séminaire XIV-
La logique du fantasme. 1966-1967
version rue CB
25 janvier 1967 note
(p97->)
Je
vous ai quitté la dernière fois sur un premier parcours du rectangle qui est
ici répété à titre de support évocateur pour vous, d’indication, qu’il
s’agit toujours de s’y reporter quant au fondement de ce que nous essayons
de construire cette année d’une logique du fantasme.
Que le choix posé au principe du développement de ces opérations logiques
soit cette sorte d’alternative très spéciale que j’essaie d’articuler sous le
nom propre d’aliénation
entre
“ un je ne pense pas” et un “ je ne suis pas ” avec ce qu’il
comporte de forcé dans le choix qu’il impose qui va de soi au “ je ne pense
pas “
Nous
avons assez parcouru de chemin pour savoir comment se situe la référence
analytique à la découverte de l’inconscient pour autant qu’elle donne,
cette découverte, la vérité de cette aliénation. Quelque chose est déjà
suffisamment indiqué de ce qu’il y a de ce qui supporte cette vérité sous
le terme maintes fois répété devant vous : le “ a “
(p98->)
Tout ceci n’est possible
que pour autant que je vous en parle de cet objet « a » depuis
longtemps et qu’il peut déjà représenter pour vous quelque support. L’articulation
spéciale qu’il a avec cette logique n’est-elle point poussée jusqu’à son terme
? Je vous ai indiqué à la fin de notre dernier entretien que la castration
n’est pas sans rapport avec cet objet, qu’elle représente ceci : que
cet objet comme cause du désir domine ce qu’il est possible au sujet
de cerner comme champ, comme prise, comme saisie de ce qui s’appelle à proprement
parler dans l’essence de l’homme : le désir.
Inutile de vous dire ici que 1’essence de l’homme est une référence spinozienne et qu’on n’accorde pas à ce terme d’homme, p1us d’accent que je lui donne d’ordinaire.
Que ce désir pour autant qu’il se limite à cette causation par l’objet
“ a ”, c’est exactement le même point qui nécessite qu’au niveau
de 1a sexualité le désir se représente par la marque d’un manque, que
tout s’ordonne, s’origine dans le rapport sexuel, tel qu’il se produit en l’être
parlant en ceci : autour du signe de la castration à savoir,
au départ : autour du phallus en tant qu’il représente la possibilité
d’un manque d’objet.
La castration donc, c’est que1que chose comme de s’éveiller,
à ce que la sexualité, je veux dire : tout ce qui s’en réalise dans l’évènement
psychique se soit ça à savoir : quelque chose qui se marque du signe
d’un manque, de ceci par exemple : que l’autre du vécu inaugural, de
la vie de l’enfant, doive à un moment apparaître comme castré. C’est
sans doute cette horreur qui est liée à la première appréhension de la castration
comme étant supportée par ce que nous désignons dans le langage analytique comme
la mère, à savoir ce qui n’est pas purement et simplement à prendre
comme un personnage chargé de diverses fonctions, dans une certaine relation
typifiée au registre de la vie du petit humain, mais aussi bien c’est
quelque chose qui a un rapport avec le plus profond, avec cet autre qui est
mis en question à l’origine de toute cette opération logique, que cet
autre soit castré, l’horreur corrélative régulière, qui se produit à
cette découverte est quelque chose qui nous porte au cœur de
ce dont il s’agit quant à la relation du sujet à l’Autre en tant qu’elle
s’y fonde.
La sexualité telle qu’elle est vécue, telle qu’elle opère, c’est à cet
endroit quelque chose de fondamentalement dans tout ce que nous repérons à notre
expérience analytique, quelque chose qui représente un “ se défendre ” de
donner suite à cette vérité, qu’il n’y a pas d’Autre.
C’est ce que j’ai à commencer pour vous aujourd’hui, car si j’ai
pris l’abord de la tradition philosophique pour prononcer cet Autre
n’existe pas, et à ce propos évoquer la corrélation athéiste, que cette
profession comporte, mais bien sûr ce n’est pas quelque chose à quoi nous
puissions nous arrêter, il faut bien nous décider à aller plus loin dans le
sens à poser la question :
cette
chute du A, cet ,
que nous posons comme étant le terme logiquement équivalent au choix (p99->)
inaugural de l’aliénation, qu’est-ce que ça veut dire ? Rien ne peut choir
que ce qui est si A n’est pas. Nous
posons qu’il n’y a nul lieu où s’assure la vérité constituée par la
parole, si ce ne sont pas les mots qui sont vides,
ou si plutôt i1 faut dire que les mots n’ont pas de place qui justifie la
mise en question toujours par la conscience commune de ce qui n’est que mot.
Que veut dire, qu’ajoute cette formulation
que je vous donne pour être la clé pour partir d’un pas juste et que nous
puissions nous souvenir assez longtemps concernant la logique du fantasme.
Si c’est un algorithme du type mathématique dont je me sers pour
supporter ce
c’est pour affirmer qu’il y a un autre sens plus profond à découvrir ce
qui représente la conscience moderne qu’elle soit celle des religieux ou de
ceux qui ne le sont pas et qui sont athées, est-ce que ce ne serait pas quelque
chose comme de souffler une ombre simplement que d’affirmer cette
non-existence de A, qu’il ne s’agit pas derrière cela d’autre
chose.
Il y a bien des façons de s’apercevoir qu’i1 s’agit en fait
d’autre chose. Que veut dire
? Je viens de le dire : il est marqué. Le sens de ce que Pascal appelait le
Dieu de la philosophie, de cette référence à l’Autre si essentielle
chez Descartes, qui nous a permis d’en partir pour assurer notre premier pas,
est-ce que ce n’est pas
justement
que l’Autre de ce que Pascal appelle le Dieu des philosophes, l’Autre
en tant qu’il est en effet nécessaire à l’édification de toute
philosophie, est-ce qu’il ne le caractérise pas au plus, au mieux, et même
chez les mystiques contemporains de la même étape, du réfléchissement sur ce
thème de l’Autre, est-ce que ce qui ne le caractérise pas c’est
essentiellement de n’être pas marqué . Théologie négative. Et que veut
dire cette perfection invoquée dans l’argument ontologique si ce n’est
justement que nulle marque ne l’entame.
En ce sens, le symbole
veut dire que nous pouvons raisonner notre expérience, qu’à partir de ceci :
que l’Autre est marqué. C’est bien en effet ce dont il s’agit dès l’abord de
cette castration primitive atteignant l’être maternel. L’Autre est marqué, nous
nous en apercevons très vite à de menus signes, s’il fallait avancer je devrais
faire devant de façon magistrale, ce qui est toujours un peu abuser de la créance
qui est faite du rôle de celui qui enseigne, essayer de voir à de petits signes
comme ceux-ci, qui se voient à ce qu’on fait quand on traduit, si je parlais
en allemand, vous pourriez poser la question de savoir comment je le traduirais
cet Autre, que vous me passez depuis tant d’années et dont je vous
ai rebattu les oreilles: das anders ou der en dere . Vous voyez 1a
difficu1té qui se soulève, du seul
fait,
non pas comme on le dit qu’il y ait des langues où le neutre constituerait le
nom marqué quant au genre, ceci est tout à fait absurde, la notion de genre
ne se confond pas avec la bipolarité masculin-féminin, le neutre est un
genre
marqué. Le propre des langues où il n’est pas marqué, c’est qu’il peut l’avoir
dûment marqué, qu’il peut s’abriter sous le masculin régulièrement. C’est ce
qui me permet de vous parler de l’Autre sans que vous ayiez à vous interroger
s’il faut traduire : der andere ou
das anderos. Ce qui entraîne, si on a le choix à faire, il faudrait
que je parle avec quelque anglophone, il n’en manque pas dans mon auditoire,
pourquoi en anglais il y a quelque tirage.
(p100->)
J’ai pu m’en apercevoir dans mon discours à Baltimore, je l’ai traduit par the
other, i1 paraît que ça ne va pas tout seul, j’imagine que c’est en raison
de la valeur tout à fait différente de l’article défini en anglais, il a bien
fallu que je passe pour parler de cet Autre, de mon “ Autre ” par :
the otherness, il s’agissait toujours d’aller dans le sens du non marqué,
il nous a fallu en anglais passer par une qualité, qualité incertaine, 1e
otherness est quelque chose qui se dérobe entièrement. Je ne peux pas dire
que je sois très à l’aise pour lui trouver un représentant au sens que je veux
donner à 1’Autre et à ceux qui m’en ont proposé la traduction non plus. Mais
ceci en soi-même est assez significatif de ce dont il s’agit et très précisément
de la répugnance qu’il y a à introduire dans la catégorie de l’Autre, la fonction
de la marque.
Quand vous avez affaire au Dieu d’Abraham, d’Issac et de Jacob, la marque vous
n’en êtes pas privé, c’est bien pour cela que ça ne va pas tout seul, qu’aussi
bien ceux qui ont affaire indirectement encore à cette sorte d’Autre,
ont un destin eux aussi, bien marqué.
J’avais rêvé pour quelques petits de cette tribu qui m’entoure, de leur
rendre service d’élucider un peu la question concernant leur rapport au Dieu
au nom imprononçable, à celui qui s’est exprimé dans le registre du je,
non pas “ je suis
celui
qui suis ”,
pas de transposition d’une pensée Plotinienne, mais “ je suis ce que je
suis ” tout simplement. J’avais pensé ; “ j’y reviendrai toujours pour leur
rendre ce service, et nous en resterons
toujours là tant que nous n’aurons pas repris cette question du nom du
père ”. Je parle des petits, il y a aussi les grands. Les grands juifs
n’ont pas besoin de moi pour s’affronter à leur Dieu.
Mais
nous, nous avons ici à faire à l’Autre en tant que champ de la vérité et
que cet Autre soit marqué, que nous le voulions ou pas, comme
philosophe, qu’il soit marqué au premier abord, par la castration. Voilà
aujourd’hui ce à quoi nous avons affaire. C’est ce contre quoi, dès
lors
que l’analyse existe, rien ne saurait prévaloir.
C’est pourquoi je considère qu’il y a tout lieu de rompre sur un certain terrain, qu’il y a des spéculations sur lesquelles i1 ne faut pas se laisser aller à ce penchant, pas même de juger comme on me l’a imputé, mais simplement d’aller chercher ce dont elle témoigne involontairement : de la vérité qu’elle manque.
Parce que l’y faire remarquer à la pensée de tel philosophe contemporain,
que dans tel point il
y
a quelque chose qui vient prendre la place d’un manque, et qui s’exprime de
façon plus ou moins embarrassée avec la conscience non thétique de soi, dont
il n’y a vraiment rien à dire, si ce n’est que ce n’est pas un Un sinne
c’est
à proprement parler sinnlos.
C’est encore trop en dire, Ce point pourrait être la marque du
lieu
même qui ferait, ce quelque chose, indiqué comme manquant. Ce n’est en rien
de semblable, ce n’est pas en cette impensable antériorité de ce qui s’instaure
comme point de verliebtheit, que nous devons chercher ce point nodal
s’il est nécessaire à définir, et il est nécessaire à définir parce qu’il est
trouvable, vous allez le voir (p101->)
ce point nodal, qui serait pour nous dans la position où nous somme mis, 1e
point tournant où retrouver le lien du cogito.
Ce
n’est pas rien pourtant que 1’autre réapparaisse par exemple dans telle spécu1ation
pour autant qu’ici je l’invoque. Si j’en parle, c’est pour montrer que
jusque dans les détails poursuivis, seule la rupture peut répondre à la
recherche entièrement tracée.
Comment ne pas s’apercevoir que cette pensée qu’ici j’invoque,
sans vouloir donner son label, précisément pour bien marquer que ce dont il
s’agit, que nous avons à trancher sur ce chemin de la pensée, ne saurait
d’aucune façon s’autoriser d’un label et moins du mien que de tout autre.
Cette pensée nous conduit quand il s’agit de la déroute du voyeur par exemple, cet accent mis, ce regard, cette pensée qui le dirige pour la justifier vers sa surprise, celle du voyeur, par le regard d’un autre justement, d’un arrivant, d’un survenant pendant qu’il a l’œil à la porte de sorte que ce regard est suffisamment évoqué par le petit bruit annonciateur de cette venue. Quand très précisément ce dont il s’agit quant au statut de l’acte du voyeur, c’est bien en effet de quelque chose qu’il nous faut aussi nommer : le regard qu’il s’agit, mais qui est à chercher bien ailleurs, à savoir : justement dans ce que le voyeur veut voir, mais où il méconnaît qu’il s’agit de ce qui le regarde le plus intimement, de ce qui le fige dans sa fascination de voyeur au point de le faire lui-même aussi inerte qu’un tableau.
Je ne reprendrai pas le tracé de ce que j’ai déjà amplement développé
mais l’errance radicale qui est la même que celle qui s’exprime dans cette
formule : que l’enfer c’est notre image à jamais fixée dans l’Autre. Ce
qui est faux ! Si
l’enfer est quelque part, c’est dans je,
dans cette errance il n’y a nulle mauvaise foi à invoquer aussi excusante que
la ruse chrétienne apologétique de la bonne foi faite pour apprivoiser le
narcissisme du pêcheur, il y a la voie juste, il y a la voie fausse, il n’y a
pas de transition, les trébuchements de la voie fausse n’ont aucune valeur,
tant qu’ils ne sont pas analysés et ils ne peuvent être analysés qu’à
partir d’un départ radicalement différent en l’occasion.
Dans l’occasion l’admission à la base et aux principes de
l’inconscient est la recherche de ce qui constitue comme tel, son statut.
Ce qui supplée au défaut de la verlibtheit, ne saurait
d’aucune façon nous situer comme sa propre impossibilité. C’est ailleurs
qu’il nous en faut chercher la fonction si je puis dire que ce ne sera même
pas la même fonction. Sur ce qu’il en est dans cette trace sur laquelle i1 a
bien fallu, venant de quelque confusion où il semble qu’il est nécessaire
presque, de se trouver impliqué puisque j’ai pu entendre dans la bouche
d’analystes qu’il y avait tout de même quelque chose à retenir dans le
rapprochement que du dehors on essayait d’instaurer, de la survenue d’une
certaine pensée sur le fond supposé d’une philosophie prétendue par elle,
attaquée, voire subvertie. Il est surprenant que la possibilité d’une telle
référence (p102->)
puisse
être admise comme simple effet possible de ce qu’on appelle en l’occasion :
aliénation. J’ai entendu cette chose dans la bouche de quelqu’un qui ne
fait certainement pas toujours erreur, à une date où je n’avais pas assez
fait retentir encore assez à ses oreilles, ce qu’il faut penser du terme :
aliénation.
L’aliénation
n’a rien à faire avec ce qui résulte de déformation, de parts dans tout ce qui
est communication, même, je dirai de la façon la plus traditionnelle : c’est
suffisamment établi, d’une pensée qu’on appelle marxiste, il est clair que l’aliénation
dans ce marxisme n’a rien à faire, avec ce qui n’est à proprement parler que
confusion. L’aliénation marxiste d’ailleurs ne suppose absolument pas en soi,
l’existence de l’Autre, el1e consiste simplement en ceci que je ne
reconnais pas par exemple, mon travail dans cette chose qui n’a rien à faire
avec l’opinion et qu’aucune persuasion sociologique ne modifiera en aucun cas,
à savoir que mon travail il me revient et qu’il faut que je le paie d’un certain
prix. C’est là quelque chose qui ne se résout par aucune dialectique directe
qui suppose le jeu de toutes sortes de chaînons bien réels, si l’on veut en
modifier non pas la chaîne ni le mécanisme qui est impossible à rompre mais
1es conséquences les plus nocives, il en est de même concernant l’aliénation,
et c’est pourquoi l’important de ce que j’énonce ici concernant l’aliénation
prend son relief. Non pas de ce que tel ou tel reste plus ou moins sourd au
sens de ce que j’articule, mais précisément de ses effets sur ceux qui le comprennent
parfaitement, à cette seule condition qu’ils y soient concernés de façon première.
C’est
pourquoi, c’est au niveau des analystes que quelquefois sur ce que j’énonce
de plus avancé, je recueille les signes d’une angoisse qui peut aller jusqu’à
l’impatience et que simplement la dernière fois par exemple j’ai pu énoncer
d’une façon comme latérale, faite pour donner son véritable éclairage à ce que
je définissais comme la position du “ je ne sais pas ” en tant qu’elle
est corrélative de la fonction de l’inconscient et que j’articulais sur ce point
la formule : comme la vérité de ce que l’amour ici me permet de formuler à savoir
: “ si tu n’es pas, je meurs ” dit
l’amour, on connaît ce cri et je le traduis : “ tu n’es rien que
ce que je suis ”
N’est-il
pas étrange qu’une telle formule qui va certes, bien au delà lorsqu’elle trace
l’ouverture à l’amour, pour ceci simplement : qu’elle y indique que la Verwerfung
qu’elle constitue ne re1ève précisément que de ceci : que l’amour ne pense pas,
mais qu’elle n’articule pas comme Freud le fait, lui, purement et simplement,
que 1e fondement de l’amour, c’est le lust ich,
et qu’il n’est rien d’autre, et Freud affirmait ceci : que
l’effet du narcissisme.
Comment
donc, à une formule dont il apparaît qu’elle est infiniment plus ouverte
pour n’aller pas moins loin qu’à cette remarque impliquée dans un certain
commandement, qui je pense ne vous est pas inconnu, que c’est au plus secret
de toi-même que doit être recherché le ressort de l’amour du prochain.
(p103->) Comment une telle formule peut-elle, dans une oreille analytique, évoquer je ne sais quelle alarme comme si ce que j’avais prononcé 1à était dépréciatif, et si, comme je l’ai entendu, je commettais quelque imprudence de l’ordre de celle-ci à des auditeurs de 25 ans, je me permette d’avancer un propos qui réduirait l’amour à rien.
Chose singulière, au niveau des 25 ans je n’ai à ma
connaissance bien sur, il y en a quelques-uns qui viennent me faire dans la
semaine qui suit, des confidences, des réactions singulièrement toniques. Si
austère que soit la formule, elle a paru salutaire à beaucoup.
Qu’est-ce
qui conditionne donc l’inquiétude d’un analyste, si ce n’est ceci, que j’ai
marqué sous cette formule avec le crochet qui déplace le rien d’un rien (cf
lère page). « Tu n’es que ce rien que je suis ». Il n’est pas moins
vrai que 1a formule précédente pour autant qu’elle nous rapporte à la fonction
clé qui revient dans le statut de ce je du “ je suis ” à
ce
“ s ” qui en fait en effet, toute la question et c’est là ce sur quoi
je veux aujourd’hui m’attarder encore un
peu
et dont on conçoit en effet qu’elle intéresse l’analyste en tant que seule dans
1’opération de 1’analyse, elle nous permet d’aller assez loin dans ce rapport
de la pensée à l’être au niveau du je. Pour que ce soit elle qui introduise
la notion de la castration, le “ a “ dans cette opération à être achevé
d’une queue signifiante, le
“ a ” dans le chemin que trace
l’analyste, c’est l’analyste.
C’est parce que l’analyste a à occuper cette position du “ a “ qu’en effet pour
lui, la formule qui fort légitimement soulève l’angoisse qui convient, si l’on
se souvient de ce que j’ai formu1é de l’angoisse ; qu’elle n’est pas sans objet.
Ceci indique qu’elle soit d’autant fondée, qu’avec cet objet, celui qui
est appelé par l’opération signifiante qu’est l’ana1yse se trouve à cette place
suscitée de s’intéresser, à tout le moins de savoir comment il l’assume, ce
sont là choses qui sont encore assez distantes de la considération que nous
pourrions en amener ici. Comment ne pas reconnaître qu’il n’y a là rien qui
doive plus nous dérouter que ce qui dès longtemps avait été formulé par les
voies de court-circuit aphoristique d’une sagesse perdue mais pas tout à fait
sans écho, sous la forme : reconnais-toi tu es ceci. Ce qui bien entendu, ne
pouvait que rester opaque à partir d’un certain biais de la tradition philosophique.
Si ceci ne peut être en effet identifié au corrélat de représentation
où s’instaure dans cette tradition, le sujet, rien n’est plus vide que
cette formule qui soit la représentation : c’est là quelque chose dont i1
est trop facile de dire qu’elle corrompt le développement moderne d’une
pensée sous le nom d’idéalisme et le statut de la représentation comme
telle est pour nous, à reprendre.
Si
l’analyse telle qu’elle nous est présentée a un sens, c’est qu’elle désaxe complètement
la fonction de la représentation. Assurément nous avons à faire à matière morte,
à l’endroit de laquelle nous n’avons plus aucun rapport (p104->)
du
je. Cette analyse est un jeu, un jeu fascinant en ceci : parce qu’il nous
rappelle, vous pourrez trouver le témoignage dans ce dernier volume, dès les
premières pages : “ du miel aux cendres ” de
Cl. Lévy Strauss, où nous
voyons s’articuler dans un certain nombre de mythes 1es rapports du miel conçu
comme substance nourricière, préparé par d’autres que l’homme et en quelque
sorte, devant la distinction de la nature et de la culture avec ce qui opère
au delà du cru et du cuit de la cuisine, à savoir : ce qui se réduit en fumée
: le tabac.
Nous trouvons sous la plume de son auteur quelque chose de singulier
attaché à cette remarque, qui accroche dans certains textes médiévaux sur ceci
qu’avant que le tabac ne nous arrivât, sa place était en quelque sorte prête
par cet opposé de cendre qui était déjà indiqué par rapport au miel qu’en quelque
sorte 1a chose miel depuis toujours attendait la chose tabac. Que vous suiviez
ou non cette voie 1’ana1yse de Cl. Lévy-Strauss, n’est-elle pas faite pour nous
suggérer ce que nous connaissons dans la pratique de l’inconscient et de pousser
plus loin la critique de ce que Freud articule sous le terme de : Sachevostellùng.
Dans la perspective idéaliste on pense, après tout pourquoi Freud ne l’aurait-il
pas écrit, représentation de choses en tant que ce sont les choses qui sont
représentées, mais pourquoi répugnerions-nous à penser les rapports des choses
comme supportant quelques représentations qui appartiennent aux choses elles-mêmes,
puisque les choses se font signes avec toute l’ambiguïté que vous pouvez mettre
dans ce terme. Se font signes entre elles, qu’elles peuvent s’appeler et s’entendre
et s’ordonner comme ordre des choses. Que sans aucun doute c’est là-dessus que
nous jouons chaque fois que nous interprétons comme analystes nous faisons fonctionner
quelque chose comme Bedeutung.
Assurément, c’est le piège, et ce n’est pas non plus travail analytique
quelque amusant qu’en soit le jeu de retrouver dans l’inconscient le réseau,
la trame de l’ancien mythe, là-dessus nous serons toujours servis. Dès lors
qu’il s’agit de la Bedeutung nous retrouverons tout ce que nous voudrons
comme structure de l’ère mythique, c’est bien pour ça qu’au bout d’un
certain temps le jeu a lassé les analystes, parce qu’ils se sont aperçus qu’il
était trop facile ; le jeu n’est pas facile quand il s’agit de textes
recueillis, attestés de mythes existants.
Ils
ne sont pas justement, n’importe lesquels,
mais au niveau de l’inconscient, du sujet dans l’analyse, le jeu est beaucoup
p1us souple et pourquoi ?. Précisément, parce qu’il est
dénoué qu’il vient se conjoindre à un “ je ne suis pas “ qui se manifeste
assez, je l’ai dit la dernière fois, dans ses formes qui font dans le rêve omniprésent
et jamais complètement identifiable la fonction du je.
Mais autre chose est ce qui doit nous retenir, ce sont précisément
les trous dans ce jeu de la Bedeutung.
Comment
n’a-t-on pas remarqué ceci qui est pourtant d’une présence aveuglante,
c’est à savoir : le coté de Bedeutung bouché si je puis dire, sous
lequel se manifeste tout ce qui attient à l’objet “ a “.
(p105->) Bien sûr, les analystes font tout pour le relier à quelque Fonction primordiale qu’ils s’imaginent avoir fondée dans l’organisme comme par exemple quand il s’agit d’un objet de la pulsion orale, c’est pourquoi, aussi bien, ils iront tout à fait incorrectement à parler de bons ou de mauvais laits, alors qu’il ne s’agit de rien de tel, puisqu’il s’agit du sein.
Il est impossible de faire le lien du lait à un objet érotique, ce qui
est essentiel au statut de l’objet “ a ”, alors que quand au sein,
l’objection n’est pas la même. Mais ne voit qu’un sein, c’est quelque chose,
y avez-vous pensé, qui n’est pas représentable !
Je ne pense pas, il y a ici une trop grande minorité, pour qui un sein
peut représenter un objet érotique, êtes-vous capables, en termes de représentations,
de définir au nom de quoi ? Qu’est-ce que c’est qu’un beau sein ? Encore que
le terme soit prononcé, je défis quiconque de donner un support quelconque à
ce terme de beau sein. S’il y a quelque chose qui s’en constitue, il faudrait
pour cela, comme un jour, un apprenti poète qui n’est pas loin, a articulé à
la fin d’un quatrain qu’il commis, ces mots : “ le nuage éblouissant des
seins ”.
I1 n’y a aucune autre façon de jouer de ce registre du nuageux en y
ajoutant que1que chose de plus de l’ordre du reflet, à savoir, du moins
saisissable par quoi il peut être possible de supporter le Vorstellung,
ce qu’il en est de cet objet, qui n’a d’autre statut que ce que nous
pouvons appeler avec toute l’opacité de ces termes : un point de jouissance.
Qu’est-ce que ça veut dire ?
Je
dirai que je vais essayer d’utiliser un peu (je ne sais comment j’arrive à les
faire passer, qu’importe) ce que j’ai écrit en d’autres termes, tandis que je
m’efforçais de centrer pour vous le faire sentir, ce que j’appelle en l’occasion
cette syncope de la Bedeutung, ce que c’était, pour vous montrer que
c’est çà le point que vient comb1er le signe d’où soudain il m’est apparu et
que ce qu’il y avait de plus propre à supporter ce rôle de 1’objet sein dans
le fantasme en tant qu’il est vraiment support spécifique du je, de
la pulsion orale, ce n’est rien d’autre que la formule que je vous ai ici servi
cent fois pour imager le caractère purement structural du sinn : colorless
ideas green, (ces idées sans couleur et vertes) sleep furiosly.
Rien me semble-t-il ne peut l’exprimer d’une façon plus adéquate, en
l’occasion, le privilège de cet objet, rien ne l’exprime de façon plus adéquate,
c’est-à-dire poétique : qu’ils dorment furieusement à l’occasion. Ce n’est pas
de les révei11er, une petite affaire, c’est là ce dont il s’agit quand il s’agit
des seins.
Ceci
est fait pour nous mettre sur une trace, celle qui va nous rapprocher de la
question laissée en suspens de ce qui peut nous permettre de suppléer, à cette
bevoustheit.
(p106->) Car, bien entendu, ce n’est rien d’autre que l’objet “ a ”. Seulement il faut savoir trouver où il est. Ce n’est pas parce qu’on sait son nom à l’avance, qu’on le rencontre, d’ailleurs 1e rencontrer, ne signifie rien sinon quelque occasion d’amusement.
Qu’est-ce que Freud vient pour nous à articuler au niveau du rêve,
nous serons frappés de ce qu’il lâche si je puis dire, pour indiquer un
certain côté vigile du sujet précisément dans le sommeil. S’il y a quelque
chose qui caractérise bien cette faute d’autre que je désigne comme
fondamentale de l’aliénation. Si le je n’est rien plus que
l’opacité de la structure logique, si l’intransparence de la vérité de ce
qui donne le style de la découverte freudienne, n’est-il pas étrange de lui
voir dire que
tel
rêve qui contredit sa théorie du désir ne signifie là rien d’autre que le
désir de 1ui donner tort.
N’est-ce pas suffisant à la fois pour montrer la justesse de cette formule
que j’articule : que le désir c’est le désir de l’Autre
, de montrer dans quel suspens le statut du désir est laissé, si 1’Autre
justement peut-être dit, n’existait pas.
N’est-il pas encore plus remarquable de voir Freud, à la fin d’une des
sections du VIème chapitre sur lequel j’ai insisté la dernière fois, préciser
que c’est d’une façon très sûre que le rêveur s’arme et se défend de ceci :
que ce qu’il rêve n’est qu’un rêve, à propos de quoi il va aussi loin que d’insister
sur ceci : qu’il y ait une instance qui sait toujours qu’il dit qu’il sait,
que le sujet dort et que cette instance, même si ça peut nous surprendre, n’est
pas l’inconscient, c’est précisément 1e préconscient qui représente, nous dit-il
en l'occasion, le désir de dormir.
Ceci
nous donnera à réfléchir sur ce qui se passe au réveil, parce que si le désir
de dormir se trouve par l’intermédiaire du sommeil si complice, avec la fonction
du désir en tant que tel, en tant qu’elle s’oppose à la réalité, qu’est-ce qui
nous garantit que sortant du sommeil, le sujet soit p1us défendu contre le désir
en tant qu’il encadre ce qu’il appelle réalité.
Le moment du réveil n’est peut-être jamais qu’un court instant : celui où on change de rideau. Mais laissons-là cette première mise en suspens sur laquelle je reviendrai et que j’ai pourtant aujourd’hui voulu toucher.
Suivons Freud : rêver qu’on rêve doit être l’objet d’une
fonction bien sûr pour que nous puissions dire qu’à tous les coups ceci désigne
l’approche imminente de la réalité.
Que
quelque chose puisse s’apercevoir qu’il se rambarde d’une fonction d’erreur
pour ne pas repérer la réalité, est-ce que nous ne voyons pas qu’il y a là une
voie exactement contraire que l’assertion de ceci : qu’une idée est transparente
à e11e-même, 1a trace de quelque chose qui mérite d’être suivis ; pour (p107->)
vous
faire sentir comment l’entendre, il me semble que je ne peux pas mieux faire
que d’aller grâce au chemin que m’ouvre une fable bien connue, d’être tirée
d’un vieux texte chinois : de Tchouang-Tsou, dieu sait ce qu’on
lui fait dire, nommément à propos de ce rêve bien connu, de ce qu’il aurait
dit à propos d’avoir rêvé de s’être rêvé lui-même être un papillon.
Il aurait interrogé ses disciples sur 1e sujet de savoir comment on peut distinguer
Tchouang-Tsou se rêvant papillon, papillon qui tout réveillé qu’il se croit
ne ferait que rêver d’être autre chose. Inutile de dire que ceci n’a absolument
pas le sens qu’on donne d’habitude dans le texte de Tchouan-Tsou, les phrases
qui suivent montrent assez de quoi il s’agit, et ça nous porte sur le thème
de la formation des êtres et de voies qui nous échappent depuis longtemps dans
une très grande mesure, je veux dire quant à ce qu’il en était exactement pensé
par ceux qui en ont laissé les traces écrites.
Ce
rêve, je veux me permettre de supposer qu’il a été inexactement rapporté.
Tchouang-Tsou,
quand il s’est rêvé papillon, s’est dit :
ce
n’est qu’un rêve, ce qui est tout à fait conforme à sa mentalité, il ne doute
pas un instant de surmonter ce menu problème de son identité qu’à être Tchouang
Tsou. Il se dit : ce n’est qu’un rêve, et c’est précisément en quoi il manque
la réalité, car en tant que quelque chose qui est le je de Tchouang
Tsou repose dans ceci qui est si essentiel à toute condition du sujet : à savoir
que l’objet est vu, il n’est rien qui nous permette de mieux surmonter ce qu’a
de traître ce monde de la fiction, en tant qu’il supporterait cette sorte de
rassemblement de quelque façon que nous l’appelions : monde ou étendue dont
le sujet serait seul support et le seul mode d’existence. Ce qui fait la consistance
de ce sujet en tant qu’il voit, c’est-à-dire, en tant qu’il n’a que la géométrie
de la vision, en tant qu’il peut dire ceci à l’Autre : ceci est à droite, ceci
est à gauche, ceci est en dedans ou en dehors, qu’est-ce qui lui permet de se
situer comme je, sinon ceci que j’ai déjà souligné qu’il est tableau
dans ce monde visible, que le papillon n’est rien d’autre que
ce
qui le désigne lui-même comme tache, et comme ce qu’a d’originelle la tache
dans le surgissement au niveau de l’organisme de quelque chose qui fera vision.
C’est
bien en tant que le je lui-même est tache sur fond,
que
ce dont il va interroger ce qu’il voit et ce qu’il ne peut retrouver et qui
se dérobe,
cette origine de regard, manifeste à être articulée pour nous que la lumière
du soleil pour inaugurer ce qui est de l’ordre du je dans la relation
scoptophylique, est-ce que ce n’est pas là, le “ je rêve seulement “
et ce qui masque
la réalité du regard en tant qu’elle est à découvrir.
C’est
en ce point que je voulais vous amener aujourd’hui concernant ce rappel de la
fonction de l’objet “ a ” et sa corrélation étroite au je.
Pourtant, n’est-il pas vrai que quelque soit le lien que supporte, qu’indique
comme l’encadrant 1e jeu de tous les fantasmes, nous ne pouvons pas encore saisir
dans une multiplicité au reste de ces objets “ a ” ce qui lui donne
ce privilège dans le statut du je en tant qu’il se pose comme désir.
(p108->) C’est bien ce que nous permettra de dessiner, d’inscrire d’une façon plus précise, l’invocation de la répétition. Si le sujet peut s’inscrire dans un certain rapport qui est rapport de perte par rapport à ce champ où se dessine le trait dont il s’assure dans la répétition, c’est que ce champ a une structure, disons ce que nous avons déjà avancé sous le terme de topologie, assurer d’une façon rigoureuse ce que veut dire l’objet “ a ” par rapport à une surface, nous n’avons déjà approché dans cette image de ce quelque chose qui se découpe dans certaines surfaces privilégies de façon à laisser quelque chose tomber de cet objet de chute qui nous a retenus et que nous avons cru devoir imager dans un petit fragment de surface, c’est là encore, représentation grossière et inadéquate.
Ni la notion de surface n’est à repousser ni la notion de l’effet du
trait et de la coupure, ce n’est pas bien sûr, de la forme de tel lambeau, quelle
que propice que nous paraisse cette image, va nous rapprocher de ce qui est
usité dans le discours analytique sous le terme d’objet partiel, qu’il nous
faut nous contenter au regard de surfaces que nous avons définies, non pas comme
quelque chose qui soit à considérer sous l’angle spatial, quelque chose précisément
où chaque point témoigne d’une structure qui ne peut en être exclue, je veux
dire en chaque point, c’est pour autant que nous aurons à y articuler
quelques effets de coupure, que nous connaîtrons quelque chose à ces points
évanouissant que nous pouvons décrire comme : objet “ a “.
note
:
bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou
si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance
de m'adresser un
émail.
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de Page (relu le 1 Novembre 2004)
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