Extraits de Oiseaux, Saint John Perse,  
     
 

L'oiseau de tous nos consanguins le plus ardent à vivre, mène aux confins du jour un singulier destin. Migrateur, et hanté, acharné d'inflation solaire, il voyage de nuit, les jours étant trop courts pour son activité. Par temps de lune grise couleur du gui des Gaules, il peuple de son spectre la prophétie des nuits. Et son cri dans la nuit est le cri de l'aube elle même : cri de guerre sainte à l'arme blanche.

Au fléau de son aile l'immense libration d'une double saison ; et sous la courbe du vol, la courbure même de la terre... L'alternance est sa loi, l'ambiguïté son règne. Dans l'espace et le temps qu'il couvre d'un même vol, son hérésie est celle d'une seule estivation. C'est le scandale aussi du peintre et du poète, assembleurs de saisons aux plus hauts lieux d'intersection.

Ascétisme du vol !... L'oiseau, de tous nos commensaux le plus avide d'être, est celui-là qui, pour nourrir sa passion, porte secrète en lui la plus haute fièvre du sang. Sa grâce est dans la combustion. Rien là de symbolique : simple fait biologique. Et si légère pour nous est la matière oiseau, qu'elle semble, à contre-feu du jour, portée jusqu'à l'incandescence. Un homme en mer, flairant midi, lève la tête à cet esclandre : une mouette blanche ouverte sur le ciel, comme une main de femme contre la flamme d'une lampe, élève dans le jour la rose transparence d'une blancheur d'hostie...

 
     
 
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Gratitude du vol !... Ceux-ci en firent leur délice.

Sur toutes mesures du temps loisible, et de l'espace, délectable, ils étendent leur loisir et leur délectation : oiseaux du plus long jour et du plus long grief...

Plus qu'ils ne volent, ils viennent à part entière au délice de l'être : oiseaux du plus long jour et du plus long propos, avec leurs fronts de nouveau-nés ou de dauphins des fables...

Ils passent, c'est durer, ou croisent, c'est régner : oiseaux du plus long jour et du plus long désir... L'espace nourricier leur ouvre son épaisseur charnelle, et leur maturité s'éveille au lit même du vent.

Gratitude du vol !... Et l'étirement du long désir est tel, et de telle puissance, qu'il leur imprime parfois ce gauchissement de l'aile qu'on voit, au fond des nuits australes, dans l'armature défaillante de la Croix du Sud...

Longue jouissance et long mutisme... Nul sifflement, là-haut, de frondes ni de faux. Ils naviguaient déjà tous feux éteints, quand descendit sur eux la surdité des dieux...

 
     
 

Et qui donc sut jamais si, sous la triple paupière aux teintes ardoisées, l'ivresse ou l'affre du plaisir leur tenait l'oeil mi-clos ? Effusion faite permanence, et l'immersion, totale...

A mi-hauteur entre ciel et mer, entre un amont et un aval d'éternité, se frayant route d'éternité, ils sont nos médiateurs, et tendent de tout l'être à l'étendue de l'être...

Leur ligne de vol est latitude, à l'image du temps comme nous l'accommodons. Ils nous passent toujours par le travers du songe, comme locustes devant la face... Ils suivent à longueur de temps leurs pistes sans ombrage, et se couvrent de l'aile, dans midi, comme du souci des rois et des prophètes.

 
     
  Saint John Perse * , Amers suivi de Oiseaux et de Poésie/Gallimard. FC,
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