans cette espèce de rêve de paradis premier à retrouver
n'a absolument rien à faire avec quoique ce soit ni dans les visées, ni dans
l'origine, ni dans la pratique de l'analyse. Là-dessus, il y a vraiment une
limite à trancher [d'avec ce] qui pourrait conserver encore quoique ce soit
du mirage, tel qu'il fut à ce titre d'utilisation dans la psychanalyse et
qui n'a absolument rien à faire avec ce que j'enseigne et ce que j'essaie pour
vous de construire. Bon, il est très tard, je regrette que tout ceci puisse
prendre une parole, un air si bâclé, mais au moins, vous aurez eu là-dessus
quelques affirmations tranchantes dont vous ferez ce que vous pourrez. L'année
prochaine donc, avec la logique du fantasme, nous aborderons des choses qui nous
permettront aussi bien de justifier comment un certain nombre de constructions
peuvent se perpétuer dans l'analyse et les lier une par une, à tel ou tel type
d'erreur dans la conduite analytique.
C.
Stein
-J'aurais
bien voulu vous répondre.
Docteur
J. Lacan - Répondez,
répondez, répondez, il a droit de réponse. Oui, oui, oui, qu'il réponde, parce
qu'on a toujours le droit de répondre.
C
Stein - Partiellement
mais de manière très simple. Or, je dirai premièrement que quand vous me
faites en somme le procès que je fais moi-même à Grünberger. Je vois bien dans
la régression..., je crois que vous n'en tenez pas
-415-
L'objet
de la psychanalyse
compte,
vous m'opposez ce que j'oppose à Grünberger récemment que le narcissisme
est une instance autonome et le moteur de la cure. Or comme vous le savez en ce
n'est pas mon point de vue.
Docteur
J. Lacan
- Ça
c'est vrai. je n'ai pas dit que ce fut le moteur.
C.
Stein
- Alors
pour moi les coordonnées de la situation analytique sont celles des deux
mouvements du refoulement et de la régression, disons plutôt de la régression
que du refoulement, la régression vient en premier. Qu'est-ce que ça veut dire?
je m'en réfère au premier schéma de l'appareil de l'âme ou de l'appareil
psychique de Freud, n'est-ce pas. je n'entre pas dans le détail, nous avons ici
des perspectives venues du monde extérieur, et nous avons ici des
perceptions endopsychiques, de... ou de conscience. Or dans une note, Freud
nous dit, qu'on comprend où se déroule et où se situe cet autre schéma qui est
celui du rêve, il faut comprendre que cet appareil peut s'enrouler sur lui-même,
il donne donc quelque chose comme ceci.
Docteur
j. Lacan
- Il a
fait la bande de Moebius, déjà?
C
Stein
- Si ont
fait donc ce mouvement, il est bien entendu que ces deux flèches viennent ici se
superposer, donc il y a abolition de ces distinctions qui sont tout à fait
centrales à travers toute la métapsychologie freudienne de la distinction
entre les représentations endopsychiques et les représentations venues du monde
extérieur. Régression topique, pour moi, le mouvement de la régression
topique est celui qui fait l'abolition de la distinction entre les
représentations endopsychiques et les représentations extérieures par
l'enroulement de l'appareil. Le mouvement inverse, l'ouverture de cet appareil
est donc correspondant au mouvement du refoulement pour des raisons que je
ne peux rappeler maintenant. Ça a été le premier
point.
Alors
deuxième point, j'en viens maintenant à votre système topologique. Cette
topologie est faite pour rendre compatible ce que vous... Quand vous avez fait
ça cela n'a aucunement la conséquence que le sujet devienne infini ou fondu avec
qui que ce soit. Il reste ce qu'il est, un... Alors je vous prie quand même de
bien vouloir noter une chose, c'est que je n'ai jamais dit qu'aucun des deux
mouvement ne pouvaient s'accomplir complètement et que tout le jeu était dans
l'oscillation entre ces deux tendances. Vous m'attribuez l'idée que cette
fermeture, cette régression vers le narcissisme primaire puisse
s'accomplir, or je précise bien qu'il ne saurait être question qu'elle
s'accomplisse.
Docteur
J. Lacan
- Vous dites
qu'elle est constituée par la situation analytique.
C
Stein
- Non.
Docteur
J. Lacan
- Que
la séance part de là, à savoir... écoutez, je vais vous
dire
un mot qui nous différencie, je vois bien ce que vous pouvez me dire pour
-416-
Leçon
du 22 juin 1966
vous
défendre, que vous avez installé par rapport à ça, forcément, un autre pôle. Si
vous n'avez pas mis d'autre pôle, mais il n'y aurait jamais aucune raison qu'ils
sortent de leur ciel bleu. Moi, ce que je vous dis et qui nous différencie,
c'est quelque chose qui peut s'exprimer de la façon suivante : l'Autre n'est en
aucun cas un lieu de félicité.
C
Stein
- Je
ne crois pas qu'il s'agit de me défendre mais pour répondre, donc vous me prêtez
malgré tout l'idée, vous en convenez aussi que je n'ai pas précisé que cette
régression pourrait s'accomplir mais ce que l'ordonnance même de la situation
analytique, telle qu'elle est proposée par le psychanalyste induit chez le
patient, c'est justement le mythe du paradis perdu en tant que mythe justement,
tout tourne autour de là. Moi je ne dis pas qu'on atteint le paradis pendant la
séance d'analyse, mais qu'on se sent, qu'on se sent appelé à l'atteindre et que
le mouvement d'angoisse vient justement marquer l'arrêt dans cette affaire.
L'avantage...
Docteur
J. Lacan
-je
prends là-dessus position. Je suis radicalement opposé à ce que nous puissions
considérer comme sain de faire fonctionner d'aucune façon dans notre théorie a
fortiori dans notre pratique, un mythe quelconque de cet ordre. Ce n'est pas le
paradis qui est perdu. C'est un certain objet.
C
Stein
- Il est
possible que le paradis perdu soit incarné par ce certain objet. Le paradis
perdu, il en est tout de même question tout au long de l'auto-analyse de
Freud, elle tourne autour de cela d'un bout à l'autre. Je continue:
l'inconvénient de cet enroulement, c'est qu'il aboutit à quelque chose qui
est informe, qui n'existe pas.
Docteur
J. Lacan
- Ce
n'est pas vrai du tout, c'est tout ce que je vous enseigne, ma topologie est
tellement précise que vous ne pouvez pas y faire une coupure sans que cela ait
des conséquences absolument mathématiques. Vous ne pouvez
pas!
C
Stein
- N'empêche
que pour le montrer mathématiquement, il faut ce que vous avez introduit, il
faut cette mitre, ce cross-cap. Ceci est d'une manière plus rationnelle au point
de vue mathématique de représenter les conséquences de cela, je crois; non, vous
êtes d'accord?
Docteur
J. Lacan
- C'est
une manière tout à fait rigoureuse. C
Stein - Alors
que celle-là n'est pas rigoureuse!
Docteur
J. Lacan
- Ce
n'est pas une raison pour que vous disiez que c'est la confusion. La confusion
dans le schéma, peut être et encore, il est très clair ce schéma. C'est une
fente.
C.
Stein
- Attendez,
maintenant je vais vous poser une question.
Voilà
donc... ces deux sphères. Je crois qu'il n'existe en mathématique aucun système
de transformation qui permette de faire coïncider leur surface.
-417-
L'objet
de la psychanalyse
Docteur
J. Lacan
- A ces sphères? Oh! mon cher ami... Ne vous avancez pas là-dessus, parce que
là-dessus vous n'en savez pas lourd. A la seule condition d'avoir une quatrième
dimension, vous pouvez retourner la sphère comme un gant sauf si elle
est...
C.
Stein
- Si nous avons deux êtres comme ceci, n'est-ce pas, là je vous pose la
question, mais je suppose que sans passer par aucune quatrième dimension on peut
superposer leurs deux surfaces.
Docteur
J. Lacan
- Si je vous ai appris la bouteille de Klein
cette
année, c'est parce qu'une bouteille de Klein
est
exactement faite, vous pourriez aussi la représenter comme ça... Si vous voulez
une sphère avec... Une bouteille de Klein
équivaut
à ça. Je n'ai pas eu le temps de vous l'expliquer encore parce que c'était
évidemment un peu difficile, déjà de vous faire comprendre que c'était la
bouteille de Klein-,
si
tant est que j'y suis arrivé!
C.
Stein
- En somme la particularité de cette représentation dont je vous parlais,
c'est qu'elle n'a pas un intérieur et un extérieur et qu'il n'y a pas de
représentations endopsychiques et de représentations externes. Or vous avez
dit une fois et je pense que vous continuez à le dire, que nous devons
considérer, nous représenter l'inconscient comme une surface infiniment plate.
Cette surface, c'est celle-ci, or je crois c'est que, moi, j'aurais tendance à
dire que cette surface est la surface sur laquelle vient s'inscrire tout ce dont
nous pourrons rendre compte concernant les processus qui se déroulent au cours
de l'analyse et que vous ne tenez aucun compte effectivement des..., vous basant
sur le point de vue mathématique. Ces mathématiciens ne s'intéressent pas au
volume. Or si vous voulez, ce que je pense et que sur votre surface, pour moi,
ce que vous dites être l'inconscient, c'est la surface sur laquelle j'inscris ce
que nous pouvons en dire de l'inconscient mais je crois que là où nous nous
séparons peut-être ou provisoirement c'est que, moi, je fais un sort au volume
que ces deux êtres délimitent, or ces deux êtres finis délimitent deux
volumes intérieurs et l'espace extérieur.
Docteur
J. Lacan
- Oui c'est comme ça, c'est bien ce que je disais.
C.
Stein
- Bon! Cet être n'est pas fini, au sens où il ne délimite pas un volume
intérieur et un volume extérieur. Or, ces deux êtres finis, il faut d'abord les
transformer, en ceci, pour pouvoir ensuite les faire
coïncider.
Docteur
J. Lacan - C'est tout à fait impossible.
C.
Stein
- C'est impossible ?
Docteur
J. Lacan
- C'est impossible, il faut transformer l'un à l'autre. Il faut choisir son
modèle.
C
Stein
- C'est ce que je dis.
Docteur
J. Lacan
- Il faut choisir son modèle et ce que vous exprimez là...
-418-
Leçon
du 22 juin 1966
C
Stein
- Quand
je dis transformation, ce n'est pas une transformation mathématique, il s'agit
de changer de système de référence.
Docteur
J. Lacan
- Tout
à fait.
C
Stein
- Or
le système de référence qui est celui de l'aboutissement du refoulement est
celui-ci et le système de référence de l'aboutissement de la régression topique
est celui-là. C'est seulement dans ce système de référence que nous pouvons
faire coïncider deux êtres et nous voyons bien quand dans leur coïncidence ils
ne sont pas finis. Et dans le système de référence où ils sont fixés, ils ne
peuvent pas coïncider et j'opère avec ces deux systèmes de référence comme
étant les deux pôles. Les deux pôles de représentation entre lesquels se déroule
l'opposition entre le mouvement de la régression et le mouvement de refoulement
qui est...
Docteur
J. Lacan
-je
ne sais pas si on a bien entendu ce que vous venez de dire comme je l'ai entendu
moi-même et nous ne pouvons pas indéfiniment prolonger, vous ne pouvez pas
articuler plus clairement que vous conservez simultanément deux systèmes de
références complètement incompatibles l'un avec l'autre.
C.
Stein
- Absolument.
Docteur
J. Lacan
- Bon.
C'est ce que voulais vous faire dire.
C
Stein
- Et
je crois que c'est cette double conservation qui nous a introduit dans le
registre de l'imaginaire.
-419-