La formation de l'univers et la nature de l'Homme
La théorie des Idées
ou des Formes

Platon a tenu à montrer la place que l’homme tient dans l’univers et ce qu’est l’univers lui-même ; car l’homme est un univers en réduction, un microcosme assujetti aux mêmes lois que le macrocosme. Et ainsi cette question préliminaire a pris une place prépondérante, et Platon en a pris occasion de présenter une explication générale du monde.

Il ne s’est jamais piqué d’une stricte logique dans le plan de ses ouvrages ni d’y mettre l’unité rigoureuse que les modernes requièrent dans les leurs.
La base du système que Timée va exposer est la théorie des Idées.

-L’univers
- Consistance et permanence du non né ?
-Le modèle de l'être immuable et le Beau
-Un monde tangible
- Le modèle éternel
- Les images,
- La bonté première, mise en ordre
- L'intelligence dans l'âme, l'âme dans le corps,
-Un monde d'animaux...
- Un ciel ? ou des Cieux ?
-Un monde de Feu et de Terre
- La proportion,
- La 3 D,
- Les 4 éléments,
- Un animal parfait
- Maladie et vieillesse
-Un monde  sphère parfaite, suffisante


L'univers

Quant à cela, Socrate, tu as raison : tous les hommes qui ont quelque grain de sagesse, ne manquent jamais au début de toute entreprise petite ou grande, d’implorer une divinité. p69

Pour nous, qui allons discourir sur l’univers, dire comment il est né, ou s’il n’a pas eu de naissance, nous sommes tenus, à moins d’avoir entièrement perdu le sens, d’appeler à notre aide les dieux et les déesses et de les prier que tous nos propos soient avant tout à leur gré, puis, en ce qui nous concerne, logiquement déduits.
Que telle soit donc notre invocation, en ce qui regarde les dieux ; quant à nous, invoquons-les pour que vous me compreniez facilement et que je vous expose très clairement ma pensée sur le sujet qui nous occupe.

Consistance et permanence du non né

Il faut d’abord, à mon avis, se poser cette double question : en quoi consiste ce qui existe toujours, sans avoir eu de naissance ?
En quoi consiste ce qui devient toujours et n’est jamais ?

Le premier est appréhensible à la pensée aidée du raisonnement, parce qu’il est toujours le même, tandis que le second est conjecturé par l’opinion accompagnée de la sensation irraisonnée, parce qu’il naît et périt, mais n’existe jamais réellement.
De plus, tout ce qui naît procède nécessairement d’une cause ; car il est impossible que quoi que ce soit prenne naissance sans cause.

Le modèle de l'être immuable et le Beau

Lors donc que l’ouvrier, l’oeil toujours fixé sur l’être immuable, travaille d’après un tel modèle et en reproduit la forme et la vertu, tout ce qu’il exécute ainsi est nécessairement beau.
Si, au contraire, il fixe les yeux sur ce qui est né et prend un modèle de ce genre, il ne fait rien de beau.

Quant au ciel entier, ou monde, ou s’il y a quelque autre nom qui lui soit mieux approprié, donnons-le-lui, il faut, en ce qui le touche, se poser d’abord la question qu’on doit se poser dès le début pour toute chose.

Un monde tangible

A-t-il toujours existé, sans avoir aucun commencement de génération
, ou est-il né, et a-t-il eu un commencement ?

Il est né ; car il est visible, tangible et corporel, et toutes les choses de ce genre sont sensibles, et les choses sensibles, appréhensibles à l’opinion accompagnée de la sensation, sont, nous l’avons vu, sujettes au devenir et à la naissance.

Nous disons d’autre part que ce qui est né doit nécessairement sa naissance à quelque cause.
Quant à l’auteur et père de cet univers, il est difficile de le trouver, et, après l’avoir trouvé, de le faire connaître à tout le monde.

Il est une autre question qu’il faut examiner à propos de l’univers, à savoir d’après lequel des deux modèles son architecte l’a construit ?,
d’après le modèle immuable et toujours le même,
ou d’après celui qui est né.

Le modèle éternel

Or, si ce monde est beau et son auteur excellent, il est évident qu’il a eu les yeux sur le modèle éternel ;
s’ils sont au contraire ce qu’il n’est même pas permis de dire, c’est sur le modèle qui est né.
Il est donc clair pour tout le monde qu’il a eu les yeux sur le modèle éternel.
Car le monde est la plus belle des choses qui sont nées, et son auteur la meilleure des causes. Donc, si le monde a été produit de cette manière,
il a été formé sur le modèle de ce qui est compris par le raisonnement et l’intelligence et qui est toujours identique à soi-même.
Dans ces conditions, il est aussi absolument nécessaire que ce monde-ci soit l’image de quelque chose. Or en toute matière, il est de la plus haute importance de commencer par le commencement naturel.

les images p72

En conséquence, à propos de l’image et de son modèle, il faut faire les distinctions suivantes :
les paroles ont une parenté naturelle avec les choses qu’elles expriment.

Expriment-elles ce qui est stable, fixe et visible à l’aide de l’intelligence, elles sont stables et fixes, et, autant qu’il est possible et qu’il appartient à des paroles d’être irréfutables et invincibles, elles ne doivent rien laisser à désirer à cet égard.

Expriment-elles au contraire ce qui a été copié sur ce modèle et qui n’est qu’une image, elles sont vraisemblables et proportionnées à leur objet, car ce que l’être est au devenir, la vérité l’est à la croyance.
Si donc, Socrate, il se rencontre maint détail en mainte question touchant les dieux et la genèse du monde, où nous soyons incapables de fournir des explications absolument et parfaitement cohérentes et exactes, n’en sois pas étonné ; mais si nous en fournissons qui ne le cèdent à aucune autre en vraisemblance, il faudra nous en contenter, en nous rappelant que moi qui parle et vous qui jugez nous ne sommes que des hommes et que sur un tel sujet il convient d’accepter le mythe vraisemblable, sans rien chercher au-delà.

La bonté première ! Mise en ordre

Disons donc pour quelle cause celui qui a formé le devenir et l’univers l’a formé. p73

Il était bon, et, chez celui qui est bon, il ne naît jamais d’envie pour quoi que ce soit. Exempt d’envie, il a voulu que toutes choses fussent, autant que possible, semblables à lui-même.
Que ce soit là le principe le plus effectif du devenir et de l’ordre du monde, c’est l’opinion d’hommes sages, qu’on peut admettre en toute sûreté.
Le dieu, en effet, voulant que tout fût bon et que rien ne fût mauvais, autant que cela est possible, prit toute la masse des choses visibles, qui n’était pas en repos, mais se mouvait sans règle et sans ordre, et la fit passer du désordre à l’ordre, estimant que l’ordre était préférable à tous égards.

L'intelligence dans l'âme, l'âme dans le corps,

Or il n’était pas et il n’est pas possible au meilleur de faire une chose qui ne soit pas la plus belle. Ayant donc réfléchi, il s’aperçut que des choses visibles par nature il ne pourrait jamais sortir un tout privé d’intelligence qui fût plus beau qu’un tout intelligent, et, en outre, que dans aucun être il ne pouvait y avoir d’intelligence sans âme.
En conséquence, il mit l’intelligence dans l’âme, et l’âme dans le corps, et il construisit l’univers de manière à en faire une oeuvre qui fût naturellement la plus belle possible et la meilleure.
Ainsi, à raisonner suivant la vraisemblance, il faut dire que ce monde, qui est un animal, véritablement doué d’une âme et d’une intelligence, a été formé par la providence du dieu.
Ceci posé, il nous faut dire ensuite à la ressemblance de quel être vivant il a été formé par son auteur.

Un monde d'animaux...
Ne croyons pas que ce fut à la ressemblance d’aucun de ces objets qui par leur nature ne sont que des parties ; car rien de ce qui ressemble à un être incomplet ne peut jamais être beau.
Mais ce qui comprend comme des parties tous les autres animaux, pris individuellement ou par genres, posons en principe que c’est à cela que le monde ressemble par-dessus tout.
Ce modèle, en effet, embrasse et contient en lui-même tous les animaux intelligibles, comme ce monde contient et nous-mêmes et tout ce qu’il a produit d’animaux visibles.
Car Dieu, voulant lui donner la plus complète ressemblance avec le plus beau des êtres intelligibles et le plus parfait à tous égards, a formé un seul animal visible, qui renferme en lui tous les animaux qui lui sont naturellement apparentés.

Un ciel ? ou des Cieux ?
Mais avons-nous eu raison d’ajouter qu’il n’y a qu’un ciel, ou était-il plus juste de dire qu’il y en a beaucoup et même un nombre infini ?
Il n’y en a qu’un, s’il doit être construit suivant le modèle. Car ce qui contient tout ce qu’il y a d’animaux intelligibles ne pourrait jamais coexister avec un autre et occuper la seconde place, autrement il faudrait admettre, outre ces deux-là, un troisième animal, où ils seraient enfermés comme des parties ; et ce ne serait plus sur ces deux-là, mais sur celui qui les contiendrait qu’on pourrait dire à juste titre que notre monde a été modelé.

p75

Afin donc que notre monde fût semblable en unité à l’animal parfait, l’auteur n’en a fait ni deux, ni un nombre infini ; il n’est né que ce ciel unique et il n’en naîtra plus d’autre.

Un monde de Feu et de Terre

Or ce qui a commencé d’être doit nécessairement être corporel et ainsi visible et tangible ;
mais, sans feu, rien ne saurait être visible, ni tangible sans quelque chose de solide, ni solide sans terre.

Aussi est-ce du feu ( Tétraèdre) et de la terre (Hexaèdre) que le dieu prit d’abord, quand il se mit à composer le corps de l’univers.

La proportion

Mais, si l’on n’a que deux choses, il est impossible de les combiner convenablement sans une troisième ; car il faut qu’il y ait entre les deux un lien qui les unisse. Or, de tous les liens, le meilleur est celui qui, de lui-même et des choses qu’il unit, forme une unité aussi parfaite que possible, et cette unité, c’est la proportion qui est de nature à le réaliser complètement. Lorsqu’en effet, de trois nombres quelconques, cubiques ou carrés, le moyen est au dernier ce que le premier est au moyen et qu’inversement le moyen est au premier ce que le dernier est au moyen, le moyen devenant tour à tour le premier et le dernier, et le dernier et le premier devenant l’un et l’autre les moyens, il s’ensuivra nécessairement que tous les termes seront les mêmes et qu’étant les mêmes les uns que les autres, ils formeront à eux tous un tout.

p76

Si donc le corps de l’univers avait dû être une simple surface, sans profondeur, un seul terme moyen aurait suffi pour lier ensemble les deux extrêmes et lui-même.

La 3 D

Mais, en fait, il convenait que ce fût un corps solide.

Aussi, comme les solides sont toujours joints par deux médiétés, et jamais par une seule,
le dieu a mis l’eau et l’air entre le feu et la terre
et les a fait proportionnés l’un à l’autre, autant qu’il était possible,
de sorte que ce que le feu est à l’air, l’air le fût à l’eau et que ce que l’air est à l’eau, l’eau le fût à la terre

et c’est ainsi qu’il a lié ensemble et composé un ciel visible et tangible.

Les 4 éléments

C’est de cette manière et de ces éléments, au nombre de quatre, que le corps du monde a été formé.
Accordé par la proportion, il tient de ces conditions l’amitié, si bien que, parvenu à l’unité complète, il est devenu indissoluble par tout autre que celui qui l’a uni.
Chacun des quatre éléments est entré tout entier dans la composition du monde, car son auteur l’a composé de tout le feu, de toute l’eau, de tout l’air et de toute la terre sans laisser en dehors de lui aucune portion ni puissance d’aucun de ces éléments. p77

Un animal parfait

Son dessein était en premier lieu qu’il y eût, autant que possible,
un animal entier, parfait et formé de parties parfaites, et en outre qu’il fût un, vu qu’il ne restait rien dont aurait pu naître quelque chose de semblable, et, en dernier lieu, pour qu’il échappât à la vieillesse et à la maladie.

Maladies et vieillesse

Il savait en effet que, lorsqu’un corps composé est entouré du dehors et attaqué à contretemps par le chaud, le froid et tout autre agent énergique, ils le dissolvent, y introduisent les maladies et la vieillesse et le font périr.

Voilà pourquoi et pour quelle raison le dieu a construit avec tous les touts ce tout unique, parfait et inaccessible à la vieillesse et à la maladie.

Un monde sphère parfaite, suffisante

Pour la forme, il lui a donné celle qui lui convenait et avait de l’affinité avec lui.
Or la forme qui convenait à l’animal qui devait contenir en lui tous les animaux, c’était celle qui renferme en elle toutes les autres formes.
C’est pourquoi le dieu a tourné le monde en forme de sphère, dont les extrémités sont partout à égale distance du centre, cette forme circulaire étant la plus parfaite de toutes et la plus semblable à elle-même, car il pensait que le semblable est infiniment plus beau que le dissemblable.

En outre, il arrondit et polit toute sa surface extérieure pour plusieurs raisons. Il n’avait en effet besoin ni d’yeux, puisqu’il ne restait rien de visible en dehors de lui, ni d’oreilles, puisqu’il n’y avait non plus rien à entendre. Il n’y avait pas non plus d’air environnant qui exigeât une respiration. p78

Il n’avait pas non plus besoin d’organe, soit pour recevoir en lui la nourriture, soit pour la rejeter, après en avoir absorbé le suc.
Car rien n’en sortait et rien n’y entrait de nulle part, puisqu’il n’y avait rien en dehors de lui.

L’art de son auteur l’a fait tel qu’il se nourrit de sa propre perte et que c’est en lui-même et par lui-même que se produisent toutes ses affections et ses actions. Celui qui l’a composé a pensé qu’il serait meilleur, s’il se suffisait à lui-même, que s’il avait besoin d’autre chose.

Quant aux mains, qui ne lui serviraient ni pour saisir ni pour repousser quoi que ce soit, il jugea qu’il était inutile de lui en ajouter, pas plus que des pieds ou tout autre organe de locomotion.
Il lui attribua un mouvement approprié à son corps, celui des sept mouvements qui s’ajuste le mieux à l’intelligence et à la pensée.
En conséquence, il le fit tourner uniformément sur lui-même à la même place et c’est le mouvement circulaire qu’il lui imposa ;
pour les six autres mouvements, il les lui interdit et l’empêcha d’errer comme eux.
Comme il n’était pas besoin de pieds pour cette rotation, il l’enfanta sans jambes et sans pieds.

p79

C’est par toutes ces raisons que le dieu qui est toujours, songeant au dieu qui devait être un jour, en fit un corps poli, partout homogène, équidistant de son centre, complet, parfait, composé de corps parfaits.


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Il faut d’abord, dit Timée, se poser cette double question : en quoi consiste ce qui existe toujours, et ce qui devient toujours et n’est jamais ? Ce qui existe toujours, ce sont les Idées (ou des Formes), appréhensibles à l’intelligence, et ce qui devient toujours est l’univers, qui ne peut être connu que par conjecture. Aussi n’y a-t-il pas de science de la nature. On n’en peut donner que des explications plus ou moins vraisemblables.

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Le Monde comme un animal doué d'une âme, d'une intelligence à partir d'un Modèle "total".


Partons de ce principe que l’auteur de l’univers, étant bon et sans envie, a voulu que toutes choses fussent autant que possible semblables à lui-même, c’est-à-dire bonnes. C’est pour cela qu’il a fait passer le monde du désordre chaotique à l’ordre. Pour cela, il mit l’intelligence dans l’âme et l’âme dans le corps et fit du monde un animal doué d’une âme et d’une intelligence, et il forma cet animal sur un modèle qui embrasse en lui tous les animaux intelligibles.

Ce qui a commencé d’être est nécessairement corporel et ainsi visible et tangible ; mais, sans feu, rien ne saurait être visible, ni tangible sans quelque chose de solide, ni solide sans terre.

Aussi le dieu prit d’abord, pour former l’univers, du feu et de la terre. Pour les unir, il prit deux moyens termes formant une proportion avec ces deux éléments.
Si le corps de la terre eût été une surface, un seul moyen terme aurait suffi ; mais c’était un corps solide, et, comme les solides sont joints par deux médiétés et jamais par une seule, le dieu a mis l’eau et l’air entre le feu et la terre et les a fait proportionnés l’un à l’autre, en sorte que ce que le feu est à l’air, l’air le fût à l’eau, et que ce que l’air est à l’eau, l’eau le fût à la terre. Chacun des quatre éléments est entré tout entier dans la composition du monde : son auteur l’a composé de tout le feu, de toute l’eau, de tout l’air et de toute la terre, pour qu’il fût un, qu’il ne restât rien d’où aurait pu naître quelque chose de semblable et qu’il échappât ainsi à la vieillesse et à la maladie, rien ne pouvant l’attaquer du dehors.


Il donna au monde la forme sphérique, qui est la plus parfaite de toutes, et il en arrondit et polit la surface extérieure, parce que le monde n’avait besoin ni d’yeux, puisqu’il ne restait rien de visible en dehors de lui, ni d’oreilles, puisqu’il n’y avait plus rien à entendre, ni d’aucun organe, puisque rien n’en sortait ni n’y entrait de nulle part, n’y ayant rien en dehors de lui. Il lui donna un mouvement approprié à son corps, un mouvement de rotation slui-même, sans changer de place.