XV- L'acte psychanalytique
version
rue CB note
22 novembre 1967
(p28->) Je ne peux pas dire que votre affluence cette année ne me pose pas de
problème. Qu'est-ce que ça veut dire pour un discours qui, si
l'on en doutait, je l'ai assez répété pour qu'on le sache,
qui, essentiellement s'adresse aux psychanalystes. Il est vrai que ma place
ici, celle d'où je vous parle, témoigne déjà assez
de quelque chose d'advenu qui me pose vis-à-vis d'eux en position excentrique.
Celle-là même où depuis des années en somme, je ne
fais qu'interroger ce que j'ai pris cette année pour sujet :l'acte psychanalytique.
Il est clair que ce que j'ai dit la dernière fois, ne pouvait rencontrer
que cette rumeur de satisfaction qui m'est parvenue concernant l'opinion générale
de l'assistance, si je puis m'exprimer ainsi, qui à la vérité
pour une part (ceux, il faut bien qu'il y en ait vu ce nombre, qui viennent
ici pour la première fois) pour une part donc, qui venait pour voir parce
qu'on leur avait dit qu'ils n'allaient rien comprendre. Eh bien! ils ont eu
une bonne surprise.
A la vérité comme je l'ai indiqué au passage, parler de
Pavlov à l'occasion comme je le faisais, c'était bien tendre la
perche au sentiment de compréhension; comme je l'ai dit, rien n'est plus
estimé que l'entreprise pavlovienne, tout spécialement à
la Faculté des Lettres. Mais c'est tout de même de ce côté
là que dans l'ensemble vous me venez. Est-ce à dire que ce soit
cette sorte de satisfecit qui, d'aucune façon, me comble ? Vous vous
doutez : certainement pas, puisque après tout, aussi bien ce n'est pas
ce que non plus vous venez chercher.
Pour aller au vif, il me semble que si quelque chose peut expliquer décemment cette affluence, c'est quelque chose qui en tout cas ne reposerait
pas sur ce malentendu auquel je ne me prête pas, d'où la façon
d'attente à laquelle je faisais allusion tout à (p29->) l'heure, c'est
tout de même quelque chose qui, lui, n'est pas malentendu, et qui m'incite
à faire de mon mieux pour faire face à ce que j'ai appelé
cette affluence. C'est que, à plus ou moins haut degré, ceux qui
viennent, dans l'ensemble, c'est parce qu'ils ont le sentiment qu'ici s'énonce
quelque chose qui pourrait bien, qui sait, tirer à conséquence.
Il est évident que, s'il en est ainsi, cette affluence est justifiée
puisque le principe de l'enseignement que nous qualifierons, histoire de situer
grossièrement les choses, enseignement de Faculté, c'est précisément
que quoi que ce soit de tout ce qui touche aux sujets les plus brûlants,
voire d'actualité, politique par exemple, tout cela soit présenté,
mis en circulation précisément de telle façon que ça
ne tire pas à conséquence. C'est tout au moins la fonction à
quoi satisfait depuis longtemps dans les pays développés l'enseignement
universitaire. C'est bien pour ça d'ailleurs que l'université
y est chez elle, car là où elle ne satisfait pas, dans les pays
sous-développés, il y a tension. C'est donc qu'elle remplit bien
sa fonction dans les pays développés. C'est qu'elle a ceci de
tolérable : que quoi que ce soit qui s'y profère n'entraînera
pas de désordre.
Bien sûr, ce n'est pas sur le plan du désordre que nous considérerons
les conséquences de ce que je dis ici, mais le public soupçonne
qu'à un certain niveau qui est précisément celui de ceux
à qui je m'adresse, à savoir les psychanalystes, il y a quelque
chose de tendu. C'est en effet ce dont il s'agit quant à l'acte psychanalytique,
car aujourd'hui nous allons nous avancer un peu plus loin, nous allons voir
ce qu'il en est de ceux qui, cet acte, le pratiquent, c'est-à-dire, c'est
cela qui les définit, qui d'un tel acte sont capables, et capables de
façon telle qu'ils puissent s'y placer comme on dit entre les autres
actes, sports ou techniques, en tant que professionnels.
Assurément, de cet acte, en tant qu'on en fait profession, il résulte
une position dont il est naturel qu'on se sente assuré pour ce qu'on
sait, ce qu'on tient de son expérience. Néanmoins, c'est là
une des façons, un des intérêts de ce que j'avance cette
année, il résulte de la nature propre de cet acte un champ dont,
il est inutile de le dire, je n'ai même pas la dernière fois effleuré
les bords; il tient à la nature de cet acte des conséquences plus
sérieuses quant à ce qui en résulte de la position qui
est à tenir d'être habile à l'exercer.
(->p30) C'est là que prend place, singulièrement, vous allez le voir, que je puisse à d'autres qu'à des analystes, à des non-analystes, donner à concevoir ce qu'il en est de cet acte qui, tout de même les regarde.
L'acte psychanalytique regarde, et fort directement, et d'abord dirai-je, ceux qui n'en font pas profession. Suffira-t-il ici d'indiquer que s'il est vrai, comme je l'enseigne, qu'il s'agit là de quelque chose comme d'une conversion dans la position qui résulte du sujet quant à ce qu'il en est de son rapport au savoir, comment ne pas aussitôt admettre qu'il ne saurait que s'établir une béance vraiment dangereuse à ce que seuls certains prennent une vue suffisante de cette subversion, puisque je l'ai appelée ainsi, du sujet. Est-il même concevable que ce qui est subversion du sujet, et non pas de tel ou tel moment élu d'une vie particulière, soit quelque chose de même imaginable comme ne se produisant qu'ici ou là, voire en tel point de rassemblement où tous ceux qui n'auraient pas subi ce tournant, l'un l'autre se réconfortent ?
Que le sujet ne soit réalisable que chez chacun, bien sûr, ne laisse
pas moins intact son statut comme structure précisément, et avancé
dans la structure. Dès lors, il apparaît déjà que
faire entendre non pas hors, mais dans un certain rapport à la communauté
analytique ce qu'il en est de cet acte qui intéresse tout le monde, ne
peut, à l'intérieur de cette communauté, que permettre
de voir plus clairement ce qui est désiré quant au statut que
peuvent se donner ceux qui, de cet acte, font profession agissante. C'est ainsi
que l'abord que nous nous trouvons cette année avoir pris de son bord,
comme nous avons pu la dernière fois en avancer d'abord ce qui s'impose,
précisément de distinguer, tel qu'on peut, à feuilleter
des pages, le voir présenter quelquefois, l'acte de la motricité.
Et aussitôt tentant de franchir quelques échelons qui ne se présentent
en aucun cas selon une marche apodictique, qui ne peut pas, qui ne veut pas
surtout, prétendre procéder par une sorte d'introduction qui serait
d'échelle psychologique de plus ou moins grande profondeur, c'est au
contraire dans la présentation des accidents concernant ce qui s'énonce
de cet acte, que nous allons chercher l'éclair diversement situé
de lumière qui nous permette d'apercevoir où en est véritablement
le problème. Ainsi pour avoir parlé de Pavlov, je ne cherchais
nulle référence classique à ce propos, mais à faire
remarquer ce qui est en effet dans le coin de pas mal de mémoires, à
savoir la convergence notée dans un ouvrage classique, celui de Dalbiez,
entre l'expérimentation pavlovienne (p31->) et les mécanismes de Freud.
Bien sûr, ça fait toujours son petit effet, surtout étant
donné l'époque. Vous n'imaginez pas, étant donné
l'arrière fond de la position psychanalytique, combien elle est sentie
précaire, quelle joie ont éprouvée certains à l'époque,
comme on dit, c'est-à-dire vers 28 ou 30, qu'on parla de la psychanalyse
en Sorbonne. Quel que soit l'intérêt de cet ouvrage, fait, je dois
dire, avec un grand soin, et plein de remarques pertinentes, la sorte de confort
qui peut se tirer du fait que M. Dalbiez articule, mon Dieu pertinemment, qu'il
y a quelque chose qui ne déroge pas au regard de la psychologie, de la
physiologie pavlovienne et des mécanismes de l'inconscient, est extrêmement
faible, extrêmement faible pourquoi? Pour ce que je vous ai fait remarquer
la dernière fois, à savoir que la liaison de signifiant à
signifiant en tant que nous la savons subjectivante de nature est introduite
par Pavlov dans l'institution même de l'expérience, et dès
lors il n'y a rien là d'étonnant à ce que ce qui s'en édifie
rejoigne les structures analogues à ce que nous trouvons dans l'expérience
analytique pour autant que vous avez vu que je pouvais y formuler la détermination
du sujet comme fondée sur cette liaison de signifiant à signifiant.
Il n'en reste pas moins, qu'à ceci près qu'elles se trouveront plus proches l'une de l'autre que chacune de la conception de Pierre Janet, c'est bien là que Dalbiez met l'accent. Nous n'aurons pas d'un tel rapprochement, fondé sur la méconnaissance justement de ce qui le fonde, gagné grand-chose. Mais ce qui nous intéresse bien plus encore, c'est la méconnaissance par Pavlov de l'implication que j'ai appelée, plus ou moins humoristiquement, structuraliste, pas du tout humoristiquement quant à ce qu'elle soit structuraliste, humoristiquement en tant que je l'ai appelée structuraliste lacanienne de l'aventure. C'est là que je me suis arrêté, suspendant autour de la question :
Qu'en est-il de ce qu'on peut appeler ici,
d'une certaine perspective, quoi ? une forme d'ignorance ? est-ce suffisant ?
Non. Nous n'allons tout de même pas, du fait qu'un expérimentateur
ne s'interroge pas sur la nature de ce qu'il introduit dans le champ de l'expérimentation,
(il est légitime qu'il le fasse, mais qu'il n'aille pas plus loin dans
cette question en quelque sorte préalable ! ) nous n'allons tout de même
pas ici introduire ces fonctions de l'inconscient.
Quelque chose d'autre est nécessaire qui,
à la vérité, nous manque. Peut-être cette autre chose
nous (p32->) sera-t-elle livrée de façon
plus maniable à voir, quelque chose de tout différent, à
savoir, allons tout de suite gros, un psychanalyste qui, devant un public, il
faut toujours tenir compte à quelle oreille s'adresse une formule quelconque,
un psychanalyste qui avance ce propos qui me fut récemment rapporté
: «je n'admets aucun concept psychanalytique, que je ne l'aie vérifié
sur le rat ! ».
Même à une oreille prévenue, et c'était le cas, au
moment de cet énoncé, c'était une oreille si l'on peut
dire, et à l'époque, car ce propos s'est tenu à une époque
déjà lointaine, disons d'une quinzaine d'années, c'était
à un ami communiste, puisque c'est lui qui après 15 années
me le rapportait, c'est à lui que s'adressait le psychanalyste en cause;
même à une oreille qui aurait pu y voir je ne sais quoi, comme
une réminiscence, le propos paraissait un peu gros.
La chose donc me fut rapportée récemment et loin d'émettre
un doute, je me mis à rêver tout haut, et m'adressant à
quelqu'un qui était à ma droite lors de cette réunion,
je dis : Un tel est tout à fait capable d'avoir tenu ce propos. Je le
nomme, je ne le nommerai pas ici, c'est celui que dans mes Écrits j'appelle
le « benêt ».
« Benêt », dit le dictionnaire excellent dont je vous parle
souvent, celui de Bloch et von Wartburg, est une forme tardive de benoît,
lequel vient de benedictus, et son acception moderne est une allusion fine,
qui résulte de ce propos inscrit au chapitre V paragraphe III de Mathieu
: « Heureux, bénis soient les pauvres d' esprit » .
A la vérité, ce qui me fait épingler du nom de benêt la personne dont il s'agit, dont il s'est trouvé aussitôt que mon interlocuteur m'a dit : « mais oui, c'est lui qui me l'a dit ». Jusqu'à un certain point, il n'y avait que lui qui avait pu dire ça.
Je ne tiens pas forcément en mésestime la personne qui peut dans
l'énoncé théorique de la psychanalyse, tenir de si étonnants
propos. Je considère le fait plutôt comme un fait de structure
qui, à la vérité, ne comporte pas à proprement parler
la qualification de pauvreté d'esprit. Ce fut plutôt pour moi un
geste charitable que de lui imputer le bonheur réservé aux dits
pauvres d'esprit. Je suis à peu près sûr qu'à prendre
telle position ce n'est pas d'un heur quelconque, ni bon, ni mauvais, dont il
s'agit, ni subjectif, ni objectif, mais qu'à la vérité
c'est plutôt hors de tout heur qu'il doit se sentir pour en venir à de telles (p33->) extrémités. Et
aussi bien d'ailleurs peut-on voir que son cas, loin d'être unique, si vous vous reportez à
telle page de mes Écrits, celle du discours de Rome où je fais
état de ce qu'avance un certain Massermann qui aux États-Unis
a la position de ce que dans Alain on appelle un Important. Cet Important, dans
la même recherche sans doute de confort, fait état avec gloire
des recherches d'un Monsieur Hudgins à propos desquelles je me suis arrêté à l'époque, c'est déjà bien loin, c'est l'époque
même du propos que je vous ai rapporté tout à l'heure; il
fait état avec gloire de ce qu'il a pu obtenir d'un réflexe lui
aussi conditionnel construit chez un sujet, lui, humain, de façon telle
qu'une contraction pupillaire venait à se produire régulièrement
à l'énoncé du mot contract. Les deux pages d'ironie sur
lesquelles je m'étends, parce qu'il fallait le faire à l'époque
pour être même entendu, à savoir si la liaison prétendument
ainsi déterminée entre le son et ce qu'il croit être le
langage, lui paraissait aussi bien soutenu si l'on substituait au " contract " "
marriage-contract ", ou " bridge-contract " , ou " breach of contract " ou même si
on concentrait le mot jusqu'à ce qu'il se réduise à sa
première syllabe, est évidemment signe qu'il y a là quelque
chose sur la brèche de quoi il n'est pas vain de se tenir, puisque d'autres
le choisissent comme un point clé de la compréhension de ce dont
il s'agit.
Peut-être après tout ce personnage me dirait-il que je ne peux
qu'y voir un appoint pour cette dominance que j'accorde au langage dans le déterminisme
analytique. Cela montre bien en effet à quel degré de confusion
on peut en arriver dans une certaine perspective.
L'acte psychanalytique, vous le voyez donc, ça peut consister à
interroger d'abord, et à partir - bien sûr, il le faut bien - de
ce que l'on considère comme à écarter, l'acte tel qu'il
est conçu effectivement dans le cercle psychanalytique, avec la critique
de ce que cela peut comporter. Mais cela peut tout de même aussi, cette
conjonction de deux mots, l'acte psychanalytique, nous évoquer quelque
chose de bien différent, à savoir l'acte tel qu'il opère
psychanalytiquement, ce que le psychanalyste dirige de son action dans l'opérance
psychanalytique. Alors là bien sûr, nous sommes à un tout
autre niveau.
Est-ce que c'est l'interprétation? Est-ce que c'est le transfert à
quoi nous sommes ainsi portés? Quelle est l'essence de ce qui du psychanalyste
en tant qu'opérant est acte ? Quelle est sa part dans le jeu ? Voilà (p34->) ce sur quoi les psychanalystes ne manquent pas en effet, entre eux, de s'interroger. Voilà à propos de quoi, Dieu merci, ils avancent des propositions
plus pertinentes, quoique loin d'être univoques ni même progressives
dans la suite des ans.
Il y a autre chose, à savoir l'acte, dirai-je, tel qu'il se lit dans la psychanalyse. Qu'est-ce pour le psychanalyste qu'un acte ? Il suffira, je pense, pour me faire entendre à ce niveau, que j'articule, que je rappelle, ce que tous et chacun vous savez, nul n'en ignore; en notre temps, à savoir ce qu'on appelle l'acte symptomatique, si particulièrement caractérisé par le lapsus de la parole ou aussi bien de ce niveau qui en gros peut être classé du registre comme on dit de l'action quotidienne, d'où le terme si fâcheux de Psychopathologie de la vie quotidienne, de ce qui à proprement parler a son centre de ce qu'il s'agisse toujours, et même quand il s'agit du lapsus de la parole, de sa face d'acte.
C'est bien ici que prend son prix le rappel que j'ai fait de l'ambiguïté
laissée à la base conceptuelle de la psychanalyse entre motricité
et acte et c'est assurément en raison de ces points de départ
théoriques que Freud favorise ce déplacement juste au moment où,
dans le chapitre auquel j'aurai peut-être le temps de venir tout à
l'heure, concernant ce qu'il en est de la méprise : Vergreifung, comme
il la désigne, il rappelle qu'il est bien naturel qu'on en vienne là
après 7 ou 8 chapitres sur le champ de l'acte, puisque comme le langage,
dit-il, nous resterons là sur le plan du moteur. Par contre, il est bien
clair que tout ce qui sera dans ce chapitre et dans celui qui le suit, celui
des actions accidentelles ou encore symptomatiques, il ne s'agira jamais que
de cette dimension que nous avons posée comme constitutive de tout acte,
à savoir sa dimension signifiante; rien dans ces chapitres qui ne soit
introduit concernant l'acte sinon ceci qu'il y est posé comme signifiant.
Néanmoins, ce n'est pas si simple, car s'il prend son prix, son articulation
d'acte significatif au regard de ce que Freud alors introduit comme inconscient
ce n'est certes pas qu'il s'affiche, qu'il se pose comme acte. C'est tout le
contraire. Il est là comme activité, plus qu'effacée et,
comme le dit l'intéressé, l'activité pour boucher un trou
qui n'est là que si l'on n'y pense pas, dans la mesure où l'on
ne s'en soucie pas, qui n'est là où il s'exprime, pour toute une
partie de ses activités, que pour occuper les mains supposées
distraites de toute relation mentale, (p35->) ou bien encore cet acte va mettre son
sens précisément sur ce qu'il s'agit d'attaquer, d'ébranler,
son sens à l'abri de la maladresse, du ratage. Voilà ce qu'est l'intervention
analytique, l'acte donc, renversement semblable à celui que nous avons
fait la dernière fois concernant celui de la face motrice même
du réflexe que Pavlov appelle absolu ; cette face motrice n'est pas dans
le fait que la jambe s'étende parce que vous tapez un tendon; cette face
motrice c'est là où on tient le marteau pour le provoquer. Mais
si l'acte est dans la lecture de l'acte, est-ce à dire que cette lecture
soit simplement surajoutée et que ce soit d'acte réduit Nachträglich
(après coup) qu'elle prenne sa valeur? Vous savez l'accent que j'ai mis
depuis longtemps sur ce terme qui ne figurerait pas au vocabulaire freudien,
si je ne l'avais pas extrait du texte de Freud, moi le premier et d'ailleurs
à la vérité pour un bon bout de temps le seul.
Le terme a bien son prix. Il n'est pas seulement freudien; Heidegger l'emploie,
il est vrai dans une visée différente quand il s'agit pour lui
d'interroger les rapports de l'être à la Rede. L'acte symptomatique,
il faut bien qu'il contienne déjà en soi quelque chose qui le
prépare au moins à cet accès, à ce qui pour nous,
dans notre perspective, réalisera sa plénitude d'acte, mais après
coup. J'y insiste, et il est important dès maintenant de le marquer,
quel est ce statut de l'acte ? Il faut le dire nouveau, et même inouï
si l'on donne son sens plein, celui d'où nous sommes partis, celui qui
vaut depuis toujours concernant le statut de l'acte.
Et puis quoi ? Après ces trois acceptions le psychanalyste, dans ses
actes d'affirmation, à savoir ce qu'il profère quand il a à
rendre compte tout spécialement de ce qu'il en est pour lui de ce statut
de l'acte, et là la faveur des choses fait que tout récemment
justement on a eu dans un certain cadre, qui s'appelle celui des psychanalystes
de langue romane, à faire rapport, compte-rendu de ce qu'on envisage
du point de vue du psychanalyste autorisé concernant le passage à
l'acte, et encore l'acting out. Voilà après tout, pourquoi pas,
un très bon exemple à prendre ce que j'ai fait d'ailleurs, puisqu'il
est à notre portée, j'ai ouvert le rapport de l'un d'eux qui s'appelle
Olivier Flournoy, nom célèbre, troisième génération
de grands psychiatres, le premier étant Théodore, le second Henri,
et vous savez le cas célèbre par quoi Théodore reste immortel
dans la tradition analytique, cette clairvoyante délirante au nom merveilleux
dont il a fait tout un ouvrage et dont vous ne sauriez trop profiter si l'ouvrage
vous tombe (p36->) sous la main, je crois qu'il n'est pas courant pour l'instant. Donc
à la troisième génération, ce garçon nous
avance quelque chose qui consiste à prendre au moins une partie du champ, celle que n'a pas pris l'autre
rapporteur, qui parlait de l'acting-out, lui il va se porter sur l'agir, et
comme agir il y a, sans doute croit-on non sans fondement concernant le transfert,
il avance sur le transfert quelques questions qui, aussi bien, valent propositions.
Je ne vous en donnerai pas, bien sûr, lecture, car rien n'est plus difficile à tenir qu'une lecture devant un aussi large public, néanmoins pour en donner le ton, je vous prendrai le premier paragraphe qui s'énonce à peu près ainsi :
« De cette revue de l'évolution récente des idées
dont on retire toujours l'impression de quelque chose d'obscur et d'insatisfaisant...
mais pourquoi une régression implique-t-elle le transfert, c'est-à-dire
l'absence de remémoration et l'agir sous forme de transformation de l'analyste,
par projection et introjection, et pourquoi n'implique-t-elle pas seulement
une conduite régressive ? C'est-à-dire sa propre structure. En
d'autres termes, pourquoi évoque-t-elle le transfert? Pourquoi une situation
infantilisante implique-t-elle le transfert, et non pas une conduite infantile
basée sur le modèle d'une conduite enfant-parents, faisant allusion
à un autre registre qui met l'accent sur le développement et sur
les antécédents du développement et non plus sur la catégorie
propre de la régression qui fait allusion aux phases repérées
dans l'analyse, voire, ajoute-t-il, répétant une situation conflictuelle
et même y puisant ses forces .
Est-ce là assez pour conférer à cette conduite l'épithète
du transfert ? Que veux-je dire, en vous annonçant déjà
la question introduite sur ce ton, c'est assurément et toute la suite
nous le démontre, un certain ton, un certain mode d'interroger le transfert,
je veux dire, à prendre les choses assez vivement, et en mettant son
concept même aussi radicalement que possible en question, c'est là,
chose que j'ai faite moi-même il y a très exactement 9 ans ou plus
exactement 9 ans et presque une demi année dans ce que j'ai intitulé Direction de la cure et principe de son pouvoir " .
A la vérité vous pourrez y trouver au chapitre III page 102 (602 selon autre source) , où
en est-on avec le transfert, les questions qui se sont posées là,
posées et développées avec infiniment plus d'ampleur et
d'une façon qui à l'époque, était absolument sans
équivalent. Je veux dire que ce (p37->) qui depuis a fait son chemin, je ne dis
certes pas grâce à mon frayage mais par une espèce de convergence
des temps, ce qui a fait par exemple qu'un nommé Sachs a posé les questions les plus radicales concernant
le statut du transfert, et même je dirai, si radicales qu'à la
vérité, le transfert est considéré comme tellement
à la merci du statut même de la situation analytique qu'il est
proprement posé comme le concept même qui rendrait la psychanalyse
digne d'objection. Car les choses en sont au point qu'un psychanalyste de la
plus stricte observance et fort bien situé dans la hiérarchie
américaine ne trouve rien de mieux à dire, pour définir
le transfert, que c'est un mode de défense de l'analyste, que c'est pour
tenir à distance les réactions, quelles qu'elles soient, qui s'obtiennent
dans la situation et qui pourraient lui paraître l'intéresser trop
directement, le concerner, relever de sa responsabilité, à proprement
parler, que l'analyse forge, invente ce concept de transfert, grâce à
quoi il tranche, il juge de telle façon qu'il dit, en somme, essentiellement
dans le fondement radical de ce concept n'avoir lui-même aucune part dans
les dites réactions et nommément pas en étant là
comme analyste, mais simplement être capable d'y pointer ce qu'elles ont
en elles de reprise, de reproduction de comportement antérieur, d'étapes
vivantes du sujet, qui se trouve les reproduire, les agir au lieu de les remémorer.
Voilà ce dont il s'agit et ce à quoi Flournoy s'affronte, sans
doute avec quelque tempérament, mais donnant toute sa place à
la conception, ou à l'extrême de la position à quoi semblent
réduits à l'intérieur même de la psychanalyse, ceux
qui se croient en place de la théoriser.
Si cette position, extrême, qui dès lors qu'elle est introduite
va à ses conséquences, je veux dire que pour Sachs tout reposera
donc en dernière analyse sur la capacité d'objectivité
stricte de l'analyste, et comme ce ne peut être là en aucun cas
qu'un postulat, toute l'analyse de ce côté est vouée à
une interrogation radicale, à une mise foncière en question de
tout point où elle intervient.
Dieu sait, que je n'ai jamais été si loin, et pour cause, dans
la mise en question de l'analyse et il est en effet remarquable aussi bien qu'étrange,
que dans les cercles où l'on s'attache le plus à maintenir socialement
son statut, les questions puissent en somme à l'intérieur du dit
cercle être poussées si loin qu'il ne s'agisse de rien moins que
de savoir si l'analyse en elle-même est fondée ou illusoire.
(p38->) Il y aurait là un phénomène très troublant si nous
ne trouvions pas dans
le même contexte, si l'on peut dire, le fondement de ce qu'on appelle
l'information, qui est institué sur la base de la totale liberté.
Seulement, ne l'oublions pas, nous sommes dans le contexte américain,
et chacun sait que quelle que soit l'ampleur d'une liberté de penser,
une liberté de jugeote et de toutes les formes sous lesquelles elle s'exprime,
nous savons très bien ce qu'il en est, c'est à savoir que, en
somme, on peut dire n'importe quoi, que ce qui compte c'est ce qui est déjà
bel et bien installé. Par conséquent à partir du moment
où les sociétés psychanalytiques sont fermement assises
sur leur base, on peut aussi bien dire que le concept de transfert est une foutaise.
Ça n'affecte rien. C'est de cela qu'il s'agit. Très précisément
c'est aussi bien là que, pour suivre un autre ton, notre conférencier
s'engouffre et que, dès lors, nous allons voir le concept de transfert
remis à la discrétion d'une référence à ce
qu'on peut bien appeler tout de même une historiette, celle dont sans
doute, apparemment, il est sorti, à savoir l'histoire de Breuer, de Freud
et d'Anna O. qui, entre nous, montre des choses beaucoup plus intéressantes
que ce qu'on en fait à cette occasion, et ce qu'on en fait à cette
occasion, va fort loin; je veux dire qu'on nous mettra en valeur la relation
tierce, bien entendu, le fait que Freud a pu d'abord se protéger, se
défendre lui-même comme on dit, et sous le mode du transfert, en
se mettant à l'abri du fait que, comme il le dit à sa fiancée,
car il y a aussi la fiancée naturellement dans l'explication dont il
s'agit, car il va s'agir de rien de moins que ce que j'appelais l'autre jour
l'acte de naissance de la psychanalyse, il va dire à sa fiancée
que c'est des choses bien sûr qui ne peuvent arriver qu'à un type
comme Breuer.
Un certain style de pertinence, voire d'audace à bon marché, celui
qui va nous faire apparaître le transfert comme lié entièrement
à ces conjonctions accidentelles, voire plus tard comme l'annonce l'un
d'entre eux, un spécialiste de l'hypnose, que lorsque plus tard l'incident
se reproduira avec Freud lui-même, à ce moment-là est entrée
la bonne. Qui sait, si la bonne n'était pas rentrée, ce qui se
serait passé ? Alors là Freud a pu rétablir la situation
tierce; le surmoi bonnique a joué son rôle et lui a permis de rétablir
ce qu'il en est dès lors, de la défense naturelle - c'est écrit
dans ce rapport - quand une femme au sortir de l'hypnose vous saute au cou,
c'est de se dire : « mais je l'accueille comme une fille ».
(p39->) Cette sorte de müben
des bagatelles, c'est évidemment ce qui fait de plus en plus la loi de
ce que j'ai appelé tout à l'heure l'acte d'affirmation de l'analyste.
Plus on s'affirme de bagatelles, plus on engendre de respect.
Il est tout de même singulier que ce rapport qui, sans doute ceci se voit
à bien des signes, et c'est en ce sens que je vous prie à l'occasion
d'en prendre connaissance, - ça fera monter l'achat de la prochaine Revue
de psychanalyse, organe de la Société Psychanalytique de Paris
-, de voir s'il n'y a pas quelque rapport entre cette méditation hardie
et ce que j'énonçais 9 ans auparavant. A la vérité,
la question restera éternellement intranchée puisque l'auteur
dans ces lignes n'en donne aucun témoignage, mais quelques lignes quelques
pages plus loin, il lui arrive quelque chose, à savoir qu'au moment où
il parle, mon Dieu, de ce qui est en question - car c'est une avancée
personnelle -, le ton qu'il vient donner aux choses, consiste à y mettre
en valeur ce qu'il appelle noblement la " relation intersubjective ".
Chacun sait que si on lit hâtivement le Discours de Rome on peut croire
que c'est de ça que je parle. On peut découvrir la dimension de
la relation intersubjective par d'autres truchements que moi, puisque cette
erreur, ce contresens qui consiste à croire que c'est ce que j'ai réintroduit
dans une psychanalyse qui l'ignorait trop, a été fait par maintes
personnes qui m'entouraient alors, et qu'à être formé par
icelles on peut bien en effet avancer l'expérience intersubjective comme
référence à rappeler dans ce contexte.
... « C'est ce contexte intersubjectif écrit-on, qui me paraît original dans l'analyse, il fait éclater les camisoles de force des diagnostics dits " d'affection mentale ", non pas que la psychopathologie soit un vain mot, elle est à coup sûr indispensable pour l'échange entre individus hors de l'expérience, mais son sens s'évanouit pendant la cure ». Vous voyez le ton à ceci près que entre " non pas que la psychopathologie soit un vain mot ", et " elle est à coup sûr indispensable ", une parenthèse éclate dont je vous demande ce qui la justifie là.
" A ce
propos en relisant un Écrit de Lacan, j'ai été étonné
de voir qu'il parlait du malade, lui qui s'oriente vers le langage avant tout
" . . .
C'est dans mon propos vous allez voir ; je dois dire que je ne sais pas dans lequel de mes Écrits je parle du malade, ce n'est en effet pas tout à fait ma façon.
(p40->) Je n'y verrais pas en tous les cas d'objection, mais l'idée
de refeuilleter les 950 pages de mes Écrits pour savoir où je
parle du malade ne me serait assurément pas venue.
A la page 70 par contre, je trouve : « le désir », désir
de ce qu'on n'est
pas, désir qui ne peut pas être satisfait, ou même désir
d'insatisfaction tel que Lacan, Lacan dans le même écrit cité... (Ah soulagement,
nous allons pouvoir aller voir)... dans le même écrit cité
le présente lestement à propos de la bouchère; et il y
a une petite note (ce que je dis de la bouchère, qui est assez connu,
car c'est un morceau plutôt brillant, on pourrait s'attendre que ce soit
à ça qu'on renvoie, pas du tout, on renvoie à la bouchère
dans Freud). Bon à moi ça me sert. Je peux aller chercher non
pas le passage de la bouchère que vous trouverez page 620, mais ce dont
il s'agit :
... « Cette théorie, (je prends la seconde théorie du transfert)
à quelque point de ravalement qu'elle soit venue ces derniers temps en
France, - il s'agit de la relation d'objet, et comme je m'explique, il s'agit
de Maurice Bouvet )- a, comme le génétisme, son origine noble ».
C'est Abraham qui en a ouvert le registre, la notion d'objet partiel est sa
contribution originale. Ce n'est pas ici le lieu d'en démontrer la valeur.
Nous sommes plus intéressés à en indiquer la liaison à
la partialité de l'aspect qu'Abraham détache du transfert pour
le promouvoir dans son opacité comme la capacité d'aimer, comme
si c'était là, cette (capacité d'aimer), une donnée
constitutionnelle chez le malade où puisse se lire le degré de
sa curabilité ...
Je vous passe la suite, ce « chez le malade » est donc mis à l'actif d'Abraham.
Je m'excuse d'avoir développé devant vous une histoire aussi longue, mais c'est pour faire le lien entre ce qu'à l'instant j'appelais le psychanalyste dans ses actes d'affirmation et l'acte symptomatique sur lequel je mettais l'accent l'instant d'avant. Car qu'est-ce que Freud nous apporte dans La psychopathologie de la vie quotidienne à propos justement des erreurs et proprement de cette espèce ?
C'est, nous dit-il, et il le dit savamment, à propos des trois erreurs
qu'il fait dans l'interprétation des rêves. Il les lie expressément
au fait qu'au moment où il analyse les rêves en question il y a
quelque chose qu'il a retenu, mis en suspens du progrès de son (p41->) interprétation.
Quelque chose était retenu en ce point précis vous le verrez au
chapitre X, qui est celui des erreurs, à propos de trois de ces erreurs,
nommément celle de la fameuse station Warburg, qui était Warbach,
d'Annibal qu'il a transformé en Asdrubal et de je ne sais quel Médicis
qu'il a attribué à l'histoire de Venise, ce qui est en effet singulier ;
c'est toujours à propos de quelque chose où en somme il retenait
quelque vérité qu'il a été induit à commettre
ces erreurs.
Le fait que ce soit précisément après avoir fait cette
référence à la belle bouchère qui était bien
difficilement évitable étant donné que suit un petit morceau
qui est ainsi écrit : « Désir d'avoir ce que l'autre a pour
être ce que l'on n'est pas; désir d'être ce que l'autre est
pour avoir ce que l'on n'a pas, voire désir de ne pas avoir ce que l'on
a » etc. c'est-à-dire, un très direct extrait, - et je dois
le dire un petit peu amplifié, mais amplifié d'une façon
qui ne l'améliore pas -, de ce que j'ai écrit justement autour
de cette direction de la cure, quant à ce qu'il s'agit de la fonction
phallique. Ne voila-t-il pas touché le fait qu'il est singulier qu'on
soit reconnaissant, par cette erreur évidemment, sinon par la référence
irrépressible à mon nom, même si on le met sous la rubrique
de je ne sais quel achoppement incompréhensible de la part de quelqu'un
qui parle du langage avant tout, comme il s'exprime, est-ce qu'il n'y a pas
là quelque chose qui nous fait nous interroger? Sur quoi ? Sur ce qu'il
en est de ceci qu'au regard d'une certaine analyse, d'un certain champ de l'analyse,
qu'on ne puisse, même à s'appuyer expressément sur ce que
j'avance, le faire qu'à condition de le renier, dirai-je. Est-ce qu'à
soi tout seul ceci ne nous pose pas un problème qui n'est autre que le
problème, dans l'ensemble, du statut que reçoit l'acte psychanalytique,
d'une certaine organisation cohérente et qui est, pour l'instant, celle
qui règne dans la communauté qui s'en occupe.
Faire cette remarque, manifester le surgissement, à un niveau qui n'est
certes pas celui de l'inconscient, d'un mécanisme qui est précisément
celui que Freud met en valeur au regard de l'acte, je ne dirai pas le plus spécifique,
mais de la nouvelle dimension de l'acte qu'introduit l'analyse, ceci même,
je veux dire faire ce rapprochement, et en poser la question, ceci même
est un acte, le mien. Je vous demande seulement pardon qu'il m'ait pris pour
se clore un temps qui a pu vous paraître démesuré; mais
ce que je vou-(p42->)drais ici introduire c'est quelque chose qui m'est bien difficile
à introduire devant une assemblée justement aussi nombreuse, où
les choses peuvent retentir de mille façons déplacées.
Je ne voudrais pas, pourtant, que soit déplacée la notion que
je veux introduire. J'aurai sans doute à la reprendre. Elle a vous allez
voir, son importance. Elle n'est pas sans que depuis longtemps sous ses formes
clefs que j'emploie, je n'en aie annoncé la venue un beau jour.
Éloge de la connerie.
Il y a longtemps que j'en ai produit le projet, l’œuvre éventuelle,
disons qu'après tout, à notre époque ce serait là
chose à mériter le succès véritablement prodigieux dont on ne peut se surprendre qui est celui qui fait que
dure encore dans la bibliothèque de tout un chacun, médecin, pharmacien,
dentiste, " L'éloge de la folie d'Erasme " qui, Dieu sait, ne nous atteint
plus.
L'éloge de la connerie serait assurément opération plus
subtile à mener car, à la vérité, qu'est-ce que
la connerie ? Si je l'introduis au moment de faire le vrai pas essentiel concernant
ce qu'il en est de l'acte analytique, c'est pour faire remarquer que ce n'est
pas une notion. Dire ce que c'est est difficile. C'est quelque chose comme un
nœud, un nœud autour de quoi s'édifient bien des choses, et
se délèguent toutes sortes de pouvoirs, qui est assurément
quelque chose de stratifié, et on ne peut pas la considérer comme
simple. A un certain degré de maturité, si je puis dire, c'est
plus que respectable. Ça n'est peut-être pas ce qui mérite
le plus de respect mais c'est assurément ce qui en recueille.
Je dirai que ce respect relève d'une fonction particulière, qui
est tout à fait liée à ce que nous avons à mettre
ici en relief une fonction de « déconnaissance » si je puis
m'exprimer ainsi, et si vous me permettez de m'amuser un peu, de rappeler qu'«
il déconnait » dit-on. Est-ce qu'il n'y a pas là un cryptomorphème
? Est-ce que ça ne serait pas à le prendre au présent que
surgirait le statut solidement établi de la connerie ?
On croit toujours que c'est un imparfait : " il déconnait à
plein tuyaux... " par exemple. Mais c'est qu'à la vérité,
c'est là un terme qui, comme le terme de " je mens " fait
toujours obstacle à être employé au présent.
Quoi qu'il en soit, il est fort difficile de ne pas ( p43-> ) voir que le statut de la
connerie en question en tant qu'institué sur le « il déconnait
» ne revêt pas seulement le sujet que le dit verbe comporte. Il
y a là dans cet abord je ne sais quoi d'intransitif et de neutre du genre
« il pleut » qui fait toute la portée du dit morphème.
L'important, c'est : il déconnait quoi ? Eh bien, c'est là ce par quoi se distingue ce que j'appellerai la vraie dimension de la connerie. C'est que ce " elle déconnait " , c'est quelque chose qui, à la vérité, est ce qui mérite d'être affecté de ce terme, à savoir de s'appeler la connerie. La vraie dimension de la connerie est indispensable à saisir comme étant ce à quoi a à faire l'acte psychanalytique. Car si vous y regardez de près et nommément dans ces chapitres que Freud nous met sous la rubrique de la méprise et sous celle des actes accidentels et symptomatiques, ces actes se distinguent tous et tout un chacun par une grande pureté. Mais observez quand il s'agit par exemple de la célèbre histoire de tirer ses clés devant telle porte, qui sont justement celles qui ne conviennent pas; prenons les cas dont Jones parle, parce que Freud a montré la signification et la valeur de ce que peut avoir ce petit acte, Jones va nous raconter une histoire qui se termine par : « J'aurais aimé être ici comme chez moi ». Dix lignes plus loin nous sommes à la clôture d'une autre histoire qui interprète le même geste à dire: « J'aurais été mieux chez moi ». Ce n'est tout de même pas pareil !
De la pertinence de la notation de cette fonction de lapsus, du ratage dans
l'usage de la clé à son interprétation flottante, équivoque,
est-ce qu'il n'y a pas l'indication que vous retrouverez facilement à
considérer mille autres des faits rassemblés dans ce registre
et nommément les quelque vingt-cinq ou trente premiers que Freud nous
collectionne? C'est qu'en quelque sorte, ce que l'acte nous transmet, c'est
quelque chose qu'il nous figure assurément de façon signifiante
et pour laquelle l'adjectif qui conviendrait serait de dire qu'elle n'est pas
si conne.
C'est bien là l'intérêt fascinant de ces deux chapitres.
Mais que tout ce qui essaie de s'y adapter comme qualification interprétative
représente déjà cette certaine forme de dé-connaissance,
de chute et d'évocation où il faut bien le dire, dans plus d'un
cas ici tout à fait radical de ce qui ne peut se sentir que comme connerie;
même si l'acte, ce qui ne fait pour nous aucun doute car à ce point
de surgissement de ce qu'il y a d'original dans l'acte symptomatique, il ne
fait aucun doute qu'il y a là une ouverture, un trait de lumière,
(p44->) quelque chose d'inondant et qui pour longtemps ne sera pas refermé.
Quelle est la nature de ce message dont Freud nous souligne qu'à la fois,
il ne sait pas qu'il se le donne à lui-même et que pourtant il
tient à ce qu'il ne soit pas connu. Qu'est-ce qui se gîte au dernier
terme dans cet étrange registre qui, semble-t-il, ne peut être
repris dans l'acte psychanalytique qu'à déchoir de son propre
niveau ?
C'est pourquoi je voudrais aujourd'hui introduire, avant de vous quitter, ce terme glissant, ce terme scabreux qui, à la vérité, n'est pas aisément maniable dans un contexte social aussi large, qu'on note bien sûr d'injure et de péjoration qui s'attache dans la langue française à cet étrange mot « le con » qui soit, dit entre parenthèses, n'est trouvable ni dans Littré ni dans Robert, seul le Bloch et von wartburg, toujours honneur à lui, nous donne son étymologie : cunnus (latin).
Assurément, pour développer ce qu'il en est en français
de la fonction de ce mot . « le con », pourtant dans notre langue
et nos échanges si fondamental, c'est bien le cas où le structuralisme
aurait lieu de s'articuler de ce qui lie l'un à l'autre, le mot et la
chose. Mais comment faire? Comment faire, sinon à introduire ici, je
ne sais quoi qui serait l'interdiction aux moins de 18 ans, à moins que
ce soit aux plus de 40.
C'est pourtant ce dont il s'agit, et quelqu'un dont nous avons les paroles dans
un livre qui se distingue par la toute spéciale - jamais je crois personne
n'a fait cette remarque - absence de la connerie, à savoir les Évangiles,
a dit: « Rendez à César ce qui est à César
et à Dieu ce qui est à Dieu ». Observez naturellement que
jamais personne ne s'est aperçu que c'est absolument énorme de
dire : « Rendez à Dieu » ce qu'il a mis dans le jeu. Qu'importe.
Pour le psychanalyste, la loi est différente. Elle est : « Rendez
à la vérité ce qui est à la vérité,
et à la connerie ce qui est à la connerie ».
Eh bien, ce n'est pas si simple. Parce qu'elles se recouvrent et que s'il y
a une dimension qui est là, propre à la psychanalyse, ce n'est
pas tant la vérité de la connerie que la connerie de la vérité.
Je veux dire, que mis à part les cas où nous pouvons aseptiser,
ce qui revient à dire asexuer, la vérité, c'est-à-dire
à non plus faire comme en logique, qu'une valeur avec un grand V qussi
fonctionne en opposition à un grand F. partout où la vérité
est en prise (p45->) sur autre chose, nommément sur notre fonction d'être
parlant, la vérité se trouve mise en difficulté de l'incidence
où quelque chose qui est le centre dans ce que je désigne, dans
l'occasion, sous le terme de la connerie, et qui veut dire ceci - je vous montrerai
la prochaine fois que Freud le dit aussi dans ce même chapitre, encore
que quiconque le laisse passer - et qui veut dire, c'est que l'organe qui donne
si je puis dire, sa catégorie à l'attribut dont il s'agit, est
justement marqué de ce que j'appellerai une inappropriation particulière
à la jouissance. Que c'est de là que prend son relief ce dont
il s'agit, à savoir le caractère irréductible de l'acte
sexuel à toute réalisation véridique; que c'est de cela
qu'il s'agit dans l'acte psychanalytique, car l'acte psychanalytique assurément
s'articule à un autre niveau; et ce qui à cet autre niveau répond
à cette déficience qu'éprouve la vérité de
son approche du champ sexuel, voilà ce qu'il nous faut interroger dans
son statut.
Pour vous suggérer ce dont il s'agit, je prendrai un exemple : un jour
j'ai recueilli de la bouche d'un charmant garçon qui avait tous les droits
à ce qu'on l'appelle un con l'anecdote suivante. Il lui était
arrivé une mésaventure : il avait rendez-vous avec une petite
fille qui l'avait laissé tomber comme une crêpe. « J'ai bien
compris me dit-il qu'encore une fois c'était une femme de non-recevoir
». Il appelait ça comme ça.
Qu'est-ce que c'est cette charmante connerie, car il le disait comme ça,
de tout son cœur. Il avait entendu se succéder trois mots, il les
appliquait. Mais supposez qu'il l'ait fait exprès, ce serait un trait
d'esprit. A la vérité le seul fait que je vous le rapporte, que
je le porte au champ de l'Autre en fait un trait d'esprit, effectivement. C'est
très drôle, pour tout le monde, sauf pour lui et pour celui qui
le reçoit face à face de lui. Mais dès qu'on le raconte,
c'est extrêmement amusant. De sorte qu'on aurait tout à fait tort
de penser que le con manque d'esprit, même si c'est d'une référence
à l'Autre que cette dimension s'ajoute.
Pour tout dire, ce qu'il en est de notre position vis-à-vis de cette
petite historiette amusante, c'est exactement toujours ce à quoi nous
avons affaire chaque fois qu'il s'agit de mettre en forme ce que nous saisissons
comme dimension, non pas au niveau de tous les registres de ce qui se passe
dans l'inconscient, mais à très proprement parler dans ce qui
ressortit à l'acte psychanalytique.
Je voulais simplement introduire aujourd'hui ce registre assurément,
vous le devinez, scabreux. Mais, vous le verrez, il est utile.
note
:
bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou
si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance
de m'adresser un
émail.
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